16 juin 2009

VOYAGER LÉGER

Ok, ok, ce n'est pas la suite des potins croustillants, mais c'est une preuve que mon roman avance bien, donc vous devriez être contents!


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VOYAGER LÉGER

À côté de moi, une dame lit un journal en espagnol. Ce n’est qu’en voyant ses mains aussi ridées qu’une peau de nouveau-né tourner une page que je réalise qu’elle n’est plus très jeune. Son visage est si lumineux, ses cheveux lisses, son sourire comme figé là, dans le temps qui ne passe plus pour elle, on ne croirait pas avoir à faire à une personne âgée. Mais les mains ne mentent jamais. Elles tremblent un peu. J’espère que lorsque j’aurai l’âge de cette dame, je continuerai de voyager, moi aussi. Que même si mes mains tremblent, je n’aurai jamais peur de m’embarquer pour l’inconnu.

Grand-maman disait toujours les voyages forment la jeunesse. Elle, elle a dû être vieille toute sa vie, car elle n’a jamais vraiment mis les pieds en dehors de sa petite ville. Son voyage de noces, elle l’a passé dans une chambre d’hôpital, à accoucher de mon père. C’était mal vu de tomber enceinte sans être mariée, à l’époque. C’est probablement mal vu de partir à l’autre bout du monde quelques jours après s’être fait avorter, de nos jours.

Une fois, pour l’école, je devais faire une recherche sur les tornades et j’avais apporté plein de livres à la maison pour compléter ma préparation. La veille de mon exposé, grand-maman était venue souper à la maison. On avait mangé du pâté à la viande et j’avais décrété arbitrairement ce soir-là que je n’aimais pas les petits pois. Après le repas, j’avais pratiqué ma présentation devant grand-maman, qui l’avait évidemment trouvée excellente. Lorsque j’ai ramené les documents à la bibliothèque, la dame au comptoir m’a réprimandée, sous prétexte que j’avais découpé des images à l’intérieur, et que ça ne se faisait tout simplement pas, et que je devrais être punie, et que je n’aimerais pas qu’on brise mes biens alors il ne fallait pas que je brise ceux des autres. J’ai eu beau m’objecter, j’étais coupable aux yeux de tous et j’ai dû recopier mille fois dans un cahier le septième commandement – Le bien d'autrui tu ne prendras, ni retiendras injustement.

De son vivant, quand on demandait à grand-maman pourquoi elle ne se payait pas une petite croisière quelque part, elle répondait immanquablement Ça ne m’intéresse pas, je suis bien ici. Quand elle est morte, je suis allée avec Papa faire le ménage de ces vieilles choses empoussiérées auxquelles elle accordait tant d’importance. Dans une boîte à biscuits en métal datant d’avant ma naissance, j’ai retrouvé des photos de tornades ravageant l’horizon du Midwest américain. Elle répondait ça ne m’intéresse pas parce qu’on lui avait appris qu’une femme honnête faisait toujours passer les désirs des autres avant les siens. En pensées, désirs veilleras à rester pur entièrement.

J’aurais dû m’en douter, que c’était elle, qui avait découpé les images. Mais on n’accuse pas sa grand-mère d’un crime que logiquement on doit avoir commis. Dans ses yeux, plus tard, je l’ai vu. La lueur de déception jalouse l’a trahie, quand je lui ai annoncé que je partais étudier la photographie à l’étranger pendant quelques mois – Ah! La chance que vous avez. Moi, dans mon temps, on ne pouvait pas se déplacer aussi facilement. Dans son temps : elle ne se rendait pas compte que le temps présent lui appartenait aussi, que ce n’était pas seulement le nôtre. Elle appelait les avions les oiseaux de métal. Elle est morte sans jamais en avoir pris un.


Mon espagnol est rudimentaire, mais je suis quand même parvenue à comprendre que ma voisine s’en retournait chez elle, dans son pays natal, pour retrouver sa famille, qu’elle n’a pas vue depuis sept ans. Ce sera de grandes retrouvailles, il y aura un festin, de la musique toute la nuit, des accolades interminables. Moi, quand j’arriverai à destination, je hélerai un taxi et je demanderai qu’on m’amène à un hôtel abordable du centre-ville. Personne ne me proposera de transporter ma valise. C’est ce qui arrive, quand on choisit de voyager léger.

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