03 avril 2009

Problème de conjugaison

Hier. Le soleil chauffe la couenne des fainéants qui ont pris l’après-midi off pour aller siroter un allongé sur une terrasse. Des hommes d’affaires à la cravate déloussée qui sont sur leur heure de dîner depuis trois heures, des femmes enceintes jusqu’au menton qui prennent des petites gorgées de thé vert en priant pour que toute cette lumière leur fasse poper le bedon – ça commence à faire lourd à traîner –, des grands-mères qui tricotent des foulards – pour l’an prochain, faut être prévoyants – en buvant un pastisse, des universitaires en grève qui chialent contre le recteur, la ministre de l’Éducation, les banquiers, etc., etc., tous-ceux-qui-ne-la-portent-pas-à-gauche, et concluent que la meilleure manière de témoigner de leur mécontentement est de caler un pichet de blonde à deux heures de l’après-midi. On est rebelle ou on l’est pas. Pendant ce temps-là, des ados précoces font leur tough en t-shirt pis en bermuda, yo moi j’ai chaud, c’est avril pis je me découvre d’un fil, la mère a pas rapport.

Mon bol de café au lait fini, j’empoigne sac, livre, clic et clac et je grimpe dans l’autobus. Le chauffeur ne dit pas bonjour, je lui souris de toutes mes dents, pour le faire chier. Partout autour, ça placote température. Des voisins de siège, purs inconnus, ont l’impression d’être des héros qui combattent l’individualisme des temps modernes parce qu’ils se lancent des Non mais y fait-tu beau yien’qu’un peu et des Ben oui caline, j’te dis qu’y’était temps, pu capable de l’hiver. La satisfaction d’établir un véritable contact et de participer activement à l’humanité. J’ai envie de leur dire qu’on s’en fout du ciel bleu, qu’au Liban, qu’en Afghanistan, qu’en Irak, qu’au Darfour, le ciel est bleu trois cents jours par année pis que les gens crèvent pareil. Si vous voulez jaser, jasez, mais parler pour dire quelque chose, bordel; faites des Paul Arcand de vous-mêmes et posez-vous les vraies questions. Y vas-tu pleuvoir demain ne fait pas partie de la liste. Mais je ferme ma grande gueule, me contente d’écouter et de sourire faussement. Pour faire chier. Je suis celui qui frappe dans la vie, à grand coup d’amour, chante le bon vieux Gerry dans le radio portatif du chauffeur. Une p’tite boîte noire qui fonctionne grâce à deux piles AA et qui fait que la journée paraît moins longue.

Ding, une grosse dame sonne, se lève, ajoute Je débarque au prochain arrêt, pour être sûre qu’on ait compris. Tout en se tenant au poteau comme une stripteaseuse qui fait de l’arthrite, elle lance à l’autre dame qui était assise à côté d’elle En tout cas, aujourd’hui, c’est beau. C’est vraiment beau. L’autre mémère opine du chef, désintéressée. Et la fatigante repart – Aujourd’hui c’est beau. Ouf que c’est beau. Mais demain y mouille. Y disent que demain y mouille. La mamie qui est restée assise regarde par la fenêtre, ne répond pas. Elle est peut-être sourde. Ou juste moins insipide que tous ces vieillards qui n’ont pour seul passe-temps depuis qu’ils sont à la retraite que de faire la météo. La grosse insiste, parle de plus en plus fort. Demain y mouille. Silence dans le bus. Maintenant, elle gueule carrément – Demain y mouille. Enfin, on arrive à l’arrêt. Elle lâche un gros soupir et débarque en passant proche de foutre le camp, face première sur le trottoir bourré de garnote. Peut-être que si elle avait su conjuguer ses putains de temps de verbe, quelqu’un aurait pris la peine de lui répondre. Demain, il va mouiller ou il mouillera, madame, c’est ça qui faut dire. Aujourd’hui égale présent, demain égale futur. M-o-u-i-l-l-e-r-a.

Je me pousse vers le fond de l’autobus. Y’a un siège de libre à côté d’un gamin. Il doit avoir 4 ans. Je lui souris, mais cette fois, c’est pas pour faire chier, c’est pour vrai.

- Je peux m’asseoir à côté de toi?
- (Hochement de tête, sourire)
- Où est-ce que tu t’en vas comme ça?
- À la bibliothèque. (Extension du sourire)
- Oh! Tu vas emprunter des livres?
- Non! (Pouffement. Franchement Madame, t’es conne, j’suis ben trop jeune pour lire!)
- Tu vas faire quoi alors? Écouter une histoire?
- Oui!
- T’aimes ça te faire raconter des histoires?
- Moi je suis pas un petit gars, je suis une fille.

Je souris pu. Cassée. Je suis cassée. J’avoue qu’avec sa tuque qui lui recouvre les sourcils, sa suit d’hiver rouge et bleu trop grande, ses bottes vertes, ses petits pantalons brun en corduroy et sa voix qui n’a évidemment pas encore mué, je l’avais un peu pris pour un petit gars. Mais rien dans tout ce que j’ai pu dire n’avait pu trahir le fait que je croyais que c’était un garçon. Donc, soit que simplement à la façon dont je la regardais, la petite fille a vu que je me méprenais quant à son identité sexuelle, soit qu’elle est habituée qu’on fasse erreur à ce sujet et qu’elle a voulu m’avertir tout de suite. Pour que ça soit clair entre nous. Je sais pu quoi dire. Je me sens mal.


J’ai voulu faire la conversation à un flo, lui parler d’autre chose que des quinze degrés celcius ambiant et du fait qu’il n’y avait aucun nuage à l’horizon, et je me suis plantée. Cette fois, c’est moi qui aie fait une malencontreuse erreur de conjugaison. Petit gars égale pas de «e» à la fin du mot, petite fille égale un «e». Aujourd’hui égale présent, demain égale futur. Je devrais réviser mon Bescherelle.

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