23 novembre 2007

Sens unique



Un pessimiste est un type qui regarde des deux côtés
avant de traverser une rue à sens unique.

-Laurence Peter



Suis-je seule à avoir cette manie superstitieuse de confirmer mes choix en posant des ultimatums complètement insensés à la vie? Du genre : si la lumière vire au vert avant que j’atteigne le coin de la rue, ça veut dire que je n’attraperai pas la grippe qui court ces temps-ci; si je tombe sur une chips restée entière dans le fond du sac où il ne reste pourtant que des graines et des miettes, ça veut dire que je vais rencontrer quelqu’un d’intéressant ce week-end; si je parviens à finir de lacer mes souliers avant que le cadran n’affiche midi pile – Vite! Vite! Vite! Il est 11h59 et déjà plusieurs poussières! – je vais recevoir un coup de fil intéressant dans les prochains jours. Si le gars qui marche devant moi tourne à droite à la prochaine intersection, je n’ai pas le choix de le suivre; c’est peut-être l’homme de ma vie. Si. Si. Si. Le conditionnel est vraiment une invention fantastique de la langue française.


Si. Conditionnel. À condition? À condition de quoi? Que je le décide. Simplement. On s’invente – ou «je m’invente», car peut-être suis-je vraiment la seule à faire ce genre de truc finalement – ces règlements bidons pour se déresponsabiliser de son destin et pouvoir dire, au final, que c’est de sa faute, à l’inéluctable course des astres, si finalement ça n’a pas fonctionné : elle n’a pas suivi les modalités et les exigences du jeu. Elle a fait en sortes que le gars, à la prochaine intersection, il est tourné à gauche au lieu d’à droite. Alors hein, après ça, qu’on ne vienne pas chialer que je suis capricieuse et que je ne fais rien pour rencontrer de nouvelles personnes : je cherche à en rencontrer, mais elles ne prennent pas la bonne direction.


Et celles qui tournent du bon bord, assez rapidement, je dois me rendre compte que c’est dans un cul-de-sac qu’elles m’ont entraînée. Un sens unique avec, au bout, une belle clôture en métal, orné de barbelés. Défendu de passage. No way. You won’t go further.




La semaine passée, après son spectacle dans le petit café du Vieux Montréal, Vincent-le-violoncelliste et moi, on est allés prendre un verre. Une superbe fin de soirée; on a bu, mais pas trop, juste assez pour nous dégêner et nous inciter à poser les questions qui nous brûlaient les lèvres mais qu’autrement nous aurions retenues. On a discuté longuement, on a rit. Puis on est rentré chacun de notre côté, sans s’embrasser ni rien, non, simplement en se promettant un «au revoir». J’étais charmée. Et je crois qu’il l’était tout autant. Non, j’en suis sûre.


J’ai délibérément choisi de laisser s’écouler plusieurs jours avant de lui écrire un email. Il ne m’avait laissé que son adresse courriel. Pour ma part, je ne lui avais rien donné, outre la promesse de lui faire signe prochainement.




Il a mis deux jours à me répondre. Laps de temps au cours duquel j’avais fini par me convaincre que parmi tous mes «prétendants», il n’y avait pas de doute, c’était vers lui que mon cœur penchait le plus. Pas que le fils encore puceau de ma voisine semi-sénile ne soit pas intéressant, mais bon…


Mais dès que j’ai ouvert son message, j’ai regretté mon choix. Monsieur-le-musicien-sensuel a bien pris soin, dans son courriel ultra poli, suave, respectueux et tout ce que vous voudrez d’amical et de platonique, de souligner le fait qu’il avait une copine et qu’il serait malsain pour lui et son beau couple que l’on continue à se voir.




Est-ce moi qui n’aie pas attaché mes lacets assez rapidement ce matin et la vie qui a ainsi décidé de se venger ou je suis tout simplement damnée? Non mais, méchant karma mon affaire. Un samedi matin, dans un café désert, un jeune homme s’approche de ma table pour me demander s’il peut s’asseoir avec moi, alors qu’il reste une bonne cinquantaine de places disponibles un peu partout dans le resto, je lui réponds oui, on jase un brin, rien d’impliquant, mais on sent bien qu’il a un intérêt certain pour ma «cause», et voilà, il m’invite à assister à son spectacle le soir venu, je me rends au dit spectacle, j’ai du plaisir, on a du plaisir, du vrai de vrai plaisir et putain, oui, ça se voit dans ses yeux, dans mes yeux, que du plaisir, on en veut plus que ça, tant que possible, du plaisir, s’il vous plaît, de toutes les formes, amenez-nous en, on est avides de plaisir!


Le mec, on se le rappelle, c’est lui qui est venu vers moi, dès le départ. Venu me chercher avec son sourire mièvre et ses atouts de jeune premier, son regard enveloppant et ses mains qui vous caressent sans vous toucher tellement elles sont grandes et belles et masculines. Il est venu, à moi, sans que je ne lui demande quoi que ce soit.


Pour mieux me renvoyer chez moi en m’avouant comme si c’était la chose la plus logique du monde qu’il a une copine.


Qu’il la marie sa copine, qu’il lui fasse une trâlée d’enfants, qu’il l’aime, qu’il l’aime, qu’il lui dise tous les soirs en l’embrassant sur le front, j’en n’ai rien à foutre, je trouve ça beau même, non mais, bravo, les couples qui durent de nos jours, hein, on le sait, ça ne court pas les rues. Mais justement, les jeunes hommes-des-couples-qui-durent, ils ne sont pas censés courir les rues en courtisant les demoiselles, en leur lançant des clins d’œil et des cartons d’allumettes avec leur numéro de téléphone inscrit à l’intérieur pour qu’elles les appellent afin qu’ils leurs disent Oh. Désolé ma belle, je suis déjà engagé, je voulais pas te créer de faux espoirs.


Faudrait leur dire à ces jeunes-hommes-donc-bien-sûr-d’eux que l’espoir, il n’est jamais faux. Il est toujours vrai et il vient du cœur. Du cœur qui accepte de croire à ce qu’on essaie de lui faire gober.

7 commentaires:

Jean-Philippe Murray a dit…

Si ça peut te rassurer (quoi que j'en doute), il y à pire que toi. Oh oui. Il y a ceux qui se lancent ce genre de défis à la noix sans raison, même idiote. Par pure folie d'esprit.

Eux, ils n’auront jamais la chance de se faire de beaux-faux-espoirs. Ils resteront seuls, en se disant qu'ils ne sont même pas à peine de faire tourner les regards autour d'eux. Parole de gars qui essaie de ne pas mettre le pied sur les lignes qui divisent le béton des trottoirs dans la rue. Il y a toujours pire que soi.

Mais ce n'est jamais ça que l'on veut entendre.

Alors, je n’ai rien dit.

Mélissa Verreault a dit…

Tiens... essayer d'éviter les lignes du trottoir... moi aussi je fais ça! Merde de merde, tu essaies de me faire prendre conscience que je suis plus folle que je ne le croyais, c'est ça?! :P

Jean-Philippe Murray a dit…

Ah mais non, t'as rien compris là! Moi je me dévoile dans ma grande folie intime pour te faire sentir mieux et ... Râ! ;)

Mélissa Verreault a dit…

Je sais, je sais Lapin blanc! Mais comme tu vois, ça ne fonctionne pas :P
Bien essayé quand même ;)

Jean-Philippe Murray a dit…

Et le traîtement choc?

« T'es une BARRRRRRJJJOOOTTTTT » !!

Mélissa Verreault a dit…

J'te dis Lapin blanc, tu veux ma mort! :P

Me traiter de barjot, c'est pas gentil! ;) Je suis une p'tite sensible, faut essayer de m'épargner!

S.

Jean-Philippe Murray a dit…

Mais non, vous aimez ça les femmes, vous faire brusquer avec amour... ;-)