23 juillet 2007

Objects in the mirror are closer than they appear


Finalement, le trois cent dollars que mon père m’avait versé incognito, je n’ai pas eu besoin de l’utiliser pour revenir à Montréal. Un moyen alternatif m’a été proposé : Louis et sa voiture louée m’ont suggéré de me ramener, à la seule condition que je leur fasse visiter Montréal et que je leur offre un endroit où se «parker» quelques jours… J’ai accepté, me disant que ça allait m’occuper pour au moins une semaine, que d’avoir un invité à la maison pourrait me désennuyer et me permettre de vraiment passer à autre chose. Mais quand notre «maison» est en fait un deux et demi, réussir à concilier «invité» et «intimité», c’est plutôt difficile.

- Voilà! C’est ici chez moi!
- Hmm. Mignon. C’est joli la déco.
- Si on aime le vintage et/ou l’archéologie, oui. Là, t’as les anciens divans en cuir de ma mère, l’ancien micro-ondes de mon père, le nouveau couvre-lit de ma belle-mère, qu’elle m’a donné parce qu’il avait un défaut, et ici, l’ancien frigo de mes parents, qui ne sont plus ensemble depuis dix ans, alors tu peux deviner l’âge de la bête.
- Bah. Ça a son charme toutes ces vieilleries.
- On dit «antiquités»!
- Pardon! Alors… où est-ce que je vais crécher? Sous l’ancienne-nouvelle couverture de ta belle-mère ou sur les anciens divans en cuir de ta mère?!
- On verra comment on feel ce soir?!

Et le soir venu, je n’avais aucunement envie d’avoir un homme dans mon lit. Surtout pas l’homme qui s’avérait disponible à cet instant. Il est bien gentil Louis, mais la soirée qu’on avait passée en avait été une d’obstinades. Lui, en bon Français qu’il est, il avait l’air de trouver ça amusant de constamment remettre ma parole en doute, de confronter tout ce que je disais, de nier chacune de mes affirmations, mais moi, je commençais à sérieusement avoir envie de le giffler, en bonne Québécoise féministe qui ne supporte pas l’attitude machiste que je suis. J’aurais voulu pouvoir le renvoyer là d’où il venait, mais j’avais promis de lui servir de guide, et de toujours tenir mes promesses, c’est peut-être la seule qualité qui me reste, alors je ne pouvais pas agir selon mes impulsions.

Je me rendais bien compte que Louis n’échappait pas à mon état d’esprit général et qu’il faisait partie, comme tout le reste, de ces choses que je remets constamment en question. Cette manie que j’ai de changer d’idée à toutes les trois secondes et demi, particulièrement depuis la catastrophe François/Magalie, elle s’applique à Louis également. Nous avons passé des moments fort agréables à Val d’Espoir; nous sommes allés observer les phoques sur la côte, près de Cap d’Espoir, nous avons pris un bain de minuit dans la Grande Rivière, aux abords de laquelle nous avons dormi à la belle étoile, flambant nus, simplement emmitouflés dans nos couvertures de laines carrotées; nous avons bu des cafés amaretto, ou plutôt des amarettos au café, au coin du feu, celui où nous nous étions cuisiné des homards frais juste avant. Bref, en une semaine, je crois que j’ai fait plus d’activités avec lui qu’en cinq ans avec François. Ça m’a changé les idées, certes, mais pour une fille qui change justement constamment d’idée, se changer les idées ne fait que la mêler encore plus.

Dans la voiture, sur le chemin vers Montréal, quelque part entre Matane et La Pocatière, je me suis mise à avoir de la difficulté à respirer. Toutes les vitres étaient baissées, le vent tourbillonnait dans la voiture, tellement qu’on aurait pu éteindre le moteur et à elles seules, les rafales auraient pu nous faire avancer, mais moi, ça ne me suffisait pas; tout cet air, avec ses odeurs de sel et d’algue, cet Alizé venu du large jusqu’à mes poumons, non, ce n’était pas assez pour me permettre de respirer. J’avais besoin de plus que d’une brise; c’est une tornade au complet qu’il m’aurait fallu, des morts, des blessés, des disparus, des maisons qui virevoltent, des arbres déracinés, des pannes d’électricité, pour que je respire, qu’enfin, je reprenne mon souffle. C’est à cet instant que j’ai compris que je carburais au drame, que tant et aussi longtemps que les choses s’enchaîneraient de manière déchirante et tragique, je pourrais continuer à survivre, car comme un poisson rouge dans son bocal rempli d’eau fraîche peut être comblé, moi, c’est dans les histoires pathos et compliquées que je suis heureuse. Et voilà qu’avec Louis, ce ne l’était pas assez.

J’ai fini par m’endormir, épuisée, à force de penser à des cyclones et des ouragans. À mon réveil, nous étions rendus à Saint-Nicolas, sur la rive-sud de Québec; le sommeil avait réussi à me calmer un peu les ardeurs et les angoisses. Ma crise d’asthme psychologique avait pris un break. Louis aussi; il avait stoppé la voiture sur le bord de la route 132, avant de rejoindre la 20, pour faire un petit somme. Il le méritait bien, après ces quelques dix heures de route sans arrêter. Pour ma part, c’est de me dégourdir les jambes dont j’avais besoin. J’ai marché en direction nord, espérant rejoindre le fleuve un moment donné. Il est soudainement apparu, et avec lui, les ponts Pierre-Laporte et de Québec, miroitant sous le soleil levant. La vue était splendide; même les goélands qui beuglait pour avoir un peu de McDo m’apparurent sympathiques à cet instant. Deux ou trois voiliers bien blancs serpentaient sur le Saint-Laurent, qui était si calme qu’on aurait dit un lac. Les orangés, les mauves et les rosés de ce paysage m’ont apaisée et redonné une certaine envie d’y croire. Croire à quoi, je ne savais pas, mais j’y croyais, fermement. Que tout était possible, peut-être.

Je suis arrêtée dans un dépanneur, nous chercher des muffins et des cafés, et lorsque je regagnai la voiture, je vis Louis qui m’attendait, échoué sur le devant du bolide, en petite culotte; monsieur faisait le plein de vitamines D, paraît-il. Une fois rhabillé et embarqué sur la 20, Louis essayait de faire le plein de sexe, on aurait dit. Il a passé le voyage sa main entre mes cuisses, passant proche au moins trois fois de nous faire rouler dans le ravin. J’ai découvert que les nervures qu’ils mettent sur le côté des autoroutes, pour réveiller les conducteurs qui s’endorment au volant et qui finissent par dévier un peu trop à droite, eh bien, elles ont aussi le pouvoir de réveiller l’appétit sexuel des jeunes filles. Les vibrations continues sont plutôt agréables pour la cerisette! Accompagnées des caresses persistantes du garçon assis à notre gauche, vraiment, y’a de quoi faire frémir n’importe quel femme frigide. À la hauteur de Drummondville, nous étions devenus deux vrais dangers publics. Alors, pour le bien de la société et celui du pantalon de Louis, dont la braguette menaçait d’exploser tant l’engin qu’elle tentait en vain de dissimuler avait pris de l’ampleur, nous sommes arrêtés au truckstop et mis fin aux préléminaires, pour mieux passer à l’étape suivante. Je soupçonne un des truckers présents sur les lieux de notre crime d’avoir observé la scène avec délectation et d’y avoir trouvé son inspiration pour sa branlette dans les toilettes du Tim Horton où il s’est arrêté pas trop longtemps après pour aller se chercher son café bien noir, trois sucres, jamais de lait. Peut-être est-ce dans ma tête, mais sur le coup, je trouvais ça plutôt excitant de penser qu’un inconnu avec une casquette des Expos, des bas blancs étirés jusqu’au genoux, beaucoup de poils sur le torse et les oreilles et une bedaine de bière nous observait dans son miroir - Objects are closer than they appear. Oui, nous étions plus proches qu’il n’y paraissait, plus proche du zénith, plus proches du onzième ciel, parce que putain qu’il sait quoi faire avec ses mains le jeune Breton.

Il sait quoi faire avec ses mains, mais reste que le premier soir à Montréal, je n’avais pas envie que ses mains dorment dans le même lit que moi. Je leur ai quand même accordé la permission de partager ma couchette, en leur faisant promettre de ne pas trop être insistantes.

Le lendemain matin, là, ce fut tout le contraire, j’avais vraiment envie d’être touchée par ces mains divines, enlacée par ces bras musclés, collée par ce corps encore un peu étranger. J’étais heureuse de ne pas me réveiller seule dans mon grand mini deux et demi. Contente de pouvoir faire du pain doré à quelqu’un, de savourer mon café au lait en bonne compagnie, sur le petit perron qui donne sur la ruelle, contente de regarder les enfants jouer à la marelle et les chats de gouttière se chanter la saison des amours avec un homme assis à mes côtés. Contente, mais pour combien de temps, ça, nul ne le sait. Ou si quelqu’un le sait, a un léger doute, une intuition, qu’il me le dise, tout de suite. Qu’il m’apprenne comment je me sentirai dans les prochaines minutes, les prochaines heures, car c’est essoufflant à la fin, de ne pas savoir à quoi nous attendre, de ne pas pouvoir prévoir nos propres réactions. Mon ancien boss m’avait conseillé d’aller consulter un psy, mais je crois que c’est une diseuse de bonne aventure que je devrais aller voir.

Ma voisine d’en haut, une dame d’environ soixante-quinze ans, m’avait justement dit le jour où j’ai emménagé ici, qu’elle tirait aux cartes pour pas cher, pas cher, et que pour moi, ça pourrait même être gratuit, étant donné que j’avais l’air «dont ben gentille». Gratuit. Ne serait-ce que pour ça, c’est une activité qui pourrait me plaire. Le lendemain, pourquoi pas.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

zut! j'ai commencé par la fin! lol c'est vraiment très bon j'adore!!
monsieur milette ;)

Anonyme a dit…

Moi je crois que se sont ces moments d'incertidude qui me font grandir, vibrer, que ce sont eux que je recherche sans cesse. Paradoxalement, se sont ces moments les plus difficiles à habiter, à laisser aller, libre de devenir ce que nous ne pouvons imaginer. Même les tireuses de cartes se trompent parfois !

J'aime bien te lire, dis-toi qu'à Rimouski il y a quelqu'un qui se reconnaît, quelque peu dans ton histoire !

Ge

Mélissa Verreault a dit…

Salut Ge,

Merci pour ton commentaire, j'suis contente de savoir que j'ai des lecteurs dans le bas du fleuve, et que même si c'est à des centaines de kilomètres d'où j'habite, ils réussissent à se retrouver un peu dans mes histoires...

Tes commentaires sont toujours les bienvenus, gêne toi pas et... bonne lecture!

Sophie

Unknown a dit…

T'as pas TOUJOURS eu les mains vides, avoue!