13 août 2007

Mi-fugue, mi-raison


Paris. Ville Lumière. Mon cul.

Je n’ai jamais autant broyé de noir.

Je devrais être sur un nuage en ce moment, mais non, je suis dans un café Internet. Et les seuls nuages disponibles, ce sont ceux qui pleuvent, ceux qui crachent, ceux qui me postillonnent leur bruine en pleine face, les gris, les gros, les gras nuages plein de merde et de pluie qui m’inondent le cerveau. Dans un café Internet, à l’abris de la tempête - météorologique, celle-là, du moins - j’écris pour essayer de comprendre ce qui se passe avec moi.

Je me suis enfui de l’hôtel où Louis m’a amenée dormir. Je ne peux pas croire moi-même que j’ai fait ça. Plus fort que moi, c’était plus fort que moi, je manquais d’air. Un gars, mignon, sympathique, plutôt riche, généreux, qui me paye la traite, me fait découvrir son pays, m’amène bouffer, danser, cluber, moi, qu’est-ce que j’en fais de ce gars? Je le jette au poubelle. Pour mieux me ramasser seule, dans une grande ville, que je connais à peine. Sans toit, sans carte, sans permis, sans, sans, sans, sans cervelle, ok, voilà, c’est dit.

Mais je pouvais pas, pas rester, impossible, désolée. Probablement était-il encore saoul de notre virée d’hier, probablement était-il en train de rêver, à moi, à une autre, qu’importe, mais juste un rêve; peut-être est-il juste Français, que je devrais lui pardonner, que ce n’est pas de sa faute, qu’ils disent ces choses-là plus rapidement, ici, que c’est ainsi que ça se passe, chez les cousins; probablement toutes sortes de raisons, sauf que moi, ça m’a fait me désaouler assez vite, rhabiller comme l’éclair, la fermeture, et hop! les jeans, sur le dos, le sac, les souliers, bye, bye, j’dois y aller.

Fallait pas me dire je t’aime, Louis. Pas à 5h00 du matin, dans une chambre d’hôtel du seizième arrondissement. Parce que pour moi y’est pas 5h00, tu vois, y’est seulement 23h00, la veille, le jour d’avant. Moi, j’suis une journée en retard, une journée derrière toi, j’la vis à l’envers ma vie, à rebours. Une décalée, une paumée, une ratée, une profiteuse, tu peux le dire; tu peux me traiter de profiteuse, pourquoi, pourquoi j’ai accepté de venir te rejoindre ici, j’sais pas, pas du tout, mais c’était pas pour me faire dire je t’aime, ça non. J’suis pas rendue là encore. Moi je suis hier, encore prise dans le temps d’avant. Mes secondes passent moins vite que les tiennes.

Avant de s’endormir, t’as dit Dans deux jours, on va aller à St-Malo, j’vais te présenter mes parents, ils ont hâte de te voir, et moi, bien j’ai compris ce que je voulais bien comprendre, que j’étais la petite Québécoise de service, que c’était normal que tu aies envie de me présenter à tes parents, comme un animal de foire, un bidule un peu bizarre, j’comprends, tu voulais juste qu’ils voient de quoi ça avait l’air, quelqu’un qui vient de l’autre bord de l’océan - même si je ne suis pas le bon exemple à donner, peu représentative, ma tronche de déprimée. C’est ce que j’entendais par le verbe «présenter»; un peu de politesse, deux-trois sourires et puis s’en vont. Cependant, ton je t’aime, il m’a fait allumer, sur le sens des mots, le sens de ma présence ici : tu voulais me présenter, comme dans l’utilisation que les célibataires normalement constitués font du mot «présenter» quand ils rencontrent enfin quelqu’un. Sauf que je ne suis pas normalement constituée; n’as-tu jamais remarqué le troisième bras qui me pousse dans le front!?

J’aurais pu et/ou dû te laisser une note, un bout de papier, quelque chose, mais tant qu’à jouer la carte de l’ingratitude, j’ai cru bon d’aller jusque bout.

- Pardon mademoiselle, aurez-vous bientôt terminer? C’est que normalement, c’est pas plus de vingt minutes par personne, après ça, on doit refaire la file.
- Je l’ai refait la file. Mais y’avait personne derrière moi, alors j’ai droit à quarante minutes en tout, si on fait le calcul.
- Je ne suis pas convaincu que ça fonctionne comme ça.
- J’ignore comment ça fonctionne, mais moi c’est ce dont j’ai besoin. Quarante minutes, en tout.
- Et moi j’ai besoin d’envoyer un mail urgent.
- On n’est pas en France ici?
- Oui, et alors?
- Alors, parler français. On dit pas «mail», on dit courriel. Allez réviser votre dictionnaire des anglicismes, pis après, j’vous jure, j’vous laisse l’ordi.
- Merde! Pour qui elle se prend celle-là!
- Celle-là elle se prend pour quelqu’un à qui on s’adresse en pleine face, pas en parlant à la troisième personne!
- Hey! Retourne donc dans ton pays de merde au lieu de venir nous emmerder avec tes conneries.
- Mon avion part seulement dans six jours, alors vous allez devoir m’endurer d’ici là!

Retourne dans ton pays. Mon avion. Six jours. Faut un passeport pour prendre l’avion. Le mien, je l’ai, oui, oui, je l’ai… dans le coffre-fort de la chambre d’hôtel.

Pour qui elle se prend celle-là? Il a raison, le pressé qui se la pète, pour qui je me prends? Une petite futée capable de s’enfuir sans se retourner, adieu, adieu, je suis libre maintenant! pfff, soupir; elle va être obligée de repasser par l’hôtel, la fugueuse. La belle fugueuse ben amanchée.

3 commentaires:

BeachBoy a dit…

c'est réel tout ca ou comme la célibataire urbaine, tu romances tes textes?

Anonyme a dit…

Une chance qu'il y a des auberges de jeunesse à Paris. Fouiles, tu les trouveras facilement.

Mélissa Verreault a dit…

Ça dépend ce que tu entends par «romancer» tes textes, Beachboy...
Romancer, selon une défition de dictionnaire, c'est «ajouter des détails plaisants pour agrémenter la narration»... Je ne suis pas convaincue que les détails de mon histoire aient quoi que ce soit de «plaisant», mais... tant mieux si ma vie prend de plus en plus les allures d'un roman! J'ai toujours rêvé d'être l'héroïne d'un livre ou d'un film, trouvant que la vie de personnage avait l'air tellement plus intéressante que celle réelle des pauvres humains que nous sommes. Mais c'est vrai, j'avoue que je m'arrange pour donner des airs de roman-feuilleton à ma vie, de ces temps-ci...