28 juillet 2007

Le bout du nez des poules pas d'tête



- Taxi Coop.
- Oui Madame, j’ai oublié quelque chose dans un de vos taxis, ça fait à peine une heure.
- Numéro du taxi?
- Je le connais pas, je passe pas mon temps à noter le numéros des…
- Va falloir attendre au moins trois jours avant de le récupérer, le temps que l’objet nous revienne, s’il nous revient, qu’on fasse le tri et…
- Trois jours?! Mais j’en ai besoin maintenant moi!
- Peux rien faire.
- Comment ça «peux rien faire»? Y’a sûrement une solution! Si je vous disais que c’est mon pace maker que j’ai oublié sur la banquette de votre maudit taxi, est-ce que vous m’aideriez un peu plus?
- C’est pas un pace maker que vous avez oublié certain.
- Qu’est-ce qui vous fait croire ça?
- Trop jeune.
- Moi, trop jeune?! Non, mais, en plus vous faites de la discrimination envers les cardiaques! Vous saurez que de plus en plus de gens de moins de trente ans meurent du cœur!
- C’est bien dommage tout ça, mais c’est ainsi. Rappelez dans trois jours.

Quoi!? C’est ainsi que ça se termine? Pas d’encouragement, de tentative de sympathie, de faire-semblant-de-me-comprendre-j’suis-vraiment-désolée-j’ai-fait-tout-ce-que-j’ai-pu-et-je-ne-peux-rien-de-plus-pour-vous? Son boulot, ce n’est pas de donner du service à la clientèle? Je suis la clientèle et je considère n’avoir eu aucun service!

- Taxi Coop.
- Oui, ce serait pour faire une plainte s’il vous plaît.
- J’vous écoute.
- Y’a pas quelqu’un d’autre à qui je pourrais parler, genre le directeur du département du service à la clientèle.
- Pas de directeur. C’est à moi que vous devez parler.
- Ben alors vous vous ferez le message à vous-mêmes que vous êtes une incompétente sans cœur qui n’a aucun, mais alors là aucun talent pour travailler avec le public, merde, même pas foutue de m’aider à trouver une solution à mon problème.
- Une solution? J’en ai une pour toi : ….

Raccroché au nez. Encore. Elle ne comprend vraiment rien elle! Il faut que je récupère mon manteau maintenant-tout-de-suite-sans-plus-tarder-aucune-seconde-à-perdre! Je dois absolument savoir ce qui se trouve à l’intérieur de la poche de ce satané bout de tissu! Et si l’objet que Louis y avait glissé avait le pouvoir de changer ma vie? On ne sait jamais, peut-être qu’il m’a laissé un petit mot contenant la réponse à toutes les questions que je me pose depuis deux mois? Le secret même de l’existence, le pourquoi du comment. Peut-être qu’il s’agit d’une amulette sacrée pouvant me protéger des mauvaises ondes, du cancer, des attaques au couteau, du.... Peut-être que c’est une bombe artisanale! Peut-être que Louis est un membre en règle d’Al Quaïda, petit cousin d’Oussama, et qu’il m’utilise depuis le début afin de mener à bien son projet de faire exploser tout Montréal! Madame, madame, je dois savoir! Ma vie, votre vie, nos vies sont en danger!

J’en étais là dans mes réflexions - à lire : délires - quand on a sonné à ma porte. C’était ma fameuse voisine-diseuse-de-bonne-aventure, accompagnée d’une de ses dix-neuf chats.

- Escuzez-moi d’vous déranger mam’d’zelle, je…
- J’ai mis la musique trop forte? J’suis désolée, j’vais la baisser tout de suite!
- Non, non. La musique, ça va, ça va. Je voulais juste savoir si vous auriez pas vu un chat blanc avec des taches noires «broder» dans l’alentour? J’ai perdu Ti-mine, ça «faite» trois jours j’l’ai pas vu…
- J’suis désolée, je ne l’ai pas…
- J’ai ‘ssayé de l’appeler avec d’la bonne nourriture, j’leur donne juste des bonnes croquettes du vétérinaire à mes chats, j’en ai huit, je les aime assez, est-ce que je te les vous ai déjà montré mam’d’zelle? En tout cas, Ti-mine, c’est mon préféré, mais y’est parti, j’comprends pas pourquoi, «passe» j’y donne tout plein d’amour à c’te bête là, c’est mon préféré, j’vois pas pourquoi y’aurait voulu fuguer, j’veux dire d’l’amour, c’est important de leu’z’en donner tout plein, les chats y’en ont d’besoin, sinon y meurent…
- Si j’le vois je …
- Y se laissent mourir sinon, pis ça c’est pas drôle dans c’temps-là. L’aut’ jour j’ai trouvé un chat dans’ ruelle, pas de collier, rien, pis j’pouvais pas le nourrir, tu «créras» ben mam’d’zelle, j’en ai déjà huit des menoux, pis j’les aime, y mangent rien qu’d’la bonne nourriture de chez l’vétérinaire, j’vous l’dis, mais l’autre chat, j’pouvais pas le garder, j’en ai déjà huit, pis là en plus je garde le chien de ma cousine, Andréa, est partie en voyage dans le sud, elle a gagné ça à «rédio», y faisait tirer ça au programme de chose, comment y s’appelle donc, en tout cas, a pouvait pas l’amener, «passe» t’sais mam’d’zelle, y les mettent dans’ «suit» à bagages les chiens, dans des tites cages, c’est tu pas assez cruel, mais en tout cas, le chat que j’ai trouvé moi, ben j’ai été obligée de l’amener à la c’«PCA», pis là, ils l’ont «thanasié» le pauvre tit, non mais y’a assez des gens qui prennent pas soin de leu’z’animaux «damestiques», c’est triste à voir…
- Mais j’suis sûre que c’est pas votre cas madame et si je vois votre chat…
- Oh non, hein, c’est pas mon cas, moi j’en prends soin pas pour rire de mes belles bestioles de poils, ah! C’que oui! Pis l’autre qui z’ont «thanasié», j’pouvais pas le faire rentrer che-nous, y’avait trop l’air malade, j’veux dire, j’avais peur qui «contacte» mes chats à moi, pis j’me s’rais jamais pardonné d’avoir «infectionné» mes menoux, pis Andréa, oh! non, elle aurait pas’t’été contente de savoir que son Puffy y’avait pogné la rage à cause d’un chat de gouttière que j’aurais laissé rentrer dans’maison…
- J’comprends tout ça! Et j’vous jure que je vais vous aider à chercher votre p’tit minou- comment y s’appelle déjà?
- «Mossart», comme le grand musicien là, celui qui compose de la belle musique, j’ai son disque che-nous…
- Oui, oui, moi aussi j’l’aime beaucoup, alors si je vois Mozart, j’vous fais signe!
- Ben non, pas Mozart! Mossart! Ah! Si tu y dis pas son vrai nom, y se reconnaîtra pas, t’sais les chats, sont sensibles des oreilles, y r’connaissent leu’nom, pis toute.
-… ouais… Bon, je dois y aller Madame…
- St-Germain, Madame St-Germain, j’crée ben qu’on s’était jamais présenté pour vrai, c’est-tu drôle…
- Oui, très drôle! Ah! Mais là je dois vous laisser…
- Ah! Moi aussi, j’suis ben occupée aujourd’hui, j’ai un rendez-vous à trois heures, pour les cartes, un monsieur, un pauvre p’tit monsieur, y’a perdu sa femme pis y voudrait savoir si… Mais toi, toi mam’d’zelle, j’vous ai jamais tiré, hey, y faut que je vous tire, bientôt, demain, viens faire un tour che-nous, j’ai du bon thé que mon beau-frère m’a ramené d’Égypte, t’sais là où y’a les pyramides d’Égypte, pis m’en va te les dire ton avenir, ok, gratuit pour toi, ok?
-Ok. Ok. J’vais v’nir vous voir, promis. Bonne fin de journée.
- Vous t’aussi mam’d’zelle.


Ouf. Je pensais ne jamais pouvoir m’en débarasser. Incroyable. C’est qu’elle est inarrêtable la pauvre femme! Même morte, elle va continuer de jacasser, comme les poules qui continuent de courir après qu’on leur ai arraché la tête, elle, elle va bavasser comme une pie encore quelques minutes après avoir trépassé, c’est sûr!

Le lendemain, un peu «suicidairement», j’ai répondu à l’invitation et suis allée lui rendre visite, afin qu’elle me prédise mon super avenir rempli d’enfants en santé, de prince charmant au teint bazané, de voyages, de surprise, de diamants…

J’étais tellement obnubilée par le décor, par tous ces voiles qui pendaient au plafond, ces bibelots qui agrémentaient les tablettes, les bibliothèques, les rebords de fenêtre, toutes ces collections de boudhas, d’éléphants-avec-la-trompe-en-l’air, de pierres semi-précieuses; tellement impressionnée par cet amas de chandelles, d’encens, de livre de cartomancie, d’astrologie, de para-psychologie, tellement, oui, que j’ai à peine écouté tout ce qu’elle m’a débité concernant mon incroyable futur. Son charabia était plutôt incompréhensible pour la néophyte que je suis, qui commence à peine à découvrir sa spiritualité! Mais bref, selon elle, que de bonnes choses m’attendent d’ici la fin de l’année… Certes.

Elle n’avait probablement pas tout faux, car au moins une bonne chose allait m’arriver et ce, avant même de quitter son appartement.

C’est qu’au moment où j’ai commencé à penser m’en aller - il me fallait préparer le terrain, car j’en avais pour au moins vingt minutes à lui expliquer que je devais partir, qu’elle était très gentille de m’avoir révélé toutes ces choses étonnantes, mais qu’à présent, le moment était venu pour moi de la quitter, mais oui, oui, je reviendrais, bien entendu - alors que j’avais la main sur la poignée et le pied gauche dans le cadre de porte, je l’ai vu. Il était là. Évaché sur le divan de Madame St-Germain.

Non pas l’homme de ma vie, celui que je suis effectivement censée avoir déjà rencontré, selon les dires de Madame Lucille, mais que je n’ai tout simplement pas remarqué, car j’étais trop affairée à accorder de l’importance à des choses pourtant insignifiantes, non ce n’était pas cet homme tant désiré qui était là, étalé de tout son long sur le fauteuil de ma bien chère voisine, mais bien mon imperméable rouge. Celui que je croyais ne jamais revoir.

- Qu’est-ce que mon manteau fait là?
- Oh! C’est à toi c’te «jacket»? Je l’ai trouvé dans les escaliers hier, y traînait là. J’ai demandé à la p’tite Julie, l’autre locataire, pis elle m’a dit que c’tait pas’t’elle, j’aurais ben dû me douter que c’tait à toi, mais non, j’y ai pas pensé, j’suis tête en l’air des fois j’te dis, j’réfléchis pas plus long que le boutte de mon nez, pis pourtant, y’est pas mal gros mon nez, ahaha! J’te dis, les jeux de mots que j’peux sortir, on m’appelait le «clown» dans’ famille, pis c’pas pour rien, j’ai toujours aimé ça faire rire, pis j’pense que j’avais du talent, mais…
- Oui! Oui, beaucoup de talent Madame St-Germain! Merci d’avoir récupéré mon manteau, maintenant si ça vous dérange pas, j’vais le reprendre, je risque d’en avoir de besoin, y’annonce de la pluie cette semaine!
- Ben oui, certain ma p’tite! D’la pluie, tu parles d’un été toi, le ciel nous tombe su’a’tête…
- Oui! Ok! Bye!

Fiouh. J’ai réussi à refermer la porte et à regagner mon appartement, en prenant soin de bien barrer toutes les portes, au cas où prendrait l’envie à Madame St-Germain de venir finir la disscussion sur mon paillasson.
Moi qui croyait l’avoir oublié dans le taxi. Je l’avais simplement échappé en sortant de la voiture. Comme dirait Lucille «on cherche pas toujours à la bonne place».

25 juillet 2007

Waterproof, PART TWO




Louis n’est finalement resté que deux nuits et trois jours à Montréal. Et, étonnament, ce n’est pas mon humeur massacrante qui l’a fait fuir. C’est plutôt un appel de son patron lui demandant de rentrer plus tôt parce que la compagnie venait d’obtenir un énorme contrat et les délais étaient très serrés.

Je suis allée le reconduire à l’aéroport en taxi. Ça m’a coûté cher juste pour dire adieu, mais j’imagine que c’était nécessaire, qu’il fallait qu’on se quitte d’une manière digne et qu’on se dise quelques petites choses avant qu’il ne parte.

- Alors, quand est-ce que tu viens me voir à Rennes?
- Puisque j’en serai bientôt rendue à jouer du Harmonium sur les quais du métro pour arrondir mes fins de mois, va falloir attendre qu’un bon samaritain glisse un billet d’avion pour la France dans mon case de guitare.
- Et si je t’offrais l’aller-retour, moi?
- T’es pas obligé de faire ça Louis…
- Non, je suis pas forcé, t’as raison, mais j’en ai envie alors…
- On verra, ok? J’ai quelques petites choses à régler ici avant d’aller me créer d’autres ennuis ailleurs!
- C’est toi qui sais! Mais dans un mois, quand ce fameux contrat sera terminé, mon patron n’aura pas le choix de me dédommager pour m’avoir ruiné mes vacances, alors je vais lui négocier un autre trois semaines… J’aurai donc du temps pour toi, si tu veux.
- C’est vraiment gentil, merci, mais… on verra!

Les aéroports, ce n’est pas comme dans les films; on ne peut pas voir les gens monter dans l’avion et leur faire salut par la baie vitrée. Pas question d’accompagner le voyageur jusqu’à la porte d’embarquement et de courir dans le long corridor menant à la porte de l’avion pour soutirer un dernier baiser à celui qui nous quitte. C’est un leurre. Il n’y a que dans la tête de Steven Spielberg que cela est possible. En réalité, cela se déroule d’une manière beaucoup moins romantique. On fait la file, on discute, et soudainement, quelqu’un nous annonce que si nous n’avons pas de carte d’embarquement, nous devons nous éloigner. Il faut dire au revoir maintenant. C’est la dame de la compagnie aérienne qui décide quand tu dois dire «à bientôt». Et elle le fait de manière assez brusque généralement.

Devant l’insistance de l’hôtesse de l’air, nous n’avons pas eu le choix, il a fallu mettre fin à la discussion que nous n’avions pas. Je n’avais rien à dire à Louis, et lui était rendu mal à l’aise par mon silence. Il a voulu m’embrasser, évidemment, mais moi, j’ai détourné le visage. On s’est contenté d’une longue accolade et d’un «je t’appelle dès que j’ai un moment». C’est ainsi que ça s’est passé. J’ai payé soixante-dix dollars de taxi, aller-retour, pour passer cinq minutes à l’aéroport avec un gars que je n’étais même pas triste de laisser filer.

Du moins, c’est ce que je croyais. Dès que j’ai mis les pieds dans le taxi du retour, j’ai éclaté en sanglots. Le chauffeur a eu toute la misère du monde à comprendre mon adresse; j’avais de la difficulté à parler tellement mon menton tremblait. Le pauvre homme, il a bien essayé de me consoler - «Ça ba bienne aller madémoisselle, touté ba rrentrer danne l’ordre. C’est ça la bie, c’est difficilé des fois. Tenez. Madémoisselle prendre oune papel mouchoir. Dousse pour lé nez.» - mais il n’y avait rien à faire, j’avais complètement perdu le contrôle.

Les larmes se sont calmées seulement lorsque j’ai franchi le seuil de ma porte. Cependant, la crise n’était pas complètement terminer; des larmes récalcitrantes se pointaient une fois de temps en temps et j’étais au prise avec ces espèces de hoquets de respiration qu’on a lorsqu’on pleure trop.

La seule activité constructive que j’ai réussi à accomplir cette journée-là, ce fut de prendre mes messages sur mon répondeur.

- Salut ma choupette, c’est ta mère. Me semble que ça fait longtemps qu’on s’est pas parlé. J’aurais aimé ça qu’on jase là. J’ai des bonnes nouvelles à t’annoncer. Ça fait que… rappelle-moi, ok?!

Bip.

- Salut Sophie, c’est Louis. Écoute, on s’est laissé un peu vite tout à l’heure, j’aurais aimé ça qu’on parle un peu plus, qu’on prenne le temps de…. Crrrchhhh, crchhhhh… tu vois? Merde, je crois que … crchhhhh… va couper. M’enfin… Regarde dans ton imper, je t’ai… crchhhh… un petit… crchhhh. Prends soin de toi. Je … crchhhhh.

Bip.

Je? Je quoi? Merde! Mon imper… Quel imper? J’avais un imper moi?! Oui! Mon imper rouge! Mais… Me semble que je n’ai pas enlevé de manteau en rentrant ici. J’ai ouvert la porte, j’ai enlevé mes souliers et je suis allée m’effrondrer sur le lit… Pas d’imper. Oui! Un imper, mais dans le taxi! Fuck.

23 juillet 2007

Objects in the mirror are closer than they appear


Finalement, le trois cent dollars que mon père m’avait versé incognito, je n’ai pas eu besoin de l’utiliser pour revenir à Montréal. Un moyen alternatif m’a été proposé : Louis et sa voiture louée m’ont suggéré de me ramener, à la seule condition que je leur fasse visiter Montréal et que je leur offre un endroit où se «parker» quelques jours… J’ai accepté, me disant que ça allait m’occuper pour au moins une semaine, que d’avoir un invité à la maison pourrait me désennuyer et me permettre de vraiment passer à autre chose. Mais quand notre «maison» est en fait un deux et demi, réussir à concilier «invité» et «intimité», c’est plutôt difficile.

- Voilà! C’est ici chez moi!
- Hmm. Mignon. C’est joli la déco.
- Si on aime le vintage et/ou l’archéologie, oui. Là, t’as les anciens divans en cuir de ma mère, l’ancien micro-ondes de mon père, le nouveau couvre-lit de ma belle-mère, qu’elle m’a donné parce qu’il avait un défaut, et ici, l’ancien frigo de mes parents, qui ne sont plus ensemble depuis dix ans, alors tu peux deviner l’âge de la bête.
- Bah. Ça a son charme toutes ces vieilleries.
- On dit «antiquités»!
- Pardon! Alors… où est-ce que je vais crécher? Sous l’ancienne-nouvelle couverture de ta belle-mère ou sur les anciens divans en cuir de ta mère?!
- On verra comment on feel ce soir?!

Et le soir venu, je n’avais aucunement envie d’avoir un homme dans mon lit. Surtout pas l’homme qui s’avérait disponible à cet instant. Il est bien gentil Louis, mais la soirée qu’on avait passée en avait été une d’obstinades. Lui, en bon Français qu’il est, il avait l’air de trouver ça amusant de constamment remettre ma parole en doute, de confronter tout ce que je disais, de nier chacune de mes affirmations, mais moi, je commençais à sérieusement avoir envie de le giffler, en bonne Québécoise féministe qui ne supporte pas l’attitude machiste que je suis. J’aurais voulu pouvoir le renvoyer là d’où il venait, mais j’avais promis de lui servir de guide, et de toujours tenir mes promesses, c’est peut-être la seule qualité qui me reste, alors je ne pouvais pas agir selon mes impulsions.

Je me rendais bien compte que Louis n’échappait pas à mon état d’esprit général et qu’il faisait partie, comme tout le reste, de ces choses que je remets constamment en question. Cette manie que j’ai de changer d’idée à toutes les trois secondes et demi, particulièrement depuis la catastrophe François/Magalie, elle s’applique à Louis également. Nous avons passé des moments fort agréables à Val d’Espoir; nous sommes allés observer les phoques sur la côte, près de Cap d’Espoir, nous avons pris un bain de minuit dans la Grande Rivière, aux abords de laquelle nous avons dormi à la belle étoile, flambant nus, simplement emmitouflés dans nos couvertures de laines carrotées; nous avons bu des cafés amaretto, ou plutôt des amarettos au café, au coin du feu, celui où nous nous étions cuisiné des homards frais juste avant. Bref, en une semaine, je crois que j’ai fait plus d’activités avec lui qu’en cinq ans avec François. Ça m’a changé les idées, certes, mais pour une fille qui change justement constamment d’idée, se changer les idées ne fait que la mêler encore plus.

Dans la voiture, sur le chemin vers Montréal, quelque part entre Matane et La Pocatière, je me suis mise à avoir de la difficulté à respirer. Toutes les vitres étaient baissées, le vent tourbillonnait dans la voiture, tellement qu’on aurait pu éteindre le moteur et à elles seules, les rafales auraient pu nous faire avancer, mais moi, ça ne me suffisait pas; tout cet air, avec ses odeurs de sel et d’algue, cet Alizé venu du large jusqu’à mes poumons, non, ce n’était pas assez pour me permettre de respirer. J’avais besoin de plus que d’une brise; c’est une tornade au complet qu’il m’aurait fallu, des morts, des blessés, des disparus, des maisons qui virevoltent, des arbres déracinés, des pannes d’électricité, pour que je respire, qu’enfin, je reprenne mon souffle. C’est à cet instant que j’ai compris que je carburais au drame, que tant et aussi longtemps que les choses s’enchaîneraient de manière déchirante et tragique, je pourrais continuer à survivre, car comme un poisson rouge dans son bocal rempli d’eau fraîche peut être comblé, moi, c’est dans les histoires pathos et compliquées que je suis heureuse. Et voilà qu’avec Louis, ce ne l’était pas assez.

J’ai fini par m’endormir, épuisée, à force de penser à des cyclones et des ouragans. À mon réveil, nous étions rendus à Saint-Nicolas, sur la rive-sud de Québec; le sommeil avait réussi à me calmer un peu les ardeurs et les angoisses. Ma crise d’asthme psychologique avait pris un break. Louis aussi; il avait stoppé la voiture sur le bord de la route 132, avant de rejoindre la 20, pour faire un petit somme. Il le méritait bien, après ces quelques dix heures de route sans arrêter. Pour ma part, c’est de me dégourdir les jambes dont j’avais besoin. J’ai marché en direction nord, espérant rejoindre le fleuve un moment donné. Il est soudainement apparu, et avec lui, les ponts Pierre-Laporte et de Québec, miroitant sous le soleil levant. La vue était splendide; même les goélands qui beuglait pour avoir un peu de McDo m’apparurent sympathiques à cet instant. Deux ou trois voiliers bien blancs serpentaient sur le Saint-Laurent, qui était si calme qu’on aurait dit un lac. Les orangés, les mauves et les rosés de ce paysage m’ont apaisée et redonné une certaine envie d’y croire. Croire à quoi, je ne savais pas, mais j’y croyais, fermement. Que tout était possible, peut-être.

Je suis arrêtée dans un dépanneur, nous chercher des muffins et des cafés, et lorsque je regagnai la voiture, je vis Louis qui m’attendait, échoué sur le devant du bolide, en petite culotte; monsieur faisait le plein de vitamines D, paraît-il. Une fois rhabillé et embarqué sur la 20, Louis essayait de faire le plein de sexe, on aurait dit. Il a passé le voyage sa main entre mes cuisses, passant proche au moins trois fois de nous faire rouler dans le ravin. J’ai découvert que les nervures qu’ils mettent sur le côté des autoroutes, pour réveiller les conducteurs qui s’endorment au volant et qui finissent par dévier un peu trop à droite, eh bien, elles ont aussi le pouvoir de réveiller l’appétit sexuel des jeunes filles. Les vibrations continues sont plutôt agréables pour la cerisette! Accompagnées des caresses persistantes du garçon assis à notre gauche, vraiment, y’a de quoi faire frémir n’importe quel femme frigide. À la hauteur de Drummondville, nous étions devenus deux vrais dangers publics. Alors, pour le bien de la société et celui du pantalon de Louis, dont la braguette menaçait d’exploser tant l’engin qu’elle tentait en vain de dissimuler avait pris de l’ampleur, nous sommes arrêtés au truckstop et mis fin aux préléminaires, pour mieux passer à l’étape suivante. Je soupçonne un des truckers présents sur les lieux de notre crime d’avoir observé la scène avec délectation et d’y avoir trouvé son inspiration pour sa branlette dans les toilettes du Tim Horton où il s’est arrêté pas trop longtemps après pour aller se chercher son café bien noir, trois sucres, jamais de lait. Peut-être est-ce dans ma tête, mais sur le coup, je trouvais ça plutôt excitant de penser qu’un inconnu avec une casquette des Expos, des bas blancs étirés jusqu’au genoux, beaucoup de poils sur le torse et les oreilles et une bedaine de bière nous observait dans son miroir - Objects are closer than they appear. Oui, nous étions plus proches qu’il n’y paraissait, plus proche du zénith, plus proches du onzième ciel, parce que putain qu’il sait quoi faire avec ses mains le jeune Breton.

Il sait quoi faire avec ses mains, mais reste que le premier soir à Montréal, je n’avais pas envie que ses mains dorment dans le même lit que moi. Je leur ai quand même accordé la permission de partager ma couchette, en leur faisant promettre de ne pas trop être insistantes.

Le lendemain matin, là, ce fut tout le contraire, j’avais vraiment envie d’être touchée par ces mains divines, enlacée par ces bras musclés, collée par ce corps encore un peu étranger. J’étais heureuse de ne pas me réveiller seule dans mon grand mini deux et demi. Contente de pouvoir faire du pain doré à quelqu’un, de savourer mon café au lait en bonne compagnie, sur le petit perron qui donne sur la ruelle, contente de regarder les enfants jouer à la marelle et les chats de gouttière se chanter la saison des amours avec un homme assis à mes côtés. Contente, mais pour combien de temps, ça, nul ne le sait. Ou si quelqu’un le sait, a un léger doute, une intuition, qu’il me le dise, tout de suite. Qu’il m’apprenne comment je me sentirai dans les prochaines minutes, les prochaines heures, car c’est essoufflant à la fin, de ne pas savoir à quoi nous attendre, de ne pas pouvoir prévoir nos propres réactions. Mon ancien boss m’avait conseillé d’aller consulter un psy, mais je crois que c’est une diseuse de bonne aventure que je devrais aller voir.

Ma voisine d’en haut, une dame d’environ soixante-quinze ans, m’avait justement dit le jour où j’ai emménagé ici, qu’elle tirait aux cartes pour pas cher, pas cher, et que pour moi, ça pourrait même être gratuit, étant donné que j’avais l’air «dont ben gentille». Gratuit. Ne serait-ce que pour ça, c’est une activité qui pourrait me plaire. Le lendemain, pourquoi pas.

18 juillet 2007

Histoire de chasse




Après deux jours à Val d’Espoir, j’ai réalisé que je n’aurais peut-être pas suffisament d’argent pour prendre le bus pour retourner à Montréal. Étant donné que je survis grâce à mes maigres économies depuis un mois, qu’il n’y a absolument rien qui entre dans mon compte, que des sous qui sortent - à une vitesse plutôt impressionnante -, ce n’était peut-être pas très sage de ma part de partir ainsi sur un coup de tête, mais trop tard, je l’avais fait. Je devais en assumer les conséquences. Par là, j’entendais «je devais trouver le courage d’appeler mon père pour lui demander s’il ne pouvait pas me prêter un «p’tit» cent, juste pour me dépanner.»

- Je vais te le remettre dans pas long Papa.
- Ça me dérange pas Sophie, tu sais ben que je peux me passer de cet argent pendant un petit bout de temps. Tu peux ben me le remettre uniquement dans deux ans, tout ce que j’espère, c’est que tu te trouves une job avant ça…
- Mais oui mon petit Papa, tu le sais ben, j’vais m’en trouver une dès mon retour à Montréal.
- Ton retour à Montréal? Mais t’es où là?
- Euh… À ton chalet?
- Qu’est-ce que tu fais là?!
- Je… prends des petites vacances?!
- Des vacances de quoi Sophie?! Ça fait un mois que tu ne fais rien, que tu ne travailles pas, de quoi est-ce que tu te reposes coup donc?!
- Hey! Woh! Tu sauras que c’est pas mal fatiguant de ne rien faire et de constamment se faire rappeler qu’on fait rien, pis qu’on vaut rien, pis que faudrait qu’on se prenne en main! Écoute, si tu veux pas m’aider, aide-moi pas! J’vais m’arranger autrement! J’vais faire du pouce, me faire embarquer par un débile qui va me découper en petits morceaux et me faire livrer chez vous par ExpressPost! Non, non, c’est beau, j’te l’dis, y’en n’a pas de problème! Merci quand même!

D’accord, j’ai peut-être pris les nerfs un peu trop rapidement, mon père ne méritait pas de telles menaces, mais lui, qu’est-ce qui lui a pris donc? Il était pire que ma mère! Elle, j’ai pas osé l’appeler, car si mon père avait pu me tenir un tel discours moraliste, je ne voulais même pas m’imaginer ce que ma tendre maman allait pouvoir me sortir!

C’est aucun argent de plus en poche, mais une petite mauvaise humeur en prime, que je suis sortie de la cabine téléphonique et que j’ai repris ma place de co-pilote aux côtés de Louis. Après s’être rendus à Percé pour notre visite «Minute du Patrimoine» - exception faite que je n’ai pas été financée par le programme des commandites pour raconter mes balivernes historiques - Louis et moi avons repris la route du village. Dans la voiture, ni l’un ni l’autre ne parlait; on a écouté du Louise Attaque dans le piton. Le paysage défilait au rythme des «Viens t’en, j’t’emmène au vent» de Gaëtan Roussel; Louis, en bon Français, roulait plutôt vite - «Quoi? C’est max 100 sur les autoroutes ici?! Non mais, vous êtes cinglés! À la grandeur qu’a votre province, pour vous déplacer d’une ville à l’autre, si vous roulez vraiment juste à 100, ça doit vous prendre 20 jours!» - et cette vitesse me convenait parfaitement. J’avais besoin d’un p’tit coup d’adrénaline, de me sentir illégale et inatteignable; personne n’aurait pu nous rattraper, car s’ils avaient essayé, nous n’aurions pas hésité à donner un brusque coup de volant et à plonger à même la mer pour nous enfuir. Nous aurions rouler sur les vagues, traverser l’Atlantique, tiens, pourquoi pas. Louis m’aurait emmenée visiter sa Bretagne natale, il m’aurait fait voir St-Malo, il m’aurait parlé de l’église où s’est fait bénir Jacques-Cartier avant son départ pour l’Amérique - il vient de la même ville que Jacques-Cartier, c’est clair qu’il n’a pas cru mon histoire de ti-Jacques-ben-saoul-qui-fonce-dans-le-rocher! -, on aurait bu du Pastis pour l’apéro dans une petite taverne de pêcheurs et on aurait fait du camping sur la plage, saucisses bien grillées et mashmallows pour souper - ils parlent tellement français en France qu’ils ne sont pas capables de dire guimauves… - et voilà, on se serait endormis en cuillère, les deux dans le même sac de couchage, exténués de nos aventures transcontinentales.

C’est là que j’en étais dans mes rêveries quand Louis a failli frapper une vache qui tentait de traverser la rue. La pauvre bête était complètement sous le choc; ses grands yeux me regardaient avec effroi, semblant me dire : «Qu’est-ce qui vient de se passer? J’suis où? Pourquoi?» Et quand je dis «la bête», je parle de Louis, non pas de la vache! Le mec, il se la jouait cool avec ses 140 kilomètres/heure sur les routes de campagne, mais il a ravalé sa testostérone assez vite quand son sac gonfable s’est ouvert et qu’il l’a reçu en pleine poire! Une chance que nous n’avions rien frappé, c’est une mongolfière au complet qui aurait sorti du tableau de bord autrement! J’ai ri de lui pendant un bon cinq minutes, jusqu’à ce que je me rende compte que ce n’était peut-être pas bon pour mon dossier de prétendante de malmener ainsi son orgueil viril.

- T’aurais pu au moins la frapper pour vrai, ça nous aurait fait de quoi bouffer pour souper et une belle peau pour…
- Pour…
- Je veux dire, une belle tête pour décorer les murs du chalet!

Ouf. J’ai failli mettre cartes sur table un peu trop vite. Moi et mes calembourgs…

Je crois que Louis apprécie beaucoup mon humour et qu’il le prend au pied de la lettre, car c’est effectivement affalés sur une peau de bête que nous avons terminé la soirée! Nous sommes allés à sa chambre de motel et j’ai pu constater que les propriétaires de l’endroit investissaient beaucoup dans la décoration «pittoresque», probablement dans le but de ne pas dépayser ces touristes européens qui croient que nous habitons toujours dans des cabanes en bois ronds, habillés de chemises à carreaux rouges et noirs. Il y avait donc une tronche d’orignal suspendue au-dessus du lit et une peau d’ours devant non pas un foyer, mais plutôt un téléviseur projettant des images de foyer! C’est dans ce comble du kitsh que nous avons non pas fait l’amour, mais bel et bien baisé! Non seulement il a de beaux yeux le Louis, mais c’est qu’ils «matchent» avec le reste de son corps! Flambant nu, son regard de félin ressort merveilleusement! Et il sait quoi faire avec ses griffes!

Comme c’était bon de me sentir de nouveau désirable. Ses mains sillonnaient mon corps, du lobe d’oreille au creux du nombril, en passant par l’arche du pied jusqu’au confin des omoplates; sa langue chaude et assoiffée suivait le même parcours, en prenant soin de goûter chaque grain de beauté, chaque recoin d’épiderme. Il me serrait si fort dans ses bras que je me sentais au bord de l’évanouissement à chaque fois. Ce sentiment de vertige atteignit son apogée au moment de la jouissance. Notre connection fut si intense que nous avons crié notre plaisir au même moment. Le plus beau dans tout ça, c’est qu’à aucun moment au cours de nos prouesses amoureuses je n’ai pu penser à François. François, l’homme qui hante mes pensées depuis des semaines, eh bien, à l’instant précis de l’orgasme, il s’est évaporé. Mon soupir d’extase n’en fut qu’encore plus soulageant.

Louis a fini par s’endormir vers quatre heures du matin. Pour ma part, je n’arrivais pas à trouver le sommeil. J’ai profité du fait qu’il y avait un téléphone dans la pièce pour appeler les services automatisés de ma caisse et vérifier à quel point mon compte était en souffrance.

Mon père m’avait versé trois cent dollars dans la journée.

Il arrive parfois qu’on demande peu et qu’on reçoive beaucoup…

16 juillet 2007

Que vous eussiez Percé : Val d’Espoir, la suite…




Ça faisait longtemps que je n’avais pas aussi bien dormi… On devient habitué à la pollution sonore de Montréal, à tous ces bruits incessants qui hantent la ville; on en oublie ce qu’est le silence. Et ce qu’apporte le silence. Derrière son vide apparent, tout un monde. Le silence, pour moi, c’est le soleil de fin de journée, particulièrement celui qu’on peut observer à la mi-août, les dimanches; le silence, c’est mon visage tourné vers ce soleil, qui tâche d’en attirer tous les rayons, de faire provision de jaune, de chaud, de santé, de lumière; le silence, ce sont mes yeux fermés, à travers lesquels j’ai quand même l’impression de pouvoir voir, car le soleil de fin d’été en pénètre la mince peau et y dessine des vagues de couleurs; le silence, c’est l’aveuglement, quand je rouvre ces mêmes yeux, et que tout apparaît blanc, fragile, de nouveau, le monde qui surgit, dans un éclair duquel mes cils ont peine à me protéger. Mais pourquoi donc est-ce que j’essaierais de me protéger du silence? Il est si moelleux, si confortable, si…

Si. Il est 10h05 et j’apprends que les Français sont des gens ponctuels. Le silence de Val d’Espoir a oublié de me réveiller. J’avais donné rendez-vous à Louis-le-Breton-Husson à 10h00, à ma porte, et il était là. Mais moi pas. Moi j’étais encore bien emmitoufflée dans mon édredon de silence si… J’ai sursauté comme si on venait de m’arracher une dent en entendant le «toc toc toc» bien convaincu du bellâtre. Au lieu de crier «Un instant! J’arrive!», j’ai courru à la porte et ai tout de suite ouvert, de peur que Louis ne s’enfuit, pensant que je n’étais déjà plus là. J’aurais pu retenir mon ardeur et au moins prendre le temps d’enfiler un t-shirt, mais non, pourquoi pas me montrer en petites culottes et en soutien-gorge devant un pur inconnu que je me suis dit! Pendant deux secondes, j’ai eu la honte collée au joue - et faut savoir que je rougis vraiment très facilement - mais quand j’ai vu le regard agréablement surpris du Français, je me suis dit que je venais peut-être de marquer un point sans le vouloir…

- Euh. Scuse. Euh. Attends. Ben. Entre. Ou... Non. Reste là. Deux secondes, je reviens, j’vais… me mettre… une petite laine sur le dos! C’est… c’est… frisquet ce matin, non?! Brr…
- Bah, ton dos, il est correct. C’est peut-être plus au pied que t’as froid, non!?

Bon. Un petit farceur. Un point pour lui. On est à égalité maintenant.

-Scuse moi, j’ai passé tout drette on dirait ben… j’ai dormi comme un bébé.
-Tout drette?
- Oh… euh… oui… tout droit… J’ai carrément pas vu le temps passer, j’ai oublié de me lever…
- Ah. Ok. Mais c’est sûr que si tu dormais, c’était difficile de voir le temps passer!

Bon. Ça suffit les jeux de mots le Breton. Faut pas abuser non plus! J’vais t’enlever ton point si tu continues!

- Tu veux un café, quelque chose?
- Ouais, pourquoi pas. Un café.

Oups. Pas de café. Tout ce que j’ai acheté au marché du village hier, c’était un steak et une bouteille de rosée…

- Euh… finalement… tu prendrais pas un verre de rosée bien chaud, c’est tout ce que j’ai!?!?
- Ahah! Écoute, on peut aller déjeuner en ville si tu veux, j’ai rien avalé encore moi non plus. Tu connais un endroit sympa?

Ah oui. C’est vrai. C’est pour ça qu’il est ici à la base : parce que je suis censée connaître le coin et lui faire découvrir des endroits fantastiques méconnus des touristes! Censée… Alors, madame la guide, vous vous pensiez fine, trouvez maintenant!

On s’est ramassé chez «Madame Patati, la Reine des Patates»; je lui ai dit que je lui ferais découvrir notre fine gastronomie québécoise. On n’est pas allés jusqu’à manger une poutine pour déjeuner, mais il y avait quand même beaucoup de gras trans dans notre assiette…

- En Bretagne, d’hab, j’prends un espresso et un croissant, alors, j’sais pas, qu’est-ce tu me conseilles dans le menu?
- Le spécial du bûcheron, sans contredit!
- C’est quoi, y’a de la bûche dans ce truc?!
- Non, mais presque. T’as des crêpes, des saucisses, du bacon, du jambon, deux œufs, des toasts. Pis demande du vrai sirop d’érable, sinon, y vont sûrement t’apporter du sirop de poteau.
- Quoi? Il tire du sirop des poteaux ici?!
- Euh… non… Façon de parler.

Bon. D’accord, on a quelque différends culturels, va falloir s’ajuster lui et moi, mais y’a pas juste des atomes croches, y’en a des crochus aussi, j’suis convaincue…

Après le déjeuner - le p’tit déj, pardon! -, on est embarqués dans son char - sa bagnole, pardon!- et on a roulé jusqu’au Rocher Percé. Je me suis sentie obligée de lui faire un petit cours d’histoire, afin de ne pas trop jouer les imposteures et remplir au minimum mes fonctions de guide. Comme je n’ai absolument aucune idée de pourquoi-y’a-un-trou-dans-le-Rocher-Percé-et-qui-l’a-découvert-et-pourquoi-et/ou-quand-donc-a-t-il-été-construit, je me suis servie de mes talents de gentille menteuse et lui ai raconté que ce rocher était considéré comme magique par les communautés micmacs qui occupaient les territoires gaspésiens quelques 2 500 ans avant l’arrivée de Jacques Cartier - y’a quand même du vrai dans cette partie - et que notre ami Jacques, justement, avait fait une petite gaffe un soir où il avait trop bu et qu’il était parti en mission d’exploration, seul, avec un de ses navires et qu’il avait foncé dans le dit rocher, d’où l’immense trou - c’est tiré par les cheveux, j’en conviens, mais on fait ce qu’on peut. Évidemment, cet accident engendra la grogne chez les Micmacs et installa un climat de tension entre les colons et les amérindiens; ces derniers voulaient la tête de ti-Jacques. Mais on a finalement convenu de pendre un de ses sous-fifres - j’adore ce mot! On l’utilise trop peu! - à sa place, et c’est à même le trou du rocher qu’on a pendu le pauvre matelot.

Faut croire qu’en plus de mes talents de gentille menteuse, j’ai un certain talent de comédienne, car il a eu l’air de tout gober, Louis-les-beaux-yeux. C’était peut-être juste pour me faire plaisir, mais même là, ce fut réussi, car oui, ça m’a fait plaisir…

Et une autre chose qui me fait vraiment plaisir, c’est de donner l’eau à la bouche aux gens et de les faire languir alors… je ne vous raconterai pas la suite maintenant, histoire que vous vous trémoussassiez - j’avais vraiment envie d’utiliser le subjonctif imparfait même s’il n’est pas adéquat, je trouve qu’on délaisse beaucoup trop ce temps de verbe, à l’instar du terme sous-fifre! - un peu sur votre chaise encore une ou deux journées! En attendant, vous vous pratiquerez à essayer d’inclure le subjonctif imparfait dans vos phrases…

14 juillet 2007

Le sommeil des justes




Je suis morte. Depuis une semaine. Une petite mort toute tranquille, sans trambour ni trompette ni drapeau en berne. Mais heureusement, on renaît des petites morts. Alors me revoilà, le teint un peu blafard, le regard un peu vague, mais en vie, au moins.

J’avais affreusement besoin d’être seule. À vrai dire, je suis extrêmement seule depuis plus d’un mois, mais là, j’avais besoin d’une solitude moins étouffante, plus vraie. Être seule sans me le faire rappeler à chaque minute par tous ces gens qui grouillent autour de moi, toutes ces choses qui me dévisagent, me jugent, dénigrent mon inaction. Être seule, sans rappel. Sans corde pour me faire remonter, sans aide, sans conseil; on se lasse, à la fin, de ces personnes qui nous comprennent, qui sont là pour nous, qui savent ce qu’on vit, qui sont prêtes à nous donner un coup de main, peu importe l’heure. Je ne veux pas de vos coups de main et de vos coups de pieds au derrière : mon p’tit cul, je vais me le botter toute seule. Il faut que je me reprenne en main; pas question de me déresponsabiliser cette fois. J’ai créé mon malheur, je suis donc la seule à pouvoir l’anéantir.

L’unique endroit où je peux vraiment réfléchir et me retrouver, c’est au chalet de mon père, en Gaspésie. Ça fait loin pour méditer, mais justement, j’étais rendue pas mal loin de moi, de ce que je suis réellement, de mon centre, de mes envies, il était donc nécessaire que je parcours une distance considérable avant de pouvoir recoller ces petites miettes de moi éparpillées et de construire un nouveau tout presque uniforme. Du moins en apparences.

Je me suis donc tapé seize heures d’autobus; seize heures de genoux dans le front, de cou cassé, d’odeurs étranges, de gens qui ronflent, de cellulaire qui sonne, de grosse dame qui chiale parce que «les transports en commun sont pas faits pour les obèses, on sait ben! Pas foutus de faire rentrer mon cul dans vos bancs, gang de sans-dessein! Vous les maigres, ostie, vous vous prenez vraiment pour les rois du monde! Mais on verra qui va rire le dernier, ciboire, quand vous allez toutes pesez lourd comme moé parce que vous avez trop mangé de G.O.M. (à entendre OGM j’imagine…); c’est la faute au gouvernement ça encore. Pis c’est qui qui possède les compagnies d’autobus, hein?! Les gouvernements! Pis y mettent des caméras partout! Pis là j’imagine qu’ils ont filmé tout ce que j’ai dit : ben tant mieux tabarnak, pour une fois que quelqu’un se lève pis dit les vraies choses, pis que… hey! Lâche-moi toé!» Heureusement, rendu à Rimouski, sans se demander si c’était là sa destination, le chauffeur, qui n’était pas trop du type accomodement raisonnable, a forcé la grosse dame à sortir en garochant ses effets personnels à bout de bras - étonnament, elle ne voyageait qu’avec une très, très petite valise; il s’est dépêché à refermer la porte et il est reparti en faisant presque crissé les pneus du véhicule. J’ai observé par la fenêtre arrière de l’autobus la dame de «taille forte» - vive les euphémismes - gesticuler et crier jusqu’à temps qu’elle devienne un tout petit point à l’horizon- ce qui fut quand même long! Cette scène m’a fait sourire et a rendu le voyage un peu moins ennuyant. J’suis pas sûre que Ghislaine-l’obèse-frustrée - elle avait vraiment une face de Ghislaine… - l’a trouvé aussi drôle que moi, mais bon, elle devrait se féliciter : elle a réussi à me faire rire de bon cœur. Ça ne m’était pas arrivé depuis quelques semaines…

On a atteint Percé vers 14h30. J’avais pas dormi de la nuit, évidemment, et il fallait que je trouve l’énergie pour me rendre au chalet, qui est à une quinzaine de kilomètres de la «capitale» gaspésienne. Val d’Espoir que ça s’appelle. J’ai toujours osé croire que ce nom n’avait pas été attribué au hasard. Il y a une plénitude qui règne dans ce village, une ambiance si calme, si bleue, si légère, qu’effectivement, n’importe qui, même moi, ne peut pas s’empêcher de recouvrer l’espoir en y mettant les pieds.


Mon air déglingué, mes cernes sous les yeux, mon accoutrement digne de la chienne à Jacques et mon sourire non-convainquant ont réussi à charmer un automobiliste; après à peine sept minutes de pouce, j’ai donc réussi à me faire embarquer. Louis, un Français en vacances, m’a gentillement reconduit jusqu’à la porte du chalet. Pour une fois, j’aurais souhaité que le trajet entre Percé et Val d’Espoir soit plus long; c’est qu’il était plutôt mignon pour un Breton, ce Louis Husson… Étant donné qu’il n’y a ni électricité ni téléphone au chalet, je ne pouvais pas lui laisser mon numéro; je lui ai donc directement donné rendez-vous le lendemain, à 10h00, devant la porte du chalet. En tant que touriste, ça faisait bien son affaire de rencontrer une fille qui connaissait un peu le coin, et moi, en tant que fille qui connaît un peu le coin mais qui n’a pas de voiture pour se rendre à la plage et qui commence sincèrement à être en manque d’affection, ça faisait ben mon affaire de rencontrer un Breton qui en plus d’avoir un permis de conduire a des beaux yeux…

J’ai passé mon premier après-midi au chalet dans le hamac sur la galerie à regarder les rondeurs vertes du paysages, à compter les blancs moutons des nuages et à siroter du rosée. Je me suis fait cuire un gros steak sur le feu de bois que j’avais moi-même allumé et je l’ai dégusté en écoutant le bruit des cigales et des ouaouarons. Emmitouflée dans ma couverte en polar mauve, j’ai observé le feu crépiter jusqu’à 1h30 du matin. Percluse de fatigue, j’ai gagné le lit moelleux de mon père. Son odeur imprégnait encore les oreillers; elle m’enveloppait et me rassurait, comme si Papa était réellement là, à côté de moi, à me flatter les cheveux, comme quand j’étais petite, et qu’il me murmurait «Partons, la mer est belle, embarquons-nous pêcheurs. Hissons notre nacelle, ramons avec ardeur…». Mais ce réconfort onirique n’a pas suffit à effacer mes angoisses. Moi dont les yeux avaient peine à rester ouverts lorsque j’étais devant le feu grésillant, une fois rendue dans la chambre, je n’avais absolument plus sommeil. Le souvenir de la soirée passée avec Magalie deux jours plus tôt refaisait surface dans mon esprit et m’empêchait de faire le vide nécessaire à la venue d’Orphée. Cette fameuse soirée passée avec Magalie…

- Je sais que François a essayé de s’excuser vis-à-vis de toi et que tu as refusé ses excuses, mais je m’essaie quand même à faire la même chose et à te demander pardon Sophie.
- …
- Lui et moi, on s’est revu deux ou trois fois depuis «l’événement», et je veux que tu saches qu’il ne s’est plus rien repassé entre nous deux.
- Wow. Félicitations, vous avez repris le contrôle sur vos hormones, c’est une grande nouvelle!
- Sois pas si cynique Sophie.
- J’aimerais que tu arrêtes de répéter mon nom à la fin de toutes tes phrases s’il te plaît.
Ça va, je me rappelle encore comment je m’appelle, pas besoin de le dire et le redire.
- Bon. Désolée. Mais écoute-moi, c’est important ce que je te dis.
- J’en doute pas. J’ai bien l’impression que le sort de l’humanité va se jouer ce soir…
- Ok. Peut-être pas, mais notre sort à nous, oui.
- Nous? Qui inclus-tu là-dedans? Toi et moi ou toi et François?
- Nous trois. Toi, moi et François.
- Ok. Notre sort à nous trois… Si j’comprends bien, selon toi, on a encore un avenir commun les trois ensemble?
- Si tu le souhaites aussi, oui. Moi j’voudrais vraiment qu’on puisse passer à autre chose.
- Et moi donc…
- Si tu savais comme je regrette ce qui s’est passé. C’était plus qu’une erreur, c’était l’erreur du siècle. Écoute, je n’ai pas d’alibi, je peux pas justifier mon geste, je peux juste avouer la vérité : j’ai fait l’amour avec ton chum parce qu’à ce moment précis, eh bien, l’envie a été plus forte que la raison. C’était purement physique.
- Et ma douleur, en ce moment, elle est purement physique aussi, Magalie. J’ai mal. J’ai mal au cœur, j’ai mal dans le ventre, dans les trippes, Magalie. Je sais pu quoi faire de ma peau. C’est ni toi ni François que j’ai envie de tuer, c’est moi. C’est dans ma petite tête de linotte que j’ai envie de tirer une grosse balle. Parce que je me trouve trop stupide, trop lâche, trop molle, Magalie. Parce que si tu savais à quel point j’ai envie de te pardonner, Magalie, mais que pour l’instant, j’en suis incapable.
- Je comprends…
- Merci!
-...
-Écoute, j’suis contente qu’on se soit vues ce soir, juste ça, ça va m’avoir aidée à avancer un peu dans mon deuil, du moins je l’espère. J’suis comme ceux qui ont absolument besoin de voir le cadavre du mort pour croire qu’il est vraiment mort…
- Ça veut dire quoi ça? Que je suis morte pour toi?
- Que l’ancienne Magalie est morte en tout cas. Que cette amitié-là, c’est du passé. Mais y’a toute une vie devant, et elle, on sait pas trop ce qu’elle nous réserve. J’crois juste qu’il faut attendre, ne rien brusquer, ok?
- Ok. Tu me feras signe alors…
- Oui. Et… dernière question…
- Quoi?
- Est-ce que tu peux payer mon café?! Non seulement j’ai pu une cenne parce que j’me suis fait mettre à la porte du resto, mais… j’pense que tu me dois au moins ça?!
- Maudite Sophie! C’est clair que je te paye le café, c’tu penses!

Finalement, ça s’est plutôt bien passé quand j’y repense. Cependant, la balle est véritablement dans mon camp dorénavant et ça, ça signifie que je ne peux plus m’en remettre au supposé destin. Je dois prendre mes propres décisions.

Sur le coup, celle de simplement dormir m’est apparue comme étant la plus sage qui soit.

03 juillet 2007

Méthode infaillible pour gâcher sa soirée, PART ONE




Faudrait que je me trouve un nouveau boulot. Mieux encore, que je mette fin à la série des petits emplois de merde et que je déniche enfin un job dans mon domaine. Mon domaine… Paraît-il que je suis spécialisée en communication. Mais c’est pas parce que j’ai un bacc là-dedans que je suis nécessairement bonne communicatrice et apte à occuper un poste quelconque lié à mes supposées compétences. La seule utilité que je trouve à mon diplôme pour l’instant, c’est celle de décorer le mur de ma chambre. Une petite touche de sérieux dans mon bordel endémique.

Si j’allais voir un employeur aujourd’hui et que je lui disais que je suis particulièrement douée pour les comm, non, très certainement, il ne me croirait pas. J’aurais beau traîner mes papiers officiels avec moi, mes relevés de notes plein de A+, mes certificats et le calcul de tout l’argent que je dois au gouvernement (le fait d’avoir bénéficié - terme un peu contradictoire - des prêts et bourses pendant quatre ans pourrait m’aider à prouver que j’ai bel et bien étudié, non?!), peu importe, jamais personne ne me croirait. Car ces temps-ci, j’ai l’air de tout, sauf d’une universitaire accomplie en quête d’avenir et désireuse de réussir sa vie. Tout tend à démontrer, bien au contraire, mon envie irrésistible de la gâcher, cette vie.

Ou ce serait plutôt que je ne fais rien pour l’améliorer. Chaque fois qu’un mini élan de motivation me prend et que je sens un léger courage m’envahir, que j’entame un geste de «maintenant-ça-y’est-c’est-fini-la-léthargie-je-vais-m’en-sortir-à-partir-de-tout-suite», trois secondes après, toute ma bonne volonté s’est déjà évanouie.

Ma soirée d’hier soir est assez représentative de cet état de nonchalance qu’est le mien.

À 17h08, je me suis dit : «Ce soir, même si j’ai pas d’argent, je me paye la traite, je me gâte, je me mets belle et je vais au resto. Un bon repas, ça va me remettre sur le piton.»

À 17h16, alors que j’étais en train de choisir ce que j’allais me mettre sur le dos pour mon tête-à-tête avec moi-même, soudainement, mon envie de sortir s’est «désenviée». Je me suis imaginée attablée seule, avec ma demi-bouteille de vin et mon air perdu, et on dirait que ça ne me tentait plus d’avoir l’air d’une vieille fille finie qui sort son célibat en ville une fois de temps en temps afin de le garder vivant. J’ai retiré la petite robe verte que j’avais réussi à choisir ma foi, assez rapidement pour une fois, et j’ai réenfilé mes jeans et mon t-shirt.

À 17h22, j’ai eu un mini regret, je me suis dit que j’étais un peu conne, que j’avais besoin de sortir, que je ne devais pas m’en empêcher sous prétexte que j’allais avoir l’air idiot, seule au milieu d’un restaurant bondé de petits couples heureux. J’ai donc déreenfilé les jeans et le t-shirt et déretirer la robe verte.

À 17h28, je me suis ramassée nue au milieu de ma chambre, complètement désorientée. En 6 minutes j’avais mis et enlevé et mis et enlevé et mis et enlevé la robe 9 fois. Une fois et demie par minute.

À 17h32, je m’étendais sur mon lit, toujours dans mon costume d’Eve. J’avais envie d’écouter un peu de musique.

À 17h34, je mettais le disque de Daniel Bélanger dans le lecteur.

À 17h36, celui de Xavier Caféine.

À 17h40, celui de Gary Jules.

À 17h41, celui d’Aqualung.

À 17h41 et 30 secondes, j’ai fait ce qu’on nous a toujours dit de ne pas faire et j’ai débranché le système de son en tirant sur le fil et non sur la fiche. J’ai pris un choc électrique. C’était donc vrai ce qu’on disait. Mais tant mieux, dans mon cas, je crois que c’est ce dont j’avais besoin.

Mon p’tit coup de 120 volt m’a fait du bien. J’ai alors senti que j’allais finir par faire quelque chose de constructif de ma soirée. Un petit tour de vélo, ça pourrait me redonner un peu de bonne énergie et me permettre d’éliminer la mauvaise.

À 17h53, j’étais sur ma monture, prête à tout. Rien, ni le ciel nuageux, ni la chaîne mal huilée, ni le casque qui me serrait la pomme d’Adam ne pouvait m’arrêter.

À 17h57, à peine le coin de la rue tourné, j’ai rebroussé chemin. Je n’avais plus envie d’aller où que ce soit.

À 18h02, de retour au bercail, le téléphone a sonné. Espoir : peut-être que quelqu’un avait senti que j’avais besoin d’aide. J’aurais accepté n’importe quelle offre. Même celle de ma mère d’aller lui faire sa teinture.

Mais non. Évidemment, c’était l’heure du souper, j’aurais dû m’en douter : c’était un maudit sondage. Cette fois, on voulait connaître l’importance que j’accordais aux célébrations de la Fête du Canada. Aucune importance Madame. Écoutez, je ne célèbre même pas mon propre anniversaire, alors celui de Stephen Harper et de sa bande de conservateurs, croyez-vous vraiment que j’en ai quelque chose à foutre?!

Raccroché au nez.

18h07, ça sonne de nouveau. Je réponds. Personne ne parle. Mais j’entends respirer. Je dis «Oui, allo?» cinq fois, mais je n’obtiens comme réponse que le râle essoufflé du maniaque sexuel qui a fort probablement décidé de venir me violer ce soir et qui voulait simplement vérifié si j’étais disponible.

Oui, pas de problème, je compte bien rester à la maison ce soir. Jusqu’à maintenant, toutes mes tentatives de sortie se sont avérées vaines.

18h15, ça sonne encore. «Sophie Beaudoin, folle et aliénée de profession, que puis-je pour vous?» «Euh, bonsoir m’dame, c’est Éric, le gars qu’y’est v’nu t’alleure pour arranger votre câble» «Oh.» «Ben c’est juste pour vous dire que je vais devoir repasser demain, parce qu’il me manquait une pièce-là. Ch’t’aller au poteau pour mettre une résistance su’ ‘a clotch, mais j’me suis rendu compte qu’y’allait aussi falloir mettre un spit où c’qu’y a l’ampli pis le PBC, ça fait que, j’aurai pas le choix, je vais devoir revenir. Allez-vous êtes-là vers 8h00 demain matin?» «À moins que l’ONU m’appelle d’urgence pour les aider à régler la crise au Proche-Orient, oui, je devrais être là.» «Euh… à d’main alors…»

«La résistance su’ ‘a clotch… pis le spit où c’qu’y a l’ampli pis le PBC.» J’le savais que mon bacc en communication ne m’avait servi à rien : j’suis même pas capable de comprendre ce que le gars du câble me dit.

18h22, et resonne le téléphone. Là, j’en ai ma claque. «Qu’est-ce qu’y’a encore?! Ta clotch, tu peux ben t’a fourrer où j’pense, là, je suis occupée à déprimer, ok?!»

18h22 et 14 secondes. «Euh…. Sophie? C’est Magalie. J’aurais aimé ça qu’on se parle. Es-tu libre pour un café ce soir?»

18h23 et 45 secondes. Faculté de communication officiellement nulle. Ça m’a pris une minute trente répondre «oui».

Des fois, tu te demandes ce que tu pourrais bien faire de ta vie, mais en bout de ligne, c’est la vie qui choisit ce qu’elle va faire de toi.