27 mai 2009

Un pommier en fleurs dans la Grosse Pomme




Sur les trottoirs, l’air chaud sort des grillages d’aération du métro et fait lever les jupes des passantes, pendant que la pluie grise s’amuse à coller les mèches de cheveux colorés sur les fronts de celles qui ont oublié leur parapluie. De la large fenêtre de son grand loft blanc, un homme d’affaires en congé observe le défilé humain et la trajectoire des gouttelettes en sirotant son café dans une tasse achetée pour cinquante dollars l’unité. Dix heures à peine, les kiosques à hot-dogs ont déjà des clients. L’un d’entre eux vient de tacher sa cravate mauve avec de la moutarde jaune; il lâche un fuck bien senti en lançant ses restes de pain et de saucisse sur le pavé. Je souris. Il y a quelque chose d’absolument érotique dans l’atmosphère. C’est New York, c’est le printemps, tous les mots riment avec tentation.

Je déambule nonchalamment dans la ville avec l’impression d’avoir le mot sexe d’écrit partout sur le corps. J’entre dans un Starbucks pour me chercher un latte venti qui m’accompagnera dans ma promenade et occupera ma bouche un peu. Grâce à mon terrible accent (autant en italien qu’en anglais), le barista ne comprend pas ma commande et me donne plutôt un grande ice tea. Il est chanceux, je suis de bonne humeur, alors je lui fais gentiment remarquer que ce n’est pas la bonne chose. Sauf que là, il commence à m’obstiner. Il affirme que c’est bel et bien ce que j’ai commandé. Je m’insurge, en lui faisant remarquer que personne ne se commande un thé glacé géant à 10h00 le matin. Il ne lâche pas prise; j’ai officiellement affaire à un barista orgueilleux. Franchement, bois-le le thé glacé si tu trouves ça si bon un thé froid au citron le matin et fais-moi mon café au lait, bordel! Je lui ai dit tout ça en bon québécois, tannée de devoir traduire mes pensées. Si le mot « fesse » est encore écrit dans ma face, il n’a certainement plus le même sens.

Riant dans sa séduisante barbe de trois jours, mon voisin de file finit par intervenir pour prendre ma défense. Il dit au commis de me donner ce que je veux et lui suggère même de ne pas me faire payer puisqu’il m’a déjà fait assez perdre de temps comme ça. Je ne sais pas qui est cet homme ni d’où il sort, mais il doit être connu dans le Upper East Side parce que ça n’en prenait pas plus pour que le commis se la ferme et s’exécute. L’homme me fait un clin d’œil et un sourire en coin puis il me dit : Tu avez une belle accent française. C’est cute when you speak. Oh. My.

Deux choses me font craquer à coup sûr dans la vie: une barbe de trois jours et un accent anglais. Je ne peux simplement pas résister. Vous parlez français?! Il me répond : Seuloument une petit peu. My grandmother is from « Gaspésie »?! Is that how you say it, Gaspésie?! Oui, oui, c’est comme ça qu’on dit – bave, yeux qui louchent, cils qui clignent, bave encore. We use to spend our holidays up there. I was fluently bilingual when I was young, but I lost it, unfortunately. I wish I could have more opportunities to practice my French. La porte était trop grande ouverte pour que je n’essaie pas de m’y engouffrer – je pouvais sentir le courant d’air me frôler les mollets. I could teach you if you want. Of course, répond-il avec enthousiasme. Are you free? Right now? For a little walk in Central Park? À mon tour de répondre of course. Catherine, ma copine de voyage, avait envie d’aller faire les boutiques sur la Fifth Avenue ce matin et pas moi, alors on est partie chacune de notre côté et on s’est donné rendez-vous à Central Park, justement, à 14h00. Ça nous laisse amplement de temps pour une petite ballade…

Nate et moi – Oui, oui, Nate comme dans Six Feet Under, autre raison pour être charmée d’avance – marchons lentement autour du Jacqueline Kennedy Onassis Reservoir. Les nuages se sont dispersés, la bruine a cessé. Les joggeurs nous soufflent leur haleine pleine de sueur dans le visage et soupirent parce qu’on bloque le chemin avec nos têtes dans les nuages et nos cœurs qui font boom. L’accent de Nate est vraiment, vraiment trop croquant, mais je n’écoute même plus ce qu’il dit. Ses lèvres, ses mains, sa façon de remonter ses manches, de prendre une bouffée de Gauloises entre deux mots, sa voix qui devient légèrement rauque après qu’il ait pris une gorgée de café devenu tiède, sa manière de pencher la tête sur le côté et d’involontairement fermer la paupière gauche quand il rit, tout ça me subjugue et m’empêche de répondre autre chose que yes, yes, sure, hmm, hmm, I agree, yes à toutes ses affirmations.

On finit par s’asseoir sur un banc, à l’ombre, en marge d’un petit sentier de gravelle. Sur le banc, il y a une plaquette où il est inscrit « For my wife, Mrs Wonderful ». C’est affreusement quétaine mais sur le coup, ça me donne presque les larmes aux yeux et je trouve que c’est la chose la plus romantique au monde. Un petit poméranien aux poils hirsutes s’approche de notre aire de repos et décide de faire ses besoins à proximité; c’est pas des farces, ça aussi, je finis par trouver ça hyper romantique. J’ai l’eau-de-rose à fleur de peau et le kitsch en érection. Entre deux yes, yes, sure, je me laisse aller à un silence éloquemment érotique; Nate saisit le message et se penche pour m’embrasser.

Il n’est peut-être plus aussi fluent qu’avant in french, mais il n’a rien perdu de sa technique de french kisser par contre… À la fin d’un long baiser langoureux, il me demande if I have any plan for tonight. Yes, yes, sure! I mean I don’t have any plan! I’m free! Free as a bird! And you, do you have any proposition?!

20h00, rendez-vous chez moi dans Greenwich Village? Je te ferai ma spécialité. Tu aimes les fruits de mer? Ça, j’ignore pourquoi, mais il l’a dit dans un français impeccable. Les fruits de mer? Jamais rien connu d’aussi savoureux. Sauf la suite de cette histoire, bien sûr…

22 mai 2009

Back from Gotham




Ouf! Je vis toujours! Sincèrement désolée pour le presque trois semaines sans nouvelle. Je vais essayer de me rattraper au cours des prochains jours, mais pardonnez-moi de nouveau si je n’y arrive pas. C’est que je travaille beaucoup et je veux avoir terminé la première version de mon roman pour la fin juin, donc… Ça, c’était pour les nouvelles de moi. Maintenant, place au récit de voyage…

***

Je n’étais jamais allée à New York. À vrai dire, j’avais mis les pieds aux États-Unis seulement une fois auparavant. J’ai vu le fin fond de la Grèce bien avant de traverser la frontière de La Prairie. Je n’ai jamais été particulièrement attirée par nos voisins et leur vaste pays – pas assez exotique. Pourtant, il y a de quoi avoir plusieurs chocs culturels quand on met les pieds là-bas...

Premier fait troublant : les Américains sont sympathiques! En tout cas, les New Yorkais le sont. Mon amie et moi avons été très bien accueillies (vraiment très, très bien, si vous voyez ce que je veux dire…). Les gens nous disaient bonjour sur la rue, comme ça, sans arrière-pensée; au restaurant, les serveurs devenaient encore plus gentils et attentionnés lorsqu’ils comprenaient qu’on n’était pas de la place; dans le métro, dès qu’on affichait un petit air légèrement perdu, quelqu’un s’empressait de nous demander si on cherchait quelque chose. Wow, vraiment, je ne m’attendais pas à cela.

Deuxième fait marquant : les poubelles sont optionnelles à New York. Je considère que Montréal est une ville plutôt sale et manque d’infrastructures hygiéniques (utilisons des beaux termes administratifs), mais j’ai bien dû constater que nous n’étions pas les seuls à devoir marcher cinq kilomètres avant de trouver une corbeille, un sac, un bac, un container, n’importe quoi bordel, du moment qu’on puisse jeter notre foutu cœur de pomme; les New Yorkais aussi doivent pratiquement passer les douanes avant de trouver une maudite poubelle (et même chose pour une boîte aux lettres, en passant; je pense que y’en a genre 10 pour toute l’île de Manhattan). Et pas de danger qu’il y ait des installations pour le recyclage non plus. Hmm. Mettons qu’on s’imagine que les 8 214 426 habitants de la place jettent chacun une bouteille de plastique vide par jour : ouch. Pour moi, ils ont cru Bush quand il disait que le réchauffement de la planète, ça n’existait pas; ils n’ont pas cru bon essayer de mettre en place des moyens de protéger l’environnement… Pourtant, se protéger, c’est important, hein? (Oh, un autre indice.)

Troisième constat : visiter les lieux touristiques (le Rockefeller Center, l’Empire State Building, la Statue de la Liberté, Time Square, etc.etc.) et payer des dizaines de dollars américains, même si le taux de change est plutôt avantageux par les temps qui courent, vraiment, je ne vois pas c’est quoi l’intérêt. Pourquoi les gens paient pour aller là où tout le monde est déjà allé, pour prendre la même photo que tout le monde a déjà prise, pour avoir la vue qu’on voit dans tous les livres d’art, d’histoire et de tourisme? J’avoue que je ne comprends pas ce principe. L’intérêt de voyager ne serait-il pas plutôt de découvrir des lieux complètement inédits, de rapporter des souvenirs uniques, de visiter des endroits inusités? Moi, c’est ce que je cherche, quand je vais ailleurs : des ruelles cachées, des monuments en ruine mais qui nous racontent une histoire, une vraie, des affiches insolites, des travailleurs pressés, des prostituées fatiguées, des pompiers en pause, des gens qui vivent, quoi; je voyage pour aller toucher à la vie. Et je suis revenue de New York avec l’impression d’y avoir goûté, oui, à cette vie pleine de couleurs, de saveurs, de textures, d’odeurs, de peaux, de sourires, de… De sexe?! Quoi?! Moi, j’aurais eu du sexe avec un New Yorkais!? Ben voyons donc, pour qui vous me prenez?!

Bon. Ok. Je vous le concède, je suis faible, tout comme la chair; je n’ai pas pu résister aux charmes des New Yorkais – d’un, en particulier. Je sais, je sais, vous voulez connaître tous les détails croustillants, mais vous devrez patienter un peu. Peut-être que je reviendrai dans 6 jours, le 28 mai, et que de vous raconter cette histoire sera ma manière de fêter avec vous les deux ans de ce blogue… En attendant, quelques photos, juste parce que je vous aime ben.











02 mai 2009

URBANIA et moi

Mes amis, je n'aurai probablement pas le temps d'écrire beaucoup sur le blogue au cours des deux prochaines semaines - contrat de rédaction, réunions, correction, etc., etc. Qui plus est, je pars pour New York le 11 mai (je reviendrai avec plein d'aventures new yorkaises à vous raconter, promis!)

Bref, afin que vous ne vous ennuyiez pas trop, je vous suggère une lecture en dehors du territoire lesmainsvidiens. Allez donc faire un tour sur le tout nouveau site du magazine URBANIA, j'vous jure, ça en vaut le détour. Pour ceux qui ne se seraient toujours pas procuré le dernier numéro spécial SEXE, vous pourrez y lire quelques extraits d'articles (dont celui sur ma fameuse date - c'est d'ailleurs ma grosse face qui risque de vous accueillir quand vous arriverez sur le site!). Les anciens numéros ont, quant à eux, tous été numérisés, pour votre plus grand plaisir.

En passant, vous surveillerez la section «Fictions» du site, des textes inédits y seront bientôt publiés.

Si vous êtes le moindrement futé, vous avez non seulement déjà découvert que Sophie B. n'était pas mon vrai nom (pour les autres, désolée de péter votre bulle!), mais vous avez en plus compris comment je m'appelais réellement. Et vous avez trouvé que mes articles dans le magazine était, ma foi, très intéressants!

À lire aussi: la confession de Patrick Lagacé, qui avoue être un fan du magazine, mais surtout, les commentaires à la suite de son entrée de blogue... Heureusement que notre but n'est pas de faire l'unanimité!

FOSSES ASEPTISÉES

Extrait de mon roman.

Bonne lecture,

Sophie B.



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FOSSES ASEPTISÉES


Cette année avril est trop tard. Le grand ménage du printemps se fait en janvier. Frotter tout l’après-midi, deux fois plutôt qu’une, les vitres des carreaux : vinaigre et vieux papier journaux. L’appartement sent le casse-croûte de chemin de campagne. On voit mieux à l’extérieur, le quotidien qui vaque et les passants dans son sillon. Mais de la rue, on ne voit pas plus clairement en dedans. Trop jour encore. Les fenêtres ne sont que de grands rectangles noirs, une croix blanche au milieu.

Je me tiens là depuis plusieurs minutes, personne ne le sait. J’ai ouvert pour aérer. Les calorifères fonctionnent à plein pour compenser. Combattre le vent, les orteils gelés. Le proverbe dit mains froides, cœur chaud, mais qu’en est-il de notre cœur quand c’est les pieds qui sont froids? Un torchon blanc à la main, bien équipée pour dire adieu. Ça doit faire quinze ans que je n’ai pas mis mes pieds froids dans une église. La dernière fois que j’ai prié, c’était pour qu’il fasse beau le lendemain. Je préfère quand il fait soleil, c’est tout.

L’horloge de la cuisine affiche encore huit heures ce matin. Les piles sont dans ma poche. Je ne voulais pas voir le temps passer ni attendre ton retour. La vaisselle sèche sur le comptoir, les sous-vêtements sur les chaises de la salle à manger. Tout est pendu d’avance, que je me dis.

La dernière fois qu’on a fait l’amour, c’était dans le corridor d’entrée. On ne s’est pas déshabillés, peut-être que c’est ce que veut dire le verbe baiser. Tu t’es retiré en proposant – on devrait tout repeindre, qu’est-ce que t’en penses. J’avais besoin d’y réfléchir. Tu es allé chercher du sorbet à la poire dans le congélateur. On l’a mangé, couchés sur la moquette, en regardant les étoiles mortes du plafond en stuc. J’ai échappé du sorbet sur mon pantalon blanc. Dans la salle de bains, j’ai nettoyé la tache verte pâle et mon sexe moite avec une débarbouillette. J’ai su que cette fois-là aurait des conséquences. La tache paraît encore et je suis enceinte sans trop savoir comment te l’annoncer.

Trois zéros clignotent sur le cadran de la cuisinière. Tu parles d’une heure pour rentrer, que je te lance à la blague, mais tu ne saisis pas la subtilité. Tu as eu une grosse journée et salis le parquet fraîchement ciré avec tes bottes. Tous ces efforts vains. Je cherche une chose qui ne serait pas éphémère à laquelle me raccrocher. La trotteuse de l’horloge au-dessus de ta tête ne bouge toujours pas. Je sens la forme ronde des piles contre ma cuisse – rien que cela pour que le temps s’arrête. L’avoir compris avant, on aurait peut-être encore un avenir.

- Je suis enceinte.

Pas trop certaine de l’avoir vraiment dit, mais tu te lèves pour me prendre dans tes bras, ça doit vouloir signifier que oui. Pendant cette seconde où ton corps se confond avec le mien, je réalise que j’ai eu tort. La chaleur revient dans mes orteils. Si cette nouvelle te rendait heureux, finalement? J’ai envie qu’on mange des spaghettis en regardant la télévision ce soir. Peut-être même faire l’amour après, ta main sur ma fesse gauche me donne des envies.

- C’est quoi ça?
- Les piles de l’horloge.
- Elles ne fonctionnent plus?
- Faudrait les changer, oui.
- J’irai avec toi.
- Pas besoin, je suis capable d’aller acheter des nouvelles piles toute seule mon amour.
- Je veux dire, te faire avorter. Je serai là. T’en fais pas. Ça va bien se passer.

Ton souffle sur mes cheveux sent l’ail. Tu as déjà mangé avec les collègues avant de rentrer.