06 juin 2007

La vengeance des aveugles




La nuit dernière, j’ai rêvé que j’entrais dans une librairie, armée d’un bidon d’essence et d’un carton d’allumettes. Le commis assis sur un tabouret à l’entrée du petit commerce ressemblait étrangement à François. En fait, c’était comme un mélange entre le visage de François et celui de mon père. Afin qu’il ne nuise pas à mes plans, je pris soin de le ligoter à sa caisse enregistreuse avec des réglisses noires – pas très solides comme attache, mais je n’y peux rien, c’est un rêve. Et parce que les rêves ont le pouvoir de révéler nos plus intimes secrets, voilà, je l’avoue, je suis accroc des réglisses noires, cette friandise que la majorité de la population exècre. J’en mange un sac par jour. Parfois deux. Dans les périodes de crise majeure. Parfois avant de me coucher, malgré tous les conseils prodigués par ma mère à cet égard. J’aurais peut-être dû l’écouter finalement…

Enfin. C’est l’estomac bien rempli que je me rendis dans la section théâtre grec et me mis à asperger tous les écrits de Sophocle et d’Euripyde. Je fis de même avec toute la section «psychanalyse» et lança une allumette sur la belle mare dorée que je venais de créer. Œdipe à colonne, Œdipe roi et toute la panoplie d’Œdipe-suivi-d’un-complément-du-nom ne résistèrent pas au carnage; tous flambaient glorieusement et moi, devant ce spectacle insolite, je riais à gorge déployée.

Pendant ce temps, le commis pleurait à s’en déchirer la rétine et me conjurait d’éteindre mon feu de joie. Plus il me suppliait, plus je riais. Ses larmes étaient entrecoupées d’excuses désespérées : «J’aurais pas dû toucher à ses seins, j’suis désolée! C’est toi la plus belle, t’es ben plus attirante que Freud! Mais c’est de sa faute, c’est lui qui m’a dit de le faire!» Exaspérée par son charabia, je sortis de la boutique en flammes.

À l’extérieur, tout le monde portait des lunettes fumées et se baladait avec une canne rouge et blanche. Je me mis à courir, me sentant suivie. Effectivement, une horde d’aveugles déchaînés tentait frénétiquement de me rejoindre. Essoufflée, je les laissai m’atteindre, sans plus avoir de force pour me défendre. Ces vils suppôts me traînèrent sans vergogne jusqu’à un précipice sans fond et m’y firent tomber à coups de canne pour non-voyants.

Je me suis réveillée en ayant l’impression que mon lit tournait à la vitesse de la lumière.

Il était 9h35, soit trente-cinq minutes plus tard que l’heure à laquelle j’étais censée rentrer travailler. J’ai appelé mon boss pour lui dire que je ne pouvais pas me présenter aujourd’hui, lui expliquant que j’avais passé la nuit à faire flamber les collections de théâtre grec de toutes les bouquineries de Montréal. Il n’était pas trop sûr de comprendre et a mis ça sur le dos du rhume que je devais avoir attrapé et qui me causait de fortes poussées de fièvre.

Confondre le rhume et les peines d’amour, faut le faire quand même. Quoi que les symptômes sont plutôt comparables : fatigue extrême, perte d’appétit, écoulement nasal, yeux qui brûlent, douleurs musculaires.

Le cœur est incontestablement un muscle indésirable. C’est pourquoi je m’entraînerai dorénavant pour devenir une sans-cœur. Ne me reste plus qu’à trouver un gym qui offre ce type de programme.

1 commentaire:

Pinocchio a dit…

On pourrait dire que la réglisse noire de chez Tau est aussi solide que les théories de Freud.

ha-ha-HA!