28 juillet 2007

Le bout du nez des poules pas d'tête



- Taxi Coop.
- Oui Madame, j’ai oublié quelque chose dans un de vos taxis, ça fait à peine une heure.
- Numéro du taxi?
- Je le connais pas, je passe pas mon temps à noter le numéros des…
- Va falloir attendre au moins trois jours avant de le récupérer, le temps que l’objet nous revienne, s’il nous revient, qu’on fasse le tri et…
- Trois jours?! Mais j’en ai besoin maintenant moi!
- Peux rien faire.
- Comment ça «peux rien faire»? Y’a sûrement une solution! Si je vous disais que c’est mon pace maker que j’ai oublié sur la banquette de votre maudit taxi, est-ce que vous m’aideriez un peu plus?
- C’est pas un pace maker que vous avez oublié certain.
- Qu’est-ce qui vous fait croire ça?
- Trop jeune.
- Moi, trop jeune?! Non, mais, en plus vous faites de la discrimination envers les cardiaques! Vous saurez que de plus en plus de gens de moins de trente ans meurent du cœur!
- C’est bien dommage tout ça, mais c’est ainsi. Rappelez dans trois jours.

Quoi!? C’est ainsi que ça se termine? Pas d’encouragement, de tentative de sympathie, de faire-semblant-de-me-comprendre-j’suis-vraiment-désolée-j’ai-fait-tout-ce-que-j’ai-pu-et-je-ne-peux-rien-de-plus-pour-vous? Son boulot, ce n’est pas de donner du service à la clientèle? Je suis la clientèle et je considère n’avoir eu aucun service!

- Taxi Coop.
- Oui, ce serait pour faire une plainte s’il vous plaît.
- J’vous écoute.
- Y’a pas quelqu’un d’autre à qui je pourrais parler, genre le directeur du département du service à la clientèle.
- Pas de directeur. C’est à moi que vous devez parler.
- Ben alors vous vous ferez le message à vous-mêmes que vous êtes une incompétente sans cœur qui n’a aucun, mais alors là aucun talent pour travailler avec le public, merde, même pas foutue de m’aider à trouver une solution à mon problème.
- Une solution? J’en ai une pour toi : ….

Raccroché au nez. Encore. Elle ne comprend vraiment rien elle! Il faut que je récupère mon manteau maintenant-tout-de-suite-sans-plus-tarder-aucune-seconde-à-perdre! Je dois absolument savoir ce qui se trouve à l’intérieur de la poche de ce satané bout de tissu! Et si l’objet que Louis y avait glissé avait le pouvoir de changer ma vie? On ne sait jamais, peut-être qu’il m’a laissé un petit mot contenant la réponse à toutes les questions que je me pose depuis deux mois? Le secret même de l’existence, le pourquoi du comment. Peut-être qu’il s’agit d’une amulette sacrée pouvant me protéger des mauvaises ondes, du cancer, des attaques au couteau, du.... Peut-être que c’est une bombe artisanale! Peut-être que Louis est un membre en règle d’Al Quaïda, petit cousin d’Oussama, et qu’il m’utilise depuis le début afin de mener à bien son projet de faire exploser tout Montréal! Madame, madame, je dois savoir! Ma vie, votre vie, nos vies sont en danger!

J’en étais là dans mes réflexions - à lire : délires - quand on a sonné à ma porte. C’était ma fameuse voisine-diseuse-de-bonne-aventure, accompagnée d’une de ses dix-neuf chats.

- Escuzez-moi d’vous déranger mam’d’zelle, je…
- J’ai mis la musique trop forte? J’suis désolée, j’vais la baisser tout de suite!
- Non, non. La musique, ça va, ça va. Je voulais juste savoir si vous auriez pas vu un chat blanc avec des taches noires «broder» dans l’alentour? J’ai perdu Ti-mine, ça «faite» trois jours j’l’ai pas vu…
- J’suis désolée, je ne l’ai pas…
- J’ai ‘ssayé de l’appeler avec d’la bonne nourriture, j’leur donne juste des bonnes croquettes du vétérinaire à mes chats, j’en ai huit, je les aime assez, est-ce que je te les vous ai déjà montré mam’d’zelle? En tout cas, Ti-mine, c’est mon préféré, mais y’est parti, j’comprends pas pourquoi, «passe» j’y donne tout plein d’amour à c’te bête là, c’est mon préféré, j’vois pas pourquoi y’aurait voulu fuguer, j’veux dire d’l’amour, c’est important de leu’z’en donner tout plein, les chats y’en ont d’besoin, sinon y meurent…
- Si j’le vois je …
- Y se laissent mourir sinon, pis ça c’est pas drôle dans c’temps-là. L’aut’ jour j’ai trouvé un chat dans’ ruelle, pas de collier, rien, pis j’pouvais pas le nourrir, tu «créras» ben mam’d’zelle, j’en ai déjà huit des menoux, pis j’les aime, y mangent rien qu’d’la bonne nourriture de chez l’vétérinaire, j’vous l’dis, mais l’autre chat, j’pouvais pas le garder, j’en ai déjà huit, pis là en plus je garde le chien de ma cousine, Andréa, est partie en voyage dans le sud, elle a gagné ça à «rédio», y faisait tirer ça au programme de chose, comment y s’appelle donc, en tout cas, a pouvait pas l’amener, «passe» t’sais mam’d’zelle, y les mettent dans’ «suit» à bagages les chiens, dans des tites cages, c’est tu pas assez cruel, mais en tout cas, le chat que j’ai trouvé moi, ben j’ai été obligée de l’amener à la c’«PCA», pis là, ils l’ont «thanasié» le pauvre tit, non mais y’a assez des gens qui prennent pas soin de leu’z’animaux «damestiques», c’est triste à voir…
- Mais j’suis sûre que c’est pas votre cas madame et si je vois votre chat…
- Oh non, hein, c’est pas mon cas, moi j’en prends soin pas pour rire de mes belles bestioles de poils, ah! C’que oui! Pis l’autre qui z’ont «thanasié», j’pouvais pas le faire rentrer che-nous, y’avait trop l’air malade, j’veux dire, j’avais peur qui «contacte» mes chats à moi, pis j’me s’rais jamais pardonné d’avoir «infectionné» mes menoux, pis Andréa, oh! non, elle aurait pas’t’été contente de savoir que son Puffy y’avait pogné la rage à cause d’un chat de gouttière que j’aurais laissé rentrer dans’maison…
- J’comprends tout ça! Et j’vous jure que je vais vous aider à chercher votre p’tit minou- comment y s’appelle déjà?
- «Mossart», comme le grand musicien là, celui qui compose de la belle musique, j’ai son disque che-nous…
- Oui, oui, moi aussi j’l’aime beaucoup, alors si je vois Mozart, j’vous fais signe!
- Ben non, pas Mozart! Mossart! Ah! Si tu y dis pas son vrai nom, y se reconnaîtra pas, t’sais les chats, sont sensibles des oreilles, y r’connaissent leu’nom, pis toute.
-… ouais… Bon, je dois y aller Madame…
- St-Germain, Madame St-Germain, j’crée ben qu’on s’était jamais présenté pour vrai, c’est-tu drôle…
- Oui, très drôle! Ah! Mais là je dois vous laisser…
- Ah! Moi aussi, j’suis ben occupée aujourd’hui, j’ai un rendez-vous à trois heures, pour les cartes, un monsieur, un pauvre p’tit monsieur, y’a perdu sa femme pis y voudrait savoir si… Mais toi, toi mam’d’zelle, j’vous ai jamais tiré, hey, y faut que je vous tire, bientôt, demain, viens faire un tour che-nous, j’ai du bon thé que mon beau-frère m’a ramené d’Égypte, t’sais là où y’a les pyramides d’Égypte, pis m’en va te les dire ton avenir, ok, gratuit pour toi, ok?
-Ok. Ok. J’vais v’nir vous voir, promis. Bonne fin de journée.
- Vous t’aussi mam’d’zelle.


Ouf. Je pensais ne jamais pouvoir m’en débarasser. Incroyable. C’est qu’elle est inarrêtable la pauvre femme! Même morte, elle va continuer de jacasser, comme les poules qui continuent de courir après qu’on leur ai arraché la tête, elle, elle va bavasser comme une pie encore quelques minutes après avoir trépassé, c’est sûr!

Le lendemain, un peu «suicidairement», j’ai répondu à l’invitation et suis allée lui rendre visite, afin qu’elle me prédise mon super avenir rempli d’enfants en santé, de prince charmant au teint bazané, de voyages, de surprise, de diamants…

J’étais tellement obnubilée par le décor, par tous ces voiles qui pendaient au plafond, ces bibelots qui agrémentaient les tablettes, les bibliothèques, les rebords de fenêtre, toutes ces collections de boudhas, d’éléphants-avec-la-trompe-en-l’air, de pierres semi-précieuses; tellement impressionnée par cet amas de chandelles, d’encens, de livre de cartomancie, d’astrologie, de para-psychologie, tellement, oui, que j’ai à peine écouté tout ce qu’elle m’a débité concernant mon incroyable futur. Son charabia était plutôt incompréhensible pour la néophyte que je suis, qui commence à peine à découvrir sa spiritualité! Mais bref, selon elle, que de bonnes choses m’attendent d’ici la fin de l’année… Certes.

Elle n’avait probablement pas tout faux, car au moins une bonne chose allait m’arriver et ce, avant même de quitter son appartement.

C’est qu’au moment où j’ai commencé à penser m’en aller - il me fallait préparer le terrain, car j’en avais pour au moins vingt minutes à lui expliquer que je devais partir, qu’elle était très gentille de m’avoir révélé toutes ces choses étonnantes, mais qu’à présent, le moment était venu pour moi de la quitter, mais oui, oui, je reviendrais, bien entendu - alors que j’avais la main sur la poignée et le pied gauche dans le cadre de porte, je l’ai vu. Il était là. Évaché sur le divan de Madame St-Germain.

Non pas l’homme de ma vie, celui que je suis effectivement censée avoir déjà rencontré, selon les dires de Madame Lucille, mais que je n’ai tout simplement pas remarqué, car j’étais trop affairée à accorder de l’importance à des choses pourtant insignifiantes, non ce n’était pas cet homme tant désiré qui était là, étalé de tout son long sur le fauteuil de ma bien chère voisine, mais bien mon imperméable rouge. Celui que je croyais ne jamais revoir.

- Qu’est-ce que mon manteau fait là?
- Oh! C’est à toi c’te «jacket»? Je l’ai trouvé dans les escaliers hier, y traînait là. J’ai demandé à la p’tite Julie, l’autre locataire, pis elle m’a dit que c’tait pas’t’elle, j’aurais ben dû me douter que c’tait à toi, mais non, j’y ai pas pensé, j’suis tête en l’air des fois j’te dis, j’réfléchis pas plus long que le boutte de mon nez, pis pourtant, y’est pas mal gros mon nez, ahaha! J’te dis, les jeux de mots que j’peux sortir, on m’appelait le «clown» dans’ famille, pis c’pas pour rien, j’ai toujours aimé ça faire rire, pis j’pense que j’avais du talent, mais…
- Oui! Oui, beaucoup de talent Madame St-Germain! Merci d’avoir récupéré mon manteau, maintenant si ça vous dérange pas, j’vais le reprendre, je risque d’en avoir de besoin, y’annonce de la pluie cette semaine!
- Ben oui, certain ma p’tite! D’la pluie, tu parles d’un été toi, le ciel nous tombe su’a’tête…
- Oui! Ok! Bye!

Fiouh. J’ai réussi à refermer la porte et à regagner mon appartement, en prenant soin de bien barrer toutes les portes, au cas où prendrait l’envie à Madame St-Germain de venir finir la disscussion sur mon paillasson.
Moi qui croyait l’avoir oublié dans le taxi. Je l’avais simplement échappé en sortant de la voiture. Comme dirait Lucille «on cherche pas toujours à la bonne place».

3 commentaires:

Renart Léveillé a dit…

Salut! Merci d'être venu me voir!

Oui le procédé semble proche mais en fait pour ma part je ne fais que publier mon roman déjà tout écrit à toutes les semaines.

Par contre, je tiens un vrai blogue, celui-là où j'aborde différents sujets d'actualité, et d'autres plus personnels.

Bonne continuation!

Madame C. a dit…

Première visite ici. J'ai hâte de voir ce que réserve l'avenir sur ce blog!

Cindy a dit…

AaaaaHHH!!!
Mais qu'est-ce qui se cache dans la poche??? Viiiiiiitte!!!

(je sais, la suite se trouve au bout de ma souris, je vais pouvoir la lire dès que je finis d'écrire ce petit mot nono, mais en fait, c'était surtout pour vous dire que je trouve tout ceci très divertissant et que je suis désormais une fan assidue!!)