01 décembre 2009

ADIEUX

F. revient demain. J'en suis presque à compter les secondes me séparant de lui tellement j'ai hâte. En attendant son retour, j'essaie de me concentrer sur mon travail, lequel consiste à apporter les dernières retouches à mon roman. J'ai décidé d'en partager un nouvel extrait avec vous, que je considérais de circonstance.

En passant, un extrait de ce fameux roman sera publié dans la prochaine édition de la revue ZINC, qui devrait sortir au courant des prochains jours. (Ne cherchez pas Sophie Beaudoin dans la liste des auteurs cependant, car vous risquez de chercher longtemps. Les plus perspicaces d'entre vous sauront découvrir quel est mon vrai nom en achetant la revue...) J'espère que vous serez nombreux à aller vous en procurer une copie. Je n'en retirerai pas plus de bénéfices, mais la revue oui, et il faut encourager les revues littéraires, surtout celles qui donnent la chance à de jeunes auteurs de se faire connaître.

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ADIEUX

Ce voyage tire à sa fin. Je n’ai pas prévu de date de retour, mais je sens qu’elle approche. Ce matin, à la librairie, c’est cette phrase que j’ai inscrite dans l’agenda : Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs, puisque, à défaut d’être partout, exister sera toujours n’être que là, puis un peu plus loin, et enfin d’être nulle part ? Je pense que ce sont là des mots adéquats pour ce qui se termine. David a dû percevoir que certaines choses allaient changer dorénavant, que nous ne nous reverrions pas aussi souvent et peut-être même plus jamais – il avait une mine plutôt triste. Il m’a dit c’est beau ce que vous portez aujourd’hui, ça vous va bien. J’ai répondu merci en souriant. J’avais ces vêtements sur le dos presque tout le temps. Mais aujourd’hui ils me vont bien.

J’ai fait une dernière promenade dans les environs de l’hôtel. Cet endroit ne va pas me manquer, parce que je continuerai de le porter en moi encore longtemps. Je ne compte pas y revenir. Cette partie de la ville appartient réellement à un autre pays et il me coûterait trop cher d’y remettre les pieds. Il faut apprendre de ses erreurs, mais également de ses bons coups – éviter de reproduire les bonheurs anciens. La joie n’a de sens que maintenant.

Sylvie m’a servi un dernier repas tout à l’heure. J’en ai savouré chaque bouchée, en prenant bien soin d’en laisser une au fond de l’assiette, comme pour m’assurer qu’encore plusieurs bonnes choses m’attendraient, même après avoir conclu ce périple. Sylvie ne m’a rien chargé pour mon dîner – c’est la maison qui invite. La maison : un autre indice qui me forçait à croire qu’il était temps pour moi de rentrer.

J’ai regagné la chambre pour aller faire mes bagages. Il ne me reste plus grand-chose de la vie précédente. Tant qu’à trimbaler une valise à moitié pleine, j’ai décidé de la vider complètement. J’ai laissé les quelques vêtements achetés à la friperie, le guide de la motocyclette et deux ou trois autres babioles dans la commode à côté du lit, n’ai conservé que les cartes postales et l’appareil photo. J’y ai fait tellement d’espace que la valise est maintenant ronde comme le ventre d’une femme enceinte et quand je colle l’oreille dessus, je peux entendre l’espoir qui grouille. Cette nuit sera ma dernière dans cette chambre. Cette nuit sera ma dernière tout court. Demain le jour commence.

- Papa, c’est moi. Je voulais te dire, je reviens de voyage demain. J’aimerais bien pouvoir aller passer quelque temps chez toi.
- Bien sûr, tu sais que tu es toujours la bienvenue. Tu veux que j’aille te chercher à l’aéroport ? Je peux me libérer sans problème, t’as qu’à me dire à quelle heure.
- Merci papa, mais ça ne sera pas nécessaire. Je me suis déjà arrangée autrement.

Maintenant que les détails de mon retour sont réglés, ne me reste plus qu’à attendre que demain vienne. Pour la première fois depuis que je suis ici, j’aurais bien aimé regarder la télévision, pour graduellement revenir au monde, reprendre contact avec lui, sauf que la télécommande est toujours portée disparue. Mais parfois, c’est étrange, il suffit de penser à une chose ou à une personne pour qu’elle apparaisse. Je me lève pour aller déposer la valise près de la porte, qu’elle soit prête à partir, et j’entends un objet percuter le sol. Je regarde sous le lit et vois la télécommande faire comme si elle avait toujours été là. Moi qui ai fouillé partout à sa recherche, ouvert tous les tiroirs, toutes les portes d’armoire, vérifié dans la garde-robe, sous le lit au moins cinq fois, sans résultat. Elle devait être prise entre les draps et le matelas et c’est maintenant qu’elle décide de se libérer.

Je n’en retiens qu’une chose : regarder sans chercher reste la seule manière de trouver.

23 novembre 2009

La première neige

F. est parti.



***



F. est le premier homme qui m'ait jamais donné envie de me marier. Je me suis toujours un peu foutue de la question matrimoniale, mais avec lui, je vois le fait d'officialiser notre union comme une possibilité envisageable. Comme quelque chose de beau, de grand, qui pourrait vraiment avoir un sens - que nous formons ensemble un tout dont la force va bien au-delà de nos énergies individuelles mises en commun. F. me donne envie d'être sa femme, de lui appartenir, juste un peu, mais d'être quand même à lui, dans mes défauts et mes extravagances.




Ce serait en Bretagne, sur une plage de Saint-Malo, durant la saison des hautes marées. Je porterais une robe très longue et très légère, mes cheveux bouclés flotteraient dans les airs, les bourrasques seraient violentes, aussi féroces que notre envie de nous embrasser, mais nous nous retiendrions, nous attendrions que le célébrant nous donne sa bénédiction avant de faire fondre nos lèvres ensemble. Le bas de ma robe serait tout mouillé, taché par le sel et les algues, mais peu m'importerait car F. déchirerait ma tenue une fois passé la porte de notre chambre d'hôtel, de toute façon.

Nous ferions l'amour, ça sentirait le varech, la mousse, le large, le vent, le poisson et la terre humide, et nous jouirions en même temps, tandis qu'une vague immense viendrait se fracasser contre la fenêtre. Elle nous engloutirait et nous emporterait jusqu'à une île secrète, lieu de notre lune de miel. Luna di miele, qu'on dit dans sa langue. Nous ne parlerions plus aucune langue. Nous n'en aurions plus besoin, nous serions mari et femme et les mots n'arriveraient plus jamais à exprimer à quel point nous nous aimons, de toute façon.





F. stimule en moi le désir irrépressible de foutre en l'air mes certitudes, de me jeter dans le vide, de m'abandonner à l'inconnu. Je veux lui faire confiance, le suivre partout où il ira, le croire lorsqu'il me dit que l'avenir est radieux et que la fin du monde n'est qu'une farce. Qu'il ne peut y avoir de fin du monde, parce que le monde c'est nous, et que nous sommes infinis. Avec F., je n'ai pas peur de mourir parce que je sais que dans la terre, je ne pourrai qu'être encore plus proche de lui: mon corps se décomposera dans le sien, nous réchaufferons la planète de nos cendres.


Quand F. dort avec moi, je ferme tous les calorifères, je me glisse nue sous les couvertures et jamais je n'ai froid. F. est la vie au creux de mes reins et mes rêves sont tranquilles. Mais F. est parti.



***



F. est retourné chez lui, dans son pays blanc, rouge et vert comme Noël qui s'en vient. Lui aussi va s'en venir - s'en revenir: ce n'est qu'un petit voyage de quinze jours. Le temps d'embrasser la famiglia, de faire le plein de bouillon et de pasatelli, de sentir que ses pieds ont encore des racines, de se reposer, se retrouver: après, c'est sûr, il va me revenir.


Je compte les jours en chocolat. Je me suis fabriqué un calendrier de l'avant-Avant, comme je l'appelle. Chaque jour, je mange un chocolat d'une saveur différente et je fais le voeu que F. rentre à la maison sur le champ. Mon souhait ne se réalise jamais, mais le goût sucré sur ma langue me réconforte quand même: chaque bouchée me rapproche de lui. Il ne reste plus que neuf friandises dans la boîte. J'ignore ce que celle de demain goûtera. Aujourd'hui, l'absence de F. avait une saveur légèrement caramélisée - truffe chocolat et caramel, oui, c'est ça. Quand j'aurai mangé tous les chocolats, mes joues seront un peu plus dodues, mais c'est tant mieux: elles sauront ainsi mieux supporter le sourire qui s'étampera sur mon visage parce que le retour de F. sera imminent. J'irai peut-être à l'aéroport le chercher. Ou peut-être que j'attendrai simplement qu'il se présente chez moi. Je l'accueillerai dans ma maison en faisant comme s'il n'était jamais allé nulle part. Je porterai une robe très longue et très légère et peut-être qu'il comprendra ce que cela veut dire.


Il m'embrassera sur l'épaule, mordillera la bretelle de mon soutien-gorge et dehors il neigera. La première neige de l'année, comme des confettis qui crient tu nous as manqué. Et la neige n'arrêtera pas. Elle tombera tout décembre, et tout l'hiver, jusqu'au printemps, peut-être même juin. C'est que F. et moi n'aurons jamais cessé de nous embrasser.

20 novembre 2009

Être né pour un petit-pain-blanc-pas-d'croûte

Tout à l'heure, j'étais à la pharmacie. Les bras chargés, je me suis placée dans la file pour payer. Devant moi, il y avait une dame d'une cinquantaine d'années, mais qui agissait comme une petite fille de huit ans. Elle souffrait visiblement d'un retard mental. Je dis souffrir, mais le mot est plus ou moins adéquat; cette femme ne souffrait pas, elle avait plutôt l'air de s'en foutre: elle était vivante et c'est tout ce qui comptait pour elle. Elle chantonnait en se dandinant sur ses pieds chaussés de bottes mauves. En bougeant ainsi, elle déplaçait l'air et ce dernier se chargeait de son parfum: un mélange de boule à mites, de gras de cheveux et d'humidité. Elle puait, mais elle s'en foutait. Elle ne le savait pas. Tout ce qu'elle savait c'est qu'aujourd'hui, c'était vendredi et que vendredi, c'est le plus beau moment de la semaine: c'est la journée où elle va au Jean Coutu pour s'acheter un deux litres de Pepsi et des gratteux. Céline. Elle avait l'air de s'appeler Céline.

Céline était accompagnée d'une femme plus âgée, qui devait être sa mère. Celle-ci avait l'air seulement une coche plus brillante que sa fille. Juste pour dire qu'elle pouvait s'occuper d'elle (à lire: lui acheter des plats congelés pour souper, les faire cuire dans le micro-ondes et lui mettre son film préféré dans le lecteur VHS). Jocelyne pourrait lui convenir comme nom. Jocelyne, elle, elle aime le vendredi parce qu'elle va faire valider ses billets de loto à la pharmacie - moment d'excitation intense qui lui donne même du mal à s'endormir le jeudi soir.

Une fois ses billets validés et déclarés non gagnants, Jocelyne s'en est évidemment procuré d'autres. Elle a dit:

- J'vas vous en prendre trois autres ma belle p'tite madame.

La caissière lui a répondu:

- Il ne m'en reste plus de ceux-là... Ah! non, c'est vrai, vous, vous prenez ceux à 2$, pas à 5$. J'vous sors ça alors.


Pendant que la caissière sortait les billets de la pochette de plastique, Jocelyne s'est mise à rigoler et s'est lancée dans une tirade décousue:

- Ben sûr que j'prends les billets à 2$, t'sais! J'suis pas pour prendre ceux à 5$, tu peux gagner des trop gros montants avec ceux-là, pis moi faut pas que j'gagne trop d'argent parce que si j'gagne trop d'argent, y vont me couper le B.S. (Rire aussi gras que les cheveux de Céline). J'te dis qu'y checkent pas mal ça au B.S., y te watchent, ça fait que j'suis mieux de pas prendre de chance pis de prendre juste des billets à 2$. Avec les billets à 2$, j'peux pas gagner beaucoup d'argent, ça fait que c'est correct, y me couperont pas mon B.S. (Rire encore, mais dans sa barbe cette fois. Parce que oui, Jocelyne a de la barbe et elle la rase.)


Cette femme achète des billets de loterie dans l'espoir de ne pas gagner. Parce que si elle gagne, ils vont lui couper son bien-être social. Elle aurait le choix entre 1 million de dollars, là, maintenant, tout de suite, et 400$ par mois, elle prendrait les 400$ par mois. Parce que c'est rassurant de savoir qu'un montant fixe rentre dans son compte en banque à une fréquence régulière, parce que c'est plus facile de gérer un compte dans lequel il y a moins de zéro ou parce que si elle devenait millionnaire, elle n'aurait plus le droit d'habiter dans son HLM et que ça ne lui tente pas trop de déménager.

Parce qu'elle aime bien le pain-blanc-enrichi-pas-d'croûte et que si elle était riche, elle serait obligée d'acheter du pain baguette, pour faire comme les vrais riches, mais elle n'aime pas ça le pain baguette, Jocelyne.

Jocelyne a quitté la caisse en continuant de rigoler et de se parler à elle-même. Céline a déposé son chargement de liqueur brune sur le comptoir et elle a demandé «Un Bingo s'il vous plaît» à la caissière, avec un enthousiasme débordant et un cheveu sur le bout de la langue.

J'espère que Céline ne grattera pas cinq cases en ligne et qu'elle ne criera pas «Bingo!», la bouche pleine de Pepsi. Ça décevrait beaucoup trop sa mère.

06 novembre 2009

Les noces de vent

F. et moi avons célébré notre premier mois officiel de couplage il y a quelques jours. Un grand événement. On a souligné la chose sobrement, avec beaucoup d'amour et une bonne bouteille de vin, tout simplement. Un mois, y'a pas de quoi en faire tout un plat, mais reste, en ce qui me concerne, ça tient presque du miracle et je peux déjà affirmer que c'est une de mes relations les plus longues.

Pendant un moment de pur romantisme, coupe à la main et regard mielleux dans les yeux, j'ai lancé à F. une assertion pas si eau-de-rose que ça:

- J'ai pensé à ça aujourd'hui et après un mois passé ensemble, à se voir pratiquement tous les jours, je ne t'ai toujours pas entendu péter.

F. a souri. C'est pour ça que je l'aime: parce qu'il m'embrasse quand je dis des choses intelligentes et qu'il sourit quand j'en sors des stupides.

- Non mais c'est vrai! C'est quand même étonnant! Je suis presque en train de me demander si tu as un intestin ou si tu ne serais pas plutôt un robot dépourvu de système digestif qui synthétise les aliments selon un procédé très complexe d'auto-combustion...

Là, F. m'a embrassée. Pourtant, ce n'était pas particulièrement intelligent ce que je venais d'énoncer, mais bon, peut-être qu'il faisait juste m'aimer et qu'il avait envie de me le démontrer physiquement.

La fin de la bouteille de vin est arrivée, ainsi que la fin de la soirée; on est allé se coucher en forme de cuillère en porcelaine et on s'est endormi, main dans la main, trop fatigué et trop saoul pour faire l'amour.

Au milieu de la nuit, je me suis réveillée, j'avais chaud; je me suis retirée de notre étreinte symbiotique, suis allée boire un verre d'eau et ai regagné le lit. F. avait profité de mon absence pour se retourner et se coucher sur le côté gauche, signe que c'était à mon tour de le spooner (je déteste ce mot mais je l'emploie tout de même, faute de mieux). J'ai entouré F. de mes bras et l'ai serré très, très fort, mais jamais autant que je l'aurais voulu, parce que mon amour est trop grand pour que je puisse le résumer dans une accolade.

Soudainement, j'ai entendu un petit bruit sec et senti un vent chaud et humide sur ma cuisse. F. venait de me péter dessus - ou peut-être qu'il faisait juste m'aimer et qu'il avait envie de me le démontrer physiquement.

F. a lâcher une flatulence sur ma jambe, tandis qu'il dormait d'un sommeil béat.

La remarque que je lui avais faite plus tôt dans la soirée n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd - ni dans les intestins d'un robot qui ne pète pas. C'est comme si le fait d'avoir abordé ce sujet avait désamorcé un tabou dans l'inconscient de F. et qu'à partir de ce moment, son ça, son moi et son surmoi s'étaient dit: ça va les gars, dorénavant, on peut ouvrir les valves et les sphincters.

J'ai ri. Dans la nuit humide et odorante, j'ai ri toute seule et je me suis rendormie, à bout de rires.



Après un an, on dit qu'un couple célèbre ses noces de coton; après deux, ce sont les noces de cuir; cinq ans, celles de bois et à vingt-cinq, on souligne les noces d'argent.

Je déclare officiellement qu'après un mois, un couple fête ses noces de pet.

23 octobre 2009

H1N1, STM et autres complots

Je ne suis pas particulièrement adepte de la théorie du complot, mais n'empêche, des fois, je ne peux pas faire autrement que de croire à une conspiration.

Hier, j'avais rendez-vous avec F. J'habite à 15 minutes de vélo de chez lui, mais comme il faisait un peu frisquet, j'ai opté pour l'autobus, grâce auquel j'arrive normalement à destination en une demi-heure. Mais quelqu'un, quelque part, a dû se dire que ma vie manquait de piquant par les temps qui courent et a décidé d'ajouter de l'imprévu à mon quotidien devenu trop parfait; ce quelqu'un s'est arrangé pour que l'autobus ne passe pas. Et quand je dis «pas», je veux dire jamais.

Jamais comme dans «ça-fait-trente-minutes-que-j'attends-je-suis-aussi-bien-de-ne-pas-bouger-d'ici-et-de-continuer-à-poireauter-encore-quelques-instants-il-va-finir-par-arriver-pas-le-choix-ça-fait-déjà-deux-autobus-qui-sont-censés-être-passés-y'en-a-immanquablement-un-des-deux-qui-va-amener-son-gros-derrière-qui-roule-au-biodiesel-bazouelle-mais-non-on-dirait-que-je-rêve-en-couleurs-ça-fait-maintenant-quarante-cinq-minutes-que-je-fais-le-pied-de-grue-comme-un-flamant-rose-et-y'a-toujours-aucun-mastodonte-essetéhemmien-qui-semble-vouloir-se-profiler-à-l'horizon-mais-qu'est-ce-qu'ils-foutent-saint-ca****-c'est-pas-normal-y'a-sept-autobus-qui-me-sont-passés-dans-la-face-en-sens-inverse-sont-pas-supposés-revirer-de-bord-rendus-au-bout-de-la-ligne-eux-et-venir-me-chercher-parce-que-là-je-commence-à-avoir-foutrement-froid-aux-pieds-je-m'étais-habillée-chaudement-mais-chaudement-pour-dix-ou-quinze-minutes-d'attente-pas-une-heure-sacrifice-en-tout-cas-je-ne-suis-pas-toute-seule-à-me-les-geler-le-p'tit-cul-qui-est-dans-l'abribus-depuis-encore-plus-longtemps-que-moi-et-dont-je-ne-saurais-dire-s'il-s'agit-d'un-gars-ou-d'une-fille-tellement-il-a-le-hipster-profondément-androgyne-le-pauvre-avec-son-V-Neck-bien-échancré-ses-petits-souliers-de-toile-super-cool-dans-le-sens-super-pas-chaud-et-son-manteau-volé-dans-la-garde-robe-de-sa-tante-il-a-l'air-de-se-les-geler-encore-plus-que-moi-mais-ça-ne-me-console-pas-QU'EST-CE-QUI-SE-PASSE-EST-CE-QU'ON-POURRAIT-M'EXPLIQUER?!?!!!???!-?????-!!!!-les-bus-tombent-dans-un-ravin-au-bout-du-trajet-c'est-quoi-ou-peut-être-que-tous-les-chauffeurs-ont-décidé-de-se-rassembler-là-bas-et-de-s'improviser-un-cinq-à-sept-entre-collègues-c'est-jeudi-après-tout-ils-ont-bien-raison-c'est-jeudi-il-est-rendu-sept-heures-les-cinq-à-sept-sont-terminés-et-F.-doit-vraiment-se-demander-ce-que-je-fous».

Jamais comme dans D'LA MARDE OSTIE, JE SUIS PAUVRE, MAIS JE ME PAYE UN TAXI.

Dans le taxi, pendant que je tentais de me défrigorifier, comme une morue sortie du congèl après avoir passé huit mois entre un pot de crème glacée plein de frimas et un plat de margarine rempli de sauce à spagh de maman, pendant que le chauffeur me parlait d'élections municipales et de corruption, pendant que les voitures devant nous refusaient d'avancer et que les chiffres sur l'odomètre continuaient de gonfler, pendant tout ce temps-là, oui, j'ai réfléchi. Et j'ai compris. Que c'était un putain de complot. Que la STM était de mèche avec les compagnies pharmaceutiques, qu'elle s'était arrangée pour que tous ses autobus aient du retard afin que ses usagers prennent froid, et qu'ainsi leur système immunitaire soit affaibli, et qu'ils attrapent la grippe H1N1, et qu'ils aillent faire des réserves de Tamiflu au Jean Coutu, et que Merck Frosst s'en mette plein les poches, et que Bernard Trépanier se garde un 3% de bénéfices tant qu'à faire. Mais je vais résister. Ils ne m'auront pas. Je ne me ferai pas vacciner contre la grippe A. Jamais. Jamais comme dans «ça-fait-trente-minutes-que-j'attends-je-suis-aussi-bien-de-ne-pas-bouger-d'ici-et-de-continuer-à-poireauter-encore-quelques-instants-il-va-bien-finir-par...»

Je crois que j'ai eu encore plus froid que je ne le pensais.

14 octobre 2009

La fin

Il fallait s'y attendre. Un prince charmant reste rarement charmant bien longtemps; son naturel aura tendance à revenir au galop et à dépasser haut la main son cheval blanc. Après à peine deux semaines de relation officielle, F. n'était déjà plus l'homme merveilleux que je vous ai présenté ici. C'était trop beau pour être vrai.



***

Ce week-end, nous avons passé une superbe fin de semaine en amoureux. F., généreux comme mille missionnaires catholiques en Afrique, avait décidé de me payer la traite. « Pour célébrer notre amour, ma chérie », qu'il disait, des flammes rouge passion et jaune soleil dans les yeux. Aucun homme ne m'avait jamais parlé comme F. me parlait - que des mots doux, sensuels et sincères. C'est du moins ce que j'aurais voulu croire...

Donc, tout le week-end, c'était la grosse vie. Je me sentais comme une star d'Hollywood (avec quelques livres en plus et quelques paparazzi en moins): le samedi soir, F. nous a acheté des huîtres et du champagne, qu'on a savourés en se regardant dans le blanc des yeux et en jouant du pied sous la table. On a fait l'amour trois fois de suite, langoureusement, aphrodisiaquement, extraordinairement, voluptueusement. La nuit a été courte, mais l'espace de ces quelques heures, je me suis sentie éternelle. On s'est endormi imbriqué l'un dans l'autre. On se serrait tellement fort que j'étais convaincue qu'au réveil, on ne pourrait plus se déprendre de cette étreinte.

Le dimanche matin, les yeux collés et les épidermes soudés, on a fini par se lever. F. a tenu à ce qu'on aille se promener sur la montagne, pour respirer l'air frais de l'automne et crier à la ville entière, du haut de son toit, qu'on s'aimait. Armé de cafés au lait, on se baladait bras dessus, bras dessous, laissant derrière nous une traînée d'étoiles. On a escaladé le Mont-Royal, en faisant une pause tous les quatre pas pour s'embrasser et mélanger nos haleines chaudes et caféinées. Une fumée blanche en forme de coeur s'évadait de nos bouches. Une fois rendus au sommet, on s'est tu pour admirer la vue. F. et moi, silencieux devant la ville; on s'aimait et le monde à nos pieds avait l'air d'un lieu où le bonheur était devenu possible.

On est descendu de notre nuage pour aller déjeuner. F. m'a traînée dans un resto hyper chic - mimosa, frittatas aux tomates du jardin, herbes fraîches, yogourt crémeux, fruits sculptés et pain frais. On s'est régalé, pendant que notre amour faisait de la condensation dans la baie vitrée à côté de la table. La facture est arrivée, F. s'est chargé de tout payer, évidemment. Je me suis demandée pendant un instant où il prenait tout cet argent, lui qui n'est ni cadre d'entreprise, ni homme d'affaire, ni médecin, ni avocat. Mais on s'en fout. F. est F., c'est tout, il n'a pas besoin d'un titre glorieux pour que je l'aime et sa générosité est encore plus appréciable parce que justement, il s'agit d'un véritable don, puisqu'il n'a rien ou presque.

Puis, je suis allée aux toilettes.


En revenant de la salle de bains, tout s'est effondré d'un seul coup. J'ai surpris F. les culottes baissées et la main dans le sac. Dans mon sac. F. fouillait dans mon porte-feuille, sans vergogne. Je l'ai vu sortir un billet de 20$. Il l'a fourré dans sa poche de jeans. Ses beaux jeans griffés. F. s'habille tellement bien. Il a vraiment du style et c'est une chose qui m'avait beaucoup charmée au départ.

La gifle que je lui ai foutue, en plein visage, en plein milieu du restaurant, en plein quand je croyais que j'avais trouvé l'homme de ma vie, en plein quand j'étais heureuse, cette gifle-là aussi, elle avait du style.

J'ai repris mes cliques et lui ai laissé mes claques. J'ai quitté le resto en trombe. J'ai cessé de courir seulement lorsque mon asthme a menacé de m'envoyer à l'hôpital, quelques deux kilomètres plus loin. La gorge me brûlait. L'amour qui, plus tôt, faisait de la condensation dans la fenêtre, en faisait maintenant dans mes yeux. Il faisait froid, l'eau a gelé à mes pieds. J'étais figée là, les deux bottines prises dans la glace. Comment avais-je pu être si idiote.


Depuis deux semaines, je me trouvais particulièrement étourdie. Je retirais de l'argent au guichet et le dépensais sans trop m'en rendre compte. Les billets verts flambaient entre mes doigts, se transformaient en cendres grises. Je mettais ça sur le compte de l'amour. Je croyais que c'était lui qui brûlait tout, mes neurones et le papier. Que ma tête était trop occupée à aimer F. et qu'elle ne portait plus attention aux gestes qu'elle posait, qu'elle n'était pas attentive aux dépenses qui s'accumulaient.

La vérité, c'est que l'amour me volait littéralement mon argent.


***


La fin. C'est de cela qu'elle a l'air - la fin de l'amour, la fin de mon espoir, la fin de F. et moi. En fait non: c'est de ça qu'elle aurait eu l'air. Dans mon ancienne vie, dans ma vie de Sophie Beaudoin qui se prend pour Sophie Paquin, dans ma vie en dédales et en creux de vague, c'est ainsi que se seraient terminées les choses. C'est le genre d'histoire à laquelle je vous ai habitués. Et j'ai voulu vous en donner pour votre argent.

J'ai voulu vous raconter ce que vous aviez envie d'entendre: un récit triste mais croustillant, douloureux mais palpitant, pathétique mais réconfortant. Parce que c'est ce que le public aime: les mésaventures, la malchance, la déception, la cruauté. On dit «je suis heureux pour toi», mais ce qu'on voudrait réellement signifier c'est «pourquoi tu es heureuse et pas moi?». J'ai voulu vous laisser croire pendant un instant que vos souhaits jaloux et inavouables s'étaient réalisés. J'ai voulu votre bonheur, quoi. Mais je suis bien obligée de vous décevoir, au final.

Parce que la vérité vraie, c'est qu'avec F., chaque jour est plus merveilleux que le précédent, qu'il ne m'a rien volé, sauf peut-être quelques baisers, et que j'ai réellement l'impression, pour la première fois, que c'est la fin.

La fin de l'époque des catastrophes.

07 octobre 2009

LA MAIN DROITE

Un extrait de mon roman. Y'avait longtemps, non? Moi-même, ça faisait plus d'un mois que je n'y étais pas retournée à ce texte, trop prise ailleurs.

Je suis heureuse d'en relire des passages et de ne pas trouver ça trop mauvais! À vous de juger maintenant...

N.B. Les plus attentifs d'entre vous remarqueront que ce chapitre est inspiré d'une histoire que j'avais déjà racontée sur ce blogue...


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LA MAIN DROITE


Une note laissée sur le réfrigérateur – café frais, croissants, jus d’orange, rentrerai tard. Papa est parti très tôt pour le travail, la maison est froide; il tient toujours la température des pièces au minimum. Le froid est dans nos têtes qu’il prétend. Il y a quelque chose de poétique dans cette façon de nier la réalité, les sensations. Deux paires de bas de laine aux pieds, je me dis que ce serait bien parfois si la poésie ne se contentait pas de réchauffer le cœur, mais aussi les orteils, au passage. Pourquoi papa s’obstine à garder cette maison trop grande pour lui? On partage la même peur, au fond : celle de quitter un corps connu par cœur. Appelle-moi s’il y a quoi que ce soit, que mentionnait aussi la note – ce que je fais. J’ai besoin d’une conclusion à la discussion que nous avons entamée hier.

- Je peux te poser une question?
- Bien sûr.
- Personnelle.
- Ok.
- Pourquoi tu as trompé maman?
- …
- Parce que tu ne l’aimais plus? Que tu ne la trouvais plus attirante? Que c’était plus fort que toi?
- Non.
- Pourquoi?
- Écoute, je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question.
- Tu ne connais pas la réponse toi-même, c’est ça?
- Peut-être. Mais… c’est surtout que… j’ignorais que tu savais tout ça. C’est ta mère qui t’as raconté?
- Papa, j’avais onze ans quand c’est arrivé. J’étais jeune, pas stupide.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire. Tu me prends un peu au dépourvu.
- Une fois, c’était un dimanche après-midi, je m’en souviens, tu pleurais dans ta chambre. Je crois que tu parlais à ton frère. Tu t’accusais d’avoir bousillé ton mariage. Je passais dans le corridor, la porte était entrebâillée. J’ai entendu.
- Je m’excuse.
- Pourquoi?
- Que tu aies appris ça. De cette manière. Et de l’avoir fait. Je m’excuse.
- Ce n’était pas le but de ma question, mais d’accord.
- Tu as trompé ton copain?
- Non. Je ne sais pas. Je crois que je vais partir, pour un petit bout de temps. J’en ai besoin.
- Tu peux rester à la maison tant que tu veux.
- Oui, mais ça ne sera pas suffisant. Je te rappelle bientôt, promis.
- Je t’aime.

Alors que j’éloigne le téléphone de mon oreille, un aveu lancé, comme une fusée un jour où l’univers est clément et le soleil au zénith. Je comprends son sens au moment où le combiné touche la base de l’appareil. L’explosion des moteurs empêche de réfléchir. L’univers c’est trop grand, on va se perdre. Pas pu lui dire moi aussi. Jusqu’à aujourd’hui, ma seule main gauche suffisait pour marquer le nombre de fois où je l’avais entendu prononcer ces mots. Dorénavant, il me faudra également utiliser la droite pour tenir le compte.

02 octobre 2009

Le bruit du sel cassé

J'ai rencontré quelqu'un. De manière complètement inattendue et inespérée, comme un roman de Réjean Ducharme, oui, comme un autobus qui passe à l'avance par un froid de canard, comme un remboursement d'impôt déposé directement dans notre compte alors que le comptable nous avait plutôt dit que nous devions de l'argent au gouvernement cette année, comme toutes ces choses improbables, j'ai rencontré quelqu'un. Quelqu'un en qui j'ai envie d'avoir confiance, quelqu'un qui ne me traite pas comme une traînée, ni comme une petite fille, ni comme un tas de merde.

Nous n'en sommes qu'à des balbutiements de relation, tout ça est encore très jeune, très frais, très fragile aussi probablement, mais comme la façon dont les choses commencent avec une personne est généralement très représentative de la tangente que risquent de prendre nos rapports avec celle-ci, j'ai grand espoir que tout ce bonheur et cette facilité perdurent. Vraiment, tout cela arrive juste à point, car j'étais sur le bord de devenir cynique et désillusionnée, moi qui exècre pourtant les pessimistes désabusés. Je me réconcilie donc peu à peu avec la gent masculine, grâce à l'un de leur digne représentant, que je nommerai ici F., et qui a su me prouver que le trou-de-cuisme n'était pas une caractéristique commune à tous les hommes, que certains avaient réussi à échapper à la malédiction du salaud à leur naissance.

F. m'a invitée à souper chez lui hier. J'ai été reçue avec les mêmes honneurs que ceux auxquels doit avoir droit la princesse de Monaco lorsqu'elle rend visite à la gouverneure générale du Canada - bon, ça n'arrive probablement pas si souvent, mais justement, moi non plus, ça ne m'est pas arrivé souvent qu'un homme me convie à partager sa table d'une façon si raffinée et délicate! Tartare et mousseux un soir de semaine, il n'y avait rien de trop beau pour F. le romantique. Plus que toutes ces saveurs délectables qu'il a su mettre dans mon assiette, mon plus grand plaisir fut en fait de le regarder cuisiner avec soin et minutie. Sa manière de faire craquer le sel de mer entre ses doigts, pour ensuite le saupoudrer au-dessus de la chair de poisson crue... Ce son, fin et transparent, j'ignore pourquoi, il m'a réconfortée.

Plus aucune musique ne saurait remplacer à mes oreilles le bruit du sel cassé entre les doigts de F.

22 septembre 2009

La cloche

Il est 15h15: la cloche de l'école primaire tout près de chez moi vient de sonner. Je ne les entends pas, mais je les imagine: les enfants affluent dans le corridor, dans un chaos naïf et enjoué; ils se bousculent, rigolent, cherchent leur boîte à lunch; l'un d'eux, avec ses espadrilles pleins de boue, pile sur le bricolage de son petit voisin, lequel se met à chigner, en argumentant que c'était un cadeau pour sa petite soeur; l'institutrice règle le conflit, apprend aux deux bambins la valeur des mots «pardon» et «accident».

Dans la vie, il n'est question que de cela au fond: pardonner au hasard la douleur qu'il nous inflige.

Les enfants ont enfilé leur manteau coupe-vent, leurs bottillons coupe-pluie et leur chapeau coupe-clapet-de-maman-qui-ne-cesse-de-répéter-couvre-toi-c'est-l'automne-maintenant; ils ont récupéré leur sac, et les voilà prêts à rentrer à la maison - collation en attendant que les adultes préparent le souper, leçons, un peu de télévision, un spaghetti qu'il faut absolument terminer si on veut avoir son dessert, un bain, une histoire, un sommeil bien mérité. Demain tout recommencera et ils seront encore heureux sans le savoir.

Le bonheur est de la même famille que l'humilité: il appartient à ceux qui ignorent qu'ils le possèdent.

17 septembre 2009

La norme

La semaine passée, dans un élan de motivation digne d'une conférence de Marcel Leboeuf, je me suis inscrite au gym. Hier, j'ai passé ce qu'ils appellent le Fit Test, mais qu'ils devraient plutôt intituler le Shame Test, parce que c'est bien une face de honte que la plupart des gens affichent en sortant du minuscule bureau d'évaluation. Le Fit Shame Test a pour but de déterminer à quel point on est (ou pas, fort probablement) en forme. N'ayant jamais été très sportive, je ne m'attendais pas à des résultats incroyables. J'avais tort: les résultats furent incroyables, juste pas dans le bon sens du terme.

Comme de fait, je suis loin d'être dans la catégorie grande athlète; on pourrait plutôt me classer dans la section des obsèses-nomades-flasques-et-pas-en-santé. Ok, pas tant que ça, mais quand même, à les écouter, je suis presque sur le bord de crever, ce qui me fait penser: si jamais je meurs dans les prochains mois, à cause de complications dues à toute cette graisse qui est la mienne, est-ce que ma succession devra continuer de payer mon abonnement au gym? S'ils ont un minimum d'empathie, ils effaceront mon ardoise, mais bon, j'ai bien dû constater que l'empathie n'est pas leur fort, au gym: selon leur grille, leurs statistiques, leurs normes, leur ordinateur et plein d'autres éléments pas du tout remplis d'empathie à mon égard, mon corps a 42 ans. Épargnez-moi Grand Dieu: j'en ai 26. Mon corps a 16 ans de plus que moi. J'ai toujours cru que j'étais plus vieille que mon âge, tellement sage et tellement mature: j'en ai eu la preuve scientifique. Finalement, je pourrais bien perdre un peu en maturité, ça ne me ferait pas de tort. (Anyway, semble-t-il que les jeunes filles inexpérimentées et un peu sottes pognent plus avec les garçons.)

Toujours selon les normes fit-shame-testiennes, une femme doit avoir une taille qui ne dépasse pas 84 cm; au-delà de cela, c'est dangereux pour sa santé cardio-vasculaire (en d'autres mots: c'est une grosse torche). Ma taille fait 83 centimètres, fiouh. Je suis à 1 cm d'être une baleine. Le plus drôle, c'est que les monsieurs et les madames (surtout des monsieurs, j'en suis convaincue) qui décident de ces fameuses normes ont établi que cela devait changer, que 84 cm, c'était encore trop gros; ils vont bientôt descendre le «maximum taillesque» à 80 cm, m'a avertie la kinésio. Donc, dans quelques semaines, quand la nouvelle norme sera effective, je serai officiellement une femme-éléphant. Et mes chances de mourir d'un malaise cardio-vasculaire seront plus élevées. Soudainement.

La norme, c'est officiellement n'importe quoi.

05 septembre 2009

Pareil comme dans Trauma, Fabienne Larouche en moins



Histoire numéro deux, ou quoi faire pour être sûre de ne jamais sortir avec un beau docteur à l’accent allemand et aux mains habiles



Le choc dû au fait d’entrer front premier dans le torse du beau docteur Dinkelmann, en dévalant les escaliers sans regarder où j’allais, m’a rendue bègue l’espace de quelques minutes. Je répétais chaque mot trois fois et ça tombait mal parce que tous les mots que je disais étaient cons. Un médecin, c’est intelligent, mais pas toujours compréhensif : il n’a pas été capable de décortiquer mon langage redondant et de saisir que j’essayais simplement de lui dire bonsoir. Il m’a fait un sourire pressé, m’a tassée gentiment de sa route et l’a poursuivie, concentré sur le dossier médical d’un patient probablement poilu, bedonnant et cardiaque. Personnellement, je trouve que mon profil est beaucoup plus intéressant que celui-là, mais bon, le docteur n’en avait que pour sa paperasse médicale et son sauvage de vie. Je n’allais certainement pas tolérer de passer ainsi inaperçue.

Ma bouche a finalement été capable d’enfiler 13 syllabes sans s’enfarger et a crié : «Docteur Dinkelmann, vous ne me reconnaissez pas ?»

C’était certainement la question la plus idiote que je pouvais trouver. Évidemment qu’il ne me reconnaissait pas : les hôpitaux sont débordés, les gens couchent sur des civières dans les corridors, Dinkelmann doit travailler 18 heures par jour et voir tout autant de personnes défiler quotidiennement sur sa table d’opération. Qui plus est, quand il m’a opérée, j’avais un drap bleu qui me recouvrait la face, bref, il aurait beau avoir une super mémoire des visages, il a à peine entrevu le mien. Mon sein droit est la seule partie de mon corps qu’il a eu la chance d’observer avec attention. J’ai failli répéter ma question en levant mon t-shirt pour lui montrer la cicatrice qu’il m’a faite, voir si là il m’aurait reconnue, mais je me suis abstenue. À vrai dire, je n’ai pas eu besoin de répéter, le beau Docteur avait bien entendu ma ridicule interrogation et elle lui avait chatouillé la curiosité.

- Vous me dites vaguement quelque chose. Désolé, j’ai une piètre mémoire visuelle.

Il a utilisé le mot «piètre». Avec son accent allemand absolument irrésistible, il a utilisé le mot «piètre». C’est un de mes mots préférés. C’est sûr que c’est un signe. Voilà ce que je me disais dans ma petite tête. La collision de ma boîte crânienne sur sa cage thoracique avait probablement fessé plus fort que je ne le croyais : je me mettais innocemment à croire au destin et à voir des signes là où il n’y avait que des voyelles et des consonnes.

- Je, je, je… Vous, vous, vous.

Me suis remise à bégayer. Pauvre cruche. Comment se fait-il que je perdais autant mes moyens devant ce bellâtre au timbre de voix délicieux ?! Je n’avais jamais souffert de foulure de la langue avant. Habituellement, je ne l’ai pas dans la poche, cette langue : pourquoi, là, à ce moment précis, elle a décidé de se transformer en pâte à modeler à senteur de melon d’eau ? Faut croire que le Docteur aime ça la plasticine et/ou le melon d’eau : il a ri. J’ai vu ses belles dents blanches et sa luette bien rose. Maudit, même sa luette est sexy. Je me suis détendue un peu et j’ai fini par dire ce que j’avais à dire.

- Vous m’avez opérée, en novembre dernier.
- Oh. Je vois.
- Vous avez fait une maudite belle job, la cicatrice guérit super bien.
- Content de l’entendre. C’est toujours plaisant de savoir que notre travail est apprécié et a servi à quelque chose. Je dois y aller. Bonne soirée.
- Attendez !
- Quoi ?
- Vous finissez à quelle heure ?
- Je ne le sais pas, je n’étais même pas censé travailler aujourd’hui, mais c’est la folie à l’hôpital depuis trois jours.
- Vous pourriez pas venir prendre un café dans le hall avec moi ?
- Pas vraiment non. Vous m’avez l’air bien sympathique, mais je ne sors pas avec mes patientes.
- Ben là, c’est pas vraiment comme si on «sortait», t’sais, on prendrait un café à l’intérieur de l’hôpital !
- Je veux bien, mais ça resterait pas très éthique. Et puis je peux encore moins «ne pas sortir» avec une patiente sur mes heures de travail !
- Mais là, j’sais pas si vous vous souvenez, mais au départ, ce n’était pas vous qui étiez censé m’opérer, c’était un autre chirurgien, mais il était en retard. Bref, je n’étais pas vraiment votre patiente, mais plutôt sa patiente à lui et vous, vous avez accepté de lui rendre service en prenant mon cas en charge, mais au fond…
- Pourquoi vous voulez tant aller prendre un café avec moi ?
- J’sais pas… Mais on peut boire autre chose que du café si vous voulez ?
- Écoutez… Écoute… Je te peux te tutoyer ?
- Bien sûr ! C’est bon signe, me tutoyer…
- Tu m’as l’air très charmante, mais…
- Mais tu ne peux pas, c’est beau…
- Désolé…
- Non, non, ça va, je suis habituée de me faire repousser par les hommes !
- Écoute, je ne fréquente pas mes patientes, mais je n’ai aucun problème à fréquenter des filles rencontrées dans mon bar préféré, si tu vois ce que je veux dire…
- Et c’est quoi ton bar préféré ?
- J’aboutis souvent aux Verres stérilisés, après mes quarts de travail qui finissent en trois-quarts de travail la plupart du temps ! C’est juste de l’autre côté du parc, c’est sur mon chemin pour rentrer à la maison alors…
- Je vois…
- Bonne soirée pour vrai maintenant !

Mes jambes étaient rendues encore plus pâteuses que ma langue. Si elles avaient pu bégayer elles aussi, elles l’auraient fait. Mais des jambes, ça ne bégayent pas. Et moi, ma vie, elle n’est jamais simple, même quand elle veut bien me donner l’impression que pour une fois les choses vont se dérouler dans la joie, la bonne humeur, le crémage au chocolat et les confettis.

Ça fait un mois que je force mes amis à sortir aux Verres stérilisés tous les jeudis-vendredis-samedis-dimanches-et-parfois-même-le-lundi-mardi-mercredi, au cas où le bout du nez du beau Docteur déciderait de s’y pointer.

La seule blouse blanche que j’ai croisée dans ce bar jusqu’à présent, elle était jaune sous les aisselles, puait la cigarette et appartenait à un quinquagénaire mal rasé, saoul mort et désespéré qui était prêt à me donner dix piasses pour que je lui donne un bec sur la joue.

03 septembre 2009

Christian Slater et moi

Bon, je crois que j’ai assez fait durer le suspens. Avant de me faire arracher la tête par une horde de lecteurs assoiffés de sang et de potins décadents, il vaudrait mieux que je vous raconte les détails de mes dernières mésaventures. J’ai laissé trop d’histoires en plan ici et je ne sais plus trop par où commencer. Le début serait sûrement une bonne chose, mais j’ignore exactement où tout ça a pris naissance. Probablement dans un gros tas de merde fumant.

La merde, c’est comme tout le reste, pour mettre de l’ordre dedans, il faut procéder logiquement, étape par étape. Sans oublier d’enfiler des gants avant.


Histoire numéro un : Nate, alias le New Yorkais allergique aux chats


J’ai été une bitch. Vraiment. J’ai fait un homme de moi-même et j’ai agi lâchement. Heureusement, pour ma défense, je peux invoquer mon manque réel de couilles. C’est vrai, regardez entre mes deux jambes, je n’en ai pas. La nature m’a ainsi faite. Je n’ai pas de couilles, pas de cœur et beaucoup honte : j’ai abandonné Nate.

Le lendemain de son entrée catastrophique à l’urgence, je suis retournée le chercher à l’hôpital. Les médecins m’avaient dit qu’ils lui donneraient son congé en fin d’avant-midi. Me suis pointée là avec ses affaires et l’honnête intention de le ramener gentiment à sa chambre d’hôtel. À chaque marche que j’empruntais, ma bonne foi s’estompait. Rendue à l’étage de sa chambre, mon niveau d’empathie avait atteint un seuil exagérément bas. Puis je l’ai vu. Nate était au bout du corridor, dans sa jaquette bleue qui laisse entrevoir le croupion. Il parlait avec une infirmière dans son français tellement cassé qu’on aurait envie de lui mettre un plâtre sur la langue. L’infirmière devait trouver ça charmant, elle riait à gorge déployée et n’arrêtait pas de se tourner le boudin tout en penchant la tête par derrière. Nate a levé son bras, l’a appuyé sur le cadre de porte. Le pan de sa jaquette a évidemment remonté. J’ai vu sa fesse droite. Je n’avais jamais remarqué qu’il avait le cul aussi poilu. L’infirmière a ri encore plus fort. Moi, j’ai senti mon œsophage se contracter et mon déjeuner remonter tranquillement.

Sans faire de bruit, j’ai marché à reculons, repris les escaliers et suis allée à l’accueil. J’y ai laissé toutes les affaires de Nate et suis partie presque en courant. Juste au cas où il m’aurait vue et où l’envie lui aurait pris d’essayer de me rattraper.

J’ai eu peur que Nate se rappelle où j’habitais, mais je pense qu’il était trop transi d’amour pour remarquer dans quelle direction il marchait, le soir où je l’ai ramené chez moi. Il m’a cependant laissé 46 messages sur mon cellulaire et 18 textos. En deux jours. C’était décidément trop pour moi. Je me demandais comment régler cette situation légèrement embarrassante, mais finalement, le destin a trouvé une solution à ma place : j’ai échappé mon téléphone dans la toilette. J’ai essayé de le rattraper, mais il était rentré trop profond dans l’orifice. J’ai dû m’en acheter un nouveau. Et changer de numéro de téléphone.

C’est la fin d’histoire d’amour avec un New Yorkais la plus décevante que je connais. Pour quelque chose de mignon et de touchant, je vous conseille plutôt Il pleut des roses sur Manhattan. Christian Slater gère clairement mieux sa vie amoureuse que moi.




À venir : l’histoire numéro deux, ou quoi faire pour être sûre de ne jamais sortir avec un beau docteur à l’accent allemand et aux mains habiles

26 août 2009

Sans mots pour un centième message

Ceci est le centième message publié sur ce blogue. Et ce n'est pas moi qui l'écrirai. Ce sera Proust. Des fois, les autres le disent mieux que nous.


«Et, au reste, comment a-t-on le courage de souhaiter vivre, comment peut-on faire un mouvement pour se préserver de la mort, dans un monde où l'amour n'est provoqué que par le mensonge et consiste seulement dans notre besoin de voir nos souffrances apaisées par l'être qui nous a fait souffrir?»

- Marcel Proust

24 août 2009

Ne jamais dire jamais la bouche pleine

Je suis nue dans la cuisine et bois un jus d’orange couleur soleil, debout devant la porte ouverte, qui donne sur un ciel gris funérailles. Le jour, quand toutes les lumières sont éteintes, on voit moins bien à l’intérieur. Je me sens protégée par la noirceur diurne, mais je sais que ce n’est qu’une illusion réconfortante. On me voit. Je suis nue, flambante, la peau moite et brûlante, et le monde entier a les yeux tournés vers mon cadavre en flammes. Je ne suis à l’abri d’absolument rien et n’est invisible que ma douleur, que j’ai toujours si bien su cacher.

La porte est ouverte parce que le chat voulait sortir et parce que j’ai souhaité vraiment très fort qu’en lui laissant le passage libre, le vent s’engouffrerait dans l’appartement et balaierait les miettes d’amour détruit qui traîne sur le plancher de bois franc. Bien plus franc que moi. La franchise. J’en ai manqué. Me suis mentie jusqu’à me croire.

La radio crache une musique triste, une chanson qui dit New York, qui dit départ, une chanson de retours improbables. Je ne sais pas, moi-même, quand je vais revenir. Revenir de ma peine, de ma noyade en tristesse d’eau douce.

Je lui ai ouvert la porte, mais le chat ne sort pas. Il reste dans l’embrasure, à miauler comme un enfant qui ne veut plus naître finalement. Vas-y dehors, arrête de me regarder comme ça, que je lui dis. Mais il continue de me dévisager avec ses yeux de félin serpent. Deux billes vertes avec, au centre, une ligne si mince que vraiment, on se demande comment la lumière peut réussir à s’y infiltrer. La lumière trouve toujours son chemin, peut-être est-ce cela que le chat essaie de me dire. Il ne bouge pas, confortable il faut croire. À cheval, sur le seuil, entre dedans et dehors.

Mes yeux se ferment pour que tu disparaisses une fois pour toute, que mon corps arrête de se déchirer dès qu’il pense au tien – tes mains, tes épaules et toutes ces autres parties de toi que je n’aurai jamais pu posséder. Parce qu’il y avait des limites à respecter. Je ne veux plus qu’il y ait de frontière, jamais.

Je ne veux plus être en amour. Jamais. Il ne faut jamais dire jamais, je sais. Mais il ne faut jamais s’amouracher de son meilleur ami non plus, et j’ai commis cette erreur. Alors à partir de maintenant, j’ai le droit de faire ce que je veux. Sauf peut-être me laisser mourir. Car qui s’occuperait du chat, pendant mon absence?

14 août 2009

Pour vous désennuyer en attendant mon retour...

vous pouvez toujours aller lire ceci...


http://urbania.ca/blog/562/petition-pour-le-retour-de-la-pluie

13 août 2009

LE CYCLE

Extrait du roman, toujours. Roman dont je suis en train de compléter la deuxième version finale. Alors pardonnez mon absence dans cet espace virtuel.

Et c'est aussi que dehors le soleil brille et que je suis de celles qui tâchent d'en profiter...

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LE CYCLE


J’ai la nausée depuis trois matins. Au restaurant, je m’assois toujours à la même banquette. La première chose que l’on tente de recréer une fois qu’on est enfin sorti de celle qui nous asphyxiait, c’est une routine. Je mange un gruau. Un gamin me tire une grimace à travers la vitre. Je l’observe classer ses billes par couleurs, puis par ordre de grandeur. Il les aligne dans la craque du trottoir. Les passants enjambent la forteresse en soupirant et l’enfant s’en fout. Je l’envie – autant de soins apportés à une entreprise éphémère. Sa mère sort de la boulangerie, il est temps de partir. Il remet tout dans son sac. En désordre.

Midi approche, le vagabond ne devrait pas tarder. Chaque jour, à cette heure, il vient disséquer le contenu de la poubelle juste en face de ma banquette. À sa manière, il met de l’ordre, lui aussi. Au cœur de tout ce qui est devenu inutile pour d’autres, il trouve de quoi survivre. Je l’ai appelé Jacques. Il aurait pu être mon père. Je me prends à imaginer que quelqu’un fera avec mon ancienne vie ce que Jacques fait avec les restes de déjeuner – tombera dessus par hasard au coin d’une rue, la ramassera et lui donnera un nouveau sens.

Jacques a les mains gercées, mauves, rouges, il fume des mégots rabougris. Près de l’arrêt d’autobus, il trouve une cigarette presque intouchée, laissée là par quelqu’un qui pensait avoir le temps de la griller avant l’arrivée de l’autobus. Il est passé à l’avance. La cigarette écrasée du bout du pied. On estime souvent bien mal le temps qu’il nous reste. On jette tout sans avoir pu aller jusqu’au bout.

15 juillet 2009

Guide du parfait petit désastre – PART III – THE END

L’hôpital était étrangement calme quand Nate et moi y sommes débarqués. La salle d’urgence était anormalement silencieuse. Le genre de silence qui vous donne mal au ventre. Une vieille dame roupillait, la tête appuyée sur son voisin, lequel ne rouspétait pas; il se contentait de compter sur ses doigts. À l’infini, il comptait sur ses doigts. Partait du pouce, remontait jusqu’à l’auriculaire, changeait de main, même manège, puis recommençait. Certains diront qu’il n’avait pas toute sa tête, moi je le trouvais zen. Des fois, j’aimerais ne pas avoir toute ma tête. Me semble qu’avec la moitié d’une, déjà, j’aurais suffisamment de problèmes.

À peine le gardien de sécurité lui avait-il donné un numéro et demandé d’attendre sagement sur un des strapontins que déjà, la dame du triage convoquait Nate à son poste. Nate a essayé tant bien que mal de lui expliquer quel bon vent l’amenait, mais il avait vraiment de la difficulté à respirer et, par le fait même, à articuler. Qui plus est, la boutch obèse censée faire preuve de compassion à son égard ne faisait que répéter Je ne parle pas anglais. No english. Je suis arrivée à la rescousse, non sans lancer un regard plein de mépris à celle qui aurait dû devenir boss boy au Drugstore au lieu de faire une technique en soins infirmiers. Quand la sexy et féminine Jocelyne a fini par comprendre ce dont Nate souffrait, elle a décidé de faire de lui un cas prioritaire, de le pousser derrière une porte battante et de l’envoyer se perdre dans les couloirs labyrinthiques du pavillon Deschamps, sans m’expliquer ce qui se passait.

J’ai attendu 1h30 toute seule dans la bucolique salle d’attente, jusqu’à ce qu’un médecin vienne m’avertir qu’ils allaient garder Nate pour la nuit, par mesure préventive, mais que tout était rentré dans l’ordre.

- Vous êtes sa sœur?
- Non. Vous trouvez vraiment qu’on se ressemble?
- Je ne sais pas. Sa copine?
- Non, encore moins. Il voudrait bien que je le sois je pense mais moi j’essaie de me débarrasser de lui. Cette petite crise d’asthme aiguë est arrivée juste au bon moment.
- …
- Ok, j’aurais pas dû dire ça. Euh… est-ce que je peux aller le voir à sa chambre?
- Je ne suis pas sûr que je devrais vous laisser faire, mais oui. Voici le numéro. Ça se peut que vous le trouviez un peu étrange, on lui a donné des calmants. Si jamais j’apprends qu’il est mort étouffé durant son sommeil, je n’hésiterai pas à mettre la police à vos trousses.
- !!!
- Je blague.
- J’ignorais que les urgentologues avaient le sens de l’humour.
- Ça nous arrive. Entre deux mognons pissant le sang et trois crises cardiaques, ça nous fait du bien une p’tite joke de bébé mort, savez.
- J’imagine.
- En passant, vous ne lui ressemblez pas du tout. Vous êtes définitivement plus jolie que lui. Bonne nuit!
- Euh... Aussi… Mer… Vous… Merci?!

Après cette discussion légèrement surréaliste, après avoir emprunté quatre fois le mauvais corridor, après m’être enfargée dans les béquilles d’un vieillard endormi sur une civière, après avoir failli me péter le crâne contre le béton des murs et après avoir eu presque moi-même besoin de passer par l’urgence pour soigner mes blessures, j’ai fini par atteindre la chambre de Nate, que j’ai trouvé, effectivement, dans un état particulièrement ... comateux.

- Honey! I’m soooo glad to see you, beautiful. Oh, mâ petite chirui. Come tou est jouli.
- Tu parles français maintenant toi?!
- Francès? French? Me? No! I just think you are sooooo wonderful.
- Yeah right. You’re just sooo freaked out! You need to sleep. I’ll go. I’ll be back tomorrow morning, ok?
- No, no, no! I need you!
- You don’t. You think you do, but you don’t.
- Why didn’t you want to marry me?
- Huh?
- Earlier tonight, I asked you. You didn’t answer. Now tell me: you don’t want to be my wife, is that it?
- Ok. I officially must go. Good night Nate.

J’ai cru entendre Nate sangloter quand j’ai refermé la porte, mais peut-être qu’il riait aussi, dur à dire, il était tellement défoncé. Je venais de lui promettre que j’allais venir le chercher le lendemain matin, mais j’avais profondément envie de ne plus jamais remettre les pieds ici, de le laisser se démerder tout seul et de faire comme s’il n’avait jamais existé. J’avais bien pris soin, avant de quitter mon appartement, de récupérer le sac de Nate, pour ne pas que ça devienne une excuse lui octroyant le droit de se présenter à nouveau chez moi.

Dans la cage d’escaliers, fatiguée, épuisée, vidée, je me tenais après la rampe, pour être sûre de ne pas m’effondrer. Je ne regardais pas vraiment où je m’en allais, je ne faisais que suivre la direction indiquée par la rampe, ma nouvelle meilleure amie. Ce qui devait arriver arriva : j’ai foncé dans un médecin pressé qui dévalait les marches deux par deux, impatient de rejoindre le rez-de-chaussée, tandis que moi, je montais, je montais, j’escaladais ces marches une à une en maudissant celui qui avait décidé de mettre des chambres au quarante-cinquième sous-sol. Je fus légèrement sonnée par cet accrochage. J’ai vu flou pendant un instant. La main sur le front, les yeux qui essayaient de faire le focus, j’ai fini par être en mesure de voir clair. Mais je veux dire voir vraiment clair. À ce moment très précis, j’ai compris que le destin existait peut-être finalement.

La blouse blanche dans laquelle je venais de m’étamper la face, c’était celle du Docteur Dinkelmann.

06 juillet 2009

Guide du parfait petit désastre, PART II

Alors que nous marchions dans le splendide Montréal nocturne, accompagnés par les miaulements des chats de ruelle et celui des putes prêtes à faire une pipe pour cinq piastres parce qu’elles ont vraiment besoin d’un fix, Nate s’est arrêté au coin d’une rue pour attacher ses lacets. Quand il a eu fini, alors qu’il était encore à demi agenouillé, il a fait la (mauvaise) blague de faire semblant de me demander en mariage. Au début, je faisais moi-même semblant de trouver ça drôle, mais je suis rapidement devenue mal à l’aise quand j’ai senti qu’il y avait comme une part de sérieux dans sa proposition…

C’est alors que Nate s’est mis à me parler du fait qu’il allait être à Montréal de plus en plus fréquemment, pour le boulot. La rencontre de la veille avec son client s’était particulièrement bien déroulée et il projetait obtenir plusieurs contrats avec lui au cours de la prochaine année. Idéalement, il devrait venir s’installer en ville pour quatre ou cinq semaines, quelque part vers la fin août, afin de mettre en place je ne sais trop quoi avec je ne sais trop qui. Normalement, j’aurais dû me réjouir d’apprendre que j’allais avoir mon amant à proximité pendant quelques temps, mais les choses ne sont jamais si simples.

- Do you know someone who might be interested in having a dude like me sleeping on his couch for a few days… or weeks?! Cause I should find a place to stay that would be cheaper than an hotel, if I want that contract to be profitable...

Someone who might be interested in : tiens, on dirait que c’est devenu mon nouveau surnom d’amour, que je me suis dit à ce moment-là. Les yeux qu’il me faisait en posant cette question incitaient clairement à croire que si je ne lui offrais pas de venir habiter chez moi pendant la durée de son contrat, il serait légèrement offusqué. Mais je n’avais dont ben pas envie de lui proposer de devenir mon coloc temporaire! Nate est un homme charmant, mais… c’est là que ça s’arrête. Il a déjà été marié, il a une fille avec qui j’ai une différence d’âge moins grande qu’avec lui, il vit un peu trop à la bohémienne à mon goût, surtout considérant son âge, et… y’a pas de et, je trouve que ce sont là trois raisons suffisantes pour ne pas avoir envie de m’engager trop sérieusement avec un dude like him.

- We’ll talk about that later, ok Nate? I’m a bit tired and I just want to be home.
- Of course honey.

Honey. Ciboulaille. Je préférais encore Someone who might be interested in comme petit nom d’amour. On a marché le reste du trajet en silence. Rendus à la maison, je lui ai offert un verre de porto, qu’il a accepté avec un sourire en coin un peu trop pervers à mon goût, étant donné l’état d’esprit dans lequel je me trouvais.

- May I drink it « somewhere » else than in a glass?
- What do you mean?
- I mean... your body, your beautiful body: I want to drink my Porto on you... Lick your tummy, follow the drop on your hip with my tongue...
- Ok, stop. I see what you mean now. But I don’t know if I feel like being sticky and wet...
- Oh come on, don’t be prudish...
- Me, prudish!? Pff.

Il commençait à m’énerver royalement avec ses petits défis à la con. Quand je m’emporte, l’anglais prend le bord et c’est ma langue « naturelle » qui revient au galop. Je l’ai subtilement envoyé paître en français, mais le con a trouvé ça so sexy. Go on, please. Gimme more. Mais je n’avais pas envie de lui « gimmer » more; j’avais la libido dans le tapis, dans le sens où j’ai dû l’échapper quelque part par terre et là je ne la trouvais plus. Je n’avais plus du tout le goût de faire l’amour avec Nate, et c’était un peu problématique comme situation car lui en avait vraisemblablement plus envie que jamais et en plus, puisqu’il est considéré comme mon amant, par définition, c’est ce que nous sommes censés faire lorsque nous sommes ensemble : l’amour. To make loveeeee, you know.

Je lui ai dit que j’avais besoin de prendre une douche avant. C’était pour gagner du temps et trouver une façon de le renvoyer à sa chambre d’hôtel. Finalement, je n’ai pas eu besoin d’inventer de stratagème, la sélection naturelle a pris la situation en main...

Quand je suis sortie de la douche, serviette sur la tête et pieds encore mouillés, j’ai trouvé un Nate particulièrement affaibli sur mon divan et ma foi, plutôt enflé.

- Are you feeling ok?
- Not really, it’s hard for me to breathe right now… Do you have a cat?
- Yes.
- Shit. I’m so allergic to cats, I should have told you... I think I’m gonna need to go to the hospital, I don’t have my medication with me.

Un point pour mon chat. Sauf que là, je trouvais ça un peu extrême comme moyen de me débarrasser de mon amant indésirable. Le but n’était pas de le tuer non plus…

- Do you need me to go with you? (Ok, je l’avoue, j’ai été cheap sur celle-là)
- Well, the last time it happened to me, I passed out before I was able to reach the hospital so, yes, I guess it would be a good thing if you could come.
Je me suis rhabillée, n’ai pas pris la peine de me sécher les cheveux (quelle grandeur d’âme, je sais), et on est allé au stand à taxi, direction hôpital Notre-Dame.



La suite dans le PART III. Pour moi, je vais être bonne pour écrire une saison complète de télésérie à partir de cette seule soirée…

30 juin 2009

LE PÉRIMÈTRE

Voici un nouvel extrait de mon roman, dont j'ai terminé la première version, pour la date prévue. Oui, oui, mesdames et messieurs! Cessez vos applaudissements, c'est trop, vous allez me gêner!

Ce roman se déroule principalement en hiver, alors ça en fait une lecture parfaite pour la canicule, non? De quoi vous rafraîchir les neurones un peu.

En passant, je m'avoue très déçue: personne n'a encore soumis de commentaire pour l'entrée de blogue précédente... J'attends toujours vos prévisions, ma bande de diseurs de bonne aventure! Tant qu'il n'y aura pas au moins trois lecteurs qui m'écriront quelle est la suite des événements selon eux, je n'écrirai pas la deuxième partie de cette histoire. Hep, c'est comme ça! Allez, un peu d'interaction, copains du 2.0!


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LE PÉRIMÈTRE

Tout juste en sortant de l’hôtel, à droite, j’ai déniché un restaurant où l’on sert de la bouffe maison. Je préfère fréquenter la proximité pour l’instant. Tu risques moins de m’y retracer. Je ne ferai pas de bruit, pour que tu croies encore un peu que je suis partie pour toujours. Les banquettes en bois craquent et le café ne goûte rien. Quelques gouttes de lait seulement et il a déjà une couleur beige pâle. C’est ainsi que je me sentais des fois, tu vois : effacée par une lumière blanche, toutes ces choses à faire, plus importantes que moi. Je commande le menu du jour sans trop savoir ce qu’est ce plat, dans l’attente d’être dépaysée. Je suis en voyage après tout, un peu d’exotisme.

Le soleil de janvier entre par la vitrine et se répercute sur la table au vernis écaillé. Il me fait mal aux yeux. Quand je les ferme, je vois l’intérieur de ma paupière, tout est rose. Voir la vie en rose, c’est avoir les yeux fermés. Ne pas regarder les choses en face, c’était notre façon de croire au bonheur, toi et moi. Les lettres du mot « restaurant » gravées dans la fenêtre crachent leur ombre inversée devant moi, sans le dernier « a » – un espace à remplir. C’est là que je mettrai mon assiette quand la serveuse me l’amènera. Ça me rend soudainement heureuse. D’avoir pris une décision, de savoir que je pourrai la tenir. Peut-être pas heureuse, mais comblée, comme ce vide. À la place du « a », il y aura mon assiette. Cette solution ne peut être que temporaire, j’en trouverai une meilleure plus tard. Ne me reste plus que ça à faire, te remplacer, de toute façon.

Sylvie, c’est écrit sur une petite plaquette de plastique qu’elle porte du côté du cœur, m’apporte mon plat. J’ai faim, je n’ose pas prendre la première bouchée, de peur de tout engloutir sans rien savourer. Il y a longtemps que je n’avais pas mangé avec autant d’appétit. Paraît qu’il vient en mangeant. Est-ce que la vie vient en vivant, elle? J’ai tellement eu l’impression souvent de passer à côté, mais comment ce serait possible au fond, on est toujours en plein dedans. Je mange un repas fade dans un restaurant sans étoile d’un quartier ouvrier et tout est clair.

J’ai tout avalé, ma faim demeure. Ou peut-être que je confonds l’appétit et l’absence. Ce que je préférais entre toi et moi, c’était les matins. Le réveil qui sonnait à cinq heures, le son feutré de tes pantoufles sur le prélart, le bruit de la nourriture du chat versée dans le bol de céramique, l’odeur du café que tu te préparais pour la route; le cliquettement des clés que tu récupérais dans l’assiette sur la table d’entrée, la porte qui se refermait. Ton silence. Il me restait deux heures à dormir, mais je les passais à t’aimer toute seule. Voilà comment on se retrouve devant une assiette blanche et vide à chercher son reflet. Sylvie dépose l’addition sur la table et me verse un réchaud de café.


Une clochette carillonne quand la porte du restaurant s’ouvre, signe que des gens entrent et sortent. Au son, on ne saurait dire dans quel sens ils vont. De toute façon, revenir ou s’en aller, on quitte toujours quelqu’un.

Le combiné du téléphone public dans l’entrée pendouille au bout de son fil. J’écoute, il n’y a personne au bout. Je raccroche. Parfois, il faut partir. On ne laisse pas d’explication et on s’en va, sinon on meurt. Quelqu’un finit par passer derrière, pour ramasser ce qu’on n’a pas eu le temps de remettre à sa place.

Je sors.

24 juin 2009

Guide du parfait petit désastre – PART I

Il y a deux semaines, Nate est venu à Montréal pour des raisons d’affaire. On en a évidemment profité pour se revoir. Le temps passé ensemble à New York avait été fantastique – intensité, sexe et bon vin –, on a donc voulu reproduire la chose en sol québécois. Mais c’était un peu naïf de notre part. On aurait dû se rappeler que chaque fois qu’on essaie de faire revivre le passé, on ne réussit que très rarement à en égaler la perfection. Ce qu’on parvient à récréer n’est généralement qu’une pâle copie du bonheur de jadis.

On était censé se voir dès son premier soir à Montréal. Il m’avait dit qu’un client venait le chercher à l’aéroport, qu’il prenait l’apéro avec lui et qu’après il m’appellerait pour qu’on soupe ensemble et etcetera, etcetera. À neuf heures du soir, je n’avais toujours pas eu de nouvelles de lui. J’ai donc tenté d’appeler sur son cellulaire, mais sans succès. J’étais furax. Dix heures, toujours pas de téléphone. Me faire poser un lapin est probablement la chose que je déteste le plus au monde. Je savais pertinemment que même si Nate finissait par m’appeler ce soir-là, je n’allais pas être d’humeur à le voir et que j’aurais seulement envie de lui foutre une raclée. Dans un grand élan de sagesse, j’ai donc débranché la ligne téléphonique et je suis allée me coucher, avec du gros rock sale sur les oreilles. Moi, la colère, ça m’endort. Après cinq minutes je ronflais.

Le lendemain matin, j’avais moi-même rendez-vous avec un client pour un contrat de rédaction. Je me suis levée dans un drôle d’état, légèrement à côté de mes pompes. Ensuite, je rejoignais une amie pour le lunch. La pauvre a dû subir ma face de bœuf et mon chialage pendant deux heures. Je pense malgré tout l’avoir divertie; la colère m’endort, mais elle me fait aussi dire beaucoup de niaiseries. Je suis convaincue que c’est grâce à l’ironie que je n’ai pas commis de meurtre encore. Sans cette soupape d’évacuation, dans les dernières années, beaucoup d’hommes se seraient retrouvés pu de couilles ou pu de tête – ça revient un peu au même.

Je suis rentrée chez moi vers 16h00 : j’avais un courriel de Monsieur Nate. Il m’expliquait qu’il avait sottement oublié son cellulaire chez lui et que c’est pour cette raison qu’il ne m’avait pas appelée, puisque mon numéro était enregistré dans son petit engin. Il aurait aimé m’envoyer un courriel avant, mais la connexion Internet à l’hôtel ne fonctionnait pas. Bref, il n’avait que de bonnes raisons. Je déteste quand les gens ont des bonnes raisons, ça rend ma colère futile et je suis obligée de leur pardonner. Le pardon, ça fait chier.

Nate m’avait laissé son numéro à l’hôtel; je l’ai appelé, incapable d’avoir l’air un minimum fâchée. J’avais trop hâte de l’avoir nu dans mon lit pour perdre mon temps à faire la baboune. Or, je ne savais pas encore que j’étais loin de la coupe aux lèvres et de ses lèvres sur les miennes. On allait avoir plusieurs autres obstacles à franchir avant de goûter au fruit défendu ensemble. Bref, pour ceux qui espéraient que ce billet finisse par une histoire de cul torride avec plein de belles descriptions graphiques de nos ébats, je vous avertis tout de suite, vous allez être déçus. Vous pouvez arrêter de lire maintenant. Pour les autres qui ne pensent pas juste à ça, les fesses et toutes ces cochonneries, vous pouvez poursuivre.

Vingt-quatre heures plus tard que prévu, Nate et moi nous sommes donc retrouvés dans un resto pas chic du tout du Plateau Mont-Royal. On a commandé l’apéro, siroté goulûment nos verres, en se faisant les yeux doux de manière tout aussi goulue, et en se frottant subtilement les pieds sous la table. On puait le sexe. Et ça a tout l’air que ça dérangeait la vieille mémé à côté de nous. Je ne saurais pas dire exactement ce qui la troublait tant que ça, on n’était pas tout nu sur la table quand même, à quatre pattes en train de faire des démonstrations de Kamasutra, bordel : on buvait un Cosmopolitan en se regardant dans le noir de la pupille et en emmêlant tendrement nos mollets ensemble. Mais bon, paraît que c’était déjà trop pour elle; elle soupirait et se plaignait lourdement à son compagnon que les jeunes de nos jours ne savaient pas se tenir en public. Évidemment, Nate ne comprenait pas ce que la mémé racontait, toute francophone qu’elle était. Y’avait que moi, donc, qui pouvait fulminer et la détester – et je la détestais pour deux. Secouée par un désir de vengeance propre, j’ai malencontreusement fait tomber mon verre d’eau dans sa direction. La pauvre était toute imbibée de ma haine humide. Honnn. J’avais presque envie de m’excuser. Elle a finalement demandé à être changée de place. Bon débarras.

Maintenant que mon ennemie était éliminée, j’allais pouvoir tranquillement profiter de ma soirée. Du moins, c’est ce que je croyais. Ce que je peux être crédule parfois. La suite des choses est assez simple à résumer : le repas était infect et le service minable. On a commandé du vin pour accompagner nos mets, mais celui-ci ne s’est jamais pointé le bout du bouchon de liège à notre table. On a donc mangé à sec, et c’est doublement le cas de le dire, nos assiettes froides et sans saveur : mes pâtes aux fruits de mer me donnaient l’impression d’avoir passé la journée au complet sur le chauffe-plat de la cuisine et le steak saignant de Nate était tellement cuit que sa couleur grise rappelait vaguement la teinte de cheveux de la mémé précédemment assise près de nous. Après me faire poser un lapin, il y a une chose au monde que je déteste par-dessus tout : me faire gâcher un repas. Ça me met dans une rogne pas possible. Mais bon, j’ai contenu ma rage cette fois. Faut savoir choisir ses combats. J’ai simplement proposé qu’on aille prendre le dessert chez moi. Proposition acceptée.

On a marché jusqu’à mon appart, histoire de faire descendre ce repas qui, malgré le fait qu’il n’était absolument pas copieux, nous avait alourdi la panse solidement. Cette portion de la soirée s’est déroulée sans anicroche. On a déambulé bras dessus, bras dessous, d’un pas léger et presque amoureux. J’ai bien dit presque.

Parce que c’est exactement là que ça se gâte : le moment où on a abordé la « question amoureuse ». J’ignore en fait comment s’est venu sur le sujet; je n’avais pour ma part pas du tout l’intention de parler de notre avenir conjugal, simplement parce que je n’en envisageais aucun, mais semble-t-il que Nate voyait la chose fort différemment.

Comment exactement percevait-il la chose? C’est ce que vous saurez au prochain épisode! Je sais, je vous fais souffrir en arrêtant ici mon récit, mais vous me connaissez, j’aime ça étirer la sauce!

En attendant, on va jouer à un petit jeu, voulez-vous? Je vous invite, chers lecteurs, à essayer d’imaginer la suite de cette soirée qui a si mal débuté. J’ai envie de voir comment vous pensez que tout cela va se terminer. Qu’est-ce que Nate m’a dit exactement? Quelle aventure bizarroïde nous est-il arrivée rendus chez moi? Me suis-je une fois de plus mis les pieds dans les plats et dans la bouche?! Moi je connais la réponse à toutes ces questions, mais avant de vous les donner toutes crues dans le bec, ça m’amuse de vous faire forcer la cocologie un peu…

Les paris sont donc ouverts.

16 juin 2009

VOYAGER LÉGER

Ok, ok, ce n'est pas la suite des potins croustillants, mais c'est une preuve que mon roman avance bien, donc vous devriez être contents!


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VOYAGER LÉGER

À côté de moi, une dame lit un journal en espagnol. Ce n’est qu’en voyant ses mains aussi ridées qu’une peau de nouveau-né tourner une page que je réalise qu’elle n’est plus très jeune. Son visage est si lumineux, ses cheveux lisses, son sourire comme figé là, dans le temps qui ne passe plus pour elle, on ne croirait pas avoir à faire à une personne âgée. Mais les mains ne mentent jamais. Elles tremblent un peu. J’espère que lorsque j’aurai l’âge de cette dame, je continuerai de voyager, moi aussi. Que même si mes mains tremblent, je n’aurai jamais peur de m’embarquer pour l’inconnu.

Grand-maman disait toujours les voyages forment la jeunesse. Elle, elle a dû être vieille toute sa vie, car elle n’a jamais vraiment mis les pieds en dehors de sa petite ville. Son voyage de noces, elle l’a passé dans une chambre d’hôpital, à accoucher de mon père. C’était mal vu de tomber enceinte sans être mariée, à l’époque. C’est probablement mal vu de partir à l’autre bout du monde quelques jours après s’être fait avorter, de nos jours.

Une fois, pour l’école, je devais faire une recherche sur les tornades et j’avais apporté plein de livres à la maison pour compléter ma préparation. La veille de mon exposé, grand-maman était venue souper à la maison. On avait mangé du pâté à la viande et j’avais décrété arbitrairement ce soir-là que je n’aimais pas les petits pois. Après le repas, j’avais pratiqué ma présentation devant grand-maman, qui l’avait évidemment trouvée excellente. Lorsque j’ai ramené les documents à la bibliothèque, la dame au comptoir m’a réprimandée, sous prétexte que j’avais découpé des images à l’intérieur, et que ça ne se faisait tout simplement pas, et que je devrais être punie, et que je n’aimerais pas qu’on brise mes biens alors il ne fallait pas que je brise ceux des autres. J’ai eu beau m’objecter, j’étais coupable aux yeux de tous et j’ai dû recopier mille fois dans un cahier le septième commandement – Le bien d'autrui tu ne prendras, ni retiendras injustement.

De son vivant, quand on demandait à grand-maman pourquoi elle ne se payait pas une petite croisière quelque part, elle répondait immanquablement Ça ne m’intéresse pas, je suis bien ici. Quand elle est morte, je suis allée avec Papa faire le ménage de ces vieilles choses empoussiérées auxquelles elle accordait tant d’importance. Dans une boîte à biscuits en métal datant d’avant ma naissance, j’ai retrouvé des photos de tornades ravageant l’horizon du Midwest américain. Elle répondait ça ne m’intéresse pas parce qu’on lui avait appris qu’une femme honnête faisait toujours passer les désirs des autres avant les siens. En pensées, désirs veilleras à rester pur entièrement.

J’aurais dû m’en douter, que c’était elle, qui avait découpé les images. Mais on n’accuse pas sa grand-mère d’un crime que logiquement on doit avoir commis. Dans ses yeux, plus tard, je l’ai vu. La lueur de déception jalouse l’a trahie, quand je lui ai annoncé que je partais étudier la photographie à l’étranger pendant quelques mois – Ah! La chance que vous avez. Moi, dans mon temps, on ne pouvait pas se déplacer aussi facilement. Dans son temps : elle ne se rendait pas compte que le temps présent lui appartenait aussi, que ce n’était pas seulement le nôtre. Elle appelait les avions les oiseaux de métal. Elle est morte sans jamais en avoir pris un.


Mon espagnol est rudimentaire, mais je suis quand même parvenue à comprendre que ma voisine s’en retournait chez elle, dans son pays natal, pour retrouver sa famille, qu’elle n’a pas vue depuis sept ans. Ce sera de grandes retrouvailles, il y aura un festin, de la musique toute la nuit, des accolades interminables. Moi, quand j’arriverai à destination, je hélerai un taxi et je demanderai qu’on m’amène à un hôtel abordable du centre-ville. Personne ne me proposera de transporter ma valise. C’est ce qui arrive, quand on choisit de voyager léger.

14 juin 2009

QUI DORT DÎNE

Je reviens bientôt vous raconter la suite de mes péripéties avec Nate-le-New-Yorkais, promis juré craché. En attendant, un autre extrait de mon roman. Il ne me reste environ que 3000 mots à écrire, soit un dixième de la chose; ça avance bien! La première version sera peut-être terminée pour la fin juin, comme je l'espérais... Il est bon de parfois respecter les promesses qu'on s'était faites...


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QUI DORT DÎNE

Ceux qui croient que voyager est une vacance n’ont jamais véritablement mis les pieds à l’extérieur de chez-eux. Le monde n’est pas une vacance : il vous force à être vous, vous et rien d’autre, à chaque coin de rue que vous tournez. Cela épuise à la fin.

Je suis fatiguée, mais ce n’est plus la même fatigue qu’avant. Elle ressemble étrangement au vide qui m’emplissait l’estomac, après cette fois où j’avais été terriblement malade – soixante-douze heures à ne pouvoir rien garder à l’intérieur. Le lendemain, j’étais épuisée, mais de la lassitude du survivant. Je n’avais plus rien dans le ventre, à peine quelques restes de courage. Tout était redevenu possible; l’inutile évacué, l’espace était de nouveau prêt à accueillir ce qui voulait bien venir à lui.

En dedans, ça sonnait écho. Je pouvais recommencer à zéro.

Des borborygmes affamés m’avaient réveillée. Je m’étais levée, j’avais couru à la cuisine, et m’étais servi un énorme bol de céréales – celles trop sucrées que j’aimais manger quand j’étais enfant et que seul Papa acceptait d’acheter au supermarché. Je m’étais pris une deuxième portion. Puis j’avais fini par engouffrer la boîte au complet. Je m’étais assoupie sur le canapé, devant des reprises de vieux dessins animés, vidée de m’être trop remplie – le sommeil comme la seule force qui permet de rétablir l’équilibre. Aujourd’hui, c’est de ce genre de sommeil dont j’aurais besoin, mais je n’ai nulle part où poser ma valise.

Il y a peu de lieu où le voyageur peut se reposer en paix. Un voyageur, ça ne s’arrête pas, un voyageur ça voyage, ça ne fait rien d’autre, surtout pas prendre une pause. Ses journées commencent tôt et elles ne finissent jamais. Depuis que je suis partie, j’ai l’impression d’être constamment réveillée. Même au plus profond du sommeil, même quand je rêve, je demeure consciente des heures qui passent. Une étrange lucidité, comme j’assistais à tous les événements à partir de l’extérieur. Je suis restée à l’intérieur des limites de ma propre ville et sortie de celles de mon corps. Le voyage ne nous mène pas toujours là où l’on pensait.

Mes yeux ferment tout seul et mes genoux tremblent. Je suis entrée dans un café vide, m’asseoir un peu, faire semblant de lire le journal. L’espresso n’arrive pas à me réveiller. Entre deux gorgées je cogne un clou et entre deux clous j’ai pensé à maman. Quand j’étais jeune, si je me plaignais d’avoir faim juste avant l’heure du coucher, elle me répondait toujours qui dort dîne. Pendant que tu dormiras, tu ne ressentiras plus la faim. J’allais me mettre sous les couvertures, elle me bordait, cinq minutes plus tard je dormais et je n’avais effectivement plus faim. Plus tard j’ai appris le vrai sens de l’expression qui dort dîne – ce qui était écrit à l’entrée des auberges où ceux qui prenaient une chambre pour la nuit devaient dîner sur place. J’ai préféré continuer de croire que Maman avait raison, autrement j’aurais dû revoir toutes mes certitudes d’enfant et je ne pense pas que j’y aurais survécu.

Si le dicton avait plutôt été qui dîne dort, peut-être aurais-je eu le droit de m’étendre là, sur cette table, sans me soucier de ceux que mon sommeil pourrait déranger.

Je donnerais tout ce qu’il me reste d’argent de poche pour qu’on me laisse dormir, seulement une heure, seulement une petite heure. Mais le voyageur n’est pas chez lui alors le voyageur ne dort pas. Il ne prend de répit que pour aller aux toilettes – mais il ne les trouve jamais, ou elles sont réservées aux clients, ou complètement insalubres, alors il se retient. S’il a le malheur de s’endormir durant le trajet d’autobus, le cou cassé, la bouche ouverte, les jambes étirées dans l’allée, on le dévisagera avec mépris. Pourquoi dormir en public est-il si honteux? J’imagine que c’est une question de fragilité – la nôtre, que nous rappelle trop crument l’individu vulnérable, complètement abandonné au sommeil.

Après une visite de musée, un repas sur le pouce debout au comptoir, un détour par cette fameuse petite boutique qu’il fallait absolument voir, tant qu’à être dans le coin, au beau milieu de l’après-midi, déjà exténué même si le soleil est à son plus haut, le voyageur voudrait bien somnoler un peu, mais on l’en empêchera toujours. On lui interdit même l’accès à sa chambre, entre onze et trois heures, parce qu’il faut tout nettoyer.

Les cinémas sont un des rares endroits où on peut fermer les yeux quelques secondes sans se le faire reprocher. Il fait noir, il fait frais, les bancs sont confortables et le bruit des bouches qui mastiquent le maïs soufflé a quelque chose de tranquillisant. Suffit seulement de se réveiller avant que le concierge ne vienne faire sa tournée pour ramasser les sacs de maïs renversés sur le sol et les parapluies oubliés – le bruit des espadrilles qui collent sur le plancher vernis par les flaques de boisson gazeuse séchées.

Hier je me suis fait surprendre; la projection était terminée depuis un bon quinze minutes et je ronflais comme le moteur de la vieille voiture-bateau de Papa. Le commis et sa moustache de garçon de quinze ans m’ont fait les gros yeux. Il s’appelait Gaétan, avait vraisemblablement plus de quinze ans, probablement même plus du double, et sur son t-shirt bleu poudre, il était écrit « Comment puis-je vous aider? » Gaétan ne pouvait pas grand-chose pour moi, je suis partie en m’excusant. Il s’est contenté de soupirer. Les voyageurs ne se reposent jamais, mais il y a des gens qui ont une existence si monotone qu’ils ne savent même plus de quoi ils sont censés se reposer le soir venu.


En sortant du cinéma, j’ai réalisé que notre vie ne me manquait pas.

08 juin 2009

Un vieux texte tout neuf

Aujourd'hui, je vous shoote un texte que j'ai écrit il y a déjà longtemps. Ce qui est troublant, c'est que ce qu'il dit est d'une actualité assez déconcertante...

Je sais, vous attendez la suite de mon histoire avec Nate avec impatience, mais je n'ai pas le temps de vous la raconter dans le détail en ce moment, trop de choses se passent, et je ne veux pas simplement vous donner les grandes lignes point par point. Cependant, dites-vous que cette petite saynète de théâtre pourrait être considérée comme représentative de la tournure des événements...

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Sur la scène, un homme et une femme. Dans une promiscuité assez déconcertante. L’intimité qui se dégage d’eux, de leur présence, doit créer le malaise, le sentiment chez le public d’être voyeur. Elle parle à quelques centimètres à peine de la bouche de l’homme. On croirait qu’ils sont sur le bord de s’embrasser. Mais non, ils ne le feront pas.



LA FEMME
Je l’ai fait parce que tu me l’as demandé.

Silence. L’homme ne dit rien.


LA FEMME
Je sais, tu n’as rien dit, mais je le sentais, que c’est ça que tu voulais, que c’est ça que tu souhaitais, mais que tu n’osais tout simplement pas le demander.

L’homme ne dit toujours rien.

LA FEMME
Je suis prête à t’attendre, tu le sais. Le temps qu’il faut. Même si le temps qu’il faut, c’est toute la vie. Je m’en fous. Je n’ai pas besoin qu’on soit ensemble pour être avec toi. On est ensemble tout le temps, toujours, même quand on ne l’est pas, surtout quand on ne peut pas se voir. C’est quand tu n’es pas là, à côté de moi, que je te sens le plus, que je peux te toucher le mieux. Quand tu n’es pas là, tu es ici, (elle met la main sur sa poitrine), et là, c’est un endroit où on ne meurt jamais. Je n’ai pas besoin qu’on soit ensemble pour être avec toi. Je ne veux pas qu’on soit ensemble, car les gens ensemble, ça finit toujours par s’effriter, ça se dit je t’aime et ça n’y croit plus, à la longue, les gens ensemble, c’est comme ça, ils n’y peuvent rien, ils sont cons, ils se disent «on est ensemble de toute façon», alors ils n’essaient jamais de se le prouver, de se le rappeler, du pourquoi ils sont là à aimer l’autre et pas ailleurs en train de faire autre chose. Mais avec toi, c’est ça qui est merveilleux, je fais toujours autre chose, je suis toujours ailleurs, car c’est en étant partout sauf avec toi que nous nous appartenons le plus. S’aimer en se manquant, vraiment, ils devraient tous l’essayer.

L’homme demeure muet.

LA FEMME
Je vais être patiente, je te promets. Je vais savoir comment. Patiente, tout le temps. Y’a rien de mieux. Tu sais, quand on dit qu’on a hâte, au fond, c’est au moment où on le dit qu’on est le plus heureux, c’est pas quand la chose qu’on est empressé de voir se réaliser se concrétise enfin. L’extase est dans l’attente. Dans l’incertitude, on n’est jamais sûr, non, que ça va se produire, pour de vrai. Et c’est parce qu’on est convaincu de rien qu’on jubile, on exalte, on prend notre pied. Parce que le vent peut toujours tourner et que c’est possible que rien de tout ce qu’on a toujours espéré voir arriver ne…

Tu vois, tu pensais que j’allais finir ma phrase, tu espérais que j’aboutisse enfin, mais je le ferai pas, pour que tu continues d’attendre, pour que tu continues d’être heureux. L’extase est dans l’attente.

Ça ne me dérange pas, qu’on ne soit jamais ensemble, pour de bon, parce que dans l’absolu, on l’est sans cesse, toi et moi, en amour. L’absolu, c’est un bel endroit pour s’aimer, tu trouves pas?

27 mai 2009

Un pommier en fleurs dans la Grosse Pomme




Sur les trottoirs, l’air chaud sort des grillages d’aération du métro et fait lever les jupes des passantes, pendant que la pluie grise s’amuse à coller les mèches de cheveux colorés sur les fronts de celles qui ont oublié leur parapluie. De la large fenêtre de son grand loft blanc, un homme d’affaires en congé observe le défilé humain et la trajectoire des gouttelettes en sirotant son café dans une tasse achetée pour cinquante dollars l’unité. Dix heures à peine, les kiosques à hot-dogs ont déjà des clients. L’un d’entre eux vient de tacher sa cravate mauve avec de la moutarde jaune; il lâche un fuck bien senti en lançant ses restes de pain et de saucisse sur le pavé. Je souris. Il y a quelque chose d’absolument érotique dans l’atmosphère. C’est New York, c’est le printemps, tous les mots riment avec tentation.

Je déambule nonchalamment dans la ville avec l’impression d’avoir le mot sexe d’écrit partout sur le corps. J’entre dans un Starbucks pour me chercher un latte venti qui m’accompagnera dans ma promenade et occupera ma bouche un peu. Grâce à mon terrible accent (autant en italien qu’en anglais), le barista ne comprend pas ma commande et me donne plutôt un grande ice tea. Il est chanceux, je suis de bonne humeur, alors je lui fais gentiment remarquer que ce n’est pas la bonne chose. Sauf que là, il commence à m’obstiner. Il affirme que c’est bel et bien ce que j’ai commandé. Je m’insurge, en lui faisant remarquer que personne ne se commande un thé glacé géant à 10h00 le matin. Il ne lâche pas prise; j’ai officiellement affaire à un barista orgueilleux. Franchement, bois-le le thé glacé si tu trouves ça si bon un thé froid au citron le matin et fais-moi mon café au lait, bordel! Je lui ai dit tout ça en bon québécois, tannée de devoir traduire mes pensées. Si le mot « fesse » est encore écrit dans ma face, il n’a certainement plus le même sens.

Riant dans sa séduisante barbe de trois jours, mon voisin de file finit par intervenir pour prendre ma défense. Il dit au commis de me donner ce que je veux et lui suggère même de ne pas me faire payer puisqu’il m’a déjà fait assez perdre de temps comme ça. Je ne sais pas qui est cet homme ni d’où il sort, mais il doit être connu dans le Upper East Side parce que ça n’en prenait pas plus pour que le commis se la ferme et s’exécute. L’homme me fait un clin d’œil et un sourire en coin puis il me dit : Tu avez une belle accent française. C’est cute when you speak. Oh. My.

Deux choses me font craquer à coup sûr dans la vie: une barbe de trois jours et un accent anglais. Je ne peux simplement pas résister. Vous parlez français?! Il me répond : Seuloument une petit peu. My grandmother is from « Gaspésie »?! Is that how you say it, Gaspésie?! Oui, oui, c’est comme ça qu’on dit – bave, yeux qui louchent, cils qui clignent, bave encore. We use to spend our holidays up there. I was fluently bilingual when I was young, but I lost it, unfortunately. I wish I could have more opportunities to practice my French. La porte était trop grande ouverte pour que je n’essaie pas de m’y engouffrer – je pouvais sentir le courant d’air me frôler les mollets. I could teach you if you want. Of course, répond-il avec enthousiasme. Are you free? Right now? For a little walk in Central Park? À mon tour de répondre of course. Catherine, ma copine de voyage, avait envie d’aller faire les boutiques sur la Fifth Avenue ce matin et pas moi, alors on est partie chacune de notre côté et on s’est donné rendez-vous à Central Park, justement, à 14h00. Ça nous laisse amplement de temps pour une petite ballade…

Nate et moi – Oui, oui, Nate comme dans Six Feet Under, autre raison pour être charmée d’avance – marchons lentement autour du Jacqueline Kennedy Onassis Reservoir. Les nuages se sont dispersés, la bruine a cessé. Les joggeurs nous soufflent leur haleine pleine de sueur dans le visage et soupirent parce qu’on bloque le chemin avec nos têtes dans les nuages et nos cœurs qui font boom. L’accent de Nate est vraiment, vraiment trop croquant, mais je n’écoute même plus ce qu’il dit. Ses lèvres, ses mains, sa façon de remonter ses manches, de prendre une bouffée de Gauloises entre deux mots, sa voix qui devient légèrement rauque après qu’il ait pris une gorgée de café devenu tiède, sa manière de pencher la tête sur le côté et d’involontairement fermer la paupière gauche quand il rit, tout ça me subjugue et m’empêche de répondre autre chose que yes, yes, sure, hmm, hmm, I agree, yes à toutes ses affirmations.

On finit par s’asseoir sur un banc, à l’ombre, en marge d’un petit sentier de gravelle. Sur le banc, il y a une plaquette où il est inscrit « For my wife, Mrs Wonderful ». C’est affreusement quétaine mais sur le coup, ça me donne presque les larmes aux yeux et je trouve que c’est la chose la plus romantique au monde. Un petit poméranien aux poils hirsutes s’approche de notre aire de repos et décide de faire ses besoins à proximité; c’est pas des farces, ça aussi, je finis par trouver ça hyper romantique. J’ai l’eau-de-rose à fleur de peau et le kitsch en érection. Entre deux yes, yes, sure, je me laisse aller à un silence éloquemment érotique; Nate saisit le message et se penche pour m’embrasser.

Il n’est peut-être plus aussi fluent qu’avant in french, mais il n’a rien perdu de sa technique de french kisser par contre… À la fin d’un long baiser langoureux, il me demande if I have any plan for tonight. Yes, yes, sure! I mean I don’t have any plan! I’m free! Free as a bird! And you, do you have any proposition?!

20h00, rendez-vous chez moi dans Greenwich Village? Je te ferai ma spécialité. Tu aimes les fruits de mer? Ça, j’ignore pourquoi, mais il l’a dit dans un français impeccable. Les fruits de mer? Jamais rien connu d’aussi savoureux. Sauf la suite de cette histoire, bien sûr…

22 mai 2009

Back from Gotham




Ouf! Je vis toujours! Sincèrement désolée pour le presque trois semaines sans nouvelle. Je vais essayer de me rattraper au cours des prochains jours, mais pardonnez-moi de nouveau si je n’y arrive pas. C’est que je travaille beaucoup et je veux avoir terminé la première version de mon roman pour la fin juin, donc… Ça, c’était pour les nouvelles de moi. Maintenant, place au récit de voyage…

***

Je n’étais jamais allée à New York. À vrai dire, j’avais mis les pieds aux États-Unis seulement une fois auparavant. J’ai vu le fin fond de la Grèce bien avant de traverser la frontière de La Prairie. Je n’ai jamais été particulièrement attirée par nos voisins et leur vaste pays – pas assez exotique. Pourtant, il y a de quoi avoir plusieurs chocs culturels quand on met les pieds là-bas...

Premier fait troublant : les Américains sont sympathiques! En tout cas, les New Yorkais le sont. Mon amie et moi avons été très bien accueillies (vraiment très, très bien, si vous voyez ce que je veux dire…). Les gens nous disaient bonjour sur la rue, comme ça, sans arrière-pensée; au restaurant, les serveurs devenaient encore plus gentils et attentionnés lorsqu’ils comprenaient qu’on n’était pas de la place; dans le métro, dès qu’on affichait un petit air légèrement perdu, quelqu’un s’empressait de nous demander si on cherchait quelque chose. Wow, vraiment, je ne m’attendais pas à cela.

Deuxième fait marquant : les poubelles sont optionnelles à New York. Je considère que Montréal est une ville plutôt sale et manque d’infrastructures hygiéniques (utilisons des beaux termes administratifs), mais j’ai bien dû constater que nous n’étions pas les seuls à devoir marcher cinq kilomètres avant de trouver une corbeille, un sac, un bac, un container, n’importe quoi bordel, du moment qu’on puisse jeter notre foutu cœur de pomme; les New Yorkais aussi doivent pratiquement passer les douanes avant de trouver une maudite poubelle (et même chose pour une boîte aux lettres, en passant; je pense que y’en a genre 10 pour toute l’île de Manhattan). Et pas de danger qu’il y ait des installations pour le recyclage non plus. Hmm. Mettons qu’on s’imagine que les 8 214 426 habitants de la place jettent chacun une bouteille de plastique vide par jour : ouch. Pour moi, ils ont cru Bush quand il disait que le réchauffement de la planète, ça n’existait pas; ils n’ont pas cru bon essayer de mettre en place des moyens de protéger l’environnement… Pourtant, se protéger, c’est important, hein? (Oh, un autre indice.)

Troisième constat : visiter les lieux touristiques (le Rockefeller Center, l’Empire State Building, la Statue de la Liberté, Time Square, etc.etc.) et payer des dizaines de dollars américains, même si le taux de change est plutôt avantageux par les temps qui courent, vraiment, je ne vois pas c’est quoi l’intérêt. Pourquoi les gens paient pour aller là où tout le monde est déjà allé, pour prendre la même photo que tout le monde a déjà prise, pour avoir la vue qu’on voit dans tous les livres d’art, d’histoire et de tourisme? J’avoue que je ne comprends pas ce principe. L’intérêt de voyager ne serait-il pas plutôt de découvrir des lieux complètement inédits, de rapporter des souvenirs uniques, de visiter des endroits inusités? Moi, c’est ce que je cherche, quand je vais ailleurs : des ruelles cachées, des monuments en ruine mais qui nous racontent une histoire, une vraie, des affiches insolites, des travailleurs pressés, des prostituées fatiguées, des pompiers en pause, des gens qui vivent, quoi; je voyage pour aller toucher à la vie. Et je suis revenue de New York avec l’impression d’y avoir goûté, oui, à cette vie pleine de couleurs, de saveurs, de textures, d’odeurs, de peaux, de sourires, de… De sexe?! Quoi?! Moi, j’aurais eu du sexe avec un New Yorkais!? Ben voyons donc, pour qui vous me prenez?!

Bon. Ok. Je vous le concède, je suis faible, tout comme la chair; je n’ai pas pu résister aux charmes des New Yorkais – d’un, en particulier. Je sais, je sais, vous voulez connaître tous les détails croustillants, mais vous devrez patienter un peu. Peut-être que je reviendrai dans 6 jours, le 28 mai, et que de vous raconter cette histoire sera ma manière de fêter avec vous les deux ans de ce blogue… En attendant, quelques photos, juste parce que je vous aime ben.