27 juin 2008

La provocation – première partie




J’en ai assez de passer pour la bonne fille, la sage, la prude, la celle qui agit toujours selon ce qu’on attend d’elle. On travaille toute une vie à se bâtir une réputation, mais ce qui est le plus difficile, c’est de la défaire.

On joue tous un rôle. On entre dans des catégories. Pour certaines personnes, on ne sera jamais qu’un collègue, un voisin, un colocataire, alors que d’autres nous percevront comme un confident, une personne sur qui on peut compter pour se sortir de la merde, une baise occasionnelle, un bouc émissaire, quelqu’un à qui on ment. On ne parvient que très rarement à se sortir de ces carcans. L’opinion que les gens ont de nous peut changer avec le temps, mais il est plutôt rare qu’on réussisse à passer d’une catégorie de relation à une autre.

Jee est mon ami depuis longtemps. On s’est toujours bien amusé ensemble. Sans trop chercher à comprendre pourquoi. Ç’aurait probablement tué notre complicité que d’essayer d’en saisir les rouages et les raisons. Mais tout le monde autour se l’est pourtant déjà posé, la question. – Pourquoi vous sortez pas ensemble? – Ça serait un bon p’tit gars pour toi, de me répéter sans cesse ma mère. – Pourquoi donc que vous formez pas un ti-couple vous deux, vous m’faites penser à moi pis ton grand-père, dans l’temps, de surenchérir ma grand-mère. Discours usuel, que je me suis habituée à entendre sans écouter. N’importe quoi.

Jee est mon ami. Depuis longtemps. Jee est mon ami. Depuis. Jee. Mon. Longtemps. Ami. Un mantra que je prononce en boucle, comme pour endormir la véritable nature de mes sentiments.

On en a déjà parlé lui et moi, un peu à la blague. Une amitié gars-fille, comme la nôtre, c’est rare – Ouais. Personne y croit on dirait. – Ils sont juste jaloux. – Et avec raison! S’ils savaient, tout le bon sexe qu’on a ensemble! – Haha, le bon sexe, oui… – Mais c’est vrai qu’on est chanceux de s’avoir. – Oui. – Faudrait pas gâcher ça en couchant ensemble. – Non, faudrait pas. – Non.

Faudrait pas. Mais depuis quelques semaines, je ne pense qu’à ça. Au début, ce n’était que pour la frime, que pour me tester moi-même, me faire rire, un peu, m’imaginer ce que serait la vie si Jee… Je repoussais assez rapidement les images trop osées qui pouvaient me venir en tête. Je ne voulais pas vraiment savoir, au fond, ce que serait la vie si Jee. Mais plus j’essayais d’étouffer ces pensées vicieuses, plus elles prenaient de l’ampleur. Elles revenaient en force la fois suivante. En tâchant d’oublier, parfois, on accentue le souvenir.

Il s’agit ici du souvenir d’une chose qui n’est jamais arrivée, mais dont l’absence me gruge de plus en plus. Je n’y tiens plus. Il faut que je sache.

C’est donc ce soir que je mettrai mon plan à exécution. Je n’en peux plus d’être confinée à la catégorie amie. C’est surtout que j’ai peur qu’on se soit trompés, lui et moi. Qu’on se soit attribué la mauvaise catégorie. Que nous soyons passés à côté de quelque chose de merveilleux sous prétexte que les limites de notre catégorie ne nous permettaient pas d’aller plus avant.

Les limites ne sont-elles pas là pour être franchies? Pour une fois, je veux aller trop loin.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'ai hâte de lire la suite... :)