23 octobre 2009

H1N1, STM et autres complots

Je ne suis pas particulièrement adepte de la théorie du complot, mais n'empêche, des fois, je ne peux pas faire autrement que de croire à une conspiration.

Hier, j'avais rendez-vous avec F. J'habite à 15 minutes de vélo de chez lui, mais comme il faisait un peu frisquet, j'ai opté pour l'autobus, grâce auquel j'arrive normalement à destination en une demi-heure. Mais quelqu'un, quelque part, a dû se dire que ma vie manquait de piquant par les temps qui courent et a décidé d'ajouter de l'imprévu à mon quotidien devenu trop parfait; ce quelqu'un s'est arrangé pour que l'autobus ne passe pas. Et quand je dis «pas», je veux dire jamais.

Jamais comme dans «ça-fait-trente-minutes-que-j'attends-je-suis-aussi-bien-de-ne-pas-bouger-d'ici-et-de-continuer-à-poireauter-encore-quelques-instants-il-va-finir-par-arriver-pas-le-choix-ça-fait-déjà-deux-autobus-qui-sont-censés-être-passés-y'en-a-immanquablement-un-des-deux-qui-va-amener-son-gros-derrière-qui-roule-au-biodiesel-bazouelle-mais-non-on-dirait-que-je-rêve-en-couleurs-ça-fait-maintenant-quarante-cinq-minutes-que-je-fais-le-pied-de-grue-comme-un-flamant-rose-et-y'a-toujours-aucun-mastodonte-essetéhemmien-qui-semble-vouloir-se-profiler-à-l'horizon-mais-qu'est-ce-qu'ils-foutent-saint-ca****-c'est-pas-normal-y'a-sept-autobus-qui-me-sont-passés-dans-la-face-en-sens-inverse-sont-pas-supposés-revirer-de-bord-rendus-au-bout-de-la-ligne-eux-et-venir-me-chercher-parce-que-là-je-commence-à-avoir-foutrement-froid-aux-pieds-je-m'étais-habillée-chaudement-mais-chaudement-pour-dix-ou-quinze-minutes-d'attente-pas-une-heure-sacrifice-en-tout-cas-je-ne-suis-pas-toute-seule-à-me-les-geler-le-p'tit-cul-qui-est-dans-l'abribus-depuis-encore-plus-longtemps-que-moi-et-dont-je-ne-saurais-dire-s'il-s'agit-d'un-gars-ou-d'une-fille-tellement-il-a-le-hipster-profondément-androgyne-le-pauvre-avec-son-V-Neck-bien-échancré-ses-petits-souliers-de-toile-super-cool-dans-le-sens-super-pas-chaud-et-son-manteau-volé-dans-la-garde-robe-de-sa-tante-il-a-l'air-de-se-les-geler-encore-plus-que-moi-mais-ça-ne-me-console-pas-QU'EST-CE-QUI-SE-PASSE-EST-CE-QU'ON-POURRAIT-M'EXPLIQUER?!?!!!???!-?????-!!!!-les-bus-tombent-dans-un-ravin-au-bout-du-trajet-c'est-quoi-ou-peut-être-que-tous-les-chauffeurs-ont-décidé-de-se-rassembler-là-bas-et-de-s'improviser-un-cinq-à-sept-entre-collègues-c'est-jeudi-après-tout-ils-ont-bien-raison-c'est-jeudi-il-est-rendu-sept-heures-les-cinq-à-sept-sont-terminés-et-F.-doit-vraiment-se-demander-ce-que-je-fous».

Jamais comme dans D'LA MARDE OSTIE, JE SUIS PAUVRE, MAIS JE ME PAYE UN TAXI.

Dans le taxi, pendant que je tentais de me défrigorifier, comme une morue sortie du congèl après avoir passé huit mois entre un pot de crème glacée plein de frimas et un plat de margarine rempli de sauce à spagh de maman, pendant que le chauffeur me parlait d'élections municipales et de corruption, pendant que les voitures devant nous refusaient d'avancer et que les chiffres sur l'odomètre continuaient de gonfler, pendant tout ce temps-là, oui, j'ai réfléchi. Et j'ai compris. Que c'était un putain de complot. Que la STM était de mèche avec les compagnies pharmaceutiques, qu'elle s'était arrangée pour que tous ses autobus aient du retard afin que ses usagers prennent froid, et qu'ainsi leur système immunitaire soit affaibli, et qu'ils attrapent la grippe H1N1, et qu'ils aillent faire des réserves de Tamiflu au Jean Coutu, et que Merck Frosst s'en mette plein les poches, et que Bernard Trépanier se garde un 3% de bénéfices tant qu'à faire. Mais je vais résister. Ils ne m'auront pas. Je ne me ferai pas vacciner contre la grippe A. Jamais. Jamais comme dans «ça-fait-trente-minutes-que-j'attends-je-suis-aussi-bien-de-ne-pas-bouger-d'ici-et-de-continuer-à-poireauter-encore-quelques-instants-il-va-bien-finir-par...»

Je crois que j'ai eu encore plus froid que je ne le pensais.

14 octobre 2009

La fin

Il fallait s'y attendre. Un prince charmant reste rarement charmant bien longtemps; son naturel aura tendance à revenir au galop et à dépasser haut la main son cheval blanc. Après à peine deux semaines de relation officielle, F. n'était déjà plus l'homme merveilleux que je vous ai présenté ici. C'était trop beau pour être vrai.



***

Ce week-end, nous avons passé une superbe fin de semaine en amoureux. F., généreux comme mille missionnaires catholiques en Afrique, avait décidé de me payer la traite. « Pour célébrer notre amour, ma chérie », qu'il disait, des flammes rouge passion et jaune soleil dans les yeux. Aucun homme ne m'avait jamais parlé comme F. me parlait - que des mots doux, sensuels et sincères. C'est du moins ce que j'aurais voulu croire...

Donc, tout le week-end, c'était la grosse vie. Je me sentais comme une star d'Hollywood (avec quelques livres en plus et quelques paparazzi en moins): le samedi soir, F. nous a acheté des huîtres et du champagne, qu'on a savourés en se regardant dans le blanc des yeux et en jouant du pied sous la table. On a fait l'amour trois fois de suite, langoureusement, aphrodisiaquement, extraordinairement, voluptueusement. La nuit a été courte, mais l'espace de ces quelques heures, je me suis sentie éternelle. On s'est endormi imbriqué l'un dans l'autre. On se serrait tellement fort que j'étais convaincue qu'au réveil, on ne pourrait plus se déprendre de cette étreinte.

Le dimanche matin, les yeux collés et les épidermes soudés, on a fini par se lever. F. a tenu à ce qu'on aille se promener sur la montagne, pour respirer l'air frais de l'automne et crier à la ville entière, du haut de son toit, qu'on s'aimait. Armé de cafés au lait, on se baladait bras dessus, bras dessous, laissant derrière nous une traînée d'étoiles. On a escaladé le Mont-Royal, en faisant une pause tous les quatre pas pour s'embrasser et mélanger nos haleines chaudes et caféinées. Une fumée blanche en forme de coeur s'évadait de nos bouches. Une fois rendus au sommet, on s'est tu pour admirer la vue. F. et moi, silencieux devant la ville; on s'aimait et le monde à nos pieds avait l'air d'un lieu où le bonheur était devenu possible.

On est descendu de notre nuage pour aller déjeuner. F. m'a traînée dans un resto hyper chic - mimosa, frittatas aux tomates du jardin, herbes fraîches, yogourt crémeux, fruits sculptés et pain frais. On s'est régalé, pendant que notre amour faisait de la condensation dans la baie vitrée à côté de la table. La facture est arrivée, F. s'est chargé de tout payer, évidemment. Je me suis demandée pendant un instant où il prenait tout cet argent, lui qui n'est ni cadre d'entreprise, ni homme d'affaire, ni médecin, ni avocat. Mais on s'en fout. F. est F., c'est tout, il n'a pas besoin d'un titre glorieux pour que je l'aime et sa générosité est encore plus appréciable parce que justement, il s'agit d'un véritable don, puisqu'il n'a rien ou presque.

Puis, je suis allée aux toilettes.


En revenant de la salle de bains, tout s'est effondré d'un seul coup. J'ai surpris F. les culottes baissées et la main dans le sac. Dans mon sac. F. fouillait dans mon porte-feuille, sans vergogne. Je l'ai vu sortir un billet de 20$. Il l'a fourré dans sa poche de jeans. Ses beaux jeans griffés. F. s'habille tellement bien. Il a vraiment du style et c'est une chose qui m'avait beaucoup charmée au départ.

La gifle que je lui ai foutue, en plein visage, en plein milieu du restaurant, en plein quand je croyais que j'avais trouvé l'homme de ma vie, en plein quand j'étais heureuse, cette gifle-là aussi, elle avait du style.

J'ai repris mes cliques et lui ai laissé mes claques. J'ai quitté le resto en trombe. J'ai cessé de courir seulement lorsque mon asthme a menacé de m'envoyer à l'hôpital, quelques deux kilomètres plus loin. La gorge me brûlait. L'amour qui, plus tôt, faisait de la condensation dans la fenêtre, en faisait maintenant dans mes yeux. Il faisait froid, l'eau a gelé à mes pieds. J'étais figée là, les deux bottines prises dans la glace. Comment avais-je pu être si idiote.


Depuis deux semaines, je me trouvais particulièrement étourdie. Je retirais de l'argent au guichet et le dépensais sans trop m'en rendre compte. Les billets verts flambaient entre mes doigts, se transformaient en cendres grises. Je mettais ça sur le compte de l'amour. Je croyais que c'était lui qui brûlait tout, mes neurones et le papier. Que ma tête était trop occupée à aimer F. et qu'elle ne portait plus attention aux gestes qu'elle posait, qu'elle n'était pas attentive aux dépenses qui s'accumulaient.

La vérité, c'est que l'amour me volait littéralement mon argent.


***


La fin. C'est de cela qu'elle a l'air - la fin de l'amour, la fin de mon espoir, la fin de F. et moi. En fait non: c'est de ça qu'elle aurait eu l'air. Dans mon ancienne vie, dans ma vie de Sophie Beaudoin qui se prend pour Sophie Paquin, dans ma vie en dédales et en creux de vague, c'est ainsi que se seraient terminées les choses. C'est le genre d'histoire à laquelle je vous ai habitués. Et j'ai voulu vous en donner pour votre argent.

J'ai voulu vous raconter ce que vous aviez envie d'entendre: un récit triste mais croustillant, douloureux mais palpitant, pathétique mais réconfortant. Parce que c'est ce que le public aime: les mésaventures, la malchance, la déception, la cruauté. On dit «je suis heureux pour toi», mais ce qu'on voudrait réellement signifier c'est «pourquoi tu es heureuse et pas moi?». J'ai voulu vous laisser croire pendant un instant que vos souhaits jaloux et inavouables s'étaient réalisés. J'ai voulu votre bonheur, quoi. Mais je suis bien obligée de vous décevoir, au final.

Parce que la vérité vraie, c'est qu'avec F., chaque jour est plus merveilleux que le précédent, qu'il ne m'a rien volé, sauf peut-être quelques baisers, et que j'ai réellement l'impression, pour la première fois, que c'est la fin.

La fin de l'époque des catastrophes.

07 octobre 2009

LA MAIN DROITE

Un extrait de mon roman. Y'avait longtemps, non? Moi-même, ça faisait plus d'un mois que je n'y étais pas retournée à ce texte, trop prise ailleurs.

Je suis heureuse d'en relire des passages et de ne pas trouver ça trop mauvais! À vous de juger maintenant...

N.B. Les plus attentifs d'entre vous remarqueront que ce chapitre est inspiré d'une histoire que j'avais déjà racontée sur ce blogue...


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LA MAIN DROITE


Une note laissée sur le réfrigérateur – café frais, croissants, jus d’orange, rentrerai tard. Papa est parti très tôt pour le travail, la maison est froide; il tient toujours la température des pièces au minimum. Le froid est dans nos têtes qu’il prétend. Il y a quelque chose de poétique dans cette façon de nier la réalité, les sensations. Deux paires de bas de laine aux pieds, je me dis que ce serait bien parfois si la poésie ne se contentait pas de réchauffer le cœur, mais aussi les orteils, au passage. Pourquoi papa s’obstine à garder cette maison trop grande pour lui? On partage la même peur, au fond : celle de quitter un corps connu par cœur. Appelle-moi s’il y a quoi que ce soit, que mentionnait aussi la note – ce que je fais. J’ai besoin d’une conclusion à la discussion que nous avons entamée hier.

- Je peux te poser une question?
- Bien sûr.
- Personnelle.
- Ok.
- Pourquoi tu as trompé maman?
- …
- Parce que tu ne l’aimais plus? Que tu ne la trouvais plus attirante? Que c’était plus fort que toi?
- Non.
- Pourquoi?
- Écoute, je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question.
- Tu ne connais pas la réponse toi-même, c’est ça?
- Peut-être. Mais… c’est surtout que… j’ignorais que tu savais tout ça. C’est ta mère qui t’as raconté?
- Papa, j’avais onze ans quand c’est arrivé. J’étais jeune, pas stupide.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire. Tu me prends un peu au dépourvu.
- Une fois, c’était un dimanche après-midi, je m’en souviens, tu pleurais dans ta chambre. Je crois que tu parlais à ton frère. Tu t’accusais d’avoir bousillé ton mariage. Je passais dans le corridor, la porte était entrebâillée. J’ai entendu.
- Je m’excuse.
- Pourquoi?
- Que tu aies appris ça. De cette manière. Et de l’avoir fait. Je m’excuse.
- Ce n’était pas le but de ma question, mais d’accord.
- Tu as trompé ton copain?
- Non. Je ne sais pas. Je crois que je vais partir, pour un petit bout de temps. J’en ai besoin.
- Tu peux rester à la maison tant que tu veux.
- Oui, mais ça ne sera pas suffisant. Je te rappelle bientôt, promis.
- Je t’aime.

Alors que j’éloigne le téléphone de mon oreille, un aveu lancé, comme une fusée un jour où l’univers est clément et le soleil au zénith. Je comprends son sens au moment où le combiné touche la base de l’appareil. L’explosion des moteurs empêche de réfléchir. L’univers c’est trop grand, on va se perdre. Pas pu lui dire moi aussi. Jusqu’à aujourd’hui, ma seule main gauche suffisait pour marquer le nombre de fois où je l’avais entendu prononcer ces mots. Dorénavant, il me faudra également utiliser la droite pour tenir le compte.

02 octobre 2009

Le bruit du sel cassé

J'ai rencontré quelqu'un. De manière complètement inattendue et inespérée, comme un roman de Réjean Ducharme, oui, comme un autobus qui passe à l'avance par un froid de canard, comme un remboursement d'impôt déposé directement dans notre compte alors que le comptable nous avait plutôt dit que nous devions de l'argent au gouvernement cette année, comme toutes ces choses improbables, j'ai rencontré quelqu'un. Quelqu'un en qui j'ai envie d'avoir confiance, quelqu'un qui ne me traite pas comme une traînée, ni comme une petite fille, ni comme un tas de merde.

Nous n'en sommes qu'à des balbutiements de relation, tout ça est encore très jeune, très frais, très fragile aussi probablement, mais comme la façon dont les choses commencent avec une personne est généralement très représentative de la tangente que risquent de prendre nos rapports avec celle-ci, j'ai grand espoir que tout ce bonheur et cette facilité perdurent. Vraiment, tout cela arrive juste à point, car j'étais sur le bord de devenir cynique et désillusionnée, moi qui exècre pourtant les pessimistes désabusés. Je me réconcilie donc peu à peu avec la gent masculine, grâce à l'un de leur digne représentant, que je nommerai ici F., et qui a su me prouver que le trou-de-cuisme n'était pas une caractéristique commune à tous les hommes, que certains avaient réussi à échapper à la malédiction du salaud à leur naissance.

F. m'a invitée à souper chez lui hier. J'ai été reçue avec les mêmes honneurs que ceux auxquels doit avoir droit la princesse de Monaco lorsqu'elle rend visite à la gouverneure générale du Canada - bon, ça n'arrive probablement pas si souvent, mais justement, moi non plus, ça ne m'est pas arrivé souvent qu'un homme me convie à partager sa table d'une façon si raffinée et délicate! Tartare et mousseux un soir de semaine, il n'y avait rien de trop beau pour F. le romantique. Plus que toutes ces saveurs délectables qu'il a su mettre dans mon assiette, mon plus grand plaisir fut en fait de le regarder cuisiner avec soin et minutie. Sa manière de faire craquer le sel de mer entre ses doigts, pour ensuite le saupoudrer au-dessus de la chair de poisson crue... Ce son, fin et transparent, j'ignore pourquoi, il m'a réconfortée.

Plus aucune musique ne saurait remplacer à mes oreilles le bruit du sel cassé entre les doigts de F.