22 septembre 2009

La cloche

Il est 15h15: la cloche de l'école primaire tout près de chez moi vient de sonner. Je ne les entends pas, mais je les imagine: les enfants affluent dans le corridor, dans un chaos naïf et enjoué; ils se bousculent, rigolent, cherchent leur boîte à lunch; l'un d'eux, avec ses espadrilles pleins de boue, pile sur le bricolage de son petit voisin, lequel se met à chigner, en argumentant que c'était un cadeau pour sa petite soeur; l'institutrice règle le conflit, apprend aux deux bambins la valeur des mots «pardon» et «accident».

Dans la vie, il n'est question que de cela au fond: pardonner au hasard la douleur qu'il nous inflige.

Les enfants ont enfilé leur manteau coupe-vent, leurs bottillons coupe-pluie et leur chapeau coupe-clapet-de-maman-qui-ne-cesse-de-répéter-couvre-toi-c'est-l'automne-maintenant; ils ont récupéré leur sac, et les voilà prêts à rentrer à la maison - collation en attendant que les adultes préparent le souper, leçons, un peu de télévision, un spaghetti qu'il faut absolument terminer si on veut avoir son dessert, un bain, une histoire, un sommeil bien mérité. Demain tout recommencera et ils seront encore heureux sans le savoir.

Le bonheur est de la même famille que l'humilité: il appartient à ceux qui ignorent qu'ils le possèdent.

17 septembre 2009

La norme

La semaine passée, dans un élan de motivation digne d'une conférence de Marcel Leboeuf, je me suis inscrite au gym. Hier, j'ai passé ce qu'ils appellent le Fit Test, mais qu'ils devraient plutôt intituler le Shame Test, parce que c'est bien une face de honte que la plupart des gens affichent en sortant du minuscule bureau d'évaluation. Le Fit Shame Test a pour but de déterminer à quel point on est (ou pas, fort probablement) en forme. N'ayant jamais été très sportive, je ne m'attendais pas à des résultats incroyables. J'avais tort: les résultats furent incroyables, juste pas dans le bon sens du terme.

Comme de fait, je suis loin d'être dans la catégorie grande athlète; on pourrait plutôt me classer dans la section des obsèses-nomades-flasques-et-pas-en-santé. Ok, pas tant que ça, mais quand même, à les écouter, je suis presque sur le bord de crever, ce qui me fait penser: si jamais je meurs dans les prochains mois, à cause de complications dues à toute cette graisse qui est la mienne, est-ce que ma succession devra continuer de payer mon abonnement au gym? S'ils ont un minimum d'empathie, ils effaceront mon ardoise, mais bon, j'ai bien dû constater que l'empathie n'est pas leur fort, au gym: selon leur grille, leurs statistiques, leurs normes, leur ordinateur et plein d'autres éléments pas du tout remplis d'empathie à mon égard, mon corps a 42 ans. Épargnez-moi Grand Dieu: j'en ai 26. Mon corps a 16 ans de plus que moi. J'ai toujours cru que j'étais plus vieille que mon âge, tellement sage et tellement mature: j'en ai eu la preuve scientifique. Finalement, je pourrais bien perdre un peu en maturité, ça ne me ferait pas de tort. (Anyway, semble-t-il que les jeunes filles inexpérimentées et un peu sottes pognent plus avec les garçons.)

Toujours selon les normes fit-shame-testiennes, une femme doit avoir une taille qui ne dépasse pas 84 cm; au-delà de cela, c'est dangereux pour sa santé cardio-vasculaire (en d'autres mots: c'est une grosse torche). Ma taille fait 83 centimètres, fiouh. Je suis à 1 cm d'être une baleine. Le plus drôle, c'est que les monsieurs et les madames (surtout des monsieurs, j'en suis convaincue) qui décident de ces fameuses normes ont établi que cela devait changer, que 84 cm, c'était encore trop gros; ils vont bientôt descendre le «maximum taillesque» à 80 cm, m'a avertie la kinésio. Donc, dans quelques semaines, quand la nouvelle norme sera effective, je serai officiellement une femme-éléphant. Et mes chances de mourir d'un malaise cardio-vasculaire seront plus élevées. Soudainement.

La norme, c'est officiellement n'importe quoi.

05 septembre 2009

Pareil comme dans Trauma, Fabienne Larouche en moins



Histoire numéro deux, ou quoi faire pour être sûre de ne jamais sortir avec un beau docteur à l’accent allemand et aux mains habiles



Le choc dû au fait d’entrer front premier dans le torse du beau docteur Dinkelmann, en dévalant les escaliers sans regarder où j’allais, m’a rendue bègue l’espace de quelques minutes. Je répétais chaque mot trois fois et ça tombait mal parce que tous les mots que je disais étaient cons. Un médecin, c’est intelligent, mais pas toujours compréhensif : il n’a pas été capable de décortiquer mon langage redondant et de saisir que j’essayais simplement de lui dire bonsoir. Il m’a fait un sourire pressé, m’a tassée gentiment de sa route et l’a poursuivie, concentré sur le dossier médical d’un patient probablement poilu, bedonnant et cardiaque. Personnellement, je trouve que mon profil est beaucoup plus intéressant que celui-là, mais bon, le docteur n’en avait que pour sa paperasse médicale et son sauvage de vie. Je n’allais certainement pas tolérer de passer ainsi inaperçue.

Ma bouche a finalement été capable d’enfiler 13 syllabes sans s’enfarger et a crié : «Docteur Dinkelmann, vous ne me reconnaissez pas ?»

C’était certainement la question la plus idiote que je pouvais trouver. Évidemment qu’il ne me reconnaissait pas : les hôpitaux sont débordés, les gens couchent sur des civières dans les corridors, Dinkelmann doit travailler 18 heures par jour et voir tout autant de personnes défiler quotidiennement sur sa table d’opération. Qui plus est, quand il m’a opérée, j’avais un drap bleu qui me recouvrait la face, bref, il aurait beau avoir une super mémoire des visages, il a à peine entrevu le mien. Mon sein droit est la seule partie de mon corps qu’il a eu la chance d’observer avec attention. J’ai failli répéter ma question en levant mon t-shirt pour lui montrer la cicatrice qu’il m’a faite, voir si là il m’aurait reconnue, mais je me suis abstenue. À vrai dire, je n’ai pas eu besoin de répéter, le beau Docteur avait bien entendu ma ridicule interrogation et elle lui avait chatouillé la curiosité.

- Vous me dites vaguement quelque chose. Désolé, j’ai une piètre mémoire visuelle.

Il a utilisé le mot «piètre». Avec son accent allemand absolument irrésistible, il a utilisé le mot «piètre». C’est un de mes mots préférés. C’est sûr que c’est un signe. Voilà ce que je me disais dans ma petite tête. La collision de ma boîte crânienne sur sa cage thoracique avait probablement fessé plus fort que je ne le croyais : je me mettais innocemment à croire au destin et à voir des signes là où il n’y avait que des voyelles et des consonnes.

- Je, je, je… Vous, vous, vous.

Me suis remise à bégayer. Pauvre cruche. Comment se fait-il que je perdais autant mes moyens devant ce bellâtre au timbre de voix délicieux ?! Je n’avais jamais souffert de foulure de la langue avant. Habituellement, je ne l’ai pas dans la poche, cette langue : pourquoi, là, à ce moment précis, elle a décidé de se transformer en pâte à modeler à senteur de melon d’eau ? Faut croire que le Docteur aime ça la plasticine et/ou le melon d’eau : il a ri. J’ai vu ses belles dents blanches et sa luette bien rose. Maudit, même sa luette est sexy. Je me suis détendue un peu et j’ai fini par dire ce que j’avais à dire.

- Vous m’avez opérée, en novembre dernier.
- Oh. Je vois.
- Vous avez fait une maudite belle job, la cicatrice guérit super bien.
- Content de l’entendre. C’est toujours plaisant de savoir que notre travail est apprécié et a servi à quelque chose. Je dois y aller. Bonne soirée.
- Attendez !
- Quoi ?
- Vous finissez à quelle heure ?
- Je ne le sais pas, je n’étais même pas censé travailler aujourd’hui, mais c’est la folie à l’hôpital depuis trois jours.
- Vous pourriez pas venir prendre un café dans le hall avec moi ?
- Pas vraiment non. Vous m’avez l’air bien sympathique, mais je ne sors pas avec mes patientes.
- Ben là, c’est pas vraiment comme si on «sortait», t’sais, on prendrait un café à l’intérieur de l’hôpital !
- Je veux bien, mais ça resterait pas très éthique. Et puis je peux encore moins «ne pas sortir» avec une patiente sur mes heures de travail !
- Mais là, j’sais pas si vous vous souvenez, mais au départ, ce n’était pas vous qui étiez censé m’opérer, c’était un autre chirurgien, mais il était en retard. Bref, je n’étais pas vraiment votre patiente, mais plutôt sa patiente à lui et vous, vous avez accepté de lui rendre service en prenant mon cas en charge, mais au fond…
- Pourquoi vous voulez tant aller prendre un café avec moi ?
- J’sais pas… Mais on peut boire autre chose que du café si vous voulez ?
- Écoutez… Écoute… Je te peux te tutoyer ?
- Bien sûr ! C’est bon signe, me tutoyer…
- Tu m’as l’air très charmante, mais…
- Mais tu ne peux pas, c’est beau…
- Désolé…
- Non, non, ça va, je suis habituée de me faire repousser par les hommes !
- Écoute, je ne fréquente pas mes patientes, mais je n’ai aucun problème à fréquenter des filles rencontrées dans mon bar préféré, si tu vois ce que je veux dire…
- Et c’est quoi ton bar préféré ?
- J’aboutis souvent aux Verres stérilisés, après mes quarts de travail qui finissent en trois-quarts de travail la plupart du temps ! C’est juste de l’autre côté du parc, c’est sur mon chemin pour rentrer à la maison alors…
- Je vois…
- Bonne soirée pour vrai maintenant !

Mes jambes étaient rendues encore plus pâteuses que ma langue. Si elles avaient pu bégayer elles aussi, elles l’auraient fait. Mais des jambes, ça ne bégayent pas. Et moi, ma vie, elle n’est jamais simple, même quand elle veut bien me donner l’impression que pour une fois les choses vont se dérouler dans la joie, la bonne humeur, le crémage au chocolat et les confettis.

Ça fait un mois que je force mes amis à sortir aux Verres stérilisés tous les jeudis-vendredis-samedis-dimanches-et-parfois-même-le-lundi-mardi-mercredi, au cas où le bout du nez du beau Docteur déciderait de s’y pointer.

La seule blouse blanche que j’ai croisée dans ce bar jusqu’à présent, elle était jaune sous les aisselles, puait la cigarette et appartenait à un quinquagénaire mal rasé, saoul mort et désespéré qui était prêt à me donner dix piasses pour que je lui donne un bec sur la joue.

03 septembre 2009

Christian Slater et moi

Bon, je crois que j’ai assez fait durer le suspens. Avant de me faire arracher la tête par une horde de lecteurs assoiffés de sang et de potins décadents, il vaudrait mieux que je vous raconte les détails de mes dernières mésaventures. J’ai laissé trop d’histoires en plan ici et je ne sais plus trop par où commencer. Le début serait sûrement une bonne chose, mais j’ignore exactement où tout ça a pris naissance. Probablement dans un gros tas de merde fumant.

La merde, c’est comme tout le reste, pour mettre de l’ordre dedans, il faut procéder logiquement, étape par étape. Sans oublier d’enfiler des gants avant.


Histoire numéro un : Nate, alias le New Yorkais allergique aux chats


J’ai été une bitch. Vraiment. J’ai fait un homme de moi-même et j’ai agi lâchement. Heureusement, pour ma défense, je peux invoquer mon manque réel de couilles. C’est vrai, regardez entre mes deux jambes, je n’en ai pas. La nature m’a ainsi faite. Je n’ai pas de couilles, pas de cœur et beaucoup honte : j’ai abandonné Nate.

Le lendemain de son entrée catastrophique à l’urgence, je suis retournée le chercher à l’hôpital. Les médecins m’avaient dit qu’ils lui donneraient son congé en fin d’avant-midi. Me suis pointée là avec ses affaires et l’honnête intention de le ramener gentiment à sa chambre d’hôtel. À chaque marche que j’empruntais, ma bonne foi s’estompait. Rendue à l’étage de sa chambre, mon niveau d’empathie avait atteint un seuil exagérément bas. Puis je l’ai vu. Nate était au bout du corridor, dans sa jaquette bleue qui laisse entrevoir le croupion. Il parlait avec une infirmière dans son français tellement cassé qu’on aurait envie de lui mettre un plâtre sur la langue. L’infirmière devait trouver ça charmant, elle riait à gorge déployée et n’arrêtait pas de se tourner le boudin tout en penchant la tête par derrière. Nate a levé son bras, l’a appuyé sur le cadre de porte. Le pan de sa jaquette a évidemment remonté. J’ai vu sa fesse droite. Je n’avais jamais remarqué qu’il avait le cul aussi poilu. L’infirmière a ri encore plus fort. Moi, j’ai senti mon œsophage se contracter et mon déjeuner remonter tranquillement.

Sans faire de bruit, j’ai marché à reculons, repris les escaliers et suis allée à l’accueil. J’y ai laissé toutes les affaires de Nate et suis partie presque en courant. Juste au cas où il m’aurait vue et où l’envie lui aurait pris d’essayer de me rattraper.

J’ai eu peur que Nate se rappelle où j’habitais, mais je pense qu’il était trop transi d’amour pour remarquer dans quelle direction il marchait, le soir où je l’ai ramené chez moi. Il m’a cependant laissé 46 messages sur mon cellulaire et 18 textos. En deux jours. C’était décidément trop pour moi. Je me demandais comment régler cette situation légèrement embarrassante, mais finalement, le destin a trouvé une solution à ma place : j’ai échappé mon téléphone dans la toilette. J’ai essayé de le rattraper, mais il était rentré trop profond dans l’orifice. J’ai dû m’en acheter un nouveau. Et changer de numéro de téléphone.

C’est la fin d’histoire d’amour avec un New Yorkais la plus décevante que je connais. Pour quelque chose de mignon et de touchant, je vous conseille plutôt Il pleut des roses sur Manhattan. Christian Slater gère clairement mieux sa vie amoureuse que moi.




À venir : l’histoire numéro deux, ou quoi faire pour être sûre de ne jamais sortir avec un beau docteur à l’accent allemand et aux mains habiles