31 mai 2007

Plaisir coupable… finale




Je m’appelle Sophie.

Du grec sophia. Sagesse. Celle qui vient avec l’âge. Ou les badlucks. Ça dépend. Je suis de celles qui croient qu’on apprend de ses erreurs. Ça tombe bien, j’en fais beaucoup. Au-dessus de la moyenne je croirais même. Si on appliquait la règle de trois à mon taux d’erreurs commises, on pourrait certainement obtenir mon pourcentage de sagesse et ainsi déduire quelle âge je serais censée avoir, mathématiquement parlant. Calcul rapide. Soixante-quatre ans. Ouais. Je commets vraiment beaucoup d’erreurs.

J’en ai vingt-quatre en vrai.

Vingt-quatre et je m’appelle Sophie. Et de là, on dérive sur sophisme. Ça m’a pris du temps à comprendre ce que c’était, un sophisme. Mais maintenant, je maîtrise le concept parfaitement. J’vous sors la définition n’importe quand. Exemples à l’appui s’il le faut.



Alors que je marchais pour me rendre chez Magalie tout à l’heure, dans le but de prendre quelques leçons d’apitoiement, on se le rappelle, j’ai pris une décision. Je me suis dit que si je voulais être une vraie bonne élève et apprendre rapidement, je devais arriver à mes cours d’apitoiement avec une raison de m’apitoyer. Autrement, je pourrais avoir de la difficulté à conceptualiser la théorie et à l’appliquer. Au début, lorsqu’on n’est pas habitué, ça peut être plus compliqué qu’il n’y paraît de s’apitoyer, particulièrement si on n’a pas de bonnes excuses pour pratiquer ce sport très technique. Afin de favoriser les apprentissages, j’ai pris les grands moyens.

J’ai décidé que j’allais quitter mon chum.

Parce qu’il est probablement la principale cause de mon bonheur. De mon plaisir coupable. Il me faut donc l’éliminer.

De toute façon, ça fait déjà cinq ans nous deux. C’est trop. On s’est rencontré à dix-neuf ans, alors qu’on commençait à peine l’université. J’veux dire, ça peut pas être sérieux. Les pour la vie ça existe seulement rendu à quarante-cinq ans. À partir de ce moment, de la vie, il t’en reste moins en avant de toi, alors tu peux envisager de la finir avec la personne qui partage présentement ton quotidien. Mais à dix-neuf ans, tu peux pas faire un aussi lourd pari.

Comme on est bien ensemble François et moi, jamais l’un de nous n’osera quitter l’autre. Il est donc nécessaire que l’un se sacrifie et fasse le move.

De toute façon, c’est de lui rendre service. Il est tellement gentil, généreux, attentif, à l’écoute, parfait, il ne pourrait jamais me laisser, même s’il en avait envie plus que tout, il aurait trop peur de me faire de la peine. J’suis donc mieux de le faire, moi, maintenant, afin de lui éviter des soucis dans le futur. Et en ce qui me concerne, puisque l’été commence et que j’ai un horaire allégé pour les semaines à venir, je suis aussi bien de me taper la peine d’amour tout de suite, comme ça je vais être sûre de ne pas me faire prendre avec un cœur brisé en pleine fin de session universitaire. Car c’est toujours dans ces moments-là que ça arrive habituellement, les breaks, les j’dois-être-seul-quelques-jours-pour-réfléchir-à-ce-que-je-veux-vraiment, les c’est-pas-toi-c’est-moi. En tant que fille prévoyante, j’affirme aujourd’hui que cela ne m’arrivera pas.

Je vais laisser François ce soir.

Voilà où j’en étais dans ma tête de Sophie au moment où je m’apprêtais à appuyer sur la sonnette du 2502 rue Boucher.

Pas de réponse. C’est pas grave, je sais où Magalie cache la clé de la porte d’en arrière – c’est-à-dire exactement là où tout le monde la cache en pensant que personne ne s’en doute. J’vais aller l’attendre en dedans. Et profiter de sa collection de neuf cent cinquante-huit DVD. Ça fait longtemps que je ne me suis pas claqué Le mariage de mon meilleur ami. La scène où Cameron Diaz surprend son futur époux à embrasser Julia Roberts alors que le mariage se déroule à peine six heures plus tard est ma préférée.


Mais je n’ai pas eu besoin d’écouter le film pour avoir droit à la scène. François était dans le salon.


En train de baiser avec Magalie.



Je m’appelle Sophie.

Du grec sophia. Sagesse.

Et j’ai été très sage. Je suis sortie sans faire de bruit en prenant une bonne respiration et ils ne se sont même pas aperçus que j’étais entrée.
Il n’aurait pas fallu qu’en plus je gâche leur partie de jambes en l’air.
Ça aurait fait trop de gens déçus.

Tous mes plans sont tombés à l’eau. D’un coup.
Je ne peux plus laisser François puisqu’il semble qu’il ait déjà choisi de me laisser, simplement sans me le dire. Je dois plutôt essayer de trouver une manière de le reconquérir maintenant, puisque c’est ce que les filles cocues font en général. Ça ou sacrer une claque dans la face de leur tendre.

Mais moi je m’appelle Sophie, je suis sage et je maîtrise très bien ma définition de ce qu’est un sophisme. Un sophisme, ou argument à logique fallacieuse, est un raisonnement qui apparaît comme rigoureux et logique, mais qui en réalité n'est pas valide.

Je pensais que j’étais en contrôle de mes émotions et capable d’affronter les situations les plus troublantes, mais non, cette réalité n’est pas valide. Elle n’existe que dans ma tête.

Et c’est Magalie qui l’a découvert la première. Grâce au coup de poing qu’elle s’est mangé en pleine poire. Car c’est elle que j’ai choisie de fesser finalement. Je n’étais pas pour m’en retourner simplement chez moi en chantant et Si je pleure dans la pluie de Mario Pelchat. Alors, j’ai regagné les lieux du crime pour faire purger leur peine aux coupables, sans même leur donner droit à un procès.

Quant à François, il a eu tellement peur de moi et de ma montée d’adrénaline qu’il est parti de chez Magalie sans même enfiler ses souliers.

J’ai bien pris soin de les prendre et de les mettre dans mon sac avant de claquer la porte derrière moi.

2 commentaires:

Johanne a dit…

Je serai toujours ta plus grande fan! J'adore ça, je vais continuer à lire la suite tout de suite. Puisque tu veux aussi des commentaires constructifs, je vais m'essayer. Quand tu dis "dans le but de prendre quelques leçons d'apitoiement, on se le rappelle", je ne vois pas très bien de quoi tu parles. Il me semble que c'est la première fois que tu parles de leçons d'apitoiement et ça sort un peu de nulle part, peut-être qu'il faudrait mettre cela en davantage en contexte. Je me dépêche de lire le reste!

Anonyme a dit…

Wow, je viens de finir de lire tes trois billets du mois de mai et c'est le cas de le dire, ça fesse pas mal. (bon ok, le jeu de mot est facile mais il dit tout aussi)

J'aime ta façon de raconter, j'en suis jaloux. J'aimerais écrire aussi bien.