17 juin 2007

Flashback




Magalie m’avait invitée à un party chez le voisin du coloc de sa cousine. «Ça va être la rumba du siècle Soph, t’as pas le choix de venir!» Me dire que je n’ai pas le choix n’est jamais une bonne façon de me convaincre de faire quelque chose; je déteste avoir l’impression que, soudainement, je n’ai plus le contrôle de ma vie, qu’une instance supérieure se l’est approprié et qu’elle se moque de ce dont je pourrais avoir envie ou non. Bref, je n’étais vraiment pas emballée par l’idée de me pointer là, parmi tous ces inconnus disjonctés - une bande d’artistes en arts visuels en plus, vraiment, j’avais peur que ça vire mal. Mais j’ai tout de même fini par me laisser convaincre. En fait, c’est davantage parce que je n’avais pas de bons arguments qui auraient pu me permettre de justifier mon refus que j’ai accepté d’y aller.

Dès notre arrivée sur les lieux de la déchéance, j’ai compris que j’avais pris la bonne décision en choisissant d’accompagner Magalie; je m’en serais voulu toute ma vie de l’avoir laissée aller seule à cette fête diabolique! Premièrement, elle se serait perdue dans toute cette foule... La maison avait quatre étages et chacun d’eux répondait à une thématique : y’avait l’étage du bar, celui de la piste de danse, celui des expérimentations artistiques et celui des expérimentations sexuelles - du moins, c’est ce que j’ai déduit, car tous ceux qui gravissaient les marches menant au quatrième étage étaient toujours regroupés deux à deux - voire trois à trois... - et avaient la figure barbouillée de rouge à lèvres.

Après avoir fait le tour du proprio, on est allées se chercher un verre au bar improvisé - en fait, il manquait de verre, alors on nous a servi notre sex on the beach dans ce qui restait de disponible comme contenants : un petit vase de chine made in Dollorama pour Magalie et un bol de café au lait avec un bonhomme sourire pour moi. L’alcool ne goûte définitivement pas la même chose selon qu’il est servi dans un bol de céramique cheap ou une coupe en verre fin... En fait, je crois qu’il saoule beaucoup plus rapidement lorsqu’il est servi dans un bol de café au lait avec un sourire, parce que je suis devenue complètement défoncée en moins d’une demi-heure!

J’ai perdu la trace de Magalie assez rapidement. Mais comme l’alcool m’avait redonné entièrement confiance en moi, je me suis mise à butiner d’un groupe de gens à l’autre, en me présentant fièrement et en avouant à qui voulait bien l’entendre que moi, je n’étais pas une artiste, mais que j’adorais vraiment l’art, que l’art, à mes yeux, était le seul échappatoire sensé qui subsistait dans notre société, et que sans lui l’amour ne serait plus possible, et que l’Art, blablablabla, oui, il faudrait toujours l’écrire avec une majuscule pour affirmer sa supériorité sur l’esprit humain, car c’est l’Art qui nous maîtrise, et non l’inverse et...

Mon discours sans queue ni tête a fini par plaire à quelqu’un. Il y avait ce jeune blond bien baraqué qui m’écoutait depuis le début de mon envolée lyrique et qui trouvait que mon propos résumait très bien celui du grand philosophe Heid..., Harou..., Hitchi..., anyway. Le blondinet admirait mon sens critique et mon ouverture esthétique et souhaitait absolument me faire découvrir sa définition de l’ART. Il m’a traînée jusqu’au troisième étage, là où tous les Pollock en devenir et les aspirant Warhol démontraient leur savoir-faire. Des cannes de peinture envahissaient le plancher, les murs étaient couverts d’éclaboussures et de traces de doigts - ça n’allait pas être trop difficile de retracer l’identité des coupables de ce gâchis le lendemain! Les artistes sont de piètres vandales. Mon nouvel ami - il avait des airs de DiCaprio, mélangé à Matt Damon. Du moins, selon mon regard de fille complètement ravagée par le sex on the... on the sand?! On the bitch? On the?! Merde, comment ça s’appelle ce que j’ai bu moi donc?! Bref, mon nouvel ami m’a pris par la main et m’a assise sur un tabouret de bois.

Il m’a demandé si je m’étais déjà fait «bodypainter». J’ai répondu non, en anglais. Quand je suis saoule, j’aime bien parler en anglais. Il me semble que je suis beaucoup plus «fluente». J’étais tellement fluente à ce moment que j’ai accepté de retirer mon t-shirt pour que Léo-Matt Damon-DiCaprio me fasse un bodypaint. Au début, je me sentais comme lorsque, toute petite, je me faisais maquiller par les clowns dans les centres d’achats. Les couleurs avaient de la difficulté à adhérer à ma petite peau toute humide, car chaque séance de maquillage était précédée d’une crise de larmes intense; chaque fois, je demandais à la maquilleuse de me dessiner une chèvre et chaque fois, elle refusait, prétextant qu’elle ne savait pas comment faire. Je finissais donc, à cours de sanglots, par accepter qu’elle me dessine un vulgaire et banal papillon.

Mon beau blond, lui, il savait comment dessiner une chèvre. Il a consenti à ma demande et moi à la sienne, lorsqu’il m’a demandé de retirer également mon pantalon, afin qu’il puisse dessiner l’herbe à brouter pour ma chèvre sur mes jambes. Quand j’ai senti ses lèvres entre mes jambes, là, oh, soudainement, je n’avais plus l’impression d’être au centre d’achats en train de me faire maquiller par une adolescente désabusée.

Léo-Matt et moi avons glissé vers le quatrième étage sans que je ne m’en rende vraiment compte. Les détails croustillants de cette fin de soirée d’art expérimental ne me sont pas restés en mémoire, mais ce dont je me rappelle, c’est que le lendemain, je me suis réveillée dans le lit des parents du voisin de la coloc de la cousine de Magalie, étendue à côté d’un gaillard de six pieds. Et y’avait une chèvre d’imprimée sur les draps.

Et y’avait un mal de tête d’imprimer dans mon cerveau. Je crois que j’ai pris des Tylenols pendant trois jours avant de réussir à enrayer ce mal de bloc. Après ces trois jours, j’ai dû passer par une mini désintox d’acétaminophène, et ce n’est qu’une fois que mon corps s’était complètement départi de toutes ces substances nocives qu’il s’est rappelé ce qui s’était passé le soir du party. Un flashback gros comme un boieng 747 m’est rentré dedans à ce moment-là.

J’ai revu la petite face angélique du blondinet, ses longs doigts effilés parcourant le bas de mon dos, sa langue dans mon cou, ses... Merde. Un blond! Je n’ai jamais aimé les blonds.

Et je ne voulais pas aller à ce party au départ. Je savais que ça finirait mal. Je le savais.
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Le soir où j’ai eu mon flashback, François avait un désir intense de faire l’amour. Je lui ai répondu que je n’avais pas trop envie de me faire broutter. Il m’a trouvé très vulgaire et n’a pas trop saisi la raison de mon refus.

Nous avons passé deux mois et demi sans faire l’amour.

Si le bodypainting de chèvre a été facile à effacer, simplement avec un peu d’eau et du savon, le tatoo de mon adultère, lui, n’est jamais complètement disparu de ma conscience.

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