31 mars 2009

Un crayon qui coule

Voici un autre épisode de ce fameux roman sur lequel je bûche.

Pour ceux que ça intéresse moins, je vous promets que je vais revenir vous raconter quelques détails croustillants sur ma vie au courant de la semaine...

Autrement, je suis désolée de vous l'apprendre, mais vous devrez patienter un peu plus longtemps que prévu avant de pouvoir lire ce fameux article sur mon blind date, dans le Urbania spécial sexe. Le numéro ne sortira finalement que le 23 avril prochain. Il vous faudra donc vous trouver une bonne crème pour l'urticaire mes amis et vous armer de patience (mâchez des gommes Bazooka et lisez les Bazooka Joe pour faire passer le temps)! Mais je vous garantie que vous serez délicieusement récompensés d'avoir attendu si sagement...


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UN CRAYON QUI COULE


Tu aurais voulu rester, mais un client important, une réunion, des piles de dossier qui s’impatientent, tu comprends – je comprends. Tu m’as déposée à la clinique d’avortement avant d’aller travailler et m’a laissé quelques billets pour que je puisse prendre un taxi au retour. Ma valise rouge à la main. J’irai dormir à la maison familiale après, une nuit ou deux, besoin de me reposer vraiment. Tu n’y vois pas d’inconvénient, je t’aime, as-tu ajouté. J’ai pris des vêtements pour une semaine, on ne sait jamais.


La réceptionniste sourit de façon légèrement exagérée. Ses cheveux noirs coupés au carré encadrent impeccablement son visage. L’air gentil et compréhensif de cette fille me rend mal à l’aise. Elle me tend des pantoufles, une chemise et un feuillet informatif, tout cela bien empilé, sans dépasser. Tout est droit, cette décision est juste, ce geste est légitime. Quelques formalités, des papiers à remplir – je me suis rappelé mon nom et ai signé. Le stylo à bille coulait. Mes doigts sont tachés d’encre bleue.


Dans la salle de bains, le savon sent la lavande et je ne me suis jamais sentie aussi loin de la Provence. L’encre s’est incrustée, dans les pores de ma peau, entre les lignes. Si quelqu’un voulait lire l’avenir dans ma paume, il ne verrait plus mon chemin de vie, seulement une immense flaque de sang bleu. Et les murs de la salle d’attente sont bleus, et la chemise trop grande dans laquelle je baigne est bleue, les pantoufles : bleues; tout autour est bleu, je dois être en train de me noyer – chercher mon souffle et le ciel. Un plafond suspendu et des néons, dont un qui clignote nerveusement, c’est tout ce qu’il y a au-dessus de ma tête. Tout ce qui pourrait me sauver. Dieu est une femme et sa voix m’appelle dans la salle numéro quatre.


L’infirmière me parle de sa voix douce, si douce que lorsqu’elle dit que tout ira bien, je la crois presque. Un bouquet de fleurs en plastique fane sur la table de chevet. Je m’appelle Michelle, on va prendre soin de toi, il ne faut pas que tu t’inquiètes, qu’elle murmure. Elle sent la cannelle. Ou peut-être est-ce la muscade, je mélange les souvenirs de ce qui est bon et fait du bien.


La fenêtre fermée donne sur une cours d’école, des cris joyeux montent jusqu’à nous. Michelle va tirer les rideaux. J’entends sans rien voir. Michelle le sait et me flatte les cheveux. Soudainement, j’ai huit ans et je pleure parce que ma chienne est morte. Elle avait le même âge que moi, on a grandi ensemble, comme deux sœurs. Une voiture l’a frappée et a traîné mon cœur sur des dizaines de kilomètres. Je ne me rappelle plus comment elle s’appelait, ma chienne, ma chienne morte. C’est impossible, mais je ne m’en souviens pas. Il faut que je le retrouve, sinon dans quelle mémoire vivra-t-elle? Michelle me tend une boîte de mouchoirs, des larmes chaudes coulent sur ma joue droite. Le côté gauche demeure étrangement sec. Je suis une femme solide qui ne pleure jamais. Je suis une petite fille qui a perdu son chien. Le médecin entre.


Tu as dit que tu voulais avoir un enfant avec moi, peut-être même deux, mais pas maintenant, plus tard, plus tard serait mieux. On passe sa vie à attendre le bon moment. Ce qui fait qu’il y a des choses qui ne naissent jamais et d’autres qui meurent trop tôt.

3 commentaires:

LeDZ a dit…

Bordel Sophie !

Tu écris un recueil de nouvelle ou c'est vraiment un roman, parce que les chutes de tes fragments sont vraiment incroyables...

J'ai beaucoup aimé la dualité avortement/école, les possibilités dramatiques sont très fortes, mais je doute qu'une clinique soit aussi près d'une cours d'école... Mais d'un autre côté, qu'est-ce que j'y connais moi !?!

Mélissa Verreault a dit…

LeDZ, merci pour tes commentaires encore une fois très... rapides!

Oui, c'est bien un roman que j'écrit, ou disons plutôt un 'récit'. Mais c'est voulu que les chutes de chaque mini-chapitre soient fortes: je veux que chacun de ces chapitres puissent être lu comme un texte autonome, un peu comme un poème dans un recueil de poésie. C'est pour ça que je donne un titre à chaque chapitre. Cela dit, il y a vraiment une histoire, un fil conducteur qui unit chacun de ces tableaux.

Pour la cours d'école à proximité de la clinique, dans un endroit comme Montréal (bien que ça ne se passe pas nécessairement à Montréal mon histoire, mais dans une grande ville quelconque) où tout est collé, où on vit carrément en se pilant dessus, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas y avoir une clinique adjacente à une école... Mais merci de la remarque :)

Anonyme a dit…

quelques idées qui fusent