13 avril 2009

Les soirs bleus

J'espère que vos célébrations de la ressuscitation du Christ furent agréables.

Aujourd'hui, c'est lundi de Pâques et je me demande pourquoi c'est encore férié. Qu'est-ce qu'on fête au juste? La re-mort de Jésus? C'est vraiment interminable cet événement de je-meurs-je-reviens-je-meurs-encore. Tout le monde meurt Gizeus, et on n'en fait pas tout un plat. Enfin, je dois juste être jalouse, parce que moi, y'a peu de chance que je résurrecte, comme on dit.

J'aimerais devenir suffisamment big pour que le jour de ma mort devienne un jour férié. Imaginez. En tout cas, pour ça, va falloir que j'écrive des maudits bons livres. De quoi capable d'accoter la Bible côté chiffres de vente.

En attendant de devenir bestseller et de voir mon oeuvre traduite en 2264 langues, j'vais me contenter des 50 visites quotidiennes sur mon blogue... C'est mieux qu'une claque dans la face et qu'une mort par crucifixion. Finalement, ce que j'essaie de vous dire là, c'est: merci de me lire. Vous, mes cinquante-que'que brebis fidèles, vous aurez le droit à un congé de boulot pour commémorer le jour de ma mort. Promis, m'a parler avec ti-Ben pour qui vous arrange ça.


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LES SOIRS BLEUS

Papa prépare le souper en silence. La voix neutre de la présentatrice du téléjournal se fraie un chemin du salon jusqu’à nous. La chaise bergère devant le téléviseur est vide. Le chien dort à mes pieds, un œil à moitié ouvert. Sa queue flagelle l’air saturé par le parfum du thym et de l’oignon. Il est malade. Papa songe à le faire euthanasier, mais ne trouve pas le courage. Il lui lance un bout de viande crue qu’il renifle sans appétit. Il jappe un coup, pour dire merci quand même. Papa est triste et dit tu as maigri ma chérie; je prends une gorgée de vin pour ne pas répondre. Trois gouttes rouges tombent et forment un cœur sur la table. Je les essuie de l’index et lèche mon doigt. Si seulement c’était toujours aussi facile de faire disparaître le sang sur nos mains.

- Papa, est-ce que ça se peut l’amour toute une vie?
- J’imagine que oui. Mais ça dépend combien de temps dure la vie.
- Sans doute…
- C’est comme pour tous ces objets qu’on essaie de nous vendre en prétextant qu’ils sont garantis à vie… Tu sais, comme le sac de voyage que je t’avais acheté, quand tu es partie étudier quelque temps à l’étranger. Tu as voulu l’échanger à ton retour parce qu’il était déjà tout troué.
- Ils m’ont répondu que la garantie était expirée, sauf que c’était une garantie à vie…
- Voilà. C’était une garantie à vie, « à vie » étant en fait la vie du sac. Et l’espérance de vie moyenne de leurs sacs était évaluée à un an. Je crois que pour les relations de couple, c’est la même chose.
- Je ne saisis pas…
- L’amour, c’est garanti à vie, mais le à vie de ton couple n’est pas ton à vie à toi. Chaque relation a sa propre espérance bien à elle. Et risque de mourir bien avant que tu le fasses.

Je ne connaissais pas cette profondeur à mon père. On ne discute pas vraiment d’habitude, ce serait plutôt ça la vérité. Peu de mots s’ajouteront à ceux qu’il vient de prononcer. La parole est une ressource épuisable, il ne faudrait pas la gaspiller. Mais parfois je me demande si en économisant les mots, on ne laisse pas de belles occasions se gâter.

Le soir est calme.

La télévision nous raconte des histoires plus réelles que la nôtre – des émissions américaines. Papa ne parle pas anglais. Il ne parle pas, voilà. Il dit : je vais me coucher, n’oublie pas d’éteindre quand tu auras terminé. Il est onze heures et je ne veux pas rester seule dans le grand salon froid, avec pour unique lumière les rayons bleutés du téléviseur. Papa grimpe l’escalier en s’accrochant à la rampe. Les marches craquent sous ses pas. Ce bruit m’a toujours réconfortée – signe d’une présence qui veille. Mais là, c’est plutôt le craquètement des vieux os qu’il me rappelle, chaque marche comme une preuve que le temps est irréversible.



L’horizon tire sur le pourpre et je ne dors pas encore. Les paroles de Papa tournent en boucle dans ma tête. Je l’ai entendu se lever en plein milieu de la nuit. Je crois qu’il était somnambule, il tenait un discours incohérent sur la nécessité d’acheter plus de détergent à lessive la prochaine fois qu’il irait faire des courses. Il n’avait peut-être pas tort après tout : plusieurs erreurs tachent nos mémoires.

7 commentaires:

LeDZ a dit…

Et dire que moi, c'est mon père qui me demande conseil... ;o)

Mélissa Verreault a dit…

Est-ce que tu charges cher, LeDZ!?

LeDZ a dit…

Non, je suis assez disponible... J'ai pour mon dire : Si tu payes le vin ou la pinte, je suis tout ouie !

Mélissa Verreault a dit…

Bon, et bien, va falloir que je prenne rendez-vous...

LeDZ a dit…

J'ai un horaire assez chargez, mais je devrais trouver du temps pour toi... ;)

Mélissa Verreault a dit…

Wow, je suis vraiment choyée! Que me vaut cet honneur, jeune inconnu?!

J'attends que tu me dises quand tu es prêt à me «faire un trou»...!

Cindy a dit…

c'Est intéressant tout ça... en plus, on a la séance de cruisage en prime à la fin :D