30 juin 2009

LE PÉRIMÈTRE

Voici un nouvel extrait de mon roman, dont j'ai terminé la première version, pour la date prévue. Oui, oui, mesdames et messieurs! Cessez vos applaudissements, c'est trop, vous allez me gêner!

Ce roman se déroule principalement en hiver, alors ça en fait une lecture parfaite pour la canicule, non? De quoi vous rafraîchir les neurones un peu.

En passant, je m'avoue très déçue: personne n'a encore soumis de commentaire pour l'entrée de blogue précédente... J'attends toujours vos prévisions, ma bande de diseurs de bonne aventure! Tant qu'il n'y aura pas au moins trois lecteurs qui m'écriront quelle est la suite des événements selon eux, je n'écrirai pas la deuxième partie de cette histoire. Hep, c'est comme ça! Allez, un peu d'interaction, copains du 2.0!


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LE PÉRIMÈTRE

Tout juste en sortant de l’hôtel, à droite, j’ai déniché un restaurant où l’on sert de la bouffe maison. Je préfère fréquenter la proximité pour l’instant. Tu risques moins de m’y retracer. Je ne ferai pas de bruit, pour que tu croies encore un peu que je suis partie pour toujours. Les banquettes en bois craquent et le café ne goûte rien. Quelques gouttes de lait seulement et il a déjà une couleur beige pâle. C’est ainsi que je me sentais des fois, tu vois : effacée par une lumière blanche, toutes ces choses à faire, plus importantes que moi. Je commande le menu du jour sans trop savoir ce qu’est ce plat, dans l’attente d’être dépaysée. Je suis en voyage après tout, un peu d’exotisme.

Le soleil de janvier entre par la vitrine et se répercute sur la table au vernis écaillé. Il me fait mal aux yeux. Quand je les ferme, je vois l’intérieur de ma paupière, tout est rose. Voir la vie en rose, c’est avoir les yeux fermés. Ne pas regarder les choses en face, c’était notre façon de croire au bonheur, toi et moi. Les lettres du mot « restaurant » gravées dans la fenêtre crachent leur ombre inversée devant moi, sans le dernier « a » – un espace à remplir. C’est là que je mettrai mon assiette quand la serveuse me l’amènera. Ça me rend soudainement heureuse. D’avoir pris une décision, de savoir que je pourrai la tenir. Peut-être pas heureuse, mais comblée, comme ce vide. À la place du « a », il y aura mon assiette. Cette solution ne peut être que temporaire, j’en trouverai une meilleure plus tard. Ne me reste plus que ça à faire, te remplacer, de toute façon.

Sylvie, c’est écrit sur une petite plaquette de plastique qu’elle porte du côté du cœur, m’apporte mon plat. J’ai faim, je n’ose pas prendre la première bouchée, de peur de tout engloutir sans rien savourer. Il y a longtemps que je n’avais pas mangé avec autant d’appétit. Paraît qu’il vient en mangeant. Est-ce que la vie vient en vivant, elle? J’ai tellement eu l’impression souvent de passer à côté, mais comment ce serait possible au fond, on est toujours en plein dedans. Je mange un repas fade dans un restaurant sans étoile d’un quartier ouvrier et tout est clair.

J’ai tout avalé, ma faim demeure. Ou peut-être que je confonds l’appétit et l’absence. Ce que je préférais entre toi et moi, c’était les matins. Le réveil qui sonnait à cinq heures, le son feutré de tes pantoufles sur le prélart, le bruit de la nourriture du chat versée dans le bol de céramique, l’odeur du café que tu te préparais pour la route; le cliquettement des clés que tu récupérais dans l’assiette sur la table d’entrée, la porte qui se refermait. Ton silence. Il me restait deux heures à dormir, mais je les passais à t’aimer toute seule. Voilà comment on se retrouve devant une assiette blanche et vide à chercher son reflet. Sylvie dépose l’addition sur la table et me verse un réchaud de café.


Une clochette carillonne quand la porte du restaurant s’ouvre, signe que des gens entrent et sortent. Au son, on ne saurait dire dans quel sens ils vont. De toute façon, revenir ou s’en aller, on quitte toujours quelqu’un.

Le combiné du téléphone public dans l’entrée pendouille au bout de son fil. J’écoute, il n’y a personne au bout. Je raccroche. Parfois, il faut partir. On ne laisse pas d’explication et on s’en va, sinon on meurt. Quelqu’un finit par passer derrière, pour ramasser ce qu’on n’a pas eu le temps de remettre à sa place.

Je sors.

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