28 avril 2009

L’amour avec un grand W – Part II

Je projette sincèrement poursuivre tous les Lavalife, Compagnie.com, Mon Classeur.com, Réseau Contact et autre Elle et Lui de ce monde pour fausse représentation.


« Inscrivez-vous et trouvez l’amour », qu’ils clament haut et fort et en rouge-souligné-gras-à-part-de-ça. BULLSHIT. Et ceux qui osent, cerise sur le sundae, nous dire que grâce à leur fabuleux site je pourrai enfin vivre le coup de foudre tant recherché, je leur ferai également un procès pour grossière indécence. Et atteinte à mon intégrité un coup parti (mon intelligence faisant partie de mon intégrité). Calvaire! Déjà que je suis plus ou moins convaincue que le fameux love-at-first-sight-as-seen-on-TV puisse réellement exister, essayer de me faire croire que je pourrais love-at-first-sighter quelqu’un sur le web, c’est me prendre pour une belle imbécile. Hello?! Tu ne peux pas dire « Toi et moi, c’est l’œuvre du destin, le fruit du hasard, la volonté du cosmos » quand t’as passé huit heures à éplucher les profils d’hommes répondant au critère « âgé-entre-25-et-27-ans-habitant-la-région-métropolitaine-et-aimant-la-couleur-bleu-le-spaghetti-et-les-randonnées-pédestres ». J’appelle pu ça le destin moi, mais bien du magasinage.

D’emblée, on le constate, je suis assez sceptique quant à l’efficacité des sites de rencontre. Mais puisque la nature (le destin et le cosmos) m’ont dotée d’une grande ouverture d’esprit, je me suis dit que je pourrais quand même essayer. Au pire, j’aurais plus d’arguments après pour chialer. Et ma foi, c’est exactement ce qui s’est produit.

Peut-être est-ce moi qui suis malchanceuse. Peut-être que je n’ai pas une bonne étoile – ou une bonne connexion Internet. Peut-être que je devrais changer de fournisseur. Parce que j’ai beau être abonnée haute-vitesse, parti comme c’est là, ça risque de me prendre mille ans avant que je réussisse à me trouver un amoureux sur la toile. (Prière ici de vous imaginer le bruit que fait un ordinateur lorsqu’il tente de se connecter à un réseau 56k).


Ça fait un peu plus de deux mois que je suis inscrite sur le-site-de-rencontre-dont-je-tairai-le-nom-pour-ne-pas-leur-faire-de-publicité-et-surtout-pour-ne-pas-qu’ils-puissent-me-poursuivre-à-leur-tour-pour-diffamation. Et en deux mois, qu’est-ce que j’ai récolté?

- Huit cent trente-sept visites sur mon profil jusqu’à ce jour. Je pourrais le prendre comme un gros compliment – ma photo est assez attirante pour que quelques garçons se soient risqués à aller lire ce que j’avais à dire –, mais dans un autre sens, c’est plutôt déprimant : sur huit cent trente-sept gars, il y a en quoi, vingt-quatre qui ont pris la peine d’entrer en contact avec moi? C’est-à-dire 2.867383512% des gars. Ouch. Seulement 2.867383512% des hommes trouvent, après avoir lu ma fiche, que j’ai l’air d’une fille intéressante. Je suis loin de la note de passage disons…

- Six messages d’hommes dans la cinquantaine qui trouvent dont ben que j’ai l’air mature pour mon âge pis que j’ai dont ben un beau sourire pis que je suis assurément la compagne de vie dont ils ont dont ben besoin (pour assurer les tâches ménagères). Hé. Ho! Quand les six enfants issus de tes quatre précédentes unions sont plus vieux que moi, bonhomme, ça veut peut-être dire que nous ne sommes pas tout à fait promis à un bel avenir conjugal. Et quand j’écris dans mon profil que je désire avoir des enfants, c’est pas juste pour faire cute : c’est vrai. Ce qui est faux par contre, c’est que je vais entreprendre de fonder une famille avec quelqu’un qui pourrait facilement être le grand-père de sa propre progéniture.

- Huit messages d’hommes d’origine africaine, maghrébine ou haïtienne que je soupçonne de m’avoir approchée dans le but à demi-dissimulé de faire de moi leur carte de visite pour le Canada. Pour ces messieurs, une rouquine, c’est le comble de l’exotisme. Or, ils ignorent que Miss Exotique 2009, elle n’est pas intéressée à se marier avec un monsieur après quatre mois, simplement pour que celui-ci puisse normaliser sa situation immigrante.

- Deux messages de gars qui ont étudié en gestion et qui pensaient vraiment qu’en pluggant les mots « épargne-retraite », « levier fiscal » et « rentabilité des placements », ils allaient réussir à faire fondre mon cœur. J’ai déjà assez de trouble avec le Ministère du Revenu, j’ai pas envie de coucher avec un de leur représentant chaque soir. Ni de me faire chicaner par un chum cravaté, pendant que je bois tranquillement mon jus d’orange le matin, sous prétexte que je ne sais pas par cœur à quoi réfèrent les expressions « T4 », « ligne 199 », « formulaire U-20256» et « crédits d’impôts accordés en fonction de la politique 966A ». Tant qu’à faire, offrez-moi donc une calculatrice à la Saint-Valentin et une consultation gratuite chez H&R Block pour mon anniversaire, comble du romantisme.

- Un message (le meilleur!) d’un gars complètement disjoncté qui m’assurait être l’homme de ma vie puisqu’il avait rêvé à moi la nuit précédente (alors qu’on ne s’était jamais vus, on se le rappelle) et qu’à sa grande surprise, il m’avait reconnue en se connectant sur le site. Il voyait là un signe indéniable de notre destinée. Dans son fameux rêve, nous étions les heureux parents de deux enfants magnifiques et il était triste à l’idée de priver ces deux enfants de l'opportunité de venir au monde. Il me conjurait donc de répondre à son appel (de détresse) afin que nous puissions dès maintenant commencer à confectionner des beaux bébés bien joufflus. Je pense qu’il mérite d’être cité texto, fautes incluses :

écoute j'arrive du futur, toi et moi nous y étions ensemble avec une vie et une famille extra....deux enfants merveilleux...si je ne réuissis pas à te charmer d'ici les prochains 24 heures, ces pauvres petits ne verront jamais le jour et ca me brisera le coeur. Si tu savais à quel point on fait des beaux enfants toi et moi ..... alors on fait ca chez moi ou chez toi ;o) bisous steph xx

« J’arrive du futur »… Que dire de plus? Je me fais cruiser par des gars qui prétendent revenir du futur. Je suis sans mot. Vraiment, c’est dommage que les combinaisons en aluminium et les sabres laser ne m’excitent pas plus qui faut.


Voilà à quoi j’ai eu droit au cours des dernières semaines en matière de déclaration amoureuse. Vous conviendrez avec moi que je suis loin de la coupe aux lèvres et de l’anneau au doigt! Ce qui m’inquiète, c’est que d’après le système de l’offre et de la demande, s’il y a des gars qui écrivent de telles insanités et qui approchent les filles de cette manière, c’est parce que quelque part, il y a des filles que ça intéresse de se faire parler d’amour ainsi. Mais où s’en va le monde?!

Ma mère me disait souvent que j’étais trop capricieuse, que mes attentes par rapport à la gent masculine étaient trop élevées et que je devrais revoir à la baisse mes critères de sélection. Elle avait sans doute en partie raison, mais là, y’a toujours ben des ostie de limites à niveler par le bas.

Bref, l’amour avec un grand W, celui qu’on trouve sur le world wide web, l’âme sœur hache-thé-thé-pé, l’amour virtuel, l’amour clavardé, l’amour webcam, l’amour forum de discussion, l’amour deux-point-zéro, l’@mour avec un arobase, vraiment, je ne suis pas sûre d’y croire.

Je commence à me dire que j’aurais plus de chance de me trouver un copain dans une boîte de Lucky Charms. Peut-être même que le petit lutin roux est célibataire et que j’aurais un ticket avec lui.

27 avril 2009

Ceci n’est pas un texte érotique

Je suis nue. Je vous écris et je suis nue. Dans mon lit, les seins à l’air, le cheveu ébouriffé, la cuisse à découvert, je suis ben. Écrire sans aucun vêtement pour se protéger des regards indiscrets est un plaisir sous-estimé. Parler de soi et de sa petite vie sur un blogue alors qu’on n’a rien sur le dos est sans doute la forme la plus poussée d’exhibitionnisme. Personne ne me voit mais tout le monde pourrait s’imaginer, ce que c’est, ce dont ça doit avoir l’air, ce qu’il voudrait bien que ce soit. N’est-ce pas là toute la magie de l’écriture : faire voir sans pourtant rien montrer…

Écrire ou jouer les nus-vite dans une rue achalandée par un splendide dimanche après-midi, au fond, quelle différence.

Je suis nue et je vous écris, alors que je devrais être couchée depuis de longues minutes. J’adore dormir «en fesses». Depuis quelques hivers, comme je n’ai personne dans ma vie pour jouer le rôle de chaufferette et sur qui me coller, je m’habille un brin durant les mois les plus froids. Mais là, c’est officiel, avec le retour des températures clémentes, la saison où je dors sans pyjama ni petite culotte ni bonnet sur la tête est commencée; la saison où j’ouvre la fenêtre la nuit pour sentir la brise fraîche faire lever les couvertures, celle où je change mes bons-vieux-draps-santé-conducteurs-d’électricité-statique pour de légers-draps-de-cotons-qui-sentent-bon-le-made-in-China; le moment de l’année où j’attrape à coup sûr une putain de grippe parce que de la même manière qu’on pogne toujours un coup de soleil en début d’été, je prends immanquablement froid au début de la saison du nudisme nocturne (nos mères nous l’ont répété combien de fois : en avril, ne te découvre pas d’un fil). Mais j’accepte mon sort, car le contact du textile directement sur ma peau est trop savoureux pour que je m’en prive, sous prétexte qu’un opportuniste virus pourrait s’en prendre à moi et à mon popotin en liberté. (Avec cette pandémie de grippe porcine qui nous menace, je ferais peut-être mieux de surveiller mes arrières et mon derrière, mais bon.)

C’est le printemps, je suis nue et je me dis que le monde est un endroit où il fait tout de même bon vivre. Malgré tout. Quand je dis «tout», je fais bien entendu référence aux guerres, aux génocides, aux épidémies, aux coups d’état, aux crises économiques, aux drames passionnels, aux suicides, aux animaux maltraités, aux enfants affamés, aux obèses qui ne peuvent pas s’arrêter de manger et qui se donnent comme excuse que le café est gratuit chez McDo jusqu’au 3 mai pour aller engouffrer trois œufs McMuffin chaque matin, oui, quand je dis malgré tout, je veux dire malgré tout ça.

Tout ça, mais surtout le fait que je me suis inscrite sur un site de rencontre Internet et que mon expérience, bien que courte, s’est avérée complètement catastrophique.

C’est de cet échec monumental dont j’avais envie de vous parler ce soir, de «L’amour avec un grand W – Part II», mais finalement, je me suis laissé transporter par la sensation grisante de mon corps nus sur les draps frais et je vous ai gavé de poésie à cinq cennes. Et là, je suis trop fatiguée pour entreprendre quelque récit rocambolesque que ce soit.

Alors je vais éteindre l’ordi, aller boire un verre d’eau en regardant par la fenêtre, en quête d’une scène de vie nocturne croustillante. Je vais revenir à ma chambre, tapoter doucement mon oreiller pour qu’il prenne une forme confortable, m’infiltrer de nouveau sous les draps, me masturber et m’endormir, détendue.

Le reste attendra un peu.

21 avril 2009

Demain, le grand jour

Amis lecteurs - particulièrement toi lhiver -, je vous transmets l'invitation officielle pour le lancement de demain...

Au plaisir de vous y croiser et de vous signer un autographe dans l'entre-jambes ou dans le décolleté, au choix.

Sophie B.








Tout le monde pensait qu'on avait déjà fait un numéro sur le sexe. C'est pas vrai. C'était notre première fois. Et comme c'était notre première fois, on voulait que ce soit «spécial». Eh bien, c'est réussi.

Dans cette édition, vous trouverez: une soirée aux danseuses avec les gars de Gatineau, les confessions d'Anne-Marie Losique, un reportage sur les déjeuners-sexy, une fiction de François Létourneau et une incursion dans l'univers des sexoliques. En kiosque le 24 avril.

Le mercredi 22 avril, on lance notre numéro sur le sexe au deuxième étage du Café Cléopâtre. Le party débute à 18h. Au menu : partie de tag BBQ géante, projection de photos du petit pénis de Guillaume Latendresse et plus encore.

18 avril 2009

L'amour avec un grand W - Part I

Accoudée au bar d’un endroit branché, sirotant mon gin tonic (sans concombre, merci Madame Germain), j’attends mon amie Anne. Ce soir, on a décidé de sortir en ville et de partir à la chasse. Notre plan : nous déhancher le popotin et nous défoncer la fraise jusqu’à ce que coït s’en suive. La chair est fraîche, le printemps officiel; y’a pas juste mon chat qui s’en ressent. Je pense que certaines nuits, dans mon sommeil, je miaule plus fort que lui. Il est vraiment temps que je me trouve un mâle alpha pour me faire un méchoui de lion et m’aider à assurer la survie de la race. Bref, tonight is the night, all night long, comme le chantait si bien le père de Nicole.

Anne tarde à arriver. Elle doit encore être en train de se demander quelle robe mettre. Avec quels souliers. Avec (ou sans) quels sous-vêtements. C’est compliqué être une fille, bazouelle Lionel. Une demi heure de retard, ce n’est pas son genre pourtant. Son cellulaire est fermé, je suis incapable de la rejoindre. Mon deuxième gin tonic est presque fini. Lisant le désarroi sur mon visage, un jeune homme s’approche de moi et me demande si j’attends quelqu’un. La réponse est oui, mais je dis non. J’ai envie qu’il s’assoit à côté de moi et qu’il me parle : il est plutôt mignon. Il nous commande chacun un drink. Anne peut ben passer la soirée dans son walk-in si elle veut, je n’ai plus besoin de sa compagnie!

Mon bel adonis s’appelle Simon. Je capte un mot sur deux de ce qu’il me raconte, la musique est assourdissante et l’alcool affaiblit ma capacité de concentration… Ses lèvres bougent sans que je puisse y lire quoi que ce soit d’autre que : baisons. Un silence (bon, pas vraiment un silence, on est dans un bar et le disco-dance-pop nous déchire les tympans, pire que si nous avions fait une descente trop rapide en plongée). Un faux silence. Simon me dévisage. Il a l’air d’attendre quelque chose. Oh. Je viens de comprendre : il m’a posé une question et je dois répondre. Mais je n’ai pas saisi la question. J’affiche donc mon sourire le plus niais et je prends une gorgée. Je joue avec ma paille et tente de relancer la conversation en disant – Ils les font pas fort leurs drinks, ça goûte rien qu’le jus. Et là, Simon se fâche – Ayoye. Je me suis vraiment trompé sur ton compte : je trouvais que t’avais l’air intelligente, c’est pour ça que je t’ai approchée, mais finalement, t’es aussi insipide que toutes les autres. Et il est parti.

God damn. Le gars m’engueule parce que je ne suis pas assez brillante pour lui! Man, on est dans un bar, je suis pas mal sur le bord d’être saoule, la musique rend impossible toute discussion véritable, et tu m’accuses de ne pas être i-n-t-e-l-l-i-g-e-n-te. Cal***, va cruiser à la Bibliothèque nationale si ton but c’est de rencontrer une post-doctorante en philosophie kantienne. J’ai la prétention de croire que je suis une fille qui se débrouille quand même pas pire avec son cerveau, mais là, y’a des contextes! On discutera de la situation des femmes en Afghanistan, de la politique étrangère des États-Unis, de la possibilité qu’ils lèvent enfin l’embargo sur Cuba, des propriétés anti-cancérigènes du brocoli, de l’échec du moratoire sur le commerce de l’ivoire, du pourcentage alarmant de séropositifs dans le village gai (12%, je sais, c’est terrible, aussi élevé que dans les tribus les plus durement touchées d’Afrique), oui, on jasera de tout ça, mais un autre m’ment d’nné, veux-tu! JE BOIS MON GIN TONIC ET J’AI ENVIE DE BAISER. Calvaire Robert.

Je suis insultée. Je texte un message à Anne : ça fait une heure que je t’attends, je sais pas ce que tu glandes, mais perso, ma soirée est finie. Moi pis mon manque d’intelligence, on s’en va se coucher. Elle me rappelle cinq minutes après pour s’excuser de son retard, sa laveuse s’est mise à faire la conne et y’a plein d’eau partout dans sa salle de bains, essaye de trouver un plombier à onze heures un vendredi soir, christie Kenny, je pourrai pas aller te rejoindre, mais qu’est-ce qui se passe Sophie?! Je lui raconte le drame qui vient de se dérouler. Elle me rassure en me disant que je suis la fille la plus intelligente qu’elle connait, qu’on devrait même me décerner un doctorat honorifique, pas pour mes compétences, non, juste mon intelligence, ce que je suis, mon état d’être. Bon, peut-être, mais ça ne me console pas. Je suis blessée dans mon orgueil. Je lui dis de me rappeler le lendemain si elle réussit à reprendre le contrôle de sa laveuse.

Je rentre chez nous. Contrairement à son habitude, le chat ne vient pas m’accueillir. C’est louche. En allant pisser mes trois gin tonic, je me rends compte que la fenêtre de la salle de bains est restée ouverte. Le chat en a vraisemblablement profité pour s’évader et aller disséminer son foutre dans le sexe accueillant de quelques minettes. Y’en aura au moins un de nous deux qui sera parvenu à scorer ce soir, ostie Barry.

Ne me reste plus qu’une solution : m’inscrire sur un site de rencontre.


À SUIVRE…

13 avril 2009

Les soirs bleus

J'espère que vos célébrations de la ressuscitation du Christ furent agréables.

Aujourd'hui, c'est lundi de Pâques et je me demande pourquoi c'est encore férié. Qu'est-ce qu'on fête au juste? La re-mort de Jésus? C'est vraiment interminable cet événement de je-meurs-je-reviens-je-meurs-encore. Tout le monde meurt Gizeus, et on n'en fait pas tout un plat. Enfin, je dois juste être jalouse, parce que moi, y'a peu de chance que je résurrecte, comme on dit.

J'aimerais devenir suffisamment big pour que le jour de ma mort devienne un jour férié. Imaginez. En tout cas, pour ça, va falloir que j'écrive des maudits bons livres. De quoi capable d'accoter la Bible côté chiffres de vente.

En attendant de devenir bestseller et de voir mon oeuvre traduite en 2264 langues, j'vais me contenter des 50 visites quotidiennes sur mon blogue... C'est mieux qu'une claque dans la face et qu'une mort par crucifixion. Finalement, ce que j'essaie de vous dire là, c'est: merci de me lire. Vous, mes cinquante-que'que brebis fidèles, vous aurez le droit à un congé de boulot pour commémorer le jour de ma mort. Promis, m'a parler avec ti-Ben pour qui vous arrange ça.


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LES SOIRS BLEUS

Papa prépare le souper en silence. La voix neutre de la présentatrice du téléjournal se fraie un chemin du salon jusqu’à nous. La chaise bergère devant le téléviseur est vide. Le chien dort à mes pieds, un œil à moitié ouvert. Sa queue flagelle l’air saturé par le parfum du thym et de l’oignon. Il est malade. Papa songe à le faire euthanasier, mais ne trouve pas le courage. Il lui lance un bout de viande crue qu’il renifle sans appétit. Il jappe un coup, pour dire merci quand même. Papa est triste et dit tu as maigri ma chérie; je prends une gorgée de vin pour ne pas répondre. Trois gouttes rouges tombent et forment un cœur sur la table. Je les essuie de l’index et lèche mon doigt. Si seulement c’était toujours aussi facile de faire disparaître le sang sur nos mains.

- Papa, est-ce que ça se peut l’amour toute une vie?
- J’imagine que oui. Mais ça dépend combien de temps dure la vie.
- Sans doute…
- C’est comme pour tous ces objets qu’on essaie de nous vendre en prétextant qu’ils sont garantis à vie… Tu sais, comme le sac de voyage que je t’avais acheté, quand tu es partie étudier quelque temps à l’étranger. Tu as voulu l’échanger à ton retour parce qu’il était déjà tout troué.
- Ils m’ont répondu que la garantie était expirée, sauf que c’était une garantie à vie…
- Voilà. C’était une garantie à vie, « à vie » étant en fait la vie du sac. Et l’espérance de vie moyenne de leurs sacs était évaluée à un an. Je crois que pour les relations de couple, c’est la même chose.
- Je ne saisis pas…
- L’amour, c’est garanti à vie, mais le à vie de ton couple n’est pas ton à vie à toi. Chaque relation a sa propre espérance bien à elle. Et risque de mourir bien avant que tu le fasses.

Je ne connaissais pas cette profondeur à mon père. On ne discute pas vraiment d’habitude, ce serait plutôt ça la vérité. Peu de mots s’ajouteront à ceux qu’il vient de prononcer. La parole est une ressource épuisable, il ne faudrait pas la gaspiller. Mais parfois je me demande si en économisant les mots, on ne laisse pas de belles occasions se gâter.

Le soir est calme.

La télévision nous raconte des histoires plus réelles que la nôtre – des émissions américaines. Papa ne parle pas anglais. Il ne parle pas, voilà. Il dit : je vais me coucher, n’oublie pas d’éteindre quand tu auras terminé. Il est onze heures et je ne veux pas rester seule dans le grand salon froid, avec pour unique lumière les rayons bleutés du téléviseur. Papa grimpe l’escalier en s’accrochant à la rampe. Les marches craquent sous ses pas. Ce bruit m’a toujours réconfortée – signe d’une présence qui veille. Mais là, c’est plutôt le craquètement des vieux os qu’il me rappelle, chaque marche comme une preuve que le temps est irréversible.



L’horizon tire sur le pourpre et je ne dors pas encore. Les paroles de Papa tournent en boucle dans ma tête. Je l’ai entendu se lever en plein milieu de la nuit. Je crois qu’il était somnambule, il tenait un discours incohérent sur la nécessité d’acheter plus de détergent à lessive la prochaine fois qu’il irait faire des courses. Il n’avait peut-être pas tort après tout : plusieurs erreurs tachent nos mémoires.

10 avril 2009

Le bunker

Joyeuse commémoration de la résurrection de Jésus les amis. Pour souligner le tout, je vous offre un extrait de mon récit qui parle de la mort (mais aussi de sujets moins sérieux comme les calorifères et les stylos-billes). Ouh. Dieu que j'ai de la suite dans les idées.

Ne mangez pas trop de cocos de Pâques; sur le site de Greenpeace, on indique que les poules qui les produisent sont en voie d'extinction. Vous ne voudriez surtout pas contribuer à la disparition d'une espèce animale, n'est-ce pas?

Ah ah. Je vous ai eus: c'est un poisson de Pâques.

Bourrez-vous donc la face.


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LE BUNKER

Serviettes de table et napperons griffonnés s’amoncellent à côté du téléviseur. Je ne l’ouvre jamais. Ce que devient le monde m’échappe. J’ai épuisé l’encre des trois stylos-billes à l’effigie de l’hôtel. Ma vie s’écrit sur des feuilles volantes, on tient à si peu. Le plastique des stylos est grugé jusqu’à la moelle. Il manque un bouchon. N’est pas dans le tiroir, pas dans la poche. Ni sous les papiers chiffonnés ni derrière la commode. Il me faut ce bouchon, recouvrir la bille avant que l’encre ne sèche. Ce bouchon, maintenant. Qu’adviendra-t-il sinon.

Des fois, la conviction que c’est la fin, au creux de la poitrine.

Je cherche un mot pour résumer ma vie au cas où elle ne me dirait plus rien. Comment est-ce qu’on dit C’était beau et je recommencerais s’il le fallait, en un seul mot? Quelque chose comme bleu. Ça sonne bien, ça sonne grand. Je n’ai jamais pensé au suicide, sinon comme à une preuve de ma liberté. Parce que la possibilité existe, j’existe encore plus. Si je le décide, avant qu’il ne me tombe sur la tête, crever le ciel comme une flèche, je pourrais faire ça. Sauter reste une hypothèse, une idée en l’air, je me sens bien ici. Ce qui me rend légère, c’est de savoir que j’en aurais le pouvoir. Une vague de chaleur monte le long de ma gorge quand j’y pense. Je pourrais me tuer. Le dernier mot m’appartient. Les mots ne servent plus à grand-chose, mais le dernier compte. Dans ma chute, j’ignore ce que je crierais, s’il fallait un mot, un seul. Ils ont installé des grillages noirs dans les fenêtres de l’hôtel. Ici on ne respire que l’air climatisé ou l’air réchauffé des calorifères. Mais on ne meurt pas.

La chambre est un désordre, mes vêtements pendent sur la chaise droite. Je ne fais pas le lit, les draps en forme de chaos témoignent de ma disponibilité nouvelle. Je tire les rideaux seulement le soir pour laisser entrer la lumière des réverbères. Celle du jour goûte trop cru. Je préfère le blanc sur le noir, les mots ne servent plus à grand-chose. Je ne t’ai pas donné d’explication, je suis partie quoi. Mes raisons n’ont rien d’original, je suis partie comme tout le monde, n’ai même pas essayé d’en faire une date importante. Je suis partie au jour zéro.

Je détache mes chaussures et me dis que tout ça n’est qu’une grande boucle. On nous apprend à bien serrer nos lacets pour ne pas s’enfarger, mais c’est d’autre chose dont on essaie de nous parler. Je crois que j’ai toujours été heureuse, simplement, je l’ignorais. Au fond le bonheur n’a de sens que pour les autres. De l’intérieur, il n’est que l’absence momentanée du déséquilibre et on ne le sent pas tout de suite. On nous a appris si jeune à marcher droit.

Mes pieds sont enflés, j’ai déambulé toute la journée sans savoir où j’étais. Du danger de s’effondrer, à chaque coin de rue l’imprévisible. Ça n’a plus rien à voir avec les souliers. S’il y a une route tracée d’avance, qu’est-ce que je fais ici. Je ne crois pas au destin, je vaque pieds nus sur le tapis. Le dos appuyé sur le rebord du lit, je me réchauffe les orteils contre le calorifère, le monde peut bien courir à sa perte. Le téléviseur est fermé et c’est ici que je ne mourrai pas.

07 avril 2009

Le D.

Il y a quelques semaines, lorsque je vous avais proposé de choisir laquelle parmi les histoires débiles mentales qui m’étaient arrivées au cours de l’hiver vous aviez le plus envie de lire, quelques-uns d’entre vous aviez répondu :

D) L'histoire de la fois où j'ai cru que j'étais enceinte mais que je ne comprenais pas pourquoi parce que me semblait que je n'avais pas couché avec qui que ce soit depuis un bon p'tit bout, pis que finalement, oui, j'étais enceinte mais que je l'ai perdu.

Alors, je crois qu’il est temps aujourd’hui que j’assouvisse votre curiosité malsaine, bande de voyeurs, et que je vous raconte exactement ce qui s’est passé…

J’ai menti. Dans mon dernier message, j’ai laissé sous-entendre que je pratiquais (involontairement) l’abstinence depuis un sacré bout de temps, mais c’est plus ou moins vrai… En fait, oui, je l’ai pratiquée et la pratique toujours, mais je me suis comme qui dirait abstenue de m’abstenir une fois, au mois de décembre. À la base, c’était censé être une bonne nouvelle – Yahoo!! Je pogne encore! – mais c’est vite devenu une tragédie grecque dramatico-pathétique.

L’affaire, c’est que je ne me suis pas rendue compte que j’avais couché avec le gars. Ok, là, vous vous dites My God Beaudoin, comment est-ce qu’on peut ne pas se rendre compte qu’on est en train de coucher avec quelqu’un? Es-tu sûre que tu as suivi tes cours de formation personnelle ou tu as foxé celui où l’infirmière de l’école prenait les filles dans une classe séparée pour leur expliquer le secret des menstruations et décortiquer l’acte coïtal?! Non, je n’ai pas foxé, je sais comment on fait des bébés, je ne suis pas sotte : ils naissent dans des feuilles de chou, les mêmes feuilles de chou que les femmes se foutent sur les seins quand elles allaitent pour soulager l’engorgement de lait maternel dans leurs tétons. Bon.

Non, sérieusement, je ne m’en suis pas rendue compte parce que de 1) je l’avoue, j’étais légèrement (euphémisme) affectée par l’alcool, de 2) j’étais gravement (soyons honnête) affectée par l’alcool et de 3) le gars avait un pénis aussi long et large que mon petit doigt.

Merde.

On en était à se frencher goulûment, à échanger sans vergogne nos haleines d’alcool et nos rotes vomis, quand Philippe (c’est pas son vrai nom, le pauvre, je vais protéger son identité et sa réputation) (Non, en vérité, c’est que je ne me rappelle pas de son nom!) m’a demandé le plus sensuellement (ironie) du monde si je voulais bien lui montrer mes mamelons. Pas mes seins : mes mamelons. Je trouvais ça un peu secondaire 2 comme demande (les gars, je ne sais pas ce que le prof vous a raconté pendant le cours de FPS où on a été séparées de vous, mais les conseils de séduction qu’il vous a donnés ne semblent pas avoir été très… pertinents), mais j’ai quand même accepté. C’était limite charmant que je me suis dit. J’ai levé mon t-shirt : je ne portais pas de soutien-gorge ce soir-là. Le Philippe, ça l’a mis dans tous ses états. Le petit doigt lui a dressé dans les culottes, il ne se pouvait plus.

C’est à ce moment qu’il m’a demandé, de sa voix qui vient de finir de muer : est-ce que je peux te manger s’il te plaît? Sur un ton suppliant. Je ne suis pas habituée à ce qu’on me demande la permission. Pour moi, ça pouvait vouloir dire deux choses : soit que a) il était un peu fétichiste de la chatte, soit que b) il n’en avait jamais léchée aucune et que j’allais être son premier cobaye. D’après le rythme frénétique auquel il me passait la langue et la quantité démentielle de bave qui me jutait entre les cuisses, j’en ai déduit que a) était la bonne réponse. J’avais des dents, des langues et des doigts partout mais, oh, surprise, pas vraiment de plaisir. Alors que son index et son majeur était coincés dans mon sexe, il a relevé sa tronche, gluante jusqu’au front, et m’a regardée drette dans les yeux : Wow, tu goûtes vraiment bon. Ben oui chéri, normal, je me lave avec de la poudre de Jell-O à saveur de kiwi. Sibouare. Il s’est remis à m’aspirer le Mont de Vénus en sapant. Pire que moi quand je mange un bol de Mini Wheats.

Il est finalement remonté vers ma bouche, histoire de me faire goûter à mon Jell-O. Il avait le vent en poupe. Pour ma part, si ce n’avait pas été de tout le mucus qui était passé de sa bouche à mon vagin, j’aurais probablement été aussi sèche qu’un Mini Wheat pas de lait. Mon envie de lui, qui ne tenait qu’au fait que j’avais bu trop de Sex on the beach, m’était passée. J’ai toujours été nulle pour faire comprendre à un gars que j’étais plus ou moins intéressée par lui et c’est encore plus difficile de lui faire comprendre quand tu es déjà à moitié nue, couchée sous son torse à un poil, les deux jambes écartées. Il a continué de me zigonner le pompon avec ses mains malhabiles pendant encore quelques minutes au cours desquelles j’en ai profité pour réfléchir à mon avenir, à ce que je me claquerais comme trip bouffe quand je serais de retour chez nous et à la manière dont je réussirais à retourner chez nous, justement. Alors que je réfléchissais à un énorme club-sandwich-full-bacon-extra-mayo, j’ai senti le jeune Philippe frétiller sur ma cuisse : il avait la même face que mon chat quand je l’amène chez le vétérinaire et que celui-ci prend sa température rectale. J’en ai déduit qu’il avait joui, mais je ne savais pas où.

C’est un mois et demi plus tard, alors que mes règles tardaient toujours à venir, que j’ai compris que ce n’était pas avec ses doigts qu’il me chatouillait l’intérieur de l’abdomen, mais bien avec son pipou et que ce n’est pas dans ses draps qu’il avait déversé son sperme, mais bien dans mon réceptacle féminin. Comme l’infirmière nous l’avait bien spécifié, lors du cours les-gars-d’un-bord-avec-leur-zizi-les-filles-de-l’autre-avec-leur-bizoune, lorsqu’on est enceinte, les règles s’interrompent. J’ai donc cru bon aller m’acheter un test de grossesse à la pharmacie du coin. Juste pour vérifier. Et oui, j’étais enceinte. Le kid, avec sa salive surabondante, son pistolet miniature et sa voix de gars qui porte une calotte même pour manger et dormir avait réussi à m’engrosser, bâzouelle. La preuve que la fertilité n’a rien à voir avec la virilité.

Deux jours plus tard, j’en étais encore à me demander ce que j’allais faire de ce poupon. Convaincue qu’il naîtrait avec une moustache molle et des yeux qui louchent et que jamais mon amant (inverse d’une litote) allait accepter de prendre ses responsabilités paternelles, je me disais que l’avortement était la seule solution, même si j’avais toujours proclamé que jamais je ne me ferais avortée, que j’étais assez grande pour assumer mes actes. Mais là, je n’assumais absolument rien, tout ça c’était passé sans mon consentement. Si j’avais su qu’il était en train de m’enfourcher, j’aurais exigé que Philippe mette une capuche sur sa marionnette.

Finalement, comme je l’ai déjà mentionné, la nature a choisi à ma place : l’embryon a gentiment pris le bord de la cuvette, pendant que je faisais mon pipi matinal, celui qui sent le jaune. Là, il sentait un peu le rouge aussi. Sélection naturelle. Cet embryon n’était pas armé pour survivre, le pauvre. Une chance qu’il s’est auto-expulsé, car il aurait trouvé ça difficile de vivre dans un monde aussi cruel que le nôtre, avec un pinch mou au-dessus de la lèvre supérieure et deux pupilles dans le même trou. Il se serait fait écœurer à l’école, c’est sûr. Et à 14 ans, lors du cours de FPS, ça aurait sûrement été lui le gros niaiseux de sa classe, qui rit encore quand il entend le mot vulve.

05 avril 2009

L'herbe du voisin

Tadam. Un peu de lecture, pour agrémenter ce dimanche maussade. Dédé Fortin a dû composer Dehors novembre lors d'un début de mois d'avril semblable à celui qu'on connaît, découragé que la semaine de Pâques s'annoncent aussi grise et pluvieuse que celle de la Sainte-Catherine. Parlant d'elle, après combien de temps de célibat et d'abstinence est-ce qu'on considère qu'on est devenue une vieille fille? En tout cas, je dois m'approcher du seuil critique.

M'a aller vérifier au Jean Coutu, s'il leur resterait pas du vieux stock de kiss à la mélasse à écouler...



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L’HERBE DU VOISIN

Y a-t-il une manière plus convenable qu’une autre de vivre sa vie? Quand j’observe Caroline et Marco, je me dis qu’eux ont trouvé comment. Ils ont l’air de tellement bien se débrouiller avec le bonheur. Peut-être est-ce seulement l’effet de se retrouver ici, en vacances, sans autre souci que de ne pas oublier d’acheter un souvenir à chacun de leurs amis, à leurs parents et au voisin qui prend soin du chat pendant leur absence. Que lorsqu’ils seront de retour chez eux, à se demander ce qu’ils pourraient bien manger pour souper, à hésiter entre deux marques de savon à lessive, à ne pas trop savoir s’ils devraient ou non épandre de l’engrais sur leur pelouse pour qu’elle soit plus verte, peut-être qu’à ce moment, leur bonheur et le mien se ressembleront : instables.

Je suis rentrée de ma longue promenade quotidienne et ils étaient assis dans les divans en faux cuir du hall de l’hôtel. Marco plongé dans la lecture d’un guide de voyage, Caroline faisant des mots croisés. La commis à la réception m’a dit qu’un homme avait laissé un message durant l’après-midi. Elle est nouvelle, je ne l’ai jamais vue auparavant. C’était à tout coup une erreur alors j’ai fourré le papier qu’elle m’a tendu dans la poche de mon manteau sans le lire. Je m’appelle Sarah qu’elle a dit, si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit. Elle a des yeux très tristes, Sarah. Probablement qu’elle n’est toujours pas parvenue à décider ce qu’elle mangerait comme repas ce soir. Derrière moi, Marco a demandé à Caroline – Demain c’est notre dernière journée, qu’as-tu envie de faire mon amour?

C’est ta voix que j’ai entendue, sortir de ses lèvres à lui. Et j’ai eu l’impression un instant que demain serait vraiment la dernière journée. Que j’allais mourir et qu’il me faudrait bien faire quelque chose de spécial avant.

Je suis montée à la chambre. Elle se trouvait dans l’état dans lequel je l’avais laissée. J’ai ouvert les rideaux. Rien n’avait bougé, sauf les lampadaires à l’extérieur, ils étaient allumés. Il n’y a jamais que la lumière qui change. Dans la salle de bains, couchée sur la céramique froide, je me suis masturbée en ne pensant à absolument rien, qu’à mes doigts sur mon sexe, peut-être un peu à ce que ce sera demain, la vie, quand je serai morte.

Puis j’ai soudainement eu envie d’un steak saignant.

03 avril 2009

Problème de conjugaison

Hier. Le soleil chauffe la couenne des fainéants qui ont pris l’après-midi off pour aller siroter un allongé sur une terrasse. Des hommes d’affaires à la cravate déloussée qui sont sur leur heure de dîner depuis trois heures, des femmes enceintes jusqu’au menton qui prennent des petites gorgées de thé vert en priant pour que toute cette lumière leur fasse poper le bedon – ça commence à faire lourd à traîner –, des grands-mères qui tricotent des foulards – pour l’an prochain, faut être prévoyants – en buvant un pastisse, des universitaires en grève qui chialent contre le recteur, la ministre de l’Éducation, les banquiers, etc., etc., tous-ceux-qui-ne-la-portent-pas-à-gauche, et concluent que la meilleure manière de témoigner de leur mécontentement est de caler un pichet de blonde à deux heures de l’après-midi. On est rebelle ou on l’est pas. Pendant ce temps-là, des ados précoces font leur tough en t-shirt pis en bermuda, yo moi j’ai chaud, c’est avril pis je me découvre d’un fil, la mère a pas rapport.

Mon bol de café au lait fini, j’empoigne sac, livre, clic et clac et je grimpe dans l’autobus. Le chauffeur ne dit pas bonjour, je lui souris de toutes mes dents, pour le faire chier. Partout autour, ça placote température. Des voisins de siège, purs inconnus, ont l’impression d’être des héros qui combattent l’individualisme des temps modernes parce qu’ils se lancent des Non mais y fait-tu beau yien’qu’un peu et des Ben oui caline, j’te dis qu’y’était temps, pu capable de l’hiver. La satisfaction d’établir un véritable contact et de participer activement à l’humanité. J’ai envie de leur dire qu’on s’en fout du ciel bleu, qu’au Liban, qu’en Afghanistan, qu’en Irak, qu’au Darfour, le ciel est bleu trois cents jours par année pis que les gens crèvent pareil. Si vous voulez jaser, jasez, mais parler pour dire quelque chose, bordel; faites des Paul Arcand de vous-mêmes et posez-vous les vraies questions. Y vas-tu pleuvoir demain ne fait pas partie de la liste. Mais je ferme ma grande gueule, me contente d’écouter et de sourire faussement. Pour faire chier. Je suis celui qui frappe dans la vie, à grand coup d’amour, chante le bon vieux Gerry dans le radio portatif du chauffeur. Une p’tite boîte noire qui fonctionne grâce à deux piles AA et qui fait que la journée paraît moins longue.

Ding, une grosse dame sonne, se lève, ajoute Je débarque au prochain arrêt, pour être sûre qu’on ait compris. Tout en se tenant au poteau comme une stripteaseuse qui fait de l’arthrite, elle lance à l’autre dame qui était assise à côté d’elle En tout cas, aujourd’hui, c’est beau. C’est vraiment beau. L’autre mémère opine du chef, désintéressée. Et la fatigante repart – Aujourd’hui c’est beau. Ouf que c’est beau. Mais demain y mouille. Y disent que demain y mouille. La mamie qui est restée assise regarde par la fenêtre, ne répond pas. Elle est peut-être sourde. Ou juste moins insipide que tous ces vieillards qui n’ont pour seul passe-temps depuis qu’ils sont à la retraite que de faire la météo. La grosse insiste, parle de plus en plus fort. Demain y mouille. Silence dans le bus. Maintenant, elle gueule carrément – Demain y mouille. Enfin, on arrive à l’arrêt. Elle lâche un gros soupir et débarque en passant proche de foutre le camp, face première sur le trottoir bourré de garnote. Peut-être que si elle avait su conjuguer ses putains de temps de verbe, quelqu’un aurait pris la peine de lui répondre. Demain, il va mouiller ou il mouillera, madame, c’est ça qui faut dire. Aujourd’hui égale présent, demain égale futur. M-o-u-i-l-l-e-r-a.

Je me pousse vers le fond de l’autobus. Y’a un siège de libre à côté d’un gamin. Il doit avoir 4 ans. Je lui souris, mais cette fois, c’est pas pour faire chier, c’est pour vrai.

- Je peux m’asseoir à côté de toi?
- (Hochement de tête, sourire)
- Où est-ce que tu t’en vas comme ça?
- À la bibliothèque. (Extension du sourire)
- Oh! Tu vas emprunter des livres?
- Non! (Pouffement. Franchement Madame, t’es conne, j’suis ben trop jeune pour lire!)
- Tu vas faire quoi alors? Écouter une histoire?
- Oui!
- T’aimes ça te faire raconter des histoires?
- Moi je suis pas un petit gars, je suis une fille.

Je souris pu. Cassée. Je suis cassée. J’avoue qu’avec sa tuque qui lui recouvre les sourcils, sa suit d’hiver rouge et bleu trop grande, ses bottes vertes, ses petits pantalons brun en corduroy et sa voix qui n’a évidemment pas encore mué, je l’avais un peu pris pour un petit gars. Mais rien dans tout ce que j’ai pu dire n’avait pu trahir le fait que je croyais que c’était un garçon. Donc, soit que simplement à la façon dont je la regardais, la petite fille a vu que je me méprenais quant à son identité sexuelle, soit qu’elle est habituée qu’on fasse erreur à ce sujet et qu’elle a voulu m’avertir tout de suite. Pour que ça soit clair entre nous. Je sais pu quoi dire. Je me sens mal.


J’ai voulu faire la conversation à un flo, lui parler d’autre chose que des quinze degrés celcius ambiant et du fait qu’il n’y avait aucun nuage à l’horizon, et je me suis plantée. Cette fois, c’est moi qui aie fait une malencontreuse erreur de conjugaison. Petit gars égale pas de «e» à la fin du mot, petite fille égale un «e». Aujourd’hui égale présent, demain égale futur. Je devrais réviser mon Bescherelle.