F. est parti.
***
F. est le premier homme qui m'ait jamais donné envie de me marier. Je me suis toujours un peu foutue de la question matrimoniale, mais avec lui, je vois le fait d'officialiser notre union comme une possibilité envisageable. Comme quelque chose de beau, de grand, qui pourrait vraiment avoir un sens - que nous formons ensemble un tout dont la force va bien au-delà de nos énergies individuelles mises en commun. F. me donne envie d'être sa femme, de lui appartenir, juste un peu, mais d'être quand même à lui, dans mes défauts et mes extravagances.
Ce serait en Bretagne, sur une plage de Saint-Malo, durant la saison des hautes marées. Je porterais une robe très longue et très légère, mes cheveux bouclés flotteraient dans les airs, les bourrasques seraient violentes, aussi féroces que notre envie de nous embrasser, mais nous nous retiendrions, nous attendrions que le célébrant nous donne sa bénédiction avant de faire fondre nos lèvres ensemble. Le bas de ma robe serait tout mouillé, taché par le sel et les algues, mais peu m'importerait car F. déchirerait ma tenue une fois passé la porte de notre chambre d'hôtel, de toute façon.
Nous ferions l'amour, ça sentirait le varech, la mousse, le large, le vent, le poisson et la terre humide, et nous jouirions en même temps, tandis qu'une vague immense viendrait se fracasser contre la fenêtre. Elle nous engloutirait et nous emporterait jusqu'à une île secrète, lieu de notre lune de miel. Luna di miele, qu'on dit dans sa langue. Nous ne parlerions plus aucune langue. Nous n'en aurions plus besoin, nous serions mari et femme et les mots n'arriveraient plus jamais à exprimer à quel point nous nous aimons, de toute façon.
F. stimule en moi le désir irrépressible de foutre en l'air mes certitudes, de me jeter dans le vide, de m'abandonner à l'inconnu. Je veux lui faire confiance, le suivre partout où il ira, le croire lorsqu'il me dit que l'avenir est radieux et que la fin du monde n'est qu'une farce. Qu'il ne peut y avoir de fin du monde, parce que le monde c'est nous, et que nous sommes infinis. Avec F., je n'ai pas peur de mourir parce que je sais que dans la terre, je ne pourrai qu'être encore plus proche de lui: mon corps se décomposera dans le sien, nous réchaufferons la planète de nos cendres.
Quand F. dort avec moi, je ferme tous les calorifères, je me glisse nue sous les couvertures et jamais je n'ai froid. F. est la vie au creux de mes reins et mes rêves sont tranquilles. Mais F. est parti.
***
F. est retourné chez lui, dans son pays blanc, rouge et vert comme Noël qui s'en vient. Lui aussi va s'en venir - s'en revenir: ce n'est qu'un petit voyage de quinze jours. Le temps d'embrasser la famiglia, de faire le plein de bouillon et de pasatelli, de sentir que ses pieds ont encore des racines, de se reposer, se retrouver: après, c'est sûr, il va me revenir.
Je compte les jours en chocolat. Je me suis fabriqué un calendrier de l'avant-Avant, comme je l'appelle. Chaque jour, je mange un chocolat d'une saveur différente et je fais le voeu que F. rentre à la maison sur le champ. Mon souhait ne se réalise jamais, mais le goût sucré sur ma langue me réconforte quand même: chaque bouchée me rapproche de lui. Il ne reste plus que neuf friandises dans la boîte. J'ignore ce que celle de demain goûtera. Aujourd'hui, l'absence de F. avait une saveur légèrement caramélisée - truffe chocolat et caramel, oui, c'est ça. Quand j'aurai mangé tous les chocolats, mes joues seront un peu plus dodues, mais c'est tant mieux: elles sauront ainsi mieux supporter le sourire qui s'étampera sur mon visage parce que le retour de F. sera imminent. J'irai peut-être à l'aéroport le chercher. Ou peut-être que j'attendrai simplement qu'il se présente chez moi. Je l'accueillerai dans ma maison en faisant comme s'il n'était jamais allé nulle part. Je porterai une robe très longue et très légère et peut-être qu'il comprendra ce que cela veut dire.
Il m'embrassera sur l'épaule, mordillera la bretelle de mon soutien-gorge et dehors il neigera. La première neige de l'année, comme des confettis qui crient tu nous as manqué. Et la neige n'arrêtera pas. Elle tombera tout décembre, et tout l'hiver, jusqu'au printemps, peut-être même juin. C'est que F. et moi n'aurons jamais cessé de nous embrasser.
23 novembre 2009
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4 commentaires:
wo là. J'ai les yeux qui mouillent et le larynx qui coince.
C'est pas gentil. J'ai pensé qu'il était parti-parti moi. C'était triste. Tannante. Je suis sûre t'as fais exprès. Et puis, après, c'était beau. Oh oui. Il est beau l'amour dans tes mots :)
O.
Tu le sais ma chère O., que j'aime ça vous faire peur un peu et créer le suspenses, hein!? Je m'excuse pour les yeux mouillés Mais non au fond, je ne m'excuse pas. C'est ok si t'as le larynx qui coince parce que l'amour, ça fait un peu ça aussi. Ça vous empêche de respirer quand l'autre n'est pas là.
Merci pour ton beau commentaire...
Wow!! C'est si poétique, romantique, magique, les ''iques'' en perle sur le collier de votre amour:-)! Je le redis...Wow!
j'ai découvert votre blog par hasard et j'aime énormément vos textes et votre façon d'écrire. j'y viendrai régulièrement. merci !
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