05 septembre 2009

Pareil comme dans Trauma, Fabienne Larouche en moins



Histoire numéro deux, ou quoi faire pour être sûre de ne jamais sortir avec un beau docteur à l’accent allemand et aux mains habiles



Le choc dû au fait d’entrer front premier dans le torse du beau docteur Dinkelmann, en dévalant les escaliers sans regarder où j’allais, m’a rendue bègue l’espace de quelques minutes. Je répétais chaque mot trois fois et ça tombait mal parce que tous les mots que je disais étaient cons. Un médecin, c’est intelligent, mais pas toujours compréhensif : il n’a pas été capable de décortiquer mon langage redondant et de saisir que j’essayais simplement de lui dire bonsoir. Il m’a fait un sourire pressé, m’a tassée gentiment de sa route et l’a poursuivie, concentré sur le dossier médical d’un patient probablement poilu, bedonnant et cardiaque. Personnellement, je trouve que mon profil est beaucoup plus intéressant que celui-là, mais bon, le docteur n’en avait que pour sa paperasse médicale et son sauvage de vie. Je n’allais certainement pas tolérer de passer ainsi inaperçue.

Ma bouche a finalement été capable d’enfiler 13 syllabes sans s’enfarger et a crié : «Docteur Dinkelmann, vous ne me reconnaissez pas ?»

C’était certainement la question la plus idiote que je pouvais trouver. Évidemment qu’il ne me reconnaissait pas : les hôpitaux sont débordés, les gens couchent sur des civières dans les corridors, Dinkelmann doit travailler 18 heures par jour et voir tout autant de personnes défiler quotidiennement sur sa table d’opération. Qui plus est, quand il m’a opérée, j’avais un drap bleu qui me recouvrait la face, bref, il aurait beau avoir une super mémoire des visages, il a à peine entrevu le mien. Mon sein droit est la seule partie de mon corps qu’il a eu la chance d’observer avec attention. J’ai failli répéter ma question en levant mon t-shirt pour lui montrer la cicatrice qu’il m’a faite, voir si là il m’aurait reconnue, mais je me suis abstenue. À vrai dire, je n’ai pas eu besoin de répéter, le beau Docteur avait bien entendu ma ridicule interrogation et elle lui avait chatouillé la curiosité.

- Vous me dites vaguement quelque chose. Désolé, j’ai une piètre mémoire visuelle.

Il a utilisé le mot «piètre». Avec son accent allemand absolument irrésistible, il a utilisé le mot «piètre». C’est un de mes mots préférés. C’est sûr que c’est un signe. Voilà ce que je me disais dans ma petite tête. La collision de ma boîte crânienne sur sa cage thoracique avait probablement fessé plus fort que je ne le croyais : je me mettais innocemment à croire au destin et à voir des signes là où il n’y avait que des voyelles et des consonnes.

- Je, je, je… Vous, vous, vous.

Me suis remise à bégayer. Pauvre cruche. Comment se fait-il que je perdais autant mes moyens devant ce bellâtre au timbre de voix délicieux ?! Je n’avais jamais souffert de foulure de la langue avant. Habituellement, je ne l’ai pas dans la poche, cette langue : pourquoi, là, à ce moment précis, elle a décidé de se transformer en pâte à modeler à senteur de melon d’eau ? Faut croire que le Docteur aime ça la plasticine et/ou le melon d’eau : il a ri. J’ai vu ses belles dents blanches et sa luette bien rose. Maudit, même sa luette est sexy. Je me suis détendue un peu et j’ai fini par dire ce que j’avais à dire.

- Vous m’avez opérée, en novembre dernier.
- Oh. Je vois.
- Vous avez fait une maudite belle job, la cicatrice guérit super bien.
- Content de l’entendre. C’est toujours plaisant de savoir que notre travail est apprécié et a servi à quelque chose. Je dois y aller. Bonne soirée.
- Attendez !
- Quoi ?
- Vous finissez à quelle heure ?
- Je ne le sais pas, je n’étais même pas censé travailler aujourd’hui, mais c’est la folie à l’hôpital depuis trois jours.
- Vous pourriez pas venir prendre un café dans le hall avec moi ?
- Pas vraiment non. Vous m’avez l’air bien sympathique, mais je ne sors pas avec mes patientes.
- Ben là, c’est pas vraiment comme si on «sortait», t’sais, on prendrait un café à l’intérieur de l’hôpital !
- Je veux bien, mais ça resterait pas très éthique. Et puis je peux encore moins «ne pas sortir» avec une patiente sur mes heures de travail !
- Mais là, j’sais pas si vous vous souvenez, mais au départ, ce n’était pas vous qui étiez censé m’opérer, c’était un autre chirurgien, mais il était en retard. Bref, je n’étais pas vraiment votre patiente, mais plutôt sa patiente à lui et vous, vous avez accepté de lui rendre service en prenant mon cas en charge, mais au fond…
- Pourquoi vous voulez tant aller prendre un café avec moi ?
- J’sais pas… Mais on peut boire autre chose que du café si vous voulez ?
- Écoutez… Écoute… Je te peux te tutoyer ?
- Bien sûr ! C’est bon signe, me tutoyer…
- Tu m’as l’air très charmante, mais…
- Mais tu ne peux pas, c’est beau…
- Désolé…
- Non, non, ça va, je suis habituée de me faire repousser par les hommes !
- Écoute, je ne fréquente pas mes patientes, mais je n’ai aucun problème à fréquenter des filles rencontrées dans mon bar préféré, si tu vois ce que je veux dire…
- Et c’est quoi ton bar préféré ?
- J’aboutis souvent aux Verres stérilisés, après mes quarts de travail qui finissent en trois-quarts de travail la plupart du temps ! C’est juste de l’autre côté du parc, c’est sur mon chemin pour rentrer à la maison alors…
- Je vois…
- Bonne soirée pour vrai maintenant !

Mes jambes étaient rendues encore plus pâteuses que ma langue. Si elles avaient pu bégayer elles aussi, elles l’auraient fait. Mais des jambes, ça ne bégayent pas. Et moi, ma vie, elle n’est jamais simple, même quand elle veut bien me donner l’impression que pour une fois les choses vont se dérouler dans la joie, la bonne humeur, le crémage au chocolat et les confettis.

Ça fait un mois que je force mes amis à sortir aux Verres stérilisés tous les jeudis-vendredis-samedis-dimanches-et-parfois-même-le-lundi-mardi-mercredi, au cas où le bout du nez du beau Docteur déciderait de s’y pointer.

La seule blouse blanche que j’ai croisée dans ce bar jusqu’à présent, elle était jaune sous les aisselles, puait la cigarette et appartenait à un quinquagénaire mal rasé, saoul mort et désespéré qui était prêt à me donner dix piasses pour que je lui donne un bec sur la joue.

5 commentaires:

Pierre-Marc Drouin a dit…

Pour dix piasses... moi, ça me prend 45 minutes pour me faire dix piasses en 25 cennes. Tu connais le truc du 25 cenne pis du téléphone?

Mélissa Verreault a dit…

J'trouve que le coup du bec est plus efficace que celui du téléphone: ça dure à peine dix secondes et j'empoche l'argent.

Sauf que je ne l'ai pas fait.

Le mec avait une moustache jaunie par la cigarette. Il n'était pas question qu'il mette ça sur ma vierge joue. Bon, vierge, c'est relatif.

Mélissa Verreault a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Pierre-Marc Drouin a dit…

Eurk... j'approuve ton abstention.

Christine a dit…

wow, je viens de decouvrir ton blog, c cool! jaime bcp ta facon de raconté les histoires! jai hate de lire la suite...