31 décembre 2007

Futur et hasard



Aujourd’hui, je laisse la parole à Ève. Ève qui depuis deux semaines habite chez moi, Ève au cœur en miettes et au corps en poussières. Ève qui avait affreusement besoin de parler à Sébastien, le jeune homme à la base de tous ses troubles amoureux. Hier, elle lui a écrit et m’a fait lire. J’ai été bouleversée.


Elle m’a avoué que jamais elle n’aurait le courage de remettre cette lettre au principal concerné, que c’était trop, qu’elle avait peur de lui faire peur, justement. Et je lui ai répondu que je trouverais affreusement dommage que d’aussi beaux aveux se perdent et ne soit jamais lus. C’est alors qu’elle m’a elle-même proposé de publier la chose sur mon blogue. Qu’en penses-tu Sophie? De toute façon, personne ne me reconnaîtra… Je lui ai fait réaliser que Sébastien pouvait être un de mes lecteurs, sans qu’on ne le sache, que dans un hasard infini, il se pourrait qu’il la lise, cette lettre.


Et Ève a souri. Alors voici…



You and me
We’re never meant to be
Part of the future

All we have is now
All we have is now.

-The Flaming Lips



Cher Sébastien,


Je t’écris une lettre que je ne te remettrai probablement jamais. Ou peut-être un jour. Peut-être demain. Je ne sais pas. Une chose est sûre, je ne l’écris pas pour que tu la lises, mais simplement parce que de l’écrire, cette lettre pleine d’impossible, c’est tout ce dont je suis capable en ce moment. J’ai bien essayé d’écrire autre chose, des mots un peu plus sensés, des histoires un peu moins en queue-de-poisson, des dénouements un peu plus heureux, des vies un peu plus imaginaires, mais je n’ai que la mienne, ma vie, en ce moment, en tête. Ma vie en déchirures, ma vie en tête, ma vie en boucle. Je la retourne de tout bord, tout côté, mais ma vie est une sphère, un cercle dans tous les sens. La fin est le début. Et c’est là que je suis. Moi, avec ma vie, à la croisée des chemins. Un cercle, avec une croix au centre.


J’aurais voulu t’écrire une lettre à la main, à la mode du bon vieux temps, mais nous n’avons pas de vieux temps, toi et moi, ensemble, nous n’avons ni passé ni futur. Alors je ne peux pas écrire comme avant, écrire comme si nous avions déjà existé. Je me dois d’écrire seulement parce que maintenant, là, à cette seconde précise, c’est à toi que je pense. J’aurais voulu t’écrire à la main, tout te dire en une seule seconde, faire en sorte que les mots ne durent que cela, le temps de compter jusqu’à un, mais même pas, parce que la seconde, elle est déjà épuisée, avant que l’on ait pu arriver jusqu’au premier chiffre, le dire ce chiffre. J’aurais voulu que tout ce que j’avais à te raconter tiennent en dedans d’une seconde, oui, le plus petit, le plus court discours que la terre ait porté, le plus léger message qui fut jamais transmis – une plume, une plume de pigeon voyageur qui se dit Eh, merde! Je me tape vraiment tout ce voyage rien que pour ça, ce petit mot de rien du tout, une plume, un poids sans nom, une vie sans corps, quelque chose qui vole, qui vole, sans jamais toucher terre. Mais je suis plutôt mal partie. J’ai tout raté. Déjà, déjà, cela fait des heures que je pense à ce que je vais te dire, des milliers de secondes, tu te rends compte. Et me voilà qui espère, qui souhaite, secrètement, que ce message de milliers de seconde, ce message qui ne tient sur rien, qui me colle à la peau mais qui ne sait coller à rien d’autre, ce message qui n’a pas lieu d’être, je souhaite que tu le lises autant, des centaines, des dizaines, de fois, des fois, des fois qu’il te touche, des fois qu’à le relire, qu’à force de le relire, tu finisses par le comprendre.


J’aurais voulu t’écrire à la main, mais j’ai compris que je ne pouvais pas, que la main, elle nous était interdite. Tout ce qui se touche, tout ce qui a trait à l’épiderme, tout ce qui est frisson, chatouille, encre sur le papier, paume sur les hanches, regard sur ma poitrine, baiser sur ma joue-commissure-des-lèvres à peine effleurée, tout cela, tous ces sens en extase et ces désirs qui restent, qui marquent, qui laissent une trace dans la mémoire et dans la peau, on ne peut pas. Toi et moi, nous sommes un musée, un lieu où l’on regarde sans s’approcher, où l’on respire sans souffler, où l’on désire sans jamais succomber. La beauté est là sur les murs, là pour y rester, la beauté, jamais ailleurs qu’autour de soi. Surtout pas à l’intérieur. Toucher, c’est caresser le dehors, mais c’est surtout laisser une empreinte sur le dedans. Toucher, c’est à jamais transformer quelqu’un. Toucher c’est trop personnel. Mais toi et moi, notre seule intimité, c’est le monde. Alors pas question. Pas question de t’écrire à la main. Le monde pourrait le retenir contre nous, tu comprends? J’ai la preuve sergent, la pre… la preu… la preuve, oui, oui, oui, je, je, je l’ai! Regardez! Ils se sont, ils se sont, ils se sont…


Nous nous sommes. Nous nous sommes, certes, mais quoi, ils ne le sauront jamais, pas plus que nous, pas plus que ce que nous nous serons nous-mêmes autorisés à être. Rien. Un beau rien chaotique. Un beau rien brumeux, et flou, et plein de remous, de questions, un rien qui ne fait pas de vague, mais un rien vague. Un rien qui n’a pas de nom. Même le néant, tu vois, il a un nom. On l’appelle le néant, mais toi et moi, on n’a pas ça, pas de nom, pas de titre, toi et moi, on ne nous appelle pas. On ne s’appelle pas. Mieux vaut faire semblant de ne pas exister. Mais pas comme le néant. Parce que même le néant, tu vois, il a un nom.


Jusqu’à maintenant, comprends-tu? Arrives-tu, à saisir, où je veux en venir? Je sais. Je n’écris qu’en impressions, qu’en taches de couleur sur l’iris, qu'en feux d’artifices qui éclatent sans raison, sans événement à souligner. Je fais des montagnes de mots avec nos petits riens de relation. Je n’écris que rapidement, plus vite que mon ombre, et que ma conscience, surtout, pour ne pas qu’elle s’immisce, qu’elle me dise d’arrêter, que rien de tout cela n’a de sens. Je n’écris qu’en impressions, parce que c’est ce que j’ai, l’impression, l’impression que nous n’irons nulle part, tant et aussi longtemps que nous n’y serons pas aller. Jusqu’au bout de l’affaire. Serg… Serge… Sergent! Ils l’ont fait. Ils le, le, lolo, l’ont, l’ont fait! Pour que le monde ait une raison de nous en vouloir, et nous, une raison de ne plus jamais nous revoir.


Car les voilà, nos deux possibilités. Soit nous le faisons, l’amour, l’amour comme jamais nous ne l’avons fait auparavant, avec qui que ce soit, sans barrière, sans vêtement, avec vêtements, dans le lit, sur le comptoir de la cuisine, sous le comptoir de la cuisine, dans le salon, chez le voisin, non mais pourquoi pas, partout, toi, partout en moi, sur moi, qui crie, qui éjacule, qui n’en peux plus de ce plaisir qui enfin explose. Soit nous arrêtons de nous l’imaginer, parce que nous l’avons fait pour de vrai, et que nous ne pouvons plus revenir en arrière, trop tard, impossible de simplement penser à ce que cela aurait pu être, car cela aura été dans le réel. Dans l’état des choses, telles qu’elles sont, toi et moi et les choses, en cuillère, après une course effrénée, dormir, pour oublier ce que nous venons de commettre, nos crimes, mais surtout, surtout, pour se les souvenir à jamais. Faire de se souvenir un verbe transitif, le premier verbe pronominal transitif indirect de toute l’histoire de l’humanité.


Tu l’as toi-même dit, l’autre jour, il y a cent ans, il y trente secondes, je ne sais plus quand, mais tu l’as dit Au moins, j’aurai été ta première fois dans quelque chose. Tu auras été mon premier verbe conjugué à l’infinitif. Un verbe sans action. Aimer, sans faire l’amour. Elle est là, c’est elle, notre deuxième possibilité. Que cette lettre soit la dernière, que jamais tu ne lui répondes, que tu la déchires, que moi, pendant des semaines, j’attende, en vain, une missive en retour, un signe de vie, ou l’annonce de ta mort s’il le faut, mais simplement un indice de ce que tu es devenu, et qu’ainsi, chacun de notre côté, nous vivions l’un sans l’autre. Cela se fait, cela est facile même, la preuve, c’est qu’avant, nous ne savions faire que cela, être, moi, au monde sans toi, toi, au monde sans moi, et voilà nous étions heureux, ou du moins, nous tendions au bonheur. D’accord, ce n’est pas l’idéal, ce n’est pas ce que je souhaite, au fond, au plus profond de moi, je l’avoue, je m’avoue, un peu déçue; les choses ne se passeront pas comme dans mes petits fantasmes de fin de soirée, mais généralement, les fantasmes, c’est mieux lorsqu’ils ne rencontrent pas la réalité, qu’ils demeurent fantasmes, et qu’ils s’épuisent, à la longue, de ne pouvoir vivre qu’en images floues dans la tête endormie des jeunes filles.


Voilà. À partir d’ici, ce dont on a besoin, c’est d’une fin. Vivre sans savoir s’il y en aura une, une issue, une façon de conclure les choses – qu’elle soit douce, qu’elle soit brusque, qu’elle soit inattendue, souhaitée, tragique, douloureuse, étonnamment réconfortante, qu’importe, mais une fin bordel de merde – vivre ainsi, non, je ne peux pas. On vit tous parce qu’on sait qu’on va mourir. On tient bon, on s’efforce d’en profiter, de tirer le meilleur, ou le pire, cela dépend si on est optimiste ou légèrement suicidaire, mais on essaye, tellement fort, du mieux qu’on peut, de s’accrocher, de la faire à notre image notre vie, parce qu’on sait, seule certitude, qu’on n’y survivra pas. À toi, donc, j’ai besoin de savoir que je ne survivrai pas. Que nous avons une fin, pour que, dans un élan d’abandon et de sérénité, je trouve le courage de t’oublier et de passer à autre chose.


Et écrire, c’est comme la vie, tu sais. On écrit tous parce qu’on sait qu’on va mourir. Je sais que dans une cinquantaine d’années, peut-être soixante, oh! même soixante-dix, ne sait-on jamais, je mourrai, d’une mort quelconque, qu’elle soit douce, qu’elle soit brusque, qu’elle soit inattendue, souhaitée, tragique, douloureuse, étonnamment réconfortante, qu’importe, mais une fin. Une fin dont on meurt, vaincu. On écrit pour comprendre ce qui nous arrive, pour savoir ce qu’il y aura, entre cette fin quelconque et le présent, le lointain et le maintenant. On écrit pour savoir quelle sera notre histoire. Pour s’assurer que nous en aurons une. Moi, j’écris pour savoir si, dans cette histoire, il y aura un peu de toi. La mienne d’histoire, celle que je raconterai à la pauvre garde-malade chargée de laver toutes les parties de mon corps de vieille femme. Aurai-je l’occasion de lui raconter que ces fesses, que cette descente du cou, que ce creux dans le bas du dos, que ces lobes d’oreilles ont déjà été croqués, flattés, léchés, savourés, aspirés, avalés, caressés, cajolés, titillés, lovés, pincés, griffés, par un jeune homme à qui j’ai un jour écrit la plus longue lettre d’amour-qui-n’en-est-pas du monde? Ou devrai-je lui dire qu’un jour, j’ai dû apprendre à croire en Dieu, j’ai dû apprendre à prier, et à demander pardon, car à ce jeune homme, j’ai été forcée de dire Adieu et pour dire adieu, adieu et que ça fonctionne, qu’on y croit, qu’on ne se revoit plus jamais et qu’on ne le regrette pas, il faut y croire un peu, à ce Dieu.


Sinon, ce ne sont que des aux revoir perdus.





Ève

Détails et réglements officiels

Quelques personnes se sont montrées intéressées à participer à mon fameux concours et j'en suis fort heureuse! Voici donc quelques détails supplémentaires...

Qu'est-ce que ce concours?
Vous devez simplement m'envoyer une photo de vos mains, vides ou pleines, qu'importe. Les clichés retenus serviront à enjoliver le tout nouveau décor du blogue «Les mains vides». Vous pouvez sans problème retravailler vos photos avec des logiciels de type Photoshop. Aussi, il vous est suggéré de fournir une photo dont les couleurs s'intègrent bien dans les nouveaux tons qu'arborent le site.

Jusqu'à quand puis-je participer?
Il serait bien de m'envoyer vos photos avant le 15 janvier. Cela dit, si après le 15 janvier vous désirez me soumettre de nouvelles images, je prendrai quand même la peine d'y jeter un coup d'oeil!

Comment fait-on pour faire parvenir nos photos?
Vous n'avez qu'à les envoyer à l'adresse suivante:

lesmainsvides@gmail.com


Que gagne-t-on?
D'abord et avant tout, mon respect! Ensuite, eh bien, une certaine visibilité et puis de la publicitié pour votre propre site Internet et/ou blogue. C'est déjà pas mal, non?!


J'ai hâte de voir de quoi vos mains ont l'air...

24 décembre 2007

Les nouvelles mains vides

Nouvelle année à nos portes, nouvelles allures.

J'ai décidé que mon blogue avait besoin d'une petite cure de jouvence.
À défaut de pouvoir moi-même changer de visage, j'ai le pouvoir de modifier celui de mon petit espace personnel, alors j'en profite!

Afin d'inaugurer cette nouvelle «vie», j'ai pensé lancer un petit concours...

Je n'ai jamais été très interactive, mais voilà, il n'est jamais trop tard pour le devenir!

Je vous invite donc à m'envoyer des photos de vos mains... vides ou pleines, qu'importe.

Je veux des images originales, drôles, colorées, touchantes.
Faites aller votre imagination.


Le prix reste à déterminer. Peut-être le cadeau que mon père m'aura offert pour Noël; s'il est fidèle à ses habitudes, je risque d'être fort déçue de ce que je recevrai!


Sophie B.




P.S. Ah ben, tant qu'à faire... Joyeux Noël...

23 décembre 2007

Un radeau sur la neige

*** Ce message a été écrit le jeudi 20 décembre, mais n'a pu être mis en ligne avant aujourd'hui, à cause de certains problèmes techniques ***



Ça doit faire trois mois qu’il neige. Les blancs s’accumulent en couches devant les maisons. Les silences aussi, en strates épaisses, devant les maisons. On ne les voit plus, les demeures calfeutrées, les foyers bien chauffés, les bicoques où tous se tiennent à l’abri de la tempête. La tempête perpétuelle. Pourtant, ce n’est pas encore l’hiver. L’hiver, c’est demain. Et on a cru bon s’y préparer. Convenablement, accueillir l’hiver avec ce qui lui est familier; de la neige, du vent et un peu de poudre aux yeux. Dire bonjour, les joues bien rouges, les pieds bien gelés dans nos bottes sans semelles isothermiques, dire Viens, entre, fais comme chez toi l’hiver. Cette année, l’hiver est à l’intérieur.


L’hiver est au cœur. C’est à cause des cœurs qu’il est arrivé si tôt cette année. Des cœurs froids, des mains chaudes, brûlantes tellement elles ont tenu de bols de soupe poulet aux nouilles pour se réconforter l’âme. Ce sont les larmes qui ont fait geler les lacs. C’est grâce à la tristesse des gens seuls que les autres, les gens heureux, peuvent aller patiner sur les étangs glacés, dans leur canadienne en feutre noir, des cache-oreilles hors de prix sur la tête, une musique des temps anciens en boucle dans les hauts parleurs.


C’est grâce aux gens tristes que les gens heureux savent qu’ils le sont. Comblés par la vie, si choyés par le destin, chanceux, chanceux, tellement chanceux. Chanceux de ne pas avoir l’air de ça, de cette pauvre fille grise qui traîne ses lambeaux sur toutes les Saint-Catherine du monde. Les gens heureux sont heureux parce qu’il y a les itinérants avec leur tasse en carton vide, parce qu’il y a les putes avec leur jupe de quinze centimètres à moins trente degrés Celsius, parce que les déneigeurs qui travaillent quatre jours en ligne sans dormir, parce que les chansons suicidaires d’Elliot Smith, parce que les hôpitaux pleins et les phases terminales. Les gens heureux remercient tous les parias, les prisonniers en début de détention, les hommes qui sont obligés de se déguiser en Père-Noël pour arrondir la fin du mois des cadeaux, les accidentés de la route, les alcooliques anonymes, les vedettes déchues, les amoureux qui se quittent, ils les remercient de faire la sale job à leur place. Merci d’être là, pour le vivre, le malheur du monde. Merci d’avoir de si bonnes épaules.


Ève a quitté Jason. C’est terminé. Pour de bon. Point final bâton. Je la crois, quand elle me dit que c’est mieux ainsi, que c’est la seule décision qui vaille. Même si chaque fois que ses cordes vocales laissent passer un de ces mots qui se veulent pleins de conviction, ses paupières laissent échapper un filet de larmes amères. Elle a tellement pleuré dans la dernière semaine que ses larmes ne sont même plus salées. Elles ont perdu leur goût d’origine. Ce sont des larmes de secondes mains. Mais je la crois. Même si elle ne sait plus pleurer comme il le faut. Même si sa tristesse infinie cache si bien la sérénité dont elle dit faire preuve.


Ève et Jason demeuraient ensemble. Ils partageaient un petit mais douillet 4 et demi sur St-Zotique. Un petit nid d’amour qu’ils ont mis deux ans à parfaire. Mais les nids d’amour parfaits, ce n’est pas l’idéal pour les amoureux qui se quittent, alors Ève va dormir ici, pour les prochaines semaines. Jason l’a suppliée de revenir à la maison, simplement pour qu’ils discutent. Il a dit qu’il dormirait sur le futon, le temps qu’il faudrait, qu’il se ferait discret, qu’il lui laisserait toute la place dont elle avait de besoin. Avec le désespoir d’un homme qui est en train de jouer sa dernière paire de chaussettes au poker, il l’a implorée de ne pas le laisser seul, avec toute cette merde, que c’était une épreuve que le couple devait affronter ensemble. Jason n’a pas compris probablement, que ce n’était pas une épreuve pour le couple, mais bien une épreuve pour Ève. Ève toute seule. Ève grande fille qui va dormir chez moi, à qui j’ai prêté mon plus beau pyjama et même ma brosse à dents, parce qu’elle ne voulait absolument pas retourner au petit nid d’amour de la rue St-Zotique.


Aujourd’hui, je lui ai proposé d’y aller moi, au petit nid d’amour, et de lui ramasser quelques vêtements, ses CD favoris, ceux qui aident à se libérer la dépression, un ou deux bouquins, et de revenir, avec son petit baluchon. Son petit kit de survie pour jeune demoiselle à la dérive. Oublie pas mon t-shirt mauve. C’est mon préféré. Ok, Ève. Je n’oublierai pas ton t-shirt mauve. Ce sont les t-shirts mauves qui réussissent à sortir les filles en peine d’amour de leur chagrin. Ce sont ces objets inutiles, ces bouts de tissu, ces morceaux de rien qui nous sauvent du naufrage. C’est avec les t-shirts mauves qu’on fabrique des radeaux pour les femmes sans direction. De belles grandes voiles pour ces bateaux de fortune qui les ramèneront vers la rive.



13 décembre 2007

Love, amaretto and cigarets

And heartache came to visit me
But I knew it wasn't ever after
We'll fight, not out of spite
For someone must stand up for what's right
'Cause where there's a man who has no voice
There ours shall go singing
-Jewel, Hands




Ève est une de mes meilleures amies. On se voit très peu, mais chaque rencontre est une grande retrouvaille, une preuve incontestable de la grandeur de notre amitié. Je n’avais pas vu Ève depuis près d’un an. Et voilà que hier, elle est venue cogner à ma porte, complètement déboussolée.
-Ève!!!! Qu’est-ce que tu fais là! Tu parles d’une surprise!
-Oui! Ça fait longtemps hein?! Je m’excuse de débarquer comme ça…
-Mais non voyons, j’suis vraiment contente de te voir. Tu passais dans le coin?
-À vrai dire, pas du tout. J’ai fait un méchant détour pour venir jusqu’ici, mais je devais absolument te voir toi.
-Shit. Ok. Ça m’a l’air important…
-Pour tout te dire, j’suis en train de virer folle. J’ai l’impression d’avoir bu douze cafés tellement je tremble.
-Veux-tu quelque chose à boire pour te calmer?
-T’as quoi?
-J’crois qu’à trois heures de l’après-midi, y’a rien de mieux qu’un amaretto on the rocks, qu’est-ce t’en dit?
-Parfait.

On a fini la bouteille, alors qu’elle était à peine entamée. Et je crois que si j’en avais eu une deuxième, on l’aurait bu elle aussi au complet, tellement Ève avait de choses à me raconter et de douleur à brûler. Je l’ai écoutée, sans presque rien dire. Un ou deux hochements de tête, sans plus. Trois sourires, une main sur l’avant-bras, une caresse, un regard qui veut dire je comprends, et qui s’excuse de ne pas trouver mieux à rajouter que Ça va aller.

***


« Je ne pensais pas que c’était possible. D’aimer deux personnes à la fois. Mais vraiment là, les aimer, à un point tel que ça me déchire de devoir me dire qu’un jour ou l’autre, je devrai faire un choix. Aucune des deux avenues ne me semble idéale, toutes les possibilités mènent à un cul-de-sac. Cul-de-sac, merde que c’est laid ce mot, veux-tu bien me dire qui a décidé de nommer les chemins sans issue de cette manière? Il devait en avoir ras-le-cul le mec, justement, pour penser à un tel nom. Cul-de-sac, cul-de-sac, c’est tout ce que je vois devant moi Sophie; un losange quadrillé jaune et noir qui annonce sur un ton ironique This is the end of the road. La seule solution serait de retourner sur mes pas, mais c’est impossible ça, hein, tu le sais comme moi, Sophie, on ne retourne jamais en arrière? Le temps, il ne se recule pas, le temps, ce n’est pas une cassette qu’on avance et qu’on ramène au début à l’infini, jusqu’à en user la bande magnétique et à ne plus être capable de distinguer ni l’image ni le son. Et c’est pourtant ce que je n’arrête pas de faire dans ma tête; revoir en boucle ces images, encore, encore, stop, rewind, stop, rewind further. Mes souvenirs sont flous, tellement je les ai visionnés et regarder une fois, deux fois, trente fois de plus.»

-Et tu es venue ici pour que je te dise quoi, Ève? Que je te donne des conseils?
-Non, surtout pas. Juste pour que tu me laisses te raconter, comment ça s’est passé, comment je me sens, comment je me brûle, puis qu’après tu me laisses repartir, seule avec ma p’tite misère et mon baluchon, que tu me laisses prendre ma décision comme une grande fille, comme une femme, comme une femme, oui, merde, une femme qui aime les hommes, une femme qui aime deux hommes.
-Bon, au moins, une chose est sûre, tu ne doutes pas de ton sexe ni de ton orientation sexuelle, alors y’a au moins un questionnement existentiel de réglé!
-Tu parles. J’commence à comprendre les homosexuels qui doivent assumer leur condition et l’avouer, à leurs parents, leurs amis, à tout le monde : «S’cuse, j’suis gai.» On accepte la chose, on consent qu’elle puisse exister, mais on souhaite ne jamais la vivre.
-C’est qui l’autre gars?
-Bah. Un mec au travail. Un collègue. Con. Ostie qui m’énervait au début, quand il a été muté dans mon équipe de travail. Je pouvais pas le blairer. Un p’tit comique, un «r’gardez-moi comme j’fais des drôles de blagues, guiliguili bloupbloup!». Ark! Finalement, j’ai appris à le connaître et j’ai bien dû admettre que tout cela, ce n’était qu’une carapace, une manière de dissimuler sa fragilité, ses doutes, ses angoisses. Et voilà qu’on est allés à un 5 à 7 avec les gens du bureau, y’a de cela je sais pas moi, deux semaines, puis on a passé la soirée ensemble, à discuter, à boire des martinis, à aller aux toilettes, parce que maudit qu’on en a bu des martinis. Il est venu me reconduire chez moi, à pieds, évidemment, il était ben trop saoul pour conduire, et sur le pas de la porte, il n’a pas essayé de m’embrasser.
-Ok. Alors il est où le problème?
-Là, très précisément. Dans le fait qu’il ne m’a pas embrassée et que j’aurais tellement souhaité qu’il le fasse. Mais bon, j’ai mis ce désir sur le dos du surplus d’hormones qu’engendre l’alcool, et j’suis allée me coucher. Aux côtés de mon copain. Trois jours plus tard, c’était notre anniversaire, à Jason et à moi. On est allé dans un superbe petit resto, qu’il avait lui-même réservé. Wow, mon homme qui prend des initiatives! Il m’a offert des roses et une magnifique carte, lui qui n’écrit jamais sous prétexte qu’il n’a rien d’intéressant à dire. Cette fois, la carte était pleine, il a dû utiliser l’endos, écrit par-dessus le code barre, pour m’exprimer à quel point il m’aimait, et à quel point il souhaitait que ça dure toujours lui et moi. Moi aussi mon amour, moi aussi. Et voilà, j’étais de nouveau la femme d’un seul homme, amoureuse de celui de qui j’étais censée être éprise, et il n’y en avait plus de problème. J’étais soulagée. Mais mon soulagement n’a duré qu’un petit douze heures – il était aussi efficace qu’un sirop contre la toux, quoi. Les symptômes se sont manifestés de plus bel le lendemain matin. Sébastien, le collègue-de-bureau-stupide-de-qui-je-me-suis-stupidement-amourachée avait laissé une note sur ma table de travail – Faut que je te parle. Je n’ai pas donné suite à la chose avant aujourd’hui, je ne m’en sentais pas la force. Mais ce midi, dans un élan de courage ou de stupidité, je ne sais trop, je l’ai invité à me rejoindre dans un café pour luncher. On a placoté de tout et de rien, jusqu’au moment où j’ai senti que le ce-dont-il-fallait-donc-ben-qu’il-me-parle allait sortir. Finalement, c’était tellement important qu’il n’a rien dit. Il s’est contenté de me fixer pendant dix minutes, un sourire niais sur le coin de la lèvre, comme s’il attendait que MOI je parle. Tu me fais chier Sébastien. Ostie que tu me fais chier. Je m’excuse, dit-il, sincère. Mais qu’est-ce que j’en avais à foutre de ses excuses. J’suis partie du resto en coup de vent, sans même avoir touché au croissant que je m’étais commandé. Une fois dehors, ça n’a pas pris trois secondes et quart que j’ai éclaté en sanglots. Mais c’était pas de la tristesse, c’était de l’intensité. J’explosais d’intensité. C’est à peine si mes joues étaient légèrement humides; c’était des larmes sèches, des larmes qui égratignent la cornée, des larmes qui font plus mal qu’elles ne libèrent. Et c’est ça. J’ai traîné mes larmes assoiffées jusqu’ici, ne voyant pas où ailleurs je pouvais aller. Je me sens comme un désert Sophie. Un désert en plein mois de décembre.

Je n’ai rien pu répondre à cela, qu’une accolade de dix minutes. Ève s’est remise à pleurer, et c’est vrai, y’a rien qui coulait. Qu’un bruit sourd, qu’une plainte lointaine et ténébreuse qui sortait non pas de sa gorge, mais directement de sa poitrine, comme si son cœur demandait la porte – Sortez-moi d’ici, j’étouffe, j’étouffe.

Et elle s’est endormie, pendant que je lui caressais les cheveux. D’un sommeil plein de spasmes et de soupirs. Je l’ai laissée se reposer dans ma chambre. Elle a filé jusqu’à huit heures ce matin. J’ai téléphoné à Jason pour lui dire de ne pas s’inquiéter, qu’Ève s’était simplement assoupie après avoir ingurgité un peu trop d’alcool, même si ce n’était pas l’amaretto qui l’avait saoulée, mais bien l’amour.
L’amour à 40%, l’amour qui tue, l’amour qui rend paf, l’amour qui te fait voir double et qui t’empêche de marcher droit sur la ligne jaune.

07 décembre 2007

Hier, quand j’aurai 20 ans.

Quand on ne sait pas trop ce que l’avenir nous réserve, que le présent nous semble dépourvu de sens, rien de mieux que de se plonger dans le passé. Ressasser des vieilles histoires, pour nous redonner courage, nous rappeler à quel point, à certains moments, la vie a pu être merveilleuse pour nous. Ressasser des vieilles histoires, pour nous donner des raisons de déprimer encore plus. On a souvent besoin de justifier sa mélancolie. La nostalgie gratuite, ça n’émeut personne. Ça n’inspire aucune pitié. Ressasser des vieilles histoires, simplement parce qu’on n’est jamais parvenu à comprendre ce qui s’était passé exactement, comment les choses avaient pu se terminer ainsi. On ne raconte pas des histoires pour fournir des explications à leur dénouement, mais bien parce que les raisons de leur conclusion nous échapperont toujours.


***


C’était l’hiver. Il faisait froid, mais pas plus que d’habitude. Ça me fait rire les gens qui disent : «Y’a jamais fait aussi froid que ça!» ou «Dans mon temps, les hivers étaient ben plus frettes que ça! On avait la couenne dure nous autres!». Ça rime à rien tout. Le froid ne change pas, il est toujours le même. C’est vous qui avez la mémoire courte.

C’était l’hiver, il faisait froid, je m’en rappelle, et je n’avais plus de lait chez moi. Plus de lait et plus rien, j’étais dans une période très creuse, une période où y’avait pas que les vaches qui étaient maigres. Je carburais aux céréales et aux soupes en sachet. J’avais envie d’un peu de gastronomie, alors je suis allée à l’épicerie hindoue du coin. M’acheter du lait, quelques bananes, du pain. Avec ça, j’allais être bonne pour passer au moins trois-quatre jours. Je ne pourrais pas me faire de pain aux bananes, mais je pourrais toujours manger des toasts aux bananes.
J’en étais à sélectionner méticuleusement quelle grappe de bananes j’allais prendre – je les aime pas trop mûres, avec encore un peu de vert aux extrémités. J’avais trouvé la grappe parfaite, mais peut-être juste un peu trop grosse. J’avais pas besoin d’autant de bananes. J’essayai donc subtilement d’arracher deux bananes du lot pour en faire diminuer un peu le poids. Ça a beau être pas cher des bananes, quand t’as pas une cenne, tu trouves que ça monte vite quand même. Je m’arrangeai pour ne pas que le caissier me remarque, car il m’avait déjà engueulée – dans sa langue maternelle, c’était de toute beauté. J’avais mis 10 minutes à comprendre ce qu'il me voulait. – pour avoir mangé UN raisin sans le payer, alors je me disais qu’il serait bien capable de me lapider sur place pour avoir osé arracher une banane à une pauvre famille de bananes sans défense.

J’étais concentrée à ne pas me faire remarquer quand, soudain, j’entendis un Hey! You! Ça y’était, je venais de me faire pogner! Merde! You! Here! Fuck. Ben oui, moi, ici, désolée m’sieur, j’pensais pas que c’était si grave. Je ne savais pas que votre religion vous empêchait de diviser les grappes de bananes, avoir su, j’l’aurais pas fait, j’vous jure, j’étais vraiment pas au courant, c’est juste que j’ai seulement cinq piasses su’ moi, comprenez, j’voulais être sûre que… Sophie! (Comment ça il connaît mon nom lui donc?) Je me suis retournée. Ce n’était pas le caissier qui me parlait, mais un de ses compatriotes – je dis hindou, mais je sais ben pas d’où y viennent. Probablement un des pays qui finit en ‘istan’. Mais lequel… – L’homme en question me dévisageait avec un énorme sourire.

-It’s really you! I’m so glad to see you Sophie. It’s been a while. Wow!

It’s been a while?! Comment ça se fait donc qu’ it’s been a while; on se connaît même pas!

-You don’t seem to recognize me?!
-You’re right, I’m not sure I’m the one you think I am.
-Of course you are! You’re Sophie!
-Thanks, I know my name, but... how come you, you know it?!
-‘Cause... ‘Cause we are friends!

Euh... permettez-moi d’objecter, mais... à ce que je sache, je n’ai pas d’ami hindou anglophone. Me semble que je m’en rappellerais, non, si mon meilleur chum venait du Kurdistan pis qu’il s’exprimait dans un anglais impeccable, mais avec un accent long comme le bras canadien.

-Yes! Sophie! Remember! We met three years ago, or maybe two .One night, we watched a movie at your mom’s place, it was... pretty cool!
- What do you mean by ‘pretty cool’?!
-You know...!

You know? Avec un clin d’œil?! Non, je suis désolée, mais je know pas pentoute! T’es en train d’insinuer que j’ai couché avec toi – et tu es un hindou anglophone, je te le rappelle – et que je ne m’en rappelle pas?!

-Sorry man, I… I absolutly don’t remember!
-Well. If you say so... That’s a shame. I tought we could maybe... you know... see each other again.
-I don’t think so.


See each other again? Man, on ne s’est JAMAIS vu avant, comment veux-tu qu’on se REvoit?! C’est physiquement, philosophiquement, ontologiquement, étymologiquement, éthiquement, tout-ce-que-tu-veux-en-ment impossible!

Finalement, je n’ai pas acheté de bananes. Ni de lait. Ni de pain. Je n’ai pas mangé pendant trois jours. Il me restait un peu de soupe Campbell pourtant. Mais je n’avais simplement plus faim. Cette histoire m’avait troublée au point de me couper l’appétit. Quelqu’un que j’étais convaincue de n’avoir jamais vu de ma vie m’affirmait qu’on avait pourtant passé du sapristi de bon temps ensemble. Mais où j’étais moi pendant ce temps-là? Dans quelle dimension cette rencontre s’était-elle déroulée, pour que je n’en aie ainsi aucun, mais alors là, aucun souvenir?


***


Cette histoire s’est produite il y a quatre ans. Du moins, je pense. Chaque fois que je la raconte, je remets en doute toute ma conception du temps, de la réalité, de la fiction. Chaque fois que je me la remets en tête, je me mets à douter du passé. Je ne regrette pas mon passé, non, j’en doute, simplement. Je doute qu’il ait véritablement eu lieu. Je doute de me rappeler des choses exactement comme elles se sont déroulées. Je doute de ma faculté à me remémorer. Et si j’inventais tout? Et si, c’est l’hindou anglophone qui avait raison? Et si, lui et moi, on s’était véritablement connus, mais ailleurs. Dans un passé dont je n’ai pas la mémoire. Un passé qui m’appartient mais que j’ai, volontairement ou non, relégué à un autre niveau de conscience? Vraiment, ça me fout les j’tons.

Qu’on ne sache pas ce que l’avenir nous réserve, ça peut être angoissant, mais c’est normal. Dans l’ordre naturel des choses. Par contre, quand c’est ce que ton passé te réserve qui t’échappe, là, tu peux dire que t’es mal foutu.