18 juillet 2007

Histoire de chasse




Après deux jours à Val d’Espoir, j’ai réalisé que je n’aurais peut-être pas suffisament d’argent pour prendre le bus pour retourner à Montréal. Étant donné que je survis grâce à mes maigres économies depuis un mois, qu’il n’y a absolument rien qui entre dans mon compte, que des sous qui sortent - à une vitesse plutôt impressionnante -, ce n’était peut-être pas très sage de ma part de partir ainsi sur un coup de tête, mais trop tard, je l’avais fait. Je devais en assumer les conséquences. Par là, j’entendais «je devais trouver le courage d’appeler mon père pour lui demander s’il ne pouvait pas me prêter un «p’tit» cent, juste pour me dépanner.»

- Je vais te le remettre dans pas long Papa.
- Ça me dérange pas Sophie, tu sais ben que je peux me passer de cet argent pendant un petit bout de temps. Tu peux ben me le remettre uniquement dans deux ans, tout ce que j’espère, c’est que tu te trouves une job avant ça…
- Mais oui mon petit Papa, tu le sais ben, j’vais m’en trouver une dès mon retour à Montréal.
- Ton retour à Montréal? Mais t’es où là?
- Euh… À ton chalet?
- Qu’est-ce que tu fais là?!
- Je… prends des petites vacances?!
- Des vacances de quoi Sophie?! Ça fait un mois que tu ne fais rien, que tu ne travailles pas, de quoi est-ce que tu te reposes coup donc?!
- Hey! Woh! Tu sauras que c’est pas mal fatiguant de ne rien faire et de constamment se faire rappeler qu’on fait rien, pis qu’on vaut rien, pis que faudrait qu’on se prenne en main! Écoute, si tu veux pas m’aider, aide-moi pas! J’vais m’arranger autrement! J’vais faire du pouce, me faire embarquer par un débile qui va me découper en petits morceaux et me faire livrer chez vous par ExpressPost! Non, non, c’est beau, j’te l’dis, y’en n’a pas de problème! Merci quand même!

D’accord, j’ai peut-être pris les nerfs un peu trop rapidement, mon père ne méritait pas de telles menaces, mais lui, qu’est-ce qui lui a pris donc? Il était pire que ma mère! Elle, j’ai pas osé l’appeler, car si mon père avait pu me tenir un tel discours moraliste, je ne voulais même pas m’imaginer ce que ma tendre maman allait pouvoir me sortir!

C’est aucun argent de plus en poche, mais une petite mauvaise humeur en prime, que je suis sortie de la cabine téléphonique et que j’ai repris ma place de co-pilote aux côtés de Louis. Après s’être rendus à Percé pour notre visite «Minute du Patrimoine» - exception faite que je n’ai pas été financée par le programme des commandites pour raconter mes balivernes historiques - Louis et moi avons repris la route du village. Dans la voiture, ni l’un ni l’autre ne parlait; on a écouté du Louise Attaque dans le piton. Le paysage défilait au rythme des «Viens t’en, j’t’emmène au vent» de Gaëtan Roussel; Louis, en bon Français, roulait plutôt vite - «Quoi? C’est max 100 sur les autoroutes ici?! Non mais, vous êtes cinglés! À la grandeur qu’a votre province, pour vous déplacer d’une ville à l’autre, si vous roulez vraiment juste à 100, ça doit vous prendre 20 jours!» - et cette vitesse me convenait parfaitement. J’avais besoin d’un p’tit coup d’adrénaline, de me sentir illégale et inatteignable; personne n’aurait pu nous rattraper, car s’ils avaient essayé, nous n’aurions pas hésité à donner un brusque coup de volant et à plonger à même la mer pour nous enfuir. Nous aurions rouler sur les vagues, traverser l’Atlantique, tiens, pourquoi pas. Louis m’aurait emmenée visiter sa Bretagne natale, il m’aurait fait voir St-Malo, il m’aurait parlé de l’église où s’est fait bénir Jacques-Cartier avant son départ pour l’Amérique - il vient de la même ville que Jacques-Cartier, c’est clair qu’il n’a pas cru mon histoire de ti-Jacques-ben-saoul-qui-fonce-dans-le-rocher! -, on aurait bu du Pastis pour l’apéro dans une petite taverne de pêcheurs et on aurait fait du camping sur la plage, saucisses bien grillées et mashmallows pour souper - ils parlent tellement français en France qu’ils ne sont pas capables de dire guimauves… - et voilà, on se serait endormis en cuillère, les deux dans le même sac de couchage, exténués de nos aventures transcontinentales.

C’est là que j’en étais dans mes rêveries quand Louis a failli frapper une vache qui tentait de traverser la rue. La pauvre bête était complètement sous le choc; ses grands yeux me regardaient avec effroi, semblant me dire : «Qu’est-ce qui vient de se passer? J’suis où? Pourquoi?» Et quand je dis «la bête», je parle de Louis, non pas de la vache! Le mec, il se la jouait cool avec ses 140 kilomètres/heure sur les routes de campagne, mais il a ravalé sa testostérone assez vite quand son sac gonfable s’est ouvert et qu’il l’a reçu en pleine poire! Une chance que nous n’avions rien frappé, c’est une mongolfière au complet qui aurait sorti du tableau de bord autrement! J’ai ri de lui pendant un bon cinq minutes, jusqu’à ce que je me rende compte que ce n’était peut-être pas bon pour mon dossier de prétendante de malmener ainsi son orgueil viril.

- T’aurais pu au moins la frapper pour vrai, ça nous aurait fait de quoi bouffer pour souper et une belle peau pour…
- Pour…
- Je veux dire, une belle tête pour décorer les murs du chalet!

Ouf. J’ai failli mettre cartes sur table un peu trop vite. Moi et mes calembourgs…

Je crois que Louis apprécie beaucoup mon humour et qu’il le prend au pied de la lettre, car c’est effectivement affalés sur une peau de bête que nous avons terminé la soirée! Nous sommes allés à sa chambre de motel et j’ai pu constater que les propriétaires de l’endroit investissaient beaucoup dans la décoration «pittoresque», probablement dans le but de ne pas dépayser ces touristes européens qui croient que nous habitons toujours dans des cabanes en bois ronds, habillés de chemises à carreaux rouges et noirs. Il y avait donc une tronche d’orignal suspendue au-dessus du lit et une peau d’ours devant non pas un foyer, mais plutôt un téléviseur projettant des images de foyer! C’est dans ce comble du kitsh que nous avons non pas fait l’amour, mais bel et bien baisé! Non seulement il a de beaux yeux le Louis, mais c’est qu’ils «matchent» avec le reste de son corps! Flambant nu, son regard de félin ressort merveilleusement! Et il sait quoi faire avec ses griffes!

Comme c’était bon de me sentir de nouveau désirable. Ses mains sillonnaient mon corps, du lobe d’oreille au creux du nombril, en passant par l’arche du pied jusqu’au confin des omoplates; sa langue chaude et assoiffée suivait le même parcours, en prenant soin de goûter chaque grain de beauté, chaque recoin d’épiderme. Il me serrait si fort dans ses bras que je me sentais au bord de l’évanouissement à chaque fois. Ce sentiment de vertige atteignit son apogée au moment de la jouissance. Notre connection fut si intense que nous avons crié notre plaisir au même moment. Le plus beau dans tout ça, c’est qu’à aucun moment au cours de nos prouesses amoureuses je n’ai pu penser à François. François, l’homme qui hante mes pensées depuis des semaines, eh bien, à l’instant précis de l’orgasme, il s’est évaporé. Mon soupir d’extase n’en fut qu’encore plus soulageant.

Louis a fini par s’endormir vers quatre heures du matin. Pour ma part, je n’arrivais pas à trouver le sommeil. J’ai profité du fait qu’il y avait un téléphone dans la pièce pour appeler les services automatisés de ma caisse et vérifier à quel point mon compte était en souffrance.

Mon père m’avait versé trois cent dollars dans la journée.

Il arrive parfois qu’on demande peu et qu’on reçoive beaucoup…

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