24 septembre 2007

Avant l’automne, suite…



Je n’avais jamais connu la perte d’un être si proche de moi auparavant. J’aurai eu beau dire et répéter que ma mère ne me comprenait pas, qu’elle était tout ce qu’il y avait de plus contraire à moi, elle était ma mère. Et une mère, ce n’est pas fait pour mourir; c’est fait pour donner la vie. Qui oserait donc la lui reprendre? Quelqu’un de si proche… Contraire à moi, mais l’existence d’une chose n’est-elle pas prouvée par le fait que son contraire existe aussi?

Mes quatre grands-parents sont encore vivants; le seul deuil que j’ai eu à vivre, ce fut à huit ans, quand mon arrière-grand-mère de quatre-vingt-douze ans est morte. Ah, et puis, quand mon arrière-grand-père est mort, deux ou trois ans après cela. Quelqu’un de si proche? Jamais, non.

Et j’ai toujours pensé que le jour où cela allait m’arriver, je ne saurais absolument pas comment réagir. Que j’allais tout simplement y passer, à mon tour, que je ne pourrais pas survivre à ce genre de douleur. De vide. Comment continuer de vivre quand le lieu, l’endroit originel, celui d’où tu viens et où tu as si souvent souhaité retourner n’existe tout simplement plus? Chaque fois que je m’imaginais une telle situation se produire – la mort de mon père ou de ma mère, pire que tout – je me disais que le plus grand problème dans tout cela, c’est que je ne serais jamais capable de me tuer moi-même et qu’à cause de cela, je serais obligée de continuer. De continuer de vivre, même si le lieu d’où je venais et où j’avais si souvent souhaité retourner n’existait plus. Je regrette parfois de ne pas être du type suicidaire.

-        Ne dis pas ça!

La voix qui venait de parler était celle de François. Je croyais m’être tenue ce discours en silence, pour moi-même – petit monologue intérieur – mais semble-t-il, encore une fois, que ma tête avait réfléchi plus fort que je ne le croyais. Et je n’avais pas su trouver meilleur confident que François.
Au début, je me suis bien demandé ce qu’il faisait là. Comment avait-il su pour ma mère? Par la suite, je me suis dit qu’il avait du culot de se pointer aux funérailles de ma pauvre, pauvre maman, et puis j’ai réalisé que le fait qu’il ait couché avec ma meilleure amie il y a de cela environ cinq mois n’avait rien à voir avec ma défunte mère et que la propension à l’adultère n’empêchait pas nécessairement un homme d’éprouver de la sympathie.

Je me suis donc retenue de le gifler lorsqu’il est venu m’offrir ses condoléances.

Plutôt que de le frapper, je suis tombée en sanglot dans ses bras. Il m’a amenée dans une pièce à part, et c’est là que je me suis mise à lui balancer mon baratin sur mon incapacité à gérer la mort, en l’occurrence celle de ma mère.

-        Ne dis pas ça!
-        Pourquoi pas?!
-        Tu ne voudrais pas être suicidaire. C’est déprimant être suicidaire et je trouve que tu es déjà assez déprimée comme ça!
-        Ah! T’es con.
-        Je sais. Mais au moins je te fais rire. Un zéro pour moi.
-        Contre qui tu joues?
-        Tous les autres.
-        François against the rest of the world, c’est ça?
-        Ils n’ont aucune chance, pas vrai?!

C’est vrai qu’il me faisait rire. Alors je l’ai laissé dire des niaiseries pendant une bonne dizaine de minutes. Ses blagues cyniques valaient beaucoup mieux que tous les faux élans de compassion que ces centaines d’inconnus étaient venus me témoigner. J’ignorais que ma mère connaissait autant de gens. J’imagine que c’est moi qui la connaissais plutôt mal.

-        Est-ce que toi et Magalie avez recouché ensemble?
-        Euh… tu veux dire, depuis la fois où tu nous a surpris chez elle?
-        Oui. À moins que tu aies en tête une autre fois dont je n’étais pas au courant. Déjà, ça répondrait en partie à ma question!
-        Non. Ç’a été la seule fois.
-        Oh.
-        Mais j’imagine que tu me pardonneras pas plus parce que je t’ai dit ça.
-        Effectivement, ça change pas grand-chose au fait que je trouve que tu es un con. Pas tant parce que tu m’as trompée que parce que tu n’as pas essayé plus fort que ça de me ravoir après.
-        Ben là! Tu t’attendais à quoi? Que je t’envoie des fleurs tous les jours pendant trois mois, jusqu’à temps que tu te décides enfin de peut-être me donner une deuxième chance? Que je monte les marches de l’Oratoire St-Joseph sur les genoux tous les dimanches pour prier Dieu qu’il te ramène à moi?
-        T’as raison. De toute façon. C’est pas vraiment le temps de parler de tout ça. Je suis encore sous le choc en ce moment et le stress post-traumatique pourrait me faire poser des gestes regrettables si jamais la conversation s’envenimait!
-        Si t’as envie de me tuer, effectivement, c’est le meilleur moment pour le faire, on est déjà dans un salon funéraire. Laisse-moi juste aller prendre mes arrangements avec le directeur d’la place, je n’ai pas de testament encore… Je reviens, ok?
-        Pff! T’es vraiment, vraiment con!
-        Deux zéro. T’as encore ri.
-        T’es con pis j’sais pas pourquoi, mais j’suis contente de te voir.
Le fait que François soit là, c’était un peu comme une preuve que le passé n’était pas complètement révolu, que ma mère avait beau être morte, elle n’avait pas tout emporté avec elle; il reste encore ici des gens et des choses appartenant à l’époque d’avant qui continueront de vivre avec moi.
-        Magalie aurait voulu venir, mais son boss a refusé de lui donner son samedi pour aller aux funérailles de la mère de sa meilleure amie. Il lui a répondu qu’elle n’avait pas l’air si triste et que tant que cette mort n’affectait pas son travail, il ne voyait pas pourquoi il lui donnerait une journée de congé. Je crois qu’il aurait fallu qu’elle-même meurt pour qu’il accepte qu’elle aille aux funérailles!
-        Wow. Quel con!
-        Tu me traites de con depuis tantôt : voudrais-tu insinuer que lui et moi, on a quelque chose en commun?!
-        Ah. Ah. Non. Du tout. Vous êtes deux genres de cons tout à fait différents, t’inquiètes.
-        Merci.
-        Dis donc, c’est moi ou tu as dit «son boss a refusé de lui donner congé pour aller aux funérailles de la mère de sa meilleure amie»?
-        Je pense effectivement que j’ai dit ça. Pour?
-        Meilleure amie, hein?


François en était à essayer de m’expliquer pourquoi Magalie me considérait toujours comme sa meilleure amie, même si elle et moi, on ne s’était pas parlées depuis des mois, quand, tout à coup, je n’ai plus eu besoin d’explication. J’ai compris.

Magalie est entrée dans le salon funéraire avec en main une rose blanche. Une toute petite rose blanche. Elle et sa rose affichaient le même air timide et complètement ahuri. Elles semblaient toutes deux avoir peur qu’on les écrase du pied.

-        Magalie?
-        Oh. Sophie. Je…
-        François vient tout juste de me dire que tu ne pouvais pas venir parce que ton boss n’avait pas…
-        Mon boss? Quel boss? Ah! Tu veux dire le trou-de-cul qui me disait quoi faire tout en prenant bien soin de ne jamais me donner un coup de main quand j’étais dans le jus au café? Lui? Ce n’est plus mon boss. Il ne le sait pas encore, mais j’imagine qu’il va s’en rendre compte assez vite lorsqu’il s’apercevra que personne n’a ouvert le resto ce matin!
-        Euh. T’as pas laissé ta job pour venir aux funérailles de ma mère toujours?
-        Même si  j’suis prête à bien des choses pour que toi et moi on redevienne amie, mais pas à laisser ma job quand même. Je l’ai laissée parce que cet enfouaré de merde me faisait vraiment trop chier, c’est tout!

C’était alors un zéro pour Magalie aussi.

***

Je n’ai pas revu François et Magalie depuis les funérailles. J’avais eu envie d’aller à la tombe de Maman accompagnée de François, mais j’y suis allée seule finalement.

 Debout devant la pierre tombale de Maman, j’ai réfléchi à tout ça. Me suis demandé si j’avais vraiment envie de les reprendre dans ma vie, François et Magalie. Et puis j’ai réalisé que si je n’en avais pas envie, à tout le moins, j’en avais de besoin. Besoin d’avoir des amis de nouveaux. Parce qu’en y pensant bien, ça fait beaucoup trop longtemps que je suis seule, n’ayant pour seule activité que la méditation autour du fait que… je suis seule. D’accord, il y a eu Louis, et Louis est toujours là, mais un peu trop loin à mon goût. Et puis il y a moi, moi, qui suis là, encore, à me regarder dans le miroir, mais je ne suis pas certaine que cela soit suffisant dorénavant.

1 commentaire:

Pinocchio a dit…

Manque encore des bouts à gauche.

T'écris des histoires dont on est est le héros?