22 mars 2009

Un peu de provocation

Cet après-midi, j’ai marché dans le sillon du printemps, traînant mes chouclaques neufs jusqu’à un sympathique café du quartier des hipsters, des intellos et des vendeurs de l’Itinéraire. Me suis installée dans un des divans en faux cuir placé direct dans le rayon du soleil. Le chai latté me descendait doucement dans le gorgoton, la lumière bleue et aveuglante de cette fin mars qui sent bon le renouveau me chatouillait les freakles; un dimanche comme on les aime : facile, presque en dehors du temps, où la principale activité qui nous occupe est d’être là.

Mon voisin de divan genuine leatherette se sentait la sociabilité top shape et a commenté la température, dans l’espoir que cela ferait naître entre nous une discussion. Faut croire que j’avais la courtoisie en position on aujourd’hui, je lui ai répondu tout sourire. Il m’a vaguement révélé qu’il avait trouvé l’hiver long, j’ai répondu que pourtant, il avait été plutôt clément. Il a renchéri en disant que tout ça, ça dépendait de comment on se sentait en dedans. J’ai acquiescé en soulignant qu’on avait toujours tendance à projeter sur l’extérieur la manière dont on se sentait à l’intérieur. Il a dû trouver ça ben intelligent comme commentaire pourtant insignifiant, il m’a demandé si j’étudiais en psychologie, j’ai dit non, en littérature – ça a allumé une lumière dans son regard vide : il fut tout heureux de m’apprendre qu’il était un fan de lecture, il a tout lu : Marie Laberge, Jean-Jacques Pelletier, Agatha Christie, name it). J’ai affirmé un truc du genre « la psychologie des personnages et la psychologie humaine, c’est pas mal du pareil au même. » Décidément, j’avais choisi de verser dans la philosophie bas de gamme et les vérités de La Palice. Pourquoi pas, c’est jour de congé, j’ai le droit à un peu d’insignifiance, que je me suis dit à l’intérieur, quelque part entre l’œsophage et le sternum (c’est vrai ça, d’où est-ce qu’on parle exactement quand on parle « à l’intérieur de soi »?). De toute façon, mon interlocuteur avait les dents toutes noircies, il n’aurait pas compris mes affirmations si elles avaient volé à des niveaux trop élevés d’intelligence.

Ouch. J’avais la courtoisie à on, et le préjugé aussi. Juger les gens est certainement mon passe-temps favori. Je ne pense bien souvent pas la moitié de ce que je peux avancer comme idées reçues et autres grandes vérités basées uniquement sur l’apparence et l’ignorance, mais ça me fait du bien de les dire à voix haute, ces préconceptions absolument injustifiables. Une façon de me prouver que la relation de cause à effet ne s’applique pas dans toutes les situations. Que l’arbitraire et le gratuit sont ce qui gère véritablement nos vies, donc, qu’à rien ne sert d’essayer de trouver une explication à ceci et à cela. Généralement, de raison, il n’y en n’a pas.

Cataloguer les inconnus, étiqueter les étrangers, c’est ma manière de prendre ma vengeance à l’égard de mon karma de débile : faire subir le sort qui fut le mien à quelqu’un qui ne l’a absolument pas mérité. Agir de manière partiale et injuste avec un bozo qui ne m’a rien fait, simplement pour riposter par rapport à toutes ces fois où je me suis demandé pourquoi telle tuile me tombait sur la tête, ça me soulage le dedans autant qu’une pastille pour la gorge à saveur de sapin. C’est enfantin, inutile, mais concrètement, ça ne fait de mal à personne, car si je prononce ces commentaires à voix haute, ce n’est jamais en présence des gens qu’ils visent. (Ce comportement est carrément inacceptable venant de la part d’une fille qui dit être directe et honnête, mais je me suis rendue compte récemment que la franchise est un ingrédient qu’il faut utiliser avec parcimonie. Autrement, on se retrouve vite dans la marde, comme dit mon amie Fanny, qui a accouché il y a deux mois d’un mignon-mais-très-scato petit garçon.) Tout ça pour dire que je m’adonne à ce plaisir légèrement malsain qu’est le « bitchage despotique » le plus souvent possible. Et tout ça pour dire [bis] que ce mec qui tenait à discuter avec moi, à cause de ses dents noires et de son incapacité à prononcer la syllabe «psy», je l’ai placé dans la catégorie des inférieurs. Du hitlérisme de pacotille, quoi.

De retour chez nous, j’ai pensé : cet homme à l’hygiène buccale douteuse (appelons-le Richard, puisque même les losers ont le droit à une identité), s’il est pour moi l’image de l’idiotie et de la faiblesse, force est d’admettre que moi, Sophie B., la fille à la grand’ gueule, la simili excentrique, la chialeuse de première, l’écrivailleuse d’occasion, je devais bien être l’imbécile de quelqu’un. Et bang, ça m’a foutu un méga blues.

Pendant deux minutes trois quart.

Ce constat ne sera pas suffisant pour me forcer à arrêter d’entretenir des opinions illégitimes à propos de qui que ce soit. Surtout à propos des gens qui pensent que Stephen King est un grand maître de la littérature.

7 commentaires:

LeDZ a dit…

Caste sociale et appartenance... Deux sujets qui me fascine ! Je juge les gens, je les catégorise, je les méprise, sans connaissance de cause. Pourtant, il y a toujours une exception, parce que tout les Richard de ce monde ont une expertise que je n'ai pas. Et bien que je voudrais posséder la science infuse, je ne peux m'empêcher de juger les gens qui ont un savoir quelconque... ;)

En somme, la normalisation n'est qu'une statistique, il n'y a pas d'être humain parfait... Je te comprends !

Mélissa Verreault a dit…

LeDZ, tu réponds tellement vite à chacun de mes posts, j'ai quasiment l'impression que tu les lis directement dans mon ordinateur, avant même que j'aie cliqué sur «publier le message»...

LeDZ a dit…

...gênant... gêné...

Mélissa Verreault a dit…

Faut pas se sentir gêné. Juste ben rapide sur le clavier!
Par ailleurs, j'apprécie avoir des lecteurs aussi assidus :)

LeDZ a dit…

C'est sans doute parce que j'aime bien ton blogue...

Cindy a dit…

Ah! Que serait le monde sans une bonne dose de switch-à-bitch de temps en temps?
Je me console en me disant que ça élimine les toxines et que ce que je dis de gratuit et méchant sur des inconnus, je ne le dis pas sur les gens que je connais et que j'aime (malgré tout!)

Baccarat Game a dit…

The important and duly answer