10 avril 2009

Le bunker

Joyeuse commémoration de la résurrection de Jésus les amis. Pour souligner le tout, je vous offre un extrait de mon récit qui parle de la mort (mais aussi de sujets moins sérieux comme les calorifères et les stylos-billes). Ouh. Dieu que j'ai de la suite dans les idées.

Ne mangez pas trop de cocos de Pâques; sur le site de Greenpeace, on indique que les poules qui les produisent sont en voie d'extinction. Vous ne voudriez surtout pas contribuer à la disparition d'une espèce animale, n'est-ce pas?

Ah ah. Je vous ai eus: c'est un poisson de Pâques.

Bourrez-vous donc la face.


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LE BUNKER

Serviettes de table et napperons griffonnés s’amoncellent à côté du téléviseur. Je ne l’ouvre jamais. Ce que devient le monde m’échappe. J’ai épuisé l’encre des trois stylos-billes à l’effigie de l’hôtel. Ma vie s’écrit sur des feuilles volantes, on tient à si peu. Le plastique des stylos est grugé jusqu’à la moelle. Il manque un bouchon. N’est pas dans le tiroir, pas dans la poche. Ni sous les papiers chiffonnés ni derrière la commode. Il me faut ce bouchon, recouvrir la bille avant que l’encre ne sèche. Ce bouchon, maintenant. Qu’adviendra-t-il sinon.

Des fois, la conviction que c’est la fin, au creux de la poitrine.

Je cherche un mot pour résumer ma vie au cas où elle ne me dirait plus rien. Comment est-ce qu’on dit C’était beau et je recommencerais s’il le fallait, en un seul mot? Quelque chose comme bleu. Ça sonne bien, ça sonne grand. Je n’ai jamais pensé au suicide, sinon comme à une preuve de ma liberté. Parce que la possibilité existe, j’existe encore plus. Si je le décide, avant qu’il ne me tombe sur la tête, crever le ciel comme une flèche, je pourrais faire ça. Sauter reste une hypothèse, une idée en l’air, je me sens bien ici. Ce qui me rend légère, c’est de savoir que j’en aurais le pouvoir. Une vague de chaleur monte le long de ma gorge quand j’y pense. Je pourrais me tuer. Le dernier mot m’appartient. Les mots ne servent plus à grand-chose, mais le dernier compte. Dans ma chute, j’ignore ce que je crierais, s’il fallait un mot, un seul. Ils ont installé des grillages noirs dans les fenêtres de l’hôtel. Ici on ne respire que l’air climatisé ou l’air réchauffé des calorifères. Mais on ne meurt pas.

La chambre est un désordre, mes vêtements pendent sur la chaise droite. Je ne fais pas le lit, les draps en forme de chaos témoignent de ma disponibilité nouvelle. Je tire les rideaux seulement le soir pour laisser entrer la lumière des réverbères. Celle du jour goûte trop cru. Je préfère le blanc sur le noir, les mots ne servent plus à grand-chose. Je ne t’ai pas donné d’explication, je suis partie quoi. Mes raisons n’ont rien d’original, je suis partie comme tout le monde, n’ai même pas essayé d’en faire une date importante. Je suis partie au jour zéro.

Je détache mes chaussures et me dis que tout ça n’est qu’une grande boucle. On nous apprend à bien serrer nos lacets pour ne pas s’enfarger, mais c’est d’autre chose dont on essaie de nous parler. Je crois que j’ai toujours été heureuse, simplement, je l’ignorais. Au fond le bonheur n’a de sens que pour les autres. De l’intérieur, il n’est que l’absence momentanée du déséquilibre et on ne le sent pas tout de suite. On nous a appris si jeune à marcher droit.

Mes pieds sont enflés, j’ai déambulé toute la journée sans savoir où j’étais. Du danger de s’effondrer, à chaque coin de rue l’imprévisible. Ça n’a plus rien à voir avec les souliers. S’il y a une route tracée d’avance, qu’est-ce que je fais ici. Je ne crois pas au destin, je vaque pieds nus sur le tapis. Le dos appuyé sur le rebord du lit, je me réchauffe les orteils contre le calorifère, le monde peut bien courir à sa perte. Le téléviseur est fermé et c’est ici que je ne mourrai pas.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Chapeau!

Mélissa Verreault a dit…

Ben, euh, merci?!