14 octobre 2009

La fin

Il fallait s'y attendre. Un prince charmant reste rarement charmant bien longtemps; son naturel aura tendance à revenir au galop et à dépasser haut la main son cheval blanc. Après à peine deux semaines de relation officielle, F. n'était déjà plus l'homme merveilleux que je vous ai présenté ici. C'était trop beau pour être vrai.



***

Ce week-end, nous avons passé une superbe fin de semaine en amoureux. F., généreux comme mille missionnaires catholiques en Afrique, avait décidé de me payer la traite. « Pour célébrer notre amour, ma chérie », qu'il disait, des flammes rouge passion et jaune soleil dans les yeux. Aucun homme ne m'avait jamais parlé comme F. me parlait - que des mots doux, sensuels et sincères. C'est du moins ce que j'aurais voulu croire...

Donc, tout le week-end, c'était la grosse vie. Je me sentais comme une star d'Hollywood (avec quelques livres en plus et quelques paparazzi en moins): le samedi soir, F. nous a acheté des huîtres et du champagne, qu'on a savourés en se regardant dans le blanc des yeux et en jouant du pied sous la table. On a fait l'amour trois fois de suite, langoureusement, aphrodisiaquement, extraordinairement, voluptueusement. La nuit a été courte, mais l'espace de ces quelques heures, je me suis sentie éternelle. On s'est endormi imbriqué l'un dans l'autre. On se serrait tellement fort que j'étais convaincue qu'au réveil, on ne pourrait plus se déprendre de cette étreinte.

Le dimanche matin, les yeux collés et les épidermes soudés, on a fini par se lever. F. a tenu à ce qu'on aille se promener sur la montagne, pour respirer l'air frais de l'automne et crier à la ville entière, du haut de son toit, qu'on s'aimait. Armé de cafés au lait, on se baladait bras dessus, bras dessous, laissant derrière nous une traînée d'étoiles. On a escaladé le Mont-Royal, en faisant une pause tous les quatre pas pour s'embrasser et mélanger nos haleines chaudes et caféinées. Une fumée blanche en forme de coeur s'évadait de nos bouches. Une fois rendus au sommet, on s'est tu pour admirer la vue. F. et moi, silencieux devant la ville; on s'aimait et le monde à nos pieds avait l'air d'un lieu où le bonheur était devenu possible.

On est descendu de notre nuage pour aller déjeuner. F. m'a traînée dans un resto hyper chic - mimosa, frittatas aux tomates du jardin, herbes fraîches, yogourt crémeux, fruits sculptés et pain frais. On s'est régalé, pendant que notre amour faisait de la condensation dans la baie vitrée à côté de la table. La facture est arrivée, F. s'est chargé de tout payer, évidemment. Je me suis demandée pendant un instant où il prenait tout cet argent, lui qui n'est ni cadre d'entreprise, ni homme d'affaire, ni médecin, ni avocat. Mais on s'en fout. F. est F., c'est tout, il n'a pas besoin d'un titre glorieux pour que je l'aime et sa générosité est encore plus appréciable parce que justement, il s'agit d'un véritable don, puisqu'il n'a rien ou presque.

Puis, je suis allée aux toilettes.


En revenant de la salle de bains, tout s'est effondré d'un seul coup. J'ai surpris F. les culottes baissées et la main dans le sac. Dans mon sac. F. fouillait dans mon porte-feuille, sans vergogne. Je l'ai vu sortir un billet de 20$. Il l'a fourré dans sa poche de jeans. Ses beaux jeans griffés. F. s'habille tellement bien. Il a vraiment du style et c'est une chose qui m'avait beaucoup charmée au départ.

La gifle que je lui ai foutue, en plein visage, en plein milieu du restaurant, en plein quand je croyais que j'avais trouvé l'homme de ma vie, en plein quand j'étais heureuse, cette gifle-là aussi, elle avait du style.

J'ai repris mes cliques et lui ai laissé mes claques. J'ai quitté le resto en trombe. J'ai cessé de courir seulement lorsque mon asthme a menacé de m'envoyer à l'hôpital, quelques deux kilomètres plus loin. La gorge me brûlait. L'amour qui, plus tôt, faisait de la condensation dans la fenêtre, en faisait maintenant dans mes yeux. Il faisait froid, l'eau a gelé à mes pieds. J'étais figée là, les deux bottines prises dans la glace. Comment avais-je pu être si idiote.


Depuis deux semaines, je me trouvais particulièrement étourdie. Je retirais de l'argent au guichet et le dépensais sans trop m'en rendre compte. Les billets verts flambaient entre mes doigts, se transformaient en cendres grises. Je mettais ça sur le compte de l'amour. Je croyais que c'était lui qui brûlait tout, mes neurones et le papier. Que ma tête était trop occupée à aimer F. et qu'elle ne portait plus attention aux gestes qu'elle posait, qu'elle n'était pas attentive aux dépenses qui s'accumulaient.

La vérité, c'est que l'amour me volait littéralement mon argent.


***


La fin. C'est de cela qu'elle a l'air - la fin de l'amour, la fin de mon espoir, la fin de F. et moi. En fait non: c'est de ça qu'elle aurait eu l'air. Dans mon ancienne vie, dans ma vie de Sophie Beaudoin qui se prend pour Sophie Paquin, dans ma vie en dédales et en creux de vague, c'est ainsi que se seraient terminées les choses. C'est le genre d'histoire à laquelle je vous ai habitués. Et j'ai voulu vous en donner pour votre argent.

J'ai voulu vous raconter ce que vous aviez envie d'entendre: un récit triste mais croustillant, douloureux mais palpitant, pathétique mais réconfortant. Parce que c'est ce que le public aime: les mésaventures, la malchance, la déception, la cruauté. On dit «je suis heureux pour toi», mais ce qu'on voudrait réellement signifier c'est «pourquoi tu es heureuse et pas moi?». J'ai voulu vous laisser croire pendant un instant que vos souhaits jaloux et inavouables s'étaient réalisés. J'ai voulu votre bonheur, quoi. Mais je suis bien obligée de vous décevoir, au final.

Parce que la vérité vraie, c'est qu'avec F., chaque jour est plus merveilleux que le précédent, qu'il ne m'a rien volé, sauf peut-être quelques baisers, et que j'ai réellement l'impression, pour la première fois, que c'est la fin.

La fin de l'époque des catastrophes.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Nice! 1 point pour l'amour!

Mélissa Verreault a dit…

Tu ne saurais mieux dire, lhiverakhartoum...

Certains trouvent ça quétaine l'amour, j'ai dû en être à un moment de ma vie ou à un autre, mais maintenant... maintenant...


Soupir heureux.

Anonyme a dit…

J'adore. J'admire ton talent pour l'écriture. Et je suis bien contente que cette histoire ne soit que fiction. Tu m'as bien eue !

Anna a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anna a dit…

Merveilleux.

Je trouvais aussi, que ton histoire ressemblait à un mauvais épisode de Sophie Paquin.

Sois heureuse, encore longtemps.

Parce que moi, les histoires d'amour des autres, c'est tout ce qui me reste d'espoir..

Mélissa Verreault a dit…

Merci anonyme pour le beau compliment. Au plaisir de savoir qui se cache derrière ce pseudonyme ;)

Et Princesse Anna, je t'en conjure, garde espoir et ne te contente pas de vivre ton bonheur par procuration, à travers les autres: si moi j'ai pu dénicher un homme aussi merveilleux, je suis convaincue que toi aussi, tu le trouveras ton F.!

Aurélie a dit…

ahh. J'adore. Le meilleur billet jusqu'à présent. C'est la preuve que l'on peut encore y croire. À l'amour je veux dire. Merci pour ce beau moment. :)

Dominique ! a dit…

Vraiment très agréable à lire !

Mélissa Verreault a dit…

Merci pour vos commentaires, Dominique et Aurélie. Je suis contente de vous avoir permis de passer un agréable moment !


Je vous reviens avec d'autres belles histoires bientôt, promis...

Aurélie a dit…

youppi!! On en veut d'autre des histoires comme ça!!:)

Le Tapageur a dit…

Toujours aussi époustouflant.

Mélissa Verreault a dit…

Merci, mister Tapageur!

Faisait longtemps qu'on ne vous avait pas entendu...