13 décembre 2007

Love, amaretto and cigarets

And heartache came to visit me
But I knew it wasn't ever after
We'll fight, not out of spite
For someone must stand up for what's right
'Cause where there's a man who has no voice
There ours shall go singing
-Jewel, Hands




Ève est une de mes meilleures amies. On se voit très peu, mais chaque rencontre est une grande retrouvaille, une preuve incontestable de la grandeur de notre amitié. Je n’avais pas vu Ève depuis près d’un an. Et voilà que hier, elle est venue cogner à ma porte, complètement déboussolée.
-Ève!!!! Qu’est-ce que tu fais là! Tu parles d’une surprise!
-Oui! Ça fait longtemps hein?! Je m’excuse de débarquer comme ça…
-Mais non voyons, j’suis vraiment contente de te voir. Tu passais dans le coin?
-À vrai dire, pas du tout. J’ai fait un méchant détour pour venir jusqu’ici, mais je devais absolument te voir toi.
-Shit. Ok. Ça m’a l’air important…
-Pour tout te dire, j’suis en train de virer folle. J’ai l’impression d’avoir bu douze cafés tellement je tremble.
-Veux-tu quelque chose à boire pour te calmer?
-T’as quoi?
-J’crois qu’à trois heures de l’après-midi, y’a rien de mieux qu’un amaretto on the rocks, qu’est-ce t’en dit?
-Parfait.

On a fini la bouteille, alors qu’elle était à peine entamée. Et je crois que si j’en avais eu une deuxième, on l’aurait bu elle aussi au complet, tellement Ève avait de choses à me raconter et de douleur à brûler. Je l’ai écoutée, sans presque rien dire. Un ou deux hochements de tête, sans plus. Trois sourires, une main sur l’avant-bras, une caresse, un regard qui veut dire je comprends, et qui s’excuse de ne pas trouver mieux à rajouter que Ça va aller.

***


« Je ne pensais pas que c’était possible. D’aimer deux personnes à la fois. Mais vraiment là, les aimer, à un point tel que ça me déchire de devoir me dire qu’un jour ou l’autre, je devrai faire un choix. Aucune des deux avenues ne me semble idéale, toutes les possibilités mènent à un cul-de-sac. Cul-de-sac, merde que c’est laid ce mot, veux-tu bien me dire qui a décidé de nommer les chemins sans issue de cette manière? Il devait en avoir ras-le-cul le mec, justement, pour penser à un tel nom. Cul-de-sac, cul-de-sac, c’est tout ce que je vois devant moi Sophie; un losange quadrillé jaune et noir qui annonce sur un ton ironique This is the end of the road. La seule solution serait de retourner sur mes pas, mais c’est impossible ça, hein, tu le sais comme moi, Sophie, on ne retourne jamais en arrière? Le temps, il ne se recule pas, le temps, ce n’est pas une cassette qu’on avance et qu’on ramène au début à l’infini, jusqu’à en user la bande magnétique et à ne plus être capable de distinguer ni l’image ni le son. Et c’est pourtant ce que je n’arrête pas de faire dans ma tête; revoir en boucle ces images, encore, encore, stop, rewind, stop, rewind further. Mes souvenirs sont flous, tellement je les ai visionnés et regarder une fois, deux fois, trente fois de plus.»

-Et tu es venue ici pour que je te dise quoi, Ève? Que je te donne des conseils?
-Non, surtout pas. Juste pour que tu me laisses te raconter, comment ça s’est passé, comment je me sens, comment je me brûle, puis qu’après tu me laisses repartir, seule avec ma p’tite misère et mon baluchon, que tu me laisses prendre ma décision comme une grande fille, comme une femme, comme une femme, oui, merde, une femme qui aime les hommes, une femme qui aime deux hommes.
-Bon, au moins, une chose est sûre, tu ne doutes pas de ton sexe ni de ton orientation sexuelle, alors y’a au moins un questionnement existentiel de réglé!
-Tu parles. J’commence à comprendre les homosexuels qui doivent assumer leur condition et l’avouer, à leurs parents, leurs amis, à tout le monde : «S’cuse, j’suis gai.» On accepte la chose, on consent qu’elle puisse exister, mais on souhaite ne jamais la vivre.
-C’est qui l’autre gars?
-Bah. Un mec au travail. Un collègue. Con. Ostie qui m’énervait au début, quand il a été muté dans mon équipe de travail. Je pouvais pas le blairer. Un p’tit comique, un «r’gardez-moi comme j’fais des drôles de blagues, guiliguili bloupbloup!». Ark! Finalement, j’ai appris à le connaître et j’ai bien dû admettre que tout cela, ce n’était qu’une carapace, une manière de dissimuler sa fragilité, ses doutes, ses angoisses. Et voilà qu’on est allés à un 5 à 7 avec les gens du bureau, y’a de cela je sais pas moi, deux semaines, puis on a passé la soirée ensemble, à discuter, à boire des martinis, à aller aux toilettes, parce que maudit qu’on en a bu des martinis. Il est venu me reconduire chez moi, à pieds, évidemment, il était ben trop saoul pour conduire, et sur le pas de la porte, il n’a pas essayé de m’embrasser.
-Ok. Alors il est où le problème?
-Là, très précisément. Dans le fait qu’il ne m’a pas embrassée et que j’aurais tellement souhaité qu’il le fasse. Mais bon, j’ai mis ce désir sur le dos du surplus d’hormones qu’engendre l’alcool, et j’suis allée me coucher. Aux côtés de mon copain. Trois jours plus tard, c’était notre anniversaire, à Jason et à moi. On est allé dans un superbe petit resto, qu’il avait lui-même réservé. Wow, mon homme qui prend des initiatives! Il m’a offert des roses et une magnifique carte, lui qui n’écrit jamais sous prétexte qu’il n’a rien d’intéressant à dire. Cette fois, la carte était pleine, il a dû utiliser l’endos, écrit par-dessus le code barre, pour m’exprimer à quel point il m’aimait, et à quel point il souhaitait que ça dure toujours lui et moi. Moi aussi mon amour, moi aussi. Et voilà, j’étais de nouveau la femme d’un seul homme, amoureuse de celui de qui j’étais censée être éprise, et il n’y en avait plus de problème. J’étais soulagée. Mais mon soulagement n’a duré qu’un petit douze heures – il était aussi efficace qu’un sirop contre la toux, quoi. Les symptômes se sont manifestés de plus bel le lendemain matin. Sébastien, le collègue-de-bureau-stupide-de-qui-je-me-suis-stupidement-amourachée avait laissé une note sur ma table de travail – Faut que je te parle. Je n’ai pas donné suite à la chose avant aujourd’hui, je ne m’en sentais pas la force. Mais ce midi, dans un élan de courage ou de stupidité, je ne sais trop, je l’ai invité à me rejoindre dans un café pour luncher. On a placoté de tout et de rien, jusqu’au moment où j’ai senti que le ce-dont-il-fallait-donc-ben-qu’il-me-parle allait sortir. Finalement, c’était tellement important qu’il n’a rien dit. Il s’est contenté de me fixer pendant dix minutes, un sourire niais sur le coin de la lèvre, comme s’il attendait que MOI je parle. Tu me fais chier Sébastien. Ostie que tu me fais chier. Je m’excuse, dit-il, sincère. Mais qu’est-ce que j’en avais à foutre de ses excuses. J’suis partie du resto en coup de vent, sans même avoir touché au croissant que je m’étais commandé. Une fois dehors, ça n’a pas pris trois secondes et quart que j’ai éclaté en sanglots. Mais c’était pas de la tristesse, c’était de l’intensité. J’explosais d’intensité. C’est à peine si mes joues étaient légèrement humides; c’était des larmes sèches, des larmes qui égratignent la cornée, des larmes qui font plus mal qu’elles ne libèrent. Et c’est ça. J’ai traîné mes larmes assoiffées jusqu’ici, ne voyant pas où ailleurs je pouvais aller. Je me sens comme un désert Sophie. Un désert en plein mois de décembre.

Je n’ai rien pu répondre à cela, qu’une accolade de dix minutes. Ève s’est remise à pleurer, et c’est vrai, y’a rien qui coulait. Qu’un bruit sourd, qu’une plainte lointaine et ténébreuse qui sortait non pas de sa gorge, mais directement de sa poitrine, comme si son cœur demandait la porte – Sortez-moi d’ici, j’étouffe, j’étouffe.

Et elle s’est endormie, pendant que je lui caressais les cheveux. D’un sommeil plein de spasmes et de soupirs. Je l’ai laissée se reposer dans ma chambre. Elle a filé jusqu’à huit heures ce matin. J’ai téléphoné à Jason pour lui dire de ne pas s’inquiéter, qu’Ève s’était simplement assoupie après avoir ingurgité un peu trop d’alcool, même si ce n’était pas l’amaretto qui l’avait saoulée, mais bien l’amour.
L’amour à 40%, l’amour qui tue, l’amour qui rend paf, l’amour qui te fait voir double et qui t’empêche de marcher droit sur la ligne jaune.

1 commentaire:

L'intense a dit…

Ya certains amours qui sont déjà périmés avant qu'on les vive. On sait déjà leur deadline et tout ce qu'ils impliqueront. Est-ce que ça vaut vraiment la peine de les vivre? Tout dépend de l'endroit où ces personnes sont rendues dans la vie...

Vaut mieux pleurer de l'intensité de la vie que de son néant