31 mars 2009

Un crayon qui coule

Voici un autre épisode de ce fameux roman sur lequel je bûche.

Pour ceux que ça intéresse moins, je vous promets que je vais revenir vous raconter quelques détails croustillants sur ma vie au courant de la semaine...

Autrement, je suis désolée de vous l'apprendre, mais vous devrez patienter un peu plus longtemps que prévu avant de pouvoir lire ce fameux article sur mon blind date, dans le Urbania spécial sexe. Le numéro ne sortira finalement que le 23 avril prochain. Il vous faudra donc vous trouver une bonne crème pour l'urticaire mes amis et vous armer de patience (mâchez des gommes Bazooka et lisez les Bazooka Joe pour faire passer le temps)! Mais je vous garantie que vous serez délicieusement récompensés d'avoir attendu si sagement...


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UN CRAYON QUI COULE


Tu aurais voulu rester, mais un client important, une réunion, des piles de dossier qui s’impatientent, tu comprends – je comprends. Tu m’as déposée à la clinique d’avortement avant d’aller travailler et m’a laissé quelques billets pour que je puisse prendre un taxi au retour. Ma valise rouge à la main. J’irai dormir à la maison familiale après, une nuit ou deux, besoin de me reposer vraiment. Tu n’y vois pas d’inconvénient, je t’aime, as-tu ajouté. J’ai pris des vêtements pour une semaine, on ne sait jamais.


La réceptionniste sourit de façon légèrement exagérée. Ses cheveux noirs coupés au carré encadrent impeccablement son visage. L’air gentil et compréhensif de cette fille me rend mal à l’aise. Elle me tend des pantoufles, une chemise et un feuillet informatif, tout cela bien empilé, sans dépasser. Tout est droit, cette décision est juste, ce geste est légitime. Quelques formalités, des papiers à remplir – je me suis rappelé mon nom et ai signé. Le stylo à bille coulait. Mes doigts sont tachés d’encre bleue.


Dans la salle de bains, le savon sent la lavande et je ne me suis jamais sentie aussi loin de la Provence. L’encre s’est incrustée, dans les pores de ma peau, entre les lignes. Si quelqu’un voulait lire l’avenir dans ma paume, il ne verrait plus mon chemin de vie, seulement une immense flaque de sang bleu. Et les murs de la salle d’attente sont bleus, et la chemise trop grande dans laquelle je baigne est bleue, les pantoufles : bleues; tout autour est bleu, je dois être en train de me noyer – chercher mon souffle et le ciel. Un plafond suspendu et des néons, dont un qui clignote nerveusement, c’est tout ce qu’il y a au-dessus de ma tête. Tout ce qui pourrait me sauver. Dieu est une femme et sa voix m’appelle dans la salle numéro quatre.


L’infirmière me parle de sa voix douce, si douce que lorsqu’elle dit que tout ira bien, je la crois presque. Un bouquet de fleurs en plastique fane sur la table de chevet. Je m’appelle Michelle, on va prendre soin de toi, il ne faut pas que tu t’inquiètes, qu’elle murmure. Elle sent la cannelle. Ou peut-être est-ce la muscade, je mélange les souvenirs de ce qui est bon et fait du bien.


La fenêtre fermée donne sur une cours d’école, des cris joyeux montent jusqu’à nous. Michelle va tirer les rideaux. J’entends sans rien voir. Michelle le sait et me flatte les cheveux. Soudainement, j’ai huit ans et je pleure parce que ma chienne est morte. Elle avait le même âge que moi, on a grandi ensemble, comme deux sœurs. Une voiture l’a frappée et a traîné mon cœur sur des dizaines de kilomètres. Je ne me rappelle plus comment elle s’appelait, ma chienne, ma chienne morte. C’est impossible, mais je ne m’en souviens pas. Il faut que je le retrouve, sinon dans quelle mémoire vivra-t-elle? Michelle me tend une boîte de mouchoirs, des larmes chaudes coulent sur ma joue droite. Le côté gauche demeure étrangement sec. Je suis une femme solide qui ne pleure jamais. Je suis une petite fille qui a perdu son chien. Le médecin entre.


Tu as dit que tu voulais avoir un enfant avec moi, peut-être même deux, mais pas maintenant, plus tard, plus tard serait mieux. On passe sa vie à attendre le bon moment. Ce qui fait qu’il y a des choses qui ne naissent jamais et d’autres qui meurent trop tôt.

26 mars 2009

La chevelure de Judith

Vous ne pourrez pas dire que je ne vous gâte pas ces jours-ci.



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LA CHEVELURE DE JUDITH

Au comptoir du marché, la vitrine surplombant les charcuteries me renvoie les contours de ma figure. Un autobus passe et emporte avec lui les restes filamenteux de ma silhouette. Sur les portes battantes d’une cabine téléphonique, mon reflet joue au cow-boy. Dans les toilettes mal entretenues d’un centre commercial, je me lave les mains en fixant mon visage cerné sur une glace constellée d’éclaboussures de savon. Je vis encerclée par mes doubles, toujours à la recherche de l’original. Les miroirs sont partout, mais je me vois si peu.

Mes multiples reflets auront dorénavant les cheveux moins longs. Aujourd’hui m’a semblé être un jour idéal pour me débarrasser de ma tignasse d’adolescente timide. Température ressentie à moins vingt degré Celsius, ciel dégagé : sortir dehors la tête encore humide, vivre en prenant des risques.

Une dénommée Judith s’occupe de moi, entre deux rendez-vous. Elle masse mon cuir chevelu en me demandant ce que je fais dans la vie. Je suis photographe. Je fais des portraits. Ma réponse ne l’intéresse pas. Elle me dit qu’elle et son copain viennent de s’acheter une maison en banlieue. Ils ont une grande cours arrière et une piscine hors-terre. Elle espère tombée enceinte bientôt. Je pense à Michelle, l’infirmière. Soudain, des relents de formol, d’alcool à friction et de caoutchouc me montent à la tête. Les enfants, c’est beau. Mon commentaire sonne aussi vide qu’un ventre stérile. Judith se tait puis me redemande ce que je fais dans la vie – j’ai déjà oublié, qu’elle dit en riant comme une bouilloire qui siffle. Je suis photographe. Je fais des portraits. Elle me parle maintenant d’aménagement paysager et d’asphaltage.

Je suis photographe. Je fais des portraits – capturer l’essence d’autrui dans un rectangle quatre par six. Mais la mienne n’entre à l’intérieur d’aucune bordure. Je ne suis jamais que la présence hors-cadre. Au mieux, un doigt indésirable en haut, à gauche.

Judith a des lèvres pulpeuses et les dents trop droites. Elle chante au lieu de parler. Puis elle parle au lieu d’écouter. Je me dis Judith est tout ce que je ne suis pas. Elle me demande comment je trouve la coupe. Elle fait pivoter la chaise pour que je fasse dos au miroir et m’en tend un plus petit, orné d’étoiles et de brillants. Judith attend mon verdict en jouant avec une de ses longues mèches brunes. À cause de l’angle des deux miroirs, tout ce que j’arrive à apercevoir, c’est Judith et ses cils saturés de mascara. Elle trépigne sur place comme si elle avait envie. Je lui confirme que tout est parfait.


Les miroirs sont partout, mais je me vois si peu.

24 mars 2009

Dormir debout

Un autre extrait de ce sur quoi je bosse en ce moment... Le jour où ça sera publié, vous êtes mieux d'aller vous acheter un exemplaire!

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DORMIR DEBOUT


Jeune, je faisais beaucoup d’insomnie, pouvais tourner quatre heures dans mon lit sans jamais même approcher le sommeil. Découragée, je prenais oreiller et édredon et allais m’asseoir sur le fauteuil dans le salon. M’endormir prenait alors moins de cinq minutes. J’ai fini par croire que cette vulgaire pièce de mobilier avait un pouvoir magique. C’était aussi dans ce fauteuil que Papa s’assoupissait chaque soir en regardant la télévision. L’appui-tête conservait en permanence son parfum, mélange de musc, de térébenthine et de sueur. Parfois, ça sentait aussi le cigare, même s’il avait arrêté de fumer depuis des années.

Papa se levait aux aurores pour aller travailler. Il me retrouvait souvent, contorsionnée dans le fauteuil, la tête sur l’accoudoir, le cou cassé, les genoux ramenés contre le front. Il me prenait dans ses bras comme une nouvelle mariée, l’édredon pendant derrière nous en guise de traîne. Délicatement, il déposait un baiser sur ma tempe et mon corps mou sur le lit. Jamais il ne m’a parlé de ces voyages matutinaux. Il a continué de jouer le jeu en silence jusqu’à ce que ma carcasse devienne trop lourde pour être charriée à mains nues. J’ai alors dû trouver une autre manière d’être touchée par mon père.

Ce soir, le repos est impossible. Quand je sens qu’enfin j’y suis presque, que la machine à rêves en moi s’active, un vertige me prend et je me réveille de mon demi-sommeil en sursaut. Il est presque quatre heures du matin. Bientôt les réverbères s’éteindront pour laisser toute la place à l’aube. Ce retour prévu de la lumière m’angoisse, symbole de mon échec; je n’aurai pas été capable de le faire à temps. M’endormir avant qu’il ne soit trop tôt. Pourquoi m’obstiner.

Le long corridor donne sur des dizaines de portes qui ne s’ouvrent pas. Au bout, une enseigne rouge grésillant indique la sortie d’urgence. L’accès à l’escalier de secours est normalement interdit, mais on a dû mal verrouiller le grillage. Un soulier l’empêche de se refermer complètement. Le béton froid des murs sonne écho. J’entends des bruits de pas. De long en large, comme si quelqu’un, inquiet, veillait un proche souffrant.

Un étage plus bas, Marco, le Français en voyage de noces, grille une cigarette. Il me sourit sans rien dire et m’offre une bouffée de gitane. Je ne fume pas, j’accepte. Il me demande si j’ai de la difficulté à dormir en imitant sans talent quelqu’un qui ronfle. Je lui réplique que je comprends ce qu’il dit. Je suis bête, qu’il ajoute. Je réponds en rejetant un gigantesque nuage de fumée. La boucane se dissipe lentement et le visage de Marco émerge, rieur. Le mégot entre mes doigts me donne le sentiment de détenir le pouvoir de faire apparaître et disparaître ce qui m’entoure.

- Vous n’êtes pas une fumeuse, n’est-ce pas?
- Non.
- C’est bon?
- Non.
- Vous avez raison. C’est terriblement mauvais ce truc. Mais je ne peux pas m’en passer.
- On a tous un vice, une manie dangereuse pour nous mais dont on n’arrive pas à se départir.
- Vous, c’est quoi?
- Je ne sais pas. J’essaie de m’en défaire, mais j’ignore exactement de quoi il s’agit.
- Vous voulez une autre cigarette?



On a dû brûler un paquet complet ensemble, Marco et moi. Je suis étourdie, ma gorge est calcinée, les mots sont de l’huile sur le feu. Je dis bonne nuit à Marco, mais la nuit n’est plus qu’une occasion de plus qu’on n’a pas eu la force de saisir. Avec son accent du midi mal dissimulé, il se dit convaincu que je trouverai très bientôt quel est mon vice. Juste avant de remonter les marches, je remarque qu’il lui manque sa chaussure droite. Elle est toujours en haut à faire le guet. Pendant un instant, j’ai eu envie de la ramasser, de refermer correctement la porte, de nous embarrer là, Marco et moi. Descendre le retrouver, l’embrasser sur la bouche, mélanger mon haleine de tabac à la sienne et exiger qu’il me prenne, là contre les murs gris et humides.

Tout cela est demeuré fantasme. Je me contente de retourner à la chambre en titubant au rythme des vapeurs de nicotine et de goudron. Tout cela est demeuré fantasme, mais le simple fait d’en avoir eu l’idée me prouve que je suis encore capable de désir et soudain, dans ma poitrine, un mur s’effondre. Derrière un rideau de rosée flottante et de poussière, le jour monte tranquillement et en moi, une soif nouvelle.


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22 mars 2009

Un peu de provocation

Cet après-midi, j’ai marché dans le sillon du printemps, traînant mes chouclaques neufs jusqu’à un sympathique café du quartier des hipsters, des intellos et des vendeurs de l’Itinéraire. Me suis installée dans un des divans en faux cuir placé direct dans le rayon du soleil. Le chai latté me descendait doucement dans le gorgoton, la lumière bleue et aveuglante de cette fin mars qui sent bon le renouveau me chatouillait les freakles; un dimanche comme on les aime : facile, presque en dehors du temps, où la principale activité qui nous occupe est d’être là.

Mon voisin de divan genuine leatherette se sentait la sociabilité top shape et a commenté la température, dans l’espoir que cela ferait naître entre nous une discussion. Faut croire que j’avais la courtoisie en position on aujourd’hui, je lui ai répondu tout sourire. Il m’a vaguement révélé qu’il avait trouvé l’hiver long, j’ai répondu que pourtant, il avait été plutôt clément. Il a renchéri en disant que tout ça, ça dépendait de comment on se sentait en dedans. J’ai acquiescé en soulignant qu’on avait toujours tendance à projeter sur l’extérieur la manière dont on se sentait à l’intérieur. Il a dû trouver ça ben intelligent comme commentaire pourtant insignifiant, il m’a demandé si j’étudiais en psychologie, j’ai dit non, en littérature – ça a allumé une lumière dans son regard vide : il fut tout heureux de m’apprendre qu’il était un fan de lecture, il a tout lu : Marie Laberge, Jean-Jacques Pelletier, Agatha Christie, name it). J’ai affirmé un truc du genre « la psychologie des personnages et la psychologie humaine, c’est pas mal du pareil au même. » Décidément, j’avais choisi de verser dans la philosophie bas de gamme et les vérités de La Palice. Pourquoi pas, c’est jour de congé, j’ai le droit à un peu d’insignifiance, que je me suis dit à l’intérieur, quelque part entre l’œsophage et le sternum (c’est vrai ça, d’où est-ce qu’on parle exactement quand on parle « à l’intérieur de soi »?). De toute façon, mon interlocuteur avait les dents toutes noircies, il n’aurait pas compris mes affirmations si elles avaient volé à des niveaux trop élevés d’intelligence.

Ouch. J’avais la courtoisie à on, et le préjugé aussi. Juger les gens est certainement mon passe-temps favori. Je ne pense bien souvent pas la moitié de ce que je peux avancer comme idées reçues et autres grandes vérités basées uniquement sur l’apparence et l’ignorance, mais ça me fait du bien de les dire à voix haute, ces préconceptions absolument injustifiables. Une façon de me prouver que la relation de cause à effet ne s’applique pas dans toutes les situations. Que l’arbitraire et le gratuit sont ce qui gère véritablement nos vies, donc, qu’à rien ne sert d’essayer de trouver une explication à ceci et à cela. Généralement, de raison, il n’y en n’a pas.

Cataloguer les inconnus, étiqueter les étrangers, c’est ma manière de prendre ma vengeance à l’égard de mon karma de débile : faire subir le sort qui fut le mien à quelqu’un qui ne l’a absolument pas mérité. Agir de manière partiale et injuste avec un bozo qui ne m’a rien fait, simplement pour riposter par rapport à toutes ces fois où je me suis demandé pourquoi telle tuile me tombait sur la tête, ça me soulage le dedans autant qu’une pastille pour la gorge à saveur de sapin. C’est enfantin, inutile, mais concrètement, ça ne fait de mal à personne, car si je prononce ces commentaires à voix haute, ce n’est jamais en présence des gens qu’ils visent. (Ce comportement est carrément inacceptable venant de la part d’une fille qui dit être directe et honnête, mais je me suis rendue compte récemment que la franchise est un ingrédient qu’il faut utiliser avec parcimonie. Autrement, on se retrouve vite dans la marde, comme dit mon amie Fanny, qui a accouché il y a deux mois d’un mignon-mais-très-scato petit garçon.) Tout ça pour dire que je m’adonne à ce plaisir légèrement malsain qu’est le « bitchage despotique » le plus souvent possible. Et tout ça pour dire [bis] que ce mec qui tenait à discuter avec moi, à cause de ses dents noires et de son incapacité à prononcer la syllabe «psy», je l’ai placé dans la catégorie des inférieurs. Du hitlérisme de pacotille, quoi.

De retour chez nous, j’ai pensé : cet homme à l’hygiène buccale douteuse (appelons-le Richard, puisque même les losers ont le droit à une identité), s’il est pour moi l’image de l’idiotie et de la faiblesse, force est d’admettre que moi, Sophie B., la fille à la grand’ gueule, la simili excentrique, la chialeuse de première, l’écrivailleuse d’occasion, je devais bien être l’imbécile de quelqu’un. Et bang, ça m’a foutu un méga blues.

Pendant deux minutes trois quart.

Ce constat ne sera pas suffisant pour me forcer à arrêter d’entretenir des opinions illégitimes à propos de qui que ce soit. Surtout à propos des gens qui pensent que Stephen King est un grand maître de la littérature.

20 mars 2009

Voyage léger

Ça, c'est le titre du fameux roman que je suis en train de vous écrire chers lecteurs. Oui, oui, rien que pour vous (vous flatter dans le sens du poil ne peut que vous mettre dans de bonnes dispositions à mon égard, me dis-je). Et ce qui suit, c'est un extrait exclusif de ce grand chantier de construction un brin chaotique et très poussiéreux qu'est présentement ce texte. Port du casque obligatoire. Attachez vos bottes comme du monde itou, j'voudrais pas que vous vous enfargiez dans vos lacets ni dans les fleurs du tapis. En d'autres mots, si vous avez des commentaires, faites-les.

Gâtez-vous. C'est votre cadeau pour célébrer la première fin de semaine officielle du printemps.

Sophie B.


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MASQUE D’OCCASION

Dans une friperie, des cotons jaunis, des odeurs de cèdre et de cigarette que le savon n’arrive pas à effacer; des dizaines de sacs-poubelles remplis de vêtements se reposent dans l’entrée. Une dame aux cheveux blonds et crépus se lime les ongles, assise derrière le comptoir-caisse. Une vieille canne de conserve peinte en rouge nous invite à donner généreusement pour une noble cause. La caissière empoigne le récipient de métal et le renverse pour en faire tomber quelques pièces de monnaie. Elle se lève et va s’acheter une bubble-gum dans la distributrice à bonbons du vestibule. Une gigantesque bille à mâcher blanche glisse dans le dispensateur. Elle s’appelle Ginette parce que quelqu’un a marmonné Ginette est demandée aux caisses avant, Ginette dans les hauts parleurs. Ginette a l’air déçu. De devoir retourner travailler ou d’être encore une fois tombée sur une boule blanche. Le blanc n’est même pas une couleur qu’elle semble se dire, et ça ne goûte rien.

J’observe la scène discrètement, entre deux chemises à rayure. Elles sont laides, je les prends. C’est ma taille et je n’en demande pas plus pour l’instant, qu’une existence aux proportions adéquates. Je vais quand même les essayer, au cas où mon corps, lui, aurait changé de pointure.

Dans la cabine, pas de miroir, que des murs opaques. Je n’ai pas envie de sortir parader devant Ginette et ses collègues. Je m’inventerai donc un reflet. Ces petites mains que des manches trop longues laissent à peine entrevoir, ces cuisses nues, ces orteils qu’on devine croches même au travers des chaussettes, je ne suis plus si convaincue qu’ils m’appartiennent. L’éclairage donne à ma peau une étrange teinte bleutée. La cicatrice sur mon genou m’apparaît presque fluorescente, le grain de beauté sur ma hanche m’inquiète un peu.

Je ne vois pas mon visage.

Avec les mains, je peux en deviner les traits mais n’arrive pas à les transposer en une image qui ressemblerait à celle que j’ai toujours eue de moi-même. Ordinairement, c’est par l’entremise de mon double dans la glace que j’arrive à savoir qui je suis. Si peu souvent ai-je pris la peine de poser les yeux sur ma propre personne. Derrière le rideau tiré de cette cabine à la peinture écaillée et au tapis poussiéreux, le sentiment d’avoir accès à mon corps reconstitué.




Ginette m’accueille à la caisse en faisant éclater une immense bulle sucrée sur son nez. Elle arrache les étiquettes des vêtements une à une avec ses mains aux veines proéminentes. Ses poignets sont minuscules, sa peau noircie par le soleil artificiel des salons de bronzage, sa voix éraillée; elle discute avec le concierge sans trop se soucier de ma présence. Je lui tends les étiquettes des vêtements que j’ai sur le dos. Elle me dévisage en soupirant.

- Ça va vous faire treize cinquante neuf.
- Parfait. Est-ce que je peux vous donner tous mes vêtements aussi en échange?
- Pardon?
- Mes vêtements, je voudrais vous les laisser. Vous les revendrez. Ils sont propres. Sauf le pull que je portais tout à l’heure mais…
- Vous avez pas d’argent, c’est ça?
- Je vais payer, faut pas s’en faire. Je ne veux juste plus de tout ça.
- Vous les mettrez avec les autres dans l’entrée.

Je dépose l’argent exact dans sa main tendue et tous mes anciens habits sur une pile de fringues disparates qui menaçait déjà de s’effondrer. Repartir à zéro pour treize dollars cinquante neuf me paraît être une offre raisonnable.

Un demi-cercle de lumière miroite sur le sol quand j’ouvre la porte de verre. L'impression de pénétrer soudain dans une autre dimension. Dehors le vrai soleil plombe et sous sa chaleur les vieux masques fondent.

18 mars 2009

Ma vie en statut-o-scope

C'est devenu d'un ridicule troublant. Je ne vis plus ma vie, je la «statuifie». Je suis constamment en dehors de moi-même, à côté de mes beaux souliers tout neufs qui donnent des ampoules au petit orteil, et je me regarde aller. J'observe mes actions, mes pensées, mes humeurs, tout, comme un narrateur omniscient qui jugerait sans vergogne le comportement des personnages dont il est chargé de raconter l'histoire. Comme si mon quotidien était un film sur You tube, un vidéoclip en continu sur My Space, je visionne ma propre existence avec un recul désarmant et je me dis: quel beau statut ça ferait sur Facebook! Ou non, je pourrais mettre ça dans mon nick Google Talk. Oh, tiens, ça serait encore mieux si je l'inscrivais sur MSN. «Sophie B. is en train de virer folle.»

Tout, tout, tout est devenu « objet à statut ». Le moindre de mes mouvements - j'ai mis mes bas à l'envers ce matin, r'gard donc toé!-, ce que je bouffe - ben oui, imaginez-vous que j'ai mangé un poulet Romados complet à moi toute seule hier soir, grand' folle va! - , ce que j'écoute comme musique - ♫ Il y a le temps qui s'arrête un instant pour la fête, le printemps des amoureux, des amants, tadaditadada ♫ -, la marque de tampon que j'ai enfilé ce matin - avec la même fausse joie et le même pantalon blanc que la fille dans l'annonce à' télé, bien sûr -, la douce euphorie qui fut la mienne lorsque j'ai mis le pied dans une crotte de chien - vive le printemps, les oiseaux chantent et la merde dégèle -, tout ça, je le compute , je l'analyse, je le digère et je le peaufine pour en faire un beau statut qui sera lu par tous mes amis et/ou pas vraiment-amis-mais-que-j'ai-quand-même-acceptés-comme-amis-sur-un-certain-site-qui-me-fait-perdre-beaucoup-trop-de-temps-dans-une-journée. Parfois, je pousse l'audace jusqu'à avoir deux ou même trois statuts dans la même journée- voyez comme ma vie est palpitante, trois statuts, non mais y s'en passe-tu des affaires! Et que dire de ces moments où j'affiche des statuts complètement différents sur chacun des outils de(fausse)communication sus-mentionnés: LA TOTALE.

Bref, je pense que je devrai consulter bientôt pour cause d'aliénation mentale slash dédoublement (voire détriplement)de personnalités. Ce n'est pas normal, docteur, de ne jamais être complètement dans le présent mais toujours en train d'imaginer comment telle ou telle situation pourra devenir un nick name funny. Mais mon cas n'est pas complètement désespéré: je ne me suis pas encore inscrite à Twitter et je refuse catégoriquement de le faire. Parce que là, ça serait l'Urgence psychiatrique sur-le-champ (on-the-champ, comme disent les Anglais).

13 mars 2009

Le croustillant

La lutte fut chaude entre les choix de réponse C et D, mais c’est finalement le C qui a remporté le concours de l’histoire-que-tout-le-monde-se-meurt-d’entendre. Alors voici mes amis : vous avez demandé, vous recevez. (Avouez que je suis ben plus efficace que l’bon ‘yieu; j’exécute vos prières dans les 10 jours ouvrables, alors que Lui met souvent des années avant de réaliser vos souhaits. La prochaine fois que vous espérez un miracle, faites appel à Sophie B. sans hésiter.)

Le prochain numéro du magazine Urbania, qui a pour thème le sexe, sort en kiosque le 10 avril. Le lancement est la semaine précédente, le 3. Dès qu’il sera sur les tablettes, vous irez l’acheter : tous les détails de cette folle aventure qui fut la mienne y seront racontés sous la plume aiguisée d’André Péloquin, l’homme-à-qui-il-ne-faut-jamais-dire-t’es-pas-game-parce-que-c’est-sûr-qu’il-est-game-pis-que-là-vous-allez-vous-ramasser-dans-l’eau-chaude. Pour ceux qui ont toujours rêvé de savoir à quoi ressemblait Sophie B., vous aurez enfin l’occasion de rincer votre œil voyeur grâce aux photos prises par Jimmi Francoeur, le talentueux photographe au look de rock star.

« Alors, cette soi-disant folle aventure, c’était quoi Sophie B.? Arrête de nous faire languir, maudite aguicheuse! », voilà ce que vous vous dites, impatients. Bon, mettons fin à vos plaques d’urticaire et à vos crises d’hyperventilation, toutes causées par cette insoutenable attente…

Le magazine cherchait un gars et une fille prêts à faire avancer les sciences sociales et à donner leur corps à une noble cause en participant à un blind date. Évidemment, ils ne devaient pas se connaître au préalable et devaient être à l’aise avec le fait que leur grosse face allait se retrouver dans le magazine. Le but était de décortiquer les relations homme-femme, de voir comment agissent et réagissent les deux agents de sexe opposé en situation de séduction, de mieux comprendre quelles sont les attentes des filles, celles des gars, de vérifier comment l’un et l’autre se préparent à une telle rencontre. Le magazine payait la soirée aux deux fous qui allaient accepter l’invitation – souper au resto, vin et chambre d’hôtel inclus. Le lendemain matin, le journaliste et le photographe devaient les rencontrer de nouveau afin de recueillir leurs impressions et de constater s’il y avait des différences de perception entre les deux récits.

Eh oui, Sophie B. est assez débile pour avoir accepté de jouer le jeu. Au départ, j’ai soumis ma candidature en me disant que jamais ils ne me choisiraient, qu’ils opteraient plutôt pour une hipster du Plateau qui n’a pas grand-chose à dire mais qui a tellement de style, mais non, c’est moi qu’ils ont prise! Mon charme légendaire a opéré, encore une fois! Pour ce qui est du garçon qu’ils ont choisi… ça… ben… vous pourrez aussi lui voir la binette dans le magazine.

Comment la soirée s’est déroulée? Sommes-nous allés à la chambre d’hôtel? Qu’avons-nous mangé au resto – la bavette de bœuf ou le poisson?! Tant de questions, pas assez de réponse, je sais! Mais c’est que… je ne voudrais pas voler tous les punchs à Péloquin et je tiens absolument à ce que vous alliez vous procurer la revue donc, voici le deal que je vous propose : lorsque vous aurez tous lu l’article, vous reviendrez me voir pour me poser TOUTES les questions que vous voudrez, je vous jure, je vais y répondre sans retenue ni pudeur. Ça sera un peu comme un bonus track, des éléments de contenu exclusifs aux abonnés! Et ce qui est merveilleux, c’est que je ne vous chargerez rien. Moi et ma générosité sans borne, on va vous faire ça gratis. Pour les autographes par contre, ça va être cinq piastres la signature.


Et j’ai aucun problème à me faire inviter au resto à nouveau. J’peux payer le tip quand même, j’suis pas si profiteuse.

06 mars 2009

Je ne connais rien de toi, quand on y pense.

À part que tu aimes l'odeur de l'essence, les films de Danny Boyle et les chiens. Ton défi sera donc de m'en apprendre davantage sur toi, de façon originale, il va sans dire. Pour plus de détails, tape « pinocchio MSN possibilité » dans google. En un clic, tu devrais pouvoir me retrouver.

Moi, j'aime le fromage en tout cas. Beaucoup, beaucoup.

05 mars 2009

Le gars des vues

Ce n'est pas parce que je n'écris plus sur ce blogue fréquemment que je ne pense pas à vous. Je vous jure, vous occupez souvent mes pensées, chers lecteurs, chaque fois qu'il m'arrive des aventures insolites. Je me dis toujours « Tiens, ça, ça serait drôle de le raconter sur Les mains vides » ou « Ouais, ça aussi, ça serait croustillant comme punch », à la moindre petite anecdote. C'est donc dire que dernièrement, je passais mes journées à penser à vous; les oreilles ont dû vous siller en pas pour rire, car ma vie n'est qu'une seule grosse anecdote bien juteuse par les temps qui courent!

Je ne saurais pas par où commencer. À vrai dire, je me dis que je devrais peut-être m'abstenir de tout raconter ici et carrément écrire un scénario avec les moments forts de mon existence et vendre ça à une Major hollywoodiene. Quoi qu'on me répondrait peut-être que « Nobody's gonna believe it, that story is just impossible.»

Ils ont raison. Des fois, je me réveille le matin et je me demande où il se cache, le gars des vues. Dans quel recoin de mon appartement il s'est dissimulé. Je le sens, il est là, il m'observe, il prend des notes et bam! il sévit. Je l'imagine, dans le fond de mon garde-robe, entouré de ses ordinateurs, de ses écrans, de son casque d'écoute et de ses mille cossins technologiques qui lui permettent de garder un oeil sur moi peu importe où je me trouve dans le monde. Quelqu'un (qui au juste, je ne sais pas. Dieu? Christof, le personnage de Ed Harris dans The Truman Show? Les créateurs de Facebook?! Je l'ignore) - quelqu'un, bref, paye ce gars-là pour qu'il invente des péripéties à ma vie. Qu'il s'arrange pour que l'improbable survienne. Que jamais personne ne me croit quand je leur raconte ce qui m'arrive. S'il est payé à la mésaventure, pour vrai, il doit faire la piastre en maudit. Il doit être aussi riche que Ken Follet, celui qui sort des bouquins épais comme des bottins téléphoniques parce qu'il est payé à la page.

Donc. Par où je commence? Que voulez-vous savoir en premier? Je vous laisse le choix, public adoré. À vous de voter pour l'anecdote qui pique le plus votre curiosité. Et je m'engage à en publier tous les détails d'ici une semaine (dans la mesure où vous daignerez répondre à mon appel dans un délai assez rapproché!)

Alors...

A) Le «comment-pourquoi-quand-où-j'ai-croisé-le-bellâtre-qui-m'a-servi-de-chirurgien-au-mois-de-novembre-et-de-quelle-manière-j'ai-une-fois-de-plus-réussi-à-me-rendre-complètement-ridicule»

B) L'incroyable-mais-vrai récit de comment j'ai réussi à me fracturer une deuxième fois le poignet gauche et cette fois-ci, sans avoir le loisir de pouvoir accuser l'administration Tremblay

C) Les détails juteux et étonnants du blind date que j'ai eu il y a deux semaines et dont les grandes lignes seront racontées dans un célèbre magazine montréalais - sortie prévue à la fin mars... Vous, chers fidèles de Sophie B., vous aurez droit à la version en coulisse...

D)L'histoire de la fois où j'ai cru que j'étais enceinte mais que je ne comprenais pas pourquoi parce que me semblait que je n'avais pas couché avec qui que ce soit depuis un bon p'tit bout, pis que finalement, oui, j'étais enceinte mais que je l'ai perdu. Ayoye.




Y'aurait encore d'autres options, mais j'pense que le buffet est déjà suffisamment intéressant comme ça! À vous de me dire ce que vous désirez avoir dans votre assiette maintenant...