14 juillet 2007

Le sommeil des justes




Je suis morte. Depuis une semaine. Une petite mort toute tranquille, sans trambour ni trompette ni drapeau en berne. Mais heureusement, on renaît des petites morts. Alors me revoilà, le teint un peu blafard, le regard un peu vague, mais en vie, au moins.

J’avais affreusement besoin d’être seule. À vrai dire, je suis extrêmement seule depuis plus d’un mois, mais là, j’avais besoin d’une solitude moins étouffante, plus vraie. Être seule sans me le faire rappeler à chaque minute par tous ces gens qui grouillent autour de moi, toutes ces choses qui me dévisagent, me jugent, dénigrent mon inaction. Être seule, sans rappel. Sans corde pour me faire remonter, sans aide, sans conseil; on se lasse, à la fin, de ces personnes qui nous comprennent, qui sont là pour nous, qui savent ce qu’on vit, qui sont prêtes à nous donner un coup de main, peu importe l’heure. Je ne veux pas de vos coups de main et de vos coups de pieds au derrière : mon p’tit cul, je vais me le botter toute seule. Il faut que je me reprenne en main; pas question de me déresponsabiliser cette fois. J’ai créé mon malheur, je suis donc la seule à pouvoir l’anéantir.

L’unique endroit où je peux vraiment réfléchir et me retrouver, c’est au chalet de mon père, en Gaspésie. Ça fait loin pour méditer, mais justement, j’étais rendue pas mal loin de moi, de ce que je suis réellement, de mon centre, de mes envies, il était donc nécessaire que je parcours une distance considérable avant de pouvoir recoller ces petites miettes de moi éparpillées et de construire un nouveau tout presque uniforme. Du moins en apparences.

Je me suis donc tapé seize heures d’autobus; seize heures de genoux dans le front, de cou cassé, d’odeurs étranges, de gens qui ronflent, de cellulaire qui sonne, de grosse dame qui chiale parce que «les transports en commun sont pas faits pour les obèses, on sait ben! Pas foutus de faire rentrer mon cul dans vos bancs, gang de sans-dessein! Vous les maigres, ostie, vous vous prenez vraiment pour les rois du monde! Mais on verra qui va rire le dernier, ciboire, quand vous allez toutes pesez lourd comme moé parce que vous avez trop mangé de G.O.M. (à entendre OGM j’imagine…); c’est la faute au gouvernement ça encore. Pis c’est qui qui possède les compagnies d’autobus, hein?! Les gouvernements! Pis y mettent des caméras partout! Pis là j’imagine qu’ils ont filmé tout ce que j’ai dit : ben tant mieux tabarnak, pour une fois que quelqu’un se lève pis dit les vraies choses, pis que… hey! Lâche-moi toé!» Heureusement, rendu à Rimouski, sans se demander si c’était là sa destination, le chauffeur, qui n’était pas trop du type accomodement raisonnable, a forcé la grosse dame à sortir en garochant ses effets personnels à bout de bras - étonnament, elle ne voyageait qu’avec une très, très petite valise; il s’est dépêché à refermer la porte et il est reparti en faisant presque crissé les pneus du véhicule. J’ai observé par la fenêtre arrière de l’autobus la dame de «taille forte» - vive les euphémismes - gesticuler et crier jusqu’à temps qu’elle devienne un tout petit point à l’horizon- ce qui fut quand même long! Cette scène m’a fait sourire et a rendu le voyage un peu moins ennuyant. J’suis pas sûre que Ghislaine-l’obèse-frustrée - elle avait vraiment une face de Ghislaine… - l’a trouvé aussi drôle que moi, mais bon, elle devrait se féliciter : elle a réussi à me faire rire de bon cœur. Ça ne m’était pas arrivé depuis quelques semaines…

On a atteint Percé vers 14h30. J’avais pas dormi de la nuit, évidemment, et il fallait que je trouve l’énergie pour me rendre au chalet, qui est à une quinzaine de kilomètres de la «capitale» gaspésienne. Val d’Espoir que ça s’appelle. J’ai toujours osé croire que ce nom n’avait pas été attribué au hasard. Il y a une plénitude qui règne dans ce village, une ambiance si calme, si bleue, si légère, qu’effectivement, n’importe qui, même moi, ne peut pas s’empêcher de recouvrer l’espoir en y mettant les pieds.


Mon air déglingué, mes cernes sous les yeux, mon accoutrement digne de la chienne à Jacques et mon sourire non-convainquant ont réussi à charmer un automobiliste; après à peine sept minutes de pouce, j’ai donc réussi à me faire embarquer. Louis, un Français en vacances, m’a gentillement reconduit jusqu’à la porte du chalet. Pour une fois, j’aurais souhaité que le trajet entre Percé et Val d’Espoir soit plus long; c’est qu’il était plutôt mignon pour un Breton, ce Louis Husson… Étant donné qu’il n’y a ni électricité ni téléphone au chalet, je ne pouvais pas lui laisser mon numéro; je lui ai donc directement donné rendez-vous le lendemain, à 10h00, devant la porte du chalet. En tant que touriste, ça faisait bien son affaire de rencontrer une fille qui connaissait un peu le coin, et moi, en tant que fille qui connaît un peu le coin mais qui n’a pas de voiture pour se rendre à la plage et qui commence sincèrement à être en manque d’affection, ça faisait ben mon affaire de rencontrer un Breton qui en plus d’avoir un permis de conduire a des beaux yeux…

J’ai passé mon premier après-midi au chalet dans le hamac sur la galerie à regarder les rondeurs vertes du paysages, à compter les blancs moutons des nuages et à siroter du rosée. Je me suis fait cuire un gros steak sur le feu de bois que j’avais moi-même allumé et je l’ai dégusté en écoutant le bruit des cigales et des ouaouarons. Emmitouflée dans ma couverte en polar mauve, j’ai observé le feu crépiter jusqu’à 1h30 du matin. Percluse de fatigue, j’ai gagné le lit moelleux de mon père. Son odeur imprégnait encore les oreillers; elle m’enveloppait et me rassurait, comme si Papa était réellement là, à côté de moi, à me flatter les cheveux, comme quand j’étais petite, et qu’il me murmurait «Partons, la mer est belle, embarquons-nous pêcheurs. Hissons notre nacelle, ramons avec ardeur…». Mais ce réconfort onirique n’a pas suffit à effacer mes angoisses. Moi dont les yeux avaient peine à rester ouverts lorsque j’étais devant le feu grésillant, une fois rendue dans la chambre, je n’avais absolument plus sommeil. Le souvenir de la soirée passée avec Magalie deux jours plus tôt refaisait surface dans mon esprit et m’empêchait de faire le vide nécessaire à la venue d’Orphée. Cette fameuse soirée passée avec Magalie…

- Je sais que François a essayé de s’excuser vis-à-vis de toi et que tu as refusé ses excuses, mais je m’essaie quand même à faire la même chose et à te demander pardon Sophie.
- …
- Lui et moi, on s’est revu deux ou trois fois depuis «l’événement», et je veux que tu saches qu’il ne s’est plus rien repassé entre nous deux.
- Wow. Félicitations, vous avez repris le contrôle sur vos hormones, c’est une grande nouvelle!
- Sois pas si cynique Sophie.
- J’aimerais que tu arrêtes de répéter mon nom à la fin de toutes tes phrases s’il te plaît.
Ça va, je me rappelle encore comment je m’appelle, pas besoin de le dire et le redire.
- Bon. Désolée. Mais écoute-moi, c’est important ce que je te dis.
- J’en doute pas. J’ai bien l’impression que le sort de l’humanité va se jouer ce soir…
- Ok. Peut-être pas, mais notre sort à nous, oui.
- Nous? Qui inclus-tu là-dedans? Toi et moi ou toi et François?
- Nous trois. Toi, moi et François.
- Ok. Notre sort à nous trois… Si j’comprends bien, selon toi, on a encore un avenir commun les trois ensemble?
- Si tu le souhaites aussi, oui. Moi j’voudrais vraiment qu’on puisse passer à autre chose.
- Et moi donc…
- Si tu savais comme je regrette ce qui s’est passé. C’était plus qu’une erreur, c’était l’erreur du siècle. Écoute, je n’ai pas d’alibi, je peux pas justifier mon geste, je peux juste avouer la vérité : j’ai fait l’amour avec ton chum parce qu’à ce moment précis, eh bien, l’envie a été plus forte que la raison. C’était purement physique.
- Et ma douleur, en ce moment, elle est purement physique aussi, Magalie. J’ai mal. J’ai mal au cœur, j’ai mal dans le ventre, dans les trippes, Magalie. Je sais pu quoi faire de ma peau. C’est ni toi ni François que j’ai envie de tuer, c’est moi. C’est dans ma petite tête de linotte que j’ai envie de tirer une grosse balle. Parce que je me trouve trop stupide, trop lâche, trop molle, Magalie. Parce que si tu savais à quel point j’ai envie de te pardonner, Magalie, mais que pour l’instant, j’en suis incapable.
- Je comprends…
- Merci!
-...
-Écoute, j’suis contente qu’on se soit vues ce soir, juste ça, ça va m’avoir aidée à avancer un peu dans mon deuil, du moins je l’espère. J’suis comme ceux qui ont absolument besoin de voir le cadavre du mort pour croire qu’il est vraiment mort…
- Ça veut dire quoi ça? Que je suis morte pour toi?
- Que l’ancienne Magalie est morte en tout cas. Que cette amitié-là, c’est du passé. Mais y’a toute une vie devant, et elle, on sait pas trop ce qu’elle nous réserve. J’crois juste qu’il faut attendre, ne rien brusquer, ok?
- Ok. Tu me feras signe alors…
- Oui. Et… dernière question…
- Quoi?
- Est-ce que tu peux payer mon café?! Non seulement j’ai pu une cenne parce que j’me suis fait mettre à la porte du resto, mais… j’pense que tu me dois au moins ça?!
- Maudite Sophie! C’est clair que je te paye le café, c’tu penses!

Finalement, ça s’est plutôt bien passé quand j’y repense. Cependant, la balle est véritablement dans mon camp dorénavant et ça, ça signifie que je ne peux plus m’en remettre au supposé destin. Je dois prendre mes propres décisions.

Sur le coup, celle de simplement dormir m’est apparue comme étant la plus sage qui soit.

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