02 mai 2009

FOSSES ASEPTISÉES

Extrait de mon roman.

Bonne lecture,

Sophie B.



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FOSSES ASEPTISÉES


Cette année avril est trop tard. Le grand ménage du printemps se fait en janvier. Frotter tout l’après-midi, deux fois plutôt qu’une, les vitres des carreaux : vinaigre et vieux papier journaux. L’appartement sent le casse-croûte de chemin de campagne. On voit mieux à l’extérieur, le quotidien qui vaque et les passants dans son sillon. Mais de la rue, on ne voit pas plus clairement en dedans. Trop jour encore. Les fenêtres ne sont que de grands rectangles noirs, une croix blanche au milieu.

Je me tiens là depuis plusieurs minutes, personne ne le sait. J’ai ouvert pour aérer. Les calorifères fonctionnent à plein pour compenser. Combattre le vent, les orteils gelés. Le proverbe dit mains froides, cœur chaud, mais qu’en est-il de notre cœur quand c’est les pieds qui sont froids? Un torchon blanc à la main, bien équipée pour dire adieu. Ça doit faire quinze ans que je n’ai pas mis mes pieds froids dans une église. La dernière fois que j’ai prié, c’était pour qu’il fasse beau le lendemain. Je préfère quand il fait soleil, c’est tout.

L’horloge de la cuisine affiche encore huit heures ce matin. Les piles sont dans ma poche. Je ne voulais pas voir le temps passer ni attendre ton retour. La vaisselle sèche sur le comptoir, les sous-vêtements sur les chaises de la salle à manger. Tout est pendu d’avance, que je me dis.

La dernière fois qu’on a fait l’amour, c’était dans le corridor d’entrée. On ne s’est pas déshabillés, peut-être que c’est ce que veut dire le verbe baiser. Tu t’es retiré en proposant – on devrait tout repeindre, qu’est-ce que t’en penses. J’avais besoin d’y réfléchir. Tu es allé chercher du sorbet à la poire dans le congélateur. On l’a mangé, couchés sur la moquette, en regardant les étoiles mortes du plafond en stuc. J’ai échappé du sorbet sur mon pantalon blanc. Dans la salle de bains, j’ai nettoyé la tache verte pâle et mon sexe moite avec une débarbouillette. J’ai su que cette fois-là aurait des conséquences. La tache paraît encore et je suis enceinte sans trop savoir comment te l’annoncer.

Trois zéros clignotent sur le cadran de la cuisinière. Tu parles d’une heure pour rentrer, que je te lance à la blague, mais tu ne saisis pas la subtilité. Tu as eu une grosse journée et salis le parquet fraîchement ciré avec tes bottes. Tous ces efforts vains. Je cherche une chose qui ne serait pas éphémère à laquelle me raccrocher. La trotteuse de l’horloge au-dessus de ta tête ne bouge toujours pas. Je sens la forme ronde des piles contre ma cuisse – rien que cela pour que le temps s’arrête. L’avoir compris avant, on aurait peut-être encore un avenir.

- Je suis enceinte.

Pas trop certaine de l’avoir vraiment dit, mais tu te lèves pour me prendre dans tes bras, ça doit vouloir signifier que oui. Pendant cette seconde où ton corps se confond avec le mien, je réalise que j’ai eu tort. La chaleur revient dans mes orteils. Si cette nouvelle te rendait heureux, finalement? J’ai envie qu’on mange des spaghettis en regardant la télévision ce soir. Peut-être même faire l’amour après, ta main sur ma fesse gauche me donne des envies.

- C’est quoi ça?
- Les piles de l’horloge.
- Elles ne fonctionnent plus?
- Faudrait les changer, oui.
- J’irai avec toi.
- Pas besoin, je suis capable d’aller acheter des nouvelles piles toute seule mon amour.
- Je veux dire, te faire avorter. Je serai là. T’en fais pas. Ça va bien se passer.

Ton souffle sur mes cheveux sent l’ail. Tu as déjà mangé avec les collègues avant de rentrer.

2 commentaires:

LeDZ a dit…

Gulp... SOLIDE PUNCH... je l'ai jamais vu venir...

Oops, we're dead! a dit…

Fuck, c'est bon.