28 novembre 2008

Soap blog

Des fois, je me dis que tout ce qui manque dans ma vie pour qu’elle soit un film, c’est un narrateur. Une belle grosse voix virile qui commenterait toutes mes allers et venues, tous mes déboires et mes étonnements, mes coups de cœur et mes coups sur la gueule. Voilà tout ce que ça me prendrait pour que mon existence soit digne d’être projetée sur grand écran. Parce que le reste, le scénario bien fignolé, les rebondissements inattendus, les rencontres improbables, les aventures arrangées avec le gars des vues, je les ai. J’enregistre même des surplus, certaines années.

Matthieu. Mon ex-ex. Celui qui a décidé de réapparaître soudainement dans ma vie, par une froide nuit de novembre; celui qui a cru bon me faire une belle surprise en venant squatter mes escaliers; celui-là, oui, eh bien, il se méritera probablement l’Oscar de la meilleure interprétation masculine dans le film de ma vie cette année. Et ça, c’est en plus du Golden Globes qu’il aura préalablement raflé dans la catégorie rôle de soutien. Du soutien, c’est justement ce dont il aurait besoin, ce fou. Matthieu confirme la règle à laquelle je n’ai encore trouvé aucune exception : je n’ai eu pour copains que des névrosés.

Flasback.



***




Travelling avant, zoom sur Sophie qui affiche un air éberlué. Il est 19h00 passé. Matthieu vient de revenir. Il avait quitté l’appartement tôt le matin sans laisser de note. Sophie ne savait toujours pas pourquoi il était venu trouver refuge chez elle.


-T’étais passé où?
-J’avais des trucs à régler.
-Ouais, je me doute ben que si tu t’es retrouvé chez nous, c’est parce que tu as beaucoup de choses à régler et que je suis ta dernière personne ressource. Probablement parce que tu dois de l’argent à toutes les autres!
-Parlant d’argent…
-Viens pas me dire que t’as besoin que je t’en prête?!
-Juste 500$, et je te le remets d’ici un mois, promis!
-Comment JUSTE 500$! Cibouare Matth, j’suis étudiante moi, au cas où tu le savais pas! Je vis moi-même sur des prêts, comment tu veux que j’te fournisse 500$, de même?!
-Non mais, c’est beau, si tu veux pas m’aider, j’vais trouver un autre moyen!
-Hey, ça suffit le chantage là! Si je voulais pas t’aider, j’t’aurais pas accueilli chez nous sans poser de question. J’me trouve déjà pas mal généreuse de t’offrir le bed and breakfast mon gars. À qui tu dois de l’argent?
-…
-Peut-être que je serais mieux d’inverser ma question : à qui est-ce que tu n’en dois pas, ça va être moins long d’établir la liste!
-Ben voyons, c’est pas si pire que ça là!

Connaissant Matthieu, « pas si pire que ça », ça doit vouloir dire qu’il s’était endetté auprès d’au moins dix ou douze débiteurs différents. Rien de moins. Matthieu est un optimiste, il voit toujours le verre à moitié plein; il se dit qu’au moins, ce n’est pas vingt personnes qui lui courent après. Le verre. Il me donne envie d’en vider un, d’un coup : virgin vodka derrière la cravate, histoire de me détendre l’œsophage un peu. Ce gars me donne la nausée.

-Juste 200$ d’abord?! Peux-tu me prêter juste 200$?! C’est ce que je dois à Tiger, pis lui, ça presse son affaire. Il m’a dit qu’il allait passer en fin de soirée pour récupérer son dû.
-Passer en fin de soirée?! Où ça exactement, « passer »?!
-Ben, ici.
-QUOI?! Tu lui as donné mon adresse, à ce sale dealer?! No way!
-Ben voyons, y’est pas dangereux!
-Non, pas dangereux, pas dangereux du tout… ! Laisse-moi juste te rappeler qu’il t’a déjà envoyé à l’hôpital à coups d’uppercuts et de jabs! Monsieur était fâché parce que tu faisais supposément de l’œil à sa meuf!
-C’est de l’histoire ancienne ça, sois pas si rancunière!
-Toi aussi, t’es de l’histoire ancienne Matthieu, je tiens à te le rappeler. C’est pas pour rien que je t’ai crissé en dehors de ma vie et là, toi, tu t’y es invité de nouveau sans trop me demander la permission, alors laisse-moi imposer mes limites maintenant. Tiger viendra pas icitte ce soir. Tu vas le rappeler pour lui dire que tu vas aller le rencontrer dans un bar de danseuses, je sais pas moi, quelque chose qui fait mafia un peu, vous vous la jouerez sérieux, mais il ne mettra pas ses grosses pattes sales de félin affamé chez nous certain.
-C’est beau, j’ai compris. Estie que t’as pas changé toé, t’es aussi stock up qu’avant!

Stock up! Elle est bonne celle-là! À peine était-il rentré que Matthieu a de nouveau déguerpi, en ne prenant même pas soin de nouer ses lacets. J’ai secrètement souhaité qu’il s’enfarge dans l’un de ces fils pendouillants et qu’il se plante dans les escaliers. Qu’il se la pète la gueule, solide. Qu’il fasse une commotion cérébrale et que ça lui remette les idées en place un peu. Que sa tête aille se percuter contre un mur et que ça lui fasse voir un peu de lumière. Qu’il arrête de réfléchir comme un gamin de quinze ans et puis qu’il arrête de fuir, merde. Au moins, si tu fuis mec, avant de prendre tes jambes à ton cou, attache-les comme il faut tes bottes.

À onze heures, Matthieu n’était toujours pas revenu de sa randonnée de plaisance. J’étais un peu inquiète, mais je n’avais pas envie de me faire du mauvais sang de mère pour lui. J’ai projeté mon angoisse sur un gros sac de pop corn bien salé, bien beurré, que j’ai engouffré en regardant des épisodes de Heroes.

Au moment où Claire Bennet était en train d’essayer de se ramancher l’épaule droite, après avoir survécu à une chute de plus de dix étages, on a sonné à ma porte. J’ai cru l’espace d’un instant que c’était Sylar qui était venu pour me trancher le cerveau en rondelles et s’approprier mon super pouvoir – celui de me mettre constamment les pieds dans les plats –, puis je me suis dit que Sylar ne devait pas se donner la peine de sonner avant de pénétrer chez ses victimes. Et je me suis dit que Matthieu non plus ne prendrait pas la peine de sonner avant de ne pas s’excuser et de pénétrer dans mon appartement comme s’il s’agissait de ses appartements. Je suis allée ouvrir, inquiète, un bout de pop corn de pris entre deux molaires et du beurre plein les doigts.

C’était Tiger.

Si j’avais un narrateur dans ma vie, c’est à ce moment là qu’il aurait dit : « Rien ne va plus pour notre héroïne. Malheureusement, c’est l’heure de la pause publicitaire. Restez parmi nous pour savoir ce qui arrivera à notre chère Sophie. De retour dans un instant… »


Fondu sur fond blanc. Coupez!

23 novembre 2008

Pour Yan et Antoine

Et à ceux qui n'aiment pas la poésie et/ou MA poésie, eh bien, vous reviendrez dans deux ou trois jours, je vous les raconterai, mes histoires. Mais aujourd'hui c'est dimanche, et le dimanche, moi j'ai besoin de mots un peu plus endimanchés, voilà.


***


Moment de ce qu’on appelle le bonheur mais pour lequel je cherche toujours un nom –comme un feu qui prend au ventre et remonte jusqu’à la tête, jusqu’à lui faire croire que dehors est la lumière alors que non, aujourd’hui n’est que – pluie, livres éparpillés, couette froissée, bas de laine trop grands, bol de café fumant, appartement mal chauffé, octobre qui tombe – justement – aujourd’hui n’est que tout cela et enfin, je crois que je saurai m’en contenter, peu importe comment il se nomme – bonheur? Peut-être.


***


les toits d’église des paroisses vides des jeunes appuyés aux graffitis des cigarettes aux becs le cœur au bord des lèvres le mal de vivre qu’ils voudraient voir disparaître avec le train de marchandises sur les rails où ils vont négocier leur vie tous les samedis voir ce qu’on serait prêt à leur donner pour

les fils électriques entrecroisés sur les ciels gris d’été qui tardent des chaleurs retenues les jupes en jeans au-dessus des genoux qui portent les ecchymoses d’une randonnée à vélo sur les chemins de terre interdits raison de plus pour y aller si ce n’est la seule – défendu de passage – et c’est souvent derrière cette clôture juste là que –

la vie


***

dire au revoir c’est le seul geste qu’il me reste tu vois cette main pâle sur un ciel couleur sable cette main qui murmure va t’en sur le même ton que celle qui aurait exigé fais-moi l’amour maintenant


***



le souffle et si nous le reprenions quand bon nous semble si la liberté était là dans l’absence de points et de césures que l’espace pour respirer c’était à nous de le créer – peut-être que sous nos pieds la terre paraîtrait enfin plus légère

***


Rien n’est certain, tu sais, même ces nuages que tu crois pouvoir toucher, des fils de coton fraîchement cueillis au champ qui s’effilochent comme des fromages trop salés, ces nuages que tu crois pouvoir goutter, tu auras beau tendre la langue tu attendras longtemps avant de sentir sur elle le froid acidulé des gouttelettes, rien n’est certain, tu sais, il ne faut pas croire tout ce que les dames chiquement habillées bafouillent au journal télévisé – si elles disaient vrai, à tout coup, elles porteraient de grands chapeaux, toujours, pour se protéger des malheurs qu’elles envisagent – les désastres ne sont pas à prévoir


***


tout attend sans qu’il n’y ait de raison, tu sais, pour certains de savoir qu’il y a une fin cela suffit et ils se laissent porter par le vent la lumière qui passe du gris au jaune le matin qui devient soir le vent encore le vent le vent emporte et les nuages restent là toujours, suspendus, tout attend, tout n’est jamais sûr de vraiment vouloir tomber



***


à l’arbre les feuilles accrochées sont encore vertes comme lors de ton départ en août rien du temps n’a changé quoi que ce soit à l’intensité des couleurs, ce vert qui n’a pourtant rien à voir avec l’espoir – je sais que tu ne reviendras pas – mais j’ignore quand enfin l’arbre, lui, se décidera à te laisser partir, chacune de ses feuilles – une image de toi que le froid n’arrive pas à brûler


***


parmi les feuilles d’octobre occupées à se décomposer sur les trottoirs qui n’avaient pourtant pas besoin de morts supplémentaires pour entretenir leur grisaille – déjà tous ces passants désabusés qui les piétinent chaque jour au rythme d’un requiem – tombé d’un arbre ou des mains d’un ivrogne, du verre brisé qui reluit au soleil comme une invitation à tout ouvrir – les fenêtres pour les plus optimistes, les veines pour ceux qui n’attendaient que ce signe pour procéder à la disparition

19 novembre 2008

The soundtrack of our life – Part Two

Lundi, 15h05, station Pie-IX. Un mec avec ses cheveux longs, ses bottes de cuir, son t-shirt blanc TXT acheté à 9,99$ en vente chez Simons et sa guitare. Il sort la bête de son étui, le pic entre les dents. Sa copine aux cheveux blond platine et à la repousse brun terne est de l’autre côté de la rame de métro. Elle espère que le wagon prendra son temps avant de venir la chercher et de l’emmener loin de son homme. Elle le regarde avec tendresse, le toupet en travers des yeux, nageant dans son coton ouaté trop grand – elle l’a piqué dans la commode de son bel amant, avant de partir, fourré dans le sac à dos, incognito. Elle lui envoie des becs soufflés comme une fillette de cinq ans. Il lui répond en entamant un air plus ou moins connu sur son instrument. Malheureusement, la mélodie ne se rend pas jusqu’à elle, elle ne l’entend pas, le train arrive, dans son grondement sourd qui fait qu’on devient sourd nous aussi. Elle s’engouffre dans le wagon, va poser sa main sur la vitre sale de graffitis et de crachats et forme les mots « je t’aime » avec ses lèvres silencieuses. De l’autre côté arrive notre train, celui dans lequel l’homme au look de rocker déchu et moi-même allons nous enfourner. C’est là que je l’ai reconnu.

C’était François, un des participants de la première cuvée de Star Académie.

Voilà où ils mènent, les disques d’or, les galas du dimanche soir, les front page du magazine La semaine, les soupers spaghettis organisés pour amasser des fonds pour acheter des votes et faire gagner « démocratiquement » son préféré; voilà donc où ils vont tous finir par les jouer, leurs hits à cinquante sous, paroles signées Stéphane Laporte : entre une poubelle qui déborde et un banc où ronfle un itinérant aussi chaud que ses huit chandails de laine empilés.

Lundi, 15h08. Pendant trois minutes, la soundtrack de ma vie a été assurée par un gars à qui on avait promis la gloire et le champagne et qui maintenant n’a de succès qu’auprès de ceux qui n’ont pas assez d’argent pour s’acheter une voiture : des mémés encombrées de sacs d’épicerie, des étudiants cernés et fauchés, des junkies déboussolés et des fonctionnaires sous-payés qui écoutent Star Académie pour oublier à quel point leur vie les emmerde.




***




Et pour ceux que ça intéresse, je vous reviendrai dans quelques jours avec la suite de cette histoire de l’ex qui débarque chez moi sans crier gare… Laissez-moi juste le temps de digérer.

16 novembre 2008

Les fins de soirée sont des débuts d’histoires compliquées

J’ai quitté la rencontre de blogueurs d’hier un peu en trombe. Des fois je suis comme ça : sauvage. J’oublie de dire au revoir et je pars, hop! un coup de vent, boum! comme si je venais de me rendre compte que j’avais oublié de quoi sur le rond de la cuisinière.

Après vous avoir laissés comme une pas de classe, je suis allée rejoindre des copains dans un bar du Mile End appartenant à l’ami d’un ami et qui célébrait ses quatre ans d’existence (pas l’ami, le bar, vous l’aurez compris). Il y avait du beau monde, de l’alcool, un buffet, des DJ, de l’alcool, des gens drôlement accoutrés, de l’alcool, un anglo qui me dévisageait la poitrine, de l’alcool, une file pour aller aux toilettes, de l’alcool, une envie de vomir, mais une file pour aller aux toilettes, une tentative de me retenir pour ne pas me vider les tripes, deux trois grandes inspirations, pu d’alcool, ça ne passait pu, des conversations interminables, la soirée qui s’étirait, un taxi pour rentrer. Je suis arrivée chez moi à quatre heures et quart. En ne rêvant que de mon lit. Mais mon fantasme de sommeil n’allait pas se réaliser aussi facilement que je le croyais.

Sur les marches menant à mon appartement, il y avait un homme, assis parmi deux ou trois sacs de voyage. Il devait être là depuis un bon moment déjà puisqu’il roupillait innocemment. Eh merde, que j’me suis dit, comment j’fais pour rentrer chez moi maintenant : j’enjambe le vagabond? Quatre heures et quart du mat, je n’ai plus de force, je ne saurai pas me défendre si le bonhomme se montre violent et décide de m’attaquer. Mais je n’ai pas le choix, il faut que je le réveille pour lui demander gentiment de me laisser passer. Peut-être que je devrais appeler la police? Mais je n’ai pas de cellulaire et je ne peux pas aller téléphoner à partir de chez moi, pour les raisons qu’on connaît. Ah et puis merde, je ne tiens plus debout, je vais la risquer ma vie, si c’est ce que ça prend pour enfin avoir accès à mon lit. « Scusez moi monsieur. Monsieur! Youhou! ME-SCIE-EUX! J’aimerais ça pouvoir monter chez moi s’il vous plaît. Vous pouvez ben passer la nuit là si vous voulez, mais moi aussi j’ai une nuit à vivre et j’aimerais ça la vivre bientôt. » Le me-scie-eux a finalement relevé la tête, l’air ahuri. Mais pas autant que moi.

C’était mon ex. Ben mon ex-ex.

-Matthieu?!?!!!!!
-Salut Sophie.
-Veux-tu ben m’dire ce que tu fous là!
-Ben j’t’attendais. Y’est quelle heure là?!
-Que…quatre heures, passé quatre heures… Tu… tu m’attendais pour qu’est-ce c’est faire!?
-Est-ce que je peux dormir chez vous ce soir?
-Ben c’est déjà pas mal ça que tu faisais je trouve!
-Ouain, ben, ailleurs que dans tes marches, genre?
-Je comprends vraiment pas ce que tu viens faire icitte, j’suis désolée. Ça fait six ans que j’ai pas eu de tes nouvelles!
-Je sais, je sais. Je vais tout t’expliquer. Mais demain matin, ok?!
-Ok. Mais pense pas que tu vas coucher dans mon lit.
-Nenon. J’ai mon sleeping, tu seras même pas obligée de sortir des draps pour moi.
-Ton sleeping? As-tu amené ta commode aussi?! Pis ta tévé pis ta bibliothèque? T’es pas en train d’essayer subtilement de venir squatter chez nous pour un temps indéterminablement long là?!
-Je vais tout t’expliquer. Mais demain matin, ok?


Demain matin. C’était ce matin ça. Je me suis réveillée à une heure et demie de l’après-midi. Le matin était fini. Et Matthieu parti. Sans ses affaires. Donc il va revenir. Et je vais finir par comprendre ce qui se passe, j’imagine.


Ça sent l’histoire compliquée. Une histoire typique à la Sophie Beaudoin.

15 novembre 2008

The soundtrack of our life

Adolescente, j’ai développé une sorte de théorie bidon sur le temps qui passe. Je m’étais dit que ce serait bien si, au lieu de le calculer en secondes et en minutes, on le calculait en chansons. Ça donnerait des trucs du genre : « Ouais, ça m’a pris deux tounes et demie me rendre, ça se fait bien à pieds quand même. » ou encore « Désolée pour mon retard, j’ai été prise deux CD de temps dans le trafic. Obligée de me taper le dernier de Dany Bédard en boucle, c’est tout ce qu’il y a avait dans le char de ma mère. »

Il me semblait que d’ainsi compter la vie en musique nous permettrait de nous réconcilier avec cette chose étrange qu’est le temps, qui file, file, file, sans que jamais on puisse le toucher ni même comprendre de quoi il est fait. D’accords. De do et de ré. De clés de fa et de septièmes diminués. D’intervalles et de demi-tons. Voilà de quoi serait fait le temps, de tout ce qui ne se voit pas, mais qui s’entend et laisse une trace sur le cœur. Si le temps, si la vie, avançaient au rythme de ces mélodies que crachent nos radios et nos aimepétrois.

Et jamais on ne se sentirait seul. Le temps lui-même nous tiendrait compagnie. Le temps nous siffloterait des ballades pour nous endormir, le temps nous murmurerait des blues langoureux à l’oreille pour nous émoustiller, le temps nous consolerait avec des requiem et des symphonies, le temps serait simplement beau, ni trop long ni trop fulgurant, le temps serait juste ce qu’il faut.

***

Hier soir, j’attendais un ami, métro Mont-Royal. Il y avait cet homme, vieille barbe grisonnante, manteau d’automne défraîchi, casquette de joueur de croquet aux rebords grignotés. Il jouait du violon. À vous en fendre l’âme. Le mec, dans son jeune temps, il a fait le conservatoire ou un truc dans le genre, c’est sûr. On ignore ce qui s’est passé depuis, pourquoi il s’est retrouvé à la rue, avec pour seul bien de valeur ce violon – bois, cordes, archet.

On s’imagine qu’il a dû sombrer dans l’alcool, qu’il a trop fréquenté les tavernes miteuses d’Hochelaga, et que sa femme, une chanteuse d’opéra qu’il avait rencontrée au conservatoire, justement, était déçue de voir que son homme, son amour, son artiste, comme elle l’appelait, noyait son talent dans les fonds de baril de bière. Elle a fini par le mettre à la porte. Et il n’a pas survécu à cette rupture, douloureuse séparation de laquelle il se ne remettrait jamais, non. Madeleine, sa douce, sa femme, sa passion, sa diva, comme il l’appelait, sans elle, il n’était rien. Qu’un clochard de plus sur les bancs du parc Émilie-Gamelin.
Des années d’errance et de désespoir éthylique au cours desquelles il a traîné partout avec lui son violon, sans par contre oser lui toucher, parce que ça lui rappelait trop de souvenirs. Et puis soudain, après huit, dix, sept, douze, il ne sait plus combien d’années – les hivers sont toujours les mêmes, difficile de savoir au combientième on est rendu – il a eu un instant de lucidité et s’est dit que ça suffisait, qu’il fallait qu’il se reprenne en mains, qu’à cinquante-quatre ans, il était temps que sa vie recommence.

Alors il s’est remis au violon. Partout. Sous les arbres, dans les ruelles, à côté des containers, dans les bouches de métro, dans les marches de l’Oratoire, à l’entrée des théâtres, à la sortie des supermarchés – il jouait du violon, de nouveau. Oui, ç’aurait pu être cela son histoire. Celle qui explique pourquoi les notes qui émanaient de son instrument étaient si tristes, si intenses, si vraies.

L’homme au passé trouble, à l’accoutrement dépareillé et au violon prodigieux interprétait sans effort un concerto sublime. Et moi j’attendais. Parmi une foule de gens qui attendaient, eux aussi. Au fond, on passe sa vie à attendre. Accompagné d’autres gens qui attendent et à qui on n’adresse jamais la parole. On attend en silence. Il n’y a que les échos de quelques violons pour venir fracasser cette solitude inconfortable.

À côté de moi, un couple d’adolescents. Dix-huit, dix-neuf ans. Ensemble depuis six mois (aussi bien dire une vie entière, à cet âge), mais ensemble pour plus très longtemps. La jeune fille pleure, et pleure, et pleure. Or, comme si elle avait peur de déranger notre silence, à nous, gens qui attendons sans dire un mot, elle pleurait sans bruit. Aucun son, aucun cri, que de grosses larmes bien rondes qui déboulaient sur sa joue comme des pans entiers de montagne qui s’effondreraient, se jetteraient à la mer. Il y avait une flaque d’eau à ses pieds – peut-être parce qu’il avait plu, mais sûrement parce qu’elle avait trop pleuré. La pauvre. Elle était en train de se faire laisser sur un air de Schumann. Un air interminable de Schumann. Le concerto n’en finissait plus de s’étirer, de se prolonger, de finir pour mieux recommencer, de se plaindre, de souligner la douleur de cette pauvre, pauvre fille.

Son copain – ou ex-copain, devrais-je dire –, après mille accolades et des promesses de garder contact, l’a laissée là, seule comme une femme qui vient de se faire larguer. Il s’est engouffré dans le métro, n’a pas regardé derrière lui, alors que c’est tout ce qu’elle souhaitait, qu’il se retourne, qu’il revienne sur sa décision, qu’il regrette déjà. Mais non, le regret n’appartenait qu’à elle. Le regret de ne pas être sortie à une autre station. À une station où les violoneux itinérants jouaient des airs plus gais. Des airs qui vous donnent envie de vous aimer pour toujours, non pas de vous quitter. Changer la trame sonore de ce mauvais film. S’il vous plaît.

Finalement, même si le temps se calculait en chansons, nous ne serions pas à l’abri des grandes douleurs.

Je suis allée voir la fille. Je lui ai donné un mouchoir, sans rien dire. Et j’ai à mon tour laissé la bouche de métro m’engloutir, puisque ça faisait trente minutes que j’attendais mon ami et qu’il ne s’est jamais pointé.

09 novembre 2008

Le coup

Vendredi soir, j’ai pris mon courage à deux mains-fraîchement-manucurées (y’a des gens qui se rongent les ongles quand ils sont stressés, moi, je me fais des manucures, j’trouve ça plus constructif) et j’ai appelé mon beau chirurgien. Ça a l’air de s’être déroulé simplement dit vite de même, mais évidemment que je n’ai pas été capable de faire ça simple, il a fallu que je complique un peu tout. Je ne pouvais pas juste décrocher le combiné, composer le numéro et dire Oui, bonsoir, c’est Sophie, vous vous rappelez de moi? Oh que non.

Première tentative. J’avais les mains qui shakaient. Je n’arrivais pas à composer le numéro, mes doigts étaient beaucoup trop tremblotants. Fallait que je me calme. J’me suis enfilé un gin tonic. Deux en fait. En cinq minutes. Ça allait mieux.

Deuxième tentative. Je ne tremblais plus. J’étais molle à souhait. Mon cerveau aussi. Je n’arrivais pas à trouver une manière adéquate d’entamer la conversation – Oui, salut, c’est… Non. Pas salut, ça fait trop ti-cul. Faut que j’ai l’air un peu femme… Oui, bonsoir. Je… Hmm. On dirait que je suis une sondeuse et que je m’apprête à lui poser des questions sur ses habitudes sexuelles en période de campagne électorale. Ça prend quelque chose de sérieux mais de relax. Allo, tu… je veux dire vous… Est-ce que je peux te tutoyer? C’est qui? Ah! Scuse! C’est Sophie, la… Bordel, j’y arriverai jamais. J’ai niaisé tellement longtemps comme ça, avec le combiné collé sur l’oreille sans composer le numéro qu’il n’y avait même plus de tonalité au bout du fil. Et j’avais l’oreille engourdie.

Troisième tentative. Au moment où j’allais reprendre le combiné pour me lancer une bonne fois pour toute, la sonnerie a retenti. Une chance que mon cœur était trop occupé à se morfondre au sujet de son béguin pour le beau docteur, autrement, je crois qu’il se serait tapé une crise cardiaque. Oui, allo? « Bonsoir. Mon nom est Mohamed. Pourrais-je parlé à la maîtresse de la maison ou à la personne qui est en charge des… » Désolée monsieur, je ne peux pas répondre à vos questions sur mes habitudes sexuelles en période de campagne électorale, je n’ai pas de vie sexuelle en ce moment et j’essaie justement d’en avoir une en tentant plus ou moins fructueusement d’appeler un jeune adonis qui me plaît beaucoup, vous voyez, alors je vais devoir raccrocher très rapidement afin de l’appeler pour lui demander s’il n’aurait pas envie de me faire l’amour par hasard ce soir. Alors au revoir.

Quatrième tentative. Celle-là, faut que ça soit la bonne. Parce que ma volonté et ma détermination sont en chute libre et j’suis pas sûre que dans cinq minutes j’aurai encore le guts de sévir. Alors ça y’est. Je prends un grand respir. J’appuie sur les touches, une à une, délicatement, presque avec tendresse, avec, en tout cas, tout ce dont je suis capable de concentration. Je ne dois pas faire d’erreur. « Pharmacie Morin, le labo, bonsoir. » Oh, désolée, je me suis trompé de numéro! « Pas de problème. Bonne soirée. » Eh merde. Pourtant, me semble que j’ai peser sur les bons pitons?! 514-254-75**. Ben oui, c’est ça.

Cinquième tentative. Bon, ça suffit. Téléphoner à un garçon, c’est pas censé être si angoissant merde! Qu’est-ce qui va arriver au pire? Rien! Il est intéressé, tu le sais déjà, c’est lui qui t’a laissé son numéro sans que tu lui demandes, me semble que c’est un signe assez clair ça! Alors t’arrête de faire ta mauviette et tu le composes ce numéro. Cinq. Un. Quatre. Deux. Cinq. Quatre. Sept. Cinq. Un. Trois. « Pharmacie Morin, le labo, bonsoir. » Euh. Oui. C’est encore moi. Je viens juste d’appeler, y’a trente secondes, et j’ai dit que je m’étais trompé de numéro, mais là, je pense que c’est vous qui vous trompez! « Ah oui? Et pourquoi est-ce que je me tromperais?! » Ben c’est pas vous qui êtes censé me répondre! Moi je veux parler au Docteur Dinkelmann! « C’est pas une clinique ici, c’est une pharmacie. » Je vois ben ça, mais c’est pas dans une clinique non plus que je suis censée appeler, c’est chez le Docteur Dinkelmann, dans sa maison, vous comprenez? « Non, je suis désolé mais je ne vous suis pas. Voulez-vous parler au pharmacien de service? » Non merci. À moins qu’il puisse me fournir des calmants sans ordonnance.

Pauvre conne. Je suis une pauvre conne. Je pensais que mon beau chirurgien m’avait laissé son numéro. Ce que je peux être cruche. Il avait juste noté le numéro d’une pharmacie au verso d’un papier d’ordonnance et il a utilisé le même papier pour écrire ma prescription.

On repassera pour la romance.

05 novembre 2008

On joue au docteur?

Ce matin, je suis allée à l'hôpital. Je devais subir une chirurgie mineure - une sorte de nodule, de kyste ou je ne sais trop qui encombre ma plantureuse poitrine depuis quelques mois et que je désirais me faire enlever.

Comme à peu près tout le monde, je n'aime pas les hôpitaux. Ça me stresse de mettre les pieds là, même quand c'est pour rendre visite à quelqu'un. Je me sens automatiquement malade, dès que je passe la porte d'entrée de ces usines à microbes. L'air goutte l'alcool à friction 70%, la couleur des murs - Jaune vomi, SICO numéro 14657 et Vert-de-gris tirant sur le kaki-gastro, BÉTONEL numéro 89623- est drôlement semblable à celle des visages des patients, qui arborent tous une mine d'enterrement. Je me perds toujours dans les corridors labyrinthiques, ne comprenant rien aux panneaux censés me guider. Et cette odeur, incapable de dire ce que c'est - un mélange de formol, de Purel, de café-qui-vient-des-machines-pis-qui-goutte-le-caliss et de vieux restes de boucane de cigarettes, dont les murs sont restés imprégnés, même si ça fait des décennies qu'on ne fume plus dans les hôpitaux. Non, vraiment, je n'aime pas ces endroits.

Mais, comme je suis dotée d'un courage légendaire, j'ai vaincu ma frousse et mon dégoût et je me suis rendue à mon rendez-vous. Je suis arrivée pile poil à l'heure, ce qui est surprenant, puisque j'étais convoquée pour 7h30 et que 7h30, c'est l'heure où, normalement, j'entre dans ma phase de sommeil paradoxal. Ce matin, pas de paresse: je me suis tirée du lit à 6h30, j'ai pris une douche, engranger une banane, siphonner un jus de fruits et enfourché ma bicyclette. 7h28, j'étais essoufflée, mais présente au poste. Ding! Ding! Ding! Madame la réceptionniste! Je suis là! Puis-je-voir-le-docteur-et-m'en-aller-au-plus-sacrant-merci!

On m'a remis une splendide jaquette bleue - Prada, Collection automne-hiver 2008 -, des pantoufles tout aussi splendides et tout aussi bleues - signées Chanel - et un sac de plastique dans lequel mettre mes effets personnels - celui-là n'était pas griffé par contre. Accoutrée comme la chienne à Jacques - j'vous jure que Jacques, il se payait ma gueule oui! Jamais il n'avait vu sa chienne habillé aussi sexy! - je suis sortie de la salle de bains et l'infirmière de me dire «Vous l'avez mis à l'envers » J'ignorais qu'il y avait un sens - Votre bout de tissu ressemble plus à un rideau qu'à une robe madame, désolée, mais j'avais pas vu qu'il y avait un bon côté et un mauvais. J'ai aussi trouvé le don de mal mettre les petites pantoufles bleu-ciel-trop-bleu-pour-être-vrai. J'ai demandé à l'infirmière de pardonner ma maladresse - C'est que je ne fréquente pas souvent cet endroit, voyez-vous, j'suis pas trop habituée avec son code vestimentaire.

L'infirmière, qui me trouvait un peu étourdie, mais plutôt divertissante, a pris ma température - 37,1, j'étais heureuse de constater que je ne m'étais pas transformée en animal à sang-froid dernièrement -, ma pression - normale, thank God, y'a au moins une chose que je sais bien faire: avoir une bonne pression -, et mon pouls - 112 battements minutes! Ok, ça, c'est moins normal. Le stress. Oui, c'est ça: le stress. Je m'étais effectivement déjà sentie plus détendue.

Le médecin ne finissait pas de ne pas arriver. J'étais la première patiente prévue sur la liste et déjà, on avait du retard. Bien heureuse de ne pas avoir pris mon rendez-vous en fin de journée, sûrement que j'aurais passé demain. Après plusieurs minutes d'attente, on a conclu que le médecin était trop occupé pour venir travailler, alors on a demandé au médecin en résidence de s'occuper de mon cas. Ou, devrais-je plutôt dire, on a demandé au séduisant médecin en résidence de s'occuper de mon cas.

Le beau pas-encore-tout-à-fait-docteur-mais-ça-s'en-vient-bientôt Guttenbaker ou je ne sais plus trop quel autre nom austro-hongrois hyper sexy qui sonne comme un requiem de Beethoven dans les oreilles.

Le beau docteur Beethoven Guttenbaker. Qui a un léger accent anglophone quand il parle. Et des yeux pétillants lorsqu'il sourit. Mais je ne vois pas son sourire parce qu'il porte un masque bleu-ciel-je-crois-que-je-suis-au-paradis-et-vous-êtes-sûrement-un-ange-venu-pour-me-secourir. C'est donc lui qui allait m'opérer. My, my, my.

Une des infirmières m'a mis une espèce de patch autocollante sur la cuisse, qui allait leur permettre de suivre mes signes vitaux pendant l'intervention. Une énorme patch; je savais pas que l'épilation des jambes était incluse dans le deal.

Beethoven-van Quaker-chose (je sais pu, c'était peut-être Wagner... non! Gutenberg... ou peut-être Salenberg?) a attendu que je m'installe confortablement sur sa table d'opération pour me demander « Puis-je voir votre sein mademoiselle? » Éblouie par son charme irrésistible, j'en avais oublié la raison de ma présence dans cette salle froide et métallique, alors j'ai été plutôt surprise par sa question - Mes seins? Euh... vous trouvez pas que vous allez un peu vite en affaire?! Je ne sais pas s'il fut séduit ou découragé par ma réponse, je n'ai pas été capable de détecter la nature de l'émotion que sa voix de jeune homme au flegme européen essayait de dissimuler. Toujours est-il qu'il m'a lancé « Eh bien mademoiselle, je veux bien aller plus lentement, mais j'ai d'autres patients à voir après vous, alors va falloir vous déshabiller assez vite. » Au fond, qu'est-ce que j'avais à chialer: je passe mon temps à dire que je cherche un gars qui sait ce qu'il veut et qui ne passe pas par quatre chemins pour dire ce qu'il pense. J'avais un merveilleux prototype devant moi.

«Désinfectant». «Bistouri». «Scalpel». Dans sa bouche, ces mots sonnaient comme des poèmes de Rimbaud. J'aurais tout donné pour qu'il me les murmure à l'oreille... Bistouri... Oh oui!! J'en étais là dans mes fantasmes médicaux quand j'ai senti son sexe frôler ma main. Son sexe. Ma main. Frôler. Frisson. Grande chaleur. Les deux en même temps. Il ne faisait pas exprès, il ne s'en rendait probablement pas compte, que son viril engin frottait sur le revers de ma main droite, il faisait juste sa job et pour mieux voir ce qu'il faisait, il avait besoin de s'approcher un peu plus de la table, plus près, plus près, encore plus près, oui, je, oui, oui... L'infirmière a lancé, sur un ton légèrement inquiet: «Le pouls monte docteur. On est à 120. » Et cette fois, c'était pas à cause du stress.

Je n'étais plus stressée du tout. Grâce à l'anesthésie locale, je ne sentais rien lorsque mon Docteur-Grey-juste-à-moi me charcutait la poitrine. Et grâce à ses beaux yeux bleu-ciel-comme-ce-dont-doit-avoir-l'air-le-ciel-au-dessus-de-la-mer-du-Nord, je ne sentais plus rien de la douleur qui taraudait mon cœur de célibataire depuis quelques semaines...

Tout au long de l'opération, mon médecin-en-résidence-de-qui-j'aurais-volontiers-visiter-la-résidence-s'il-m'avait-invitée me posait des questions (je pensais que y'avait uniquement les dentistes que ça amusait, de vous faire la conversation pendant que vous êtes dans la pire des positions) - « Vous faites quoi dans la vie? » Étudiante... en littérature... j'écris, je veux dire, un peu, des fois là... je veux écrire... des... des textes là... « Des romans? » Oui, c'est ça, des romans. «Oh! Intéressant!» Vous trouvez? «Bien sûr. Quand vous sortirez votre premier livre, vous viendrez me le dédicacer?» Euh... oui. Bien sûr. Et ... et vous... est-ce que vous pourriez m'autographier la poitrine une fois que vous aurez terminé? Il a ri.

Et il a arrêté de me poser des questions.

Merde. Je peux pas croire que j'ai dit ça... Moi pis ma grande gueule... C'est la langue que j'aurais dû me faire enlever aujourd'hui.


«Voilà mademoiselle, c'est terminé» Déjà?! «Eh bien, oui! Je peux réouvrir et recommencer si vous voulez!» Non, ça va... Je vous remercie. Mais... je... j'étais bien là, couchée, c'est... c'est confortable ici, hein? « Vous n'êtes pas trop douillette!» Non, c'est vrai, j'suis pas très capricieuse. En fait c'est faux, j'suis très capricieuse. Mais j'ai d'autres qualités vous savez. «Je n'en doute pas. Comme vos points de rousseur. C'est très joli.» Ffffffffffff (son que produit le corps d'une fille qui vient de fondre sur place parce qu'un homme beau et intelligent vient de lui faire un compliment).

Une chance que l'infirmière avait déjà retiré la patch-autocollante-preneuse-de-pouls-et-arracheuse-de-poils, parce que sûrement que j'aurais fait sauter sa machine avec mon rythme cardiaque qui a triplé en une seconde.

«Vous vous sentez bien, mademoiselle?» Oui... oui... juste un peu étourdie... «C'est normal, ne vous en faites pas. Il risque d'y avoir de la douleur aussi. Je vais vous prescrire des analgésiques.» Merci... vous... vous... «Moi, moi, moi avoir un autre patient qui attend dans le corridor, alors je vais devoir vous escorter jusqu'à la porte.»

J'ai fini par décoller, n'ayant pas réussi à trouver d'autres excuses pour prolonger mon séjour auprès de mon bellâtre. Armée d'une prescription d'anti-douleurs, j'ai quitté l'hosto, déçue de ne pas avoir trouvé un moyen d'obtenir un rendez-vous galant. J'imagine que de toute façon, ce n'est jamais une bonne chose qu'un gars vous ait vu les seins avant même de vous avoir invitée à souper; ça ne peut pas mener à une relation solide, non?

Ou peut-être que oui. Faudrait que je lui demande... Comment? En l'appelant au numéro qu'il a laissé derrière ma prescription! Une chance que la pharmacienne l'a vu et a eu la gentillesse de me demander «Le numéro derrière le papier, est-ce important?», lorsque je lui ai remis mon ordonnance...


J'en reviens pas encore. C'est pas contre toutes les règles éthiques et autres serments d'Hypocrate ce qu'il a fait là? Oui. Ça veut dire que j'ai affaire à un vrai rebelle.

Il est encore plus intéressant que je ne le croyais.