03 octobre 2007

Feu de camp


J’ai repoussé la chose plusieurs fois, mais hier, j’ai décidé que le temps était venu. Je suis passée chez le notaire pour régler ces mille et une choses que l’on doit régler lorsque quelqu’un meurt. Je ne comprends pas pourquoi mourir est rendu si compliqué. Étant donné que c’est la chose la plus inévitable, ne devrions-nous pas en faire également la chose la plus simple? Peut-être qu’on croyait qu’en faisant de la mort un événement extrêmement complexe, elle finirait par se décourager et lâcher prise – J’en ai assez de vos paperasses, vos cérémonies, vos héritages, vos niaiseries, moi j’fous le camp, arrangez-vous donc tout seuls. Mais notre truc de grands perspicaces n’a pas fonctionné, je suis désolée de vous l’annoncer, on meurt encore.


Et il faut encore signer des piles de documents. J’ai passé l’après-midi dans le bureau d’un homme gris et sans compassion. Pour lui, je n’étais pas une orpheline, mais plutôt une série de chiffres à retenir et de dossiers à classer. Notre rencontre fut interminable, entre autres parce que la secrétaire, tout aussi grise et insensible que son patron, n’arrêtait pas de nous interrompre avec ses Pardonnez-moi de vous déranger, mais je crois que c’est important. La ligne un, pour vous. Chaque fois, je ne pouvais m’empêcher de songer que c’était un autre orphelin désemparé, comme moi, qui appelait pour savoir ce qu’il devait faire. Pour connaître le mode d’emploi. Chaque fois, j’aurais voulu prendre le combiné et lui dire que j’étais vraiment, mais alors là vraiment désolée, mais qu’il y en avait pas de façon de faire. On meurt, encore. Et on meurt, beaucoup. Le téléphone a retenti huit fois, si j’ai bien compté.


Et si j’ai bien compté, ma mère ne m’a pas laissé grand-chose. Son assurance-vie aura servi à couvrir les frais liés à l’enterrement et voilà, c’est pas mal tout. Peut-on m’expliquer pourquoi on doit payer si cher pour un putain de coffre en bois qu’on s’empresse aussi tôt d’enfoncer dans la terre? Si seulement j’avais pu le ramener chez moi, l’exposer au milieu du salon, m’en faire une table à café, je ne sais pas moi. On aurait été aussi bien, selon moi, de prendre une bonne dizaine de liasses de cent piastres, de les placer dans un petit coffre en plywood et de gentiment déposer le tout dans un trou d’écureuil. Ç’aurait été un tout aussi bon placement.


Tout de même. Elle me laisse environ cinq mille dollars. De quoi payer les dettes que j’ai accumulées cet été, et puis, oh, peut-être, oui, peut-être me payer une petite soirée au cinéma. Avec du popcorn. Wow. On rit pu. À vrai dire, ce n’est pas tout. J’ai aussi hérité du condo. Mais je vois ça plus comme un trouble qu’un cadeau en ce moment. Je voudrais bien aller m’y installer, mais je ne me sens absolument pas prête à être une femme qui, l’été, met du chlore dans sa piscine avant d’aller se coucher et, l’automne, ramasse les feuilles mortes sur son terrain en se disant Ahh! Quelles magnifiques couleurs automnales! Et ça sent si bon le mois d’octobre! Hmm! Que j’aime ma banlieue!


J’ai quand même décidé qu’un séjour de quelques jours dans cette demeure qui m’appartient dorénavant et de laquelle je ne sais trop que faire pourrait être nécessaire, ne serait-ce que pour faire un peu de ménage dans les babioles de ma mère. Ce soir, je pars donc en voyage au pays des revenants et autres souvenirs moches. J’ai la nostalgie dans le plafond. Et un paquet d’allumettes bien plein. Car j’ai l’intention d’en brûler le plus possible. Je ne veux rien savoir de garder les photos, les objets d’artisanat rapportés de République Dominicaine, les lettres, les factures, les vêtements. Et je ne veux surtout rien donner aux pauvres. Quelle insulte, recevoir les meubles et les accessoires d’une femme morte – Tiens ma chère, t’es pas riche, riche, mais tu mérites au moins de porter les bijoux d’une défunte. Hein? La chance que t’as!


Non, je préfère tout faire cramer. Et avec les cendres, sur les murs blancs, écrire : Moi, moi, je suis encore vivante.

1 commentaire:

BeachBoy a dit…

ca doit etre toute une épreuve.

je ne partage ps ta volonté de ne rien donner aux pauvres, mais boon je ne suis pas dans ta situation alors j'ai rien à dire.

le condo, tu en hérites avec le reste de l'hypotheque ou l'héritage l'a payé? Si tu te ramasses avec l'hypotheque tu es mieux de vendre, sinon bein soit tu y habites, tu le reloues ou tu le vends ($$$).

Bonne chance dans tout ca!