14 octobre 2007

Entrée par effraction

Je suis arrivée chez ma mère avec l’intention de tout brûler. Et mes ardeurs pyromanes se sont enflammées lorsque, après avoir fouillé frénétiquement dans ma sacoche pendant cinq minutes, j’ai dû me rendre à l’évidence que j’avais oublié mes clés. Frustrée de m’être tapé un trajet Montréal-Rive-Sud inutilement, j’ai donné plusieurs bons coups d’épaule sur la porte. Connaissant ma faiblesse légendaire, je n’avais aucunement espoir que le loquet flanche sous la pression, mais seulement l’envie de me défouler un peu. À mon grand étonnement, la porte s’est ouverte.


Elle n’était pas verrouillée.


Étant donné que je suis la seule à posséder une clé du condo depuis le décès de maman, la situation s’avérait incontestablement anormale. Puisque le sang-froid n’est pas une vertu que j’entretiens – je deviens pâle à la vue de quelques gouttes d’hémoglobine, alors – j’ai immédiatement pris panique. Je regrettais plus que jamais de ne pas avoir mes clés pour m’en fabriquer une arme redoutable. J’avais pour seul moyen de défense mon regard en forme de fusil et quelques insultes bien poignantes. L’adrénaline bouillait en moi et me donnait des envies assassines.


Mis à part le fait que la porte n’était pas fermée à clé, je ne voyais aucun autre indice pouvant me faire croire qu’un inconnu avait pénétré dans la maison. Aucune trace de souliers sur le tapis beige, aucun vase cassé par pur plaisir de destruction. Le téléviseur était toujours à sa place. Un silence impeccable régnait. Aucun chuchotement apeuré – Shit man! J’ai entendu quelqu’un rentrer, faut sortir d’icitte tu-suite! Aucun piétinement empressé – Avoueye, grouille ostie, on va s’ faire pogner! Rien. J’avais très certainement affaire à des professionnels. Des voleurs calmes et organisés. Ça me mettait encore plus en rogne. J’aurais préféré que ce soit des petits chenapans de seize ans qui ne savaient pas trop ce qu’il faisait – une erreur de jeunesse. J’aurais pu leur faire la leçon et les convaincre que ce n’était pas un métier pour eux, voleurs qualifiés. Je suis montée à l’étage en murmurant de cruelles injures dirigées contre ces cambrioleurs ingrats que j’imaginais être en train de se servir à grandes pelletés dans les bijoux de ma mère.


Tranquillement, j’ai poussé la porte déjà entrebâillée de la chambre des maîtres. Mon pouls s’est mis à accélérer. Je me suis préparée à attaquer, la sacoche derrière l’épaule, le coude en l’air, prenant mon élan. Le cœur voulait me sortir de la cage thoracique.


Finalement, ce qui est sorti, ce n’est qu’un long cri.




- Charles?!

- Hein! Quoi?! Où?! Sophie?!

- Qu’est-ce que tu fais là?!


Charles l’ex petit ami de ma mère – déclaré ex pour cause de mort subite de sa blonde, non mais, ça arrive – était couché dans le lit queen de la défunte. Je l’ai évidemment réveillé avec mes puissants sons gutturaux. La chevelure hirsute et le regard désespéré comme celui d’un enfant qui a perdu ses parents dans les allées achalandées du La Baie un samedi après-midi, Charles semblait ne rien comprendre.


- Toi, qu’est-ce que tu fais là?

- Eh bien, j’ai l’honneur de t’annoncer que je suis maintenant la propriétaire des lieux et que le lit dans lequel tu dormais il y a quelques secondes s’avère dorénavant être le mien. Je ne sais pas si tu es au courant, mais ma mère qui, pour une raison que je ne m’expliquerai jamais était aussi ta blonde, est morte. Donc, j’ignore ce que tu fais ici ni comment tu es rentré, mais…

- La clé sous le tapis.

- Quoi?

- Y’avait une clé sous le tapis de l’entrée. C’est pas très sécuritaire. De garder une clé à cet endroit, je veux dire. Je l’avais signalé à ta mère. Mais. Mais on dirait bien qu’elle avait préféré de pas m’écouter. Ça fait que. J’ai pu entrer. Je. J’avais laissé des vêtements et un ou deux livres. Ici. Je voulais. Je voulais.

- Tu voulais?

- Les récupérer.


Il avait de la difficulté à terminer ses phrases. La gorge sèche et les yeux plein d’eau, il a à peine été capable d’ajouter :


- Deux livres. Fallait que. Je les ramène. À la bibliothèque.

- Ok.




Et il a éclaté. J’ai vu peu d’homme pleurer dans ma vie. Chaque fois, les bras me tombent. On dit souvent pour rire du petit côté douillet de ces messieurs qu’ils ont une grippe d’homme. Qu’ils exagèrent leurs symptômes et se complaisent dans leurs écoulements nasaux. Une grippe pire que toutes les autres. Et bien cette fois, j’avais affaire à un homme souffrant d’une peine d’homme. Une tristesse pire que toutes les autres. Incommensurable. Il pleurait, pleurait, et moi, j’étais impuissante. D’un coup, soudain, un bon coup dans les reins, bang, tiens, prends ça, et ça, et encore ça; d’un coup, oui, j’ai compris. Que je n’étais pas la seule à avoir mal. Que Charles, bien qu’il ait été dans sa vie assez brièvement, aimait vraiment ma mère.


- Scu. Scu. Scu…

- Ça va Charles, pas besoin de t’excuser.

- Os. Ostie qu’j’suis, j’suis con.

- Dis pas ça. Dis pas ça.


Dis pas ça. Il m’a écouté. Et n’a plus rien dit. Il m’a simplement prise dans ses bras avec l’espoir, on aurait dit, de se fondre en moi. De disparaître. Ou non, plutôt de partager. De diviser sa douleur. De m’en léguer une partie. Ironiquement, je crois qu’il s’agit là des plus belles condoléances qu’ont m’ait offertes. Des vœux sincères, honnêtes. Une volonté jamais cachée de souffrir avec moi. Pas seulement de comprendre que je puisse souffrir.


Nous sommes restés enlacés jusqu’à ce que Charles s’assoupisse de nouveau. Son corps devenant un peu trop lourd sur le mien, j’ai tenté de me dégager de son emprise en glissant subtilement vers le bas du lit, mais il a rouvert les yeux et m’a suppliée, presque en silence, de rester.


- S’il te plaît.


J’ai consenti. Et comme si cela ne pouvait pas être autrement, comme si tout convergeait vers ce moment, nous nous sommes embrassés. Les lèvres, à peine effleurées. Tout en douceur, en absence. Un baiser qui n’en était pas un. Entre deux êtres qui n’étaient pas là. Pas là. Personne. Et sans cogner – toc toc toc –, non, ils sont entrés. Par effraction.

7 commentaires:

BeachBoy a dit…

merde, j'y croyais jusqu'au dernier paragraphe, pis la j'ai décroché :(

Mélissa Verreault a dit…

Eh bien Beach Boy, que puis-je te dire? Peut-être n'ai-je pas été assez convaincante dans ma manière de raconter la chose, mais je n'ai pas su trouver d'autres mots.

Devrais-je repenser les évènements et faire en sorte que cela se passe autrement? Probablement. Mais je n'ai pas ce pouvoir...

Sophie

L'intense a dit…

À quand le prochain texte?

C'est le blogue le plus paradoxal que j'ai pu lire, c'est tellement beau et triste en même temps ce que tu écris...ça vient me chercher, ça me rappelle cet automne où rien n'avait de sens.

J'espère de tout mon coeur que les choses vont mieux pour toi, même si j'ai aucune idée en réalité de qui tu es, je te comprend un peu...

Mélissa Verreault a dit…

Salut l'Intense,

Merci pour ton commentaire. Ça fait chaud au coeur de savoir que des gens attendent en quelques sortes après mes textes.
Je sais, je sais, je n'ai pas écrit depuis belle lurette. Je m'en veux d'ailleurs beaucoup. Mais je crois que j'avais besoin de me retrouver seule un peu et de ruminer tout ça à l'intérieur de moi. C'est ben beau la thérapie par les mots, des fois faut apprendre à se taire!
Et y'a aussi que j'ai été très occupée, mais promis, je vous reviens avec des nouvelles croustillantes dès que j'ai un moment!

Sophie

COCO CATHEY a dit…

Sopheyyyyyyyy!!

Allez hop, cesse ce recueillement... Cathey veut connaître la suite!

Je m'étais rabattue sur le Loft, mais il semble que sans ton intervention hebdomadaire, mon quotidien de jeune urbaine professionnelle émancipée est las...

Empare-toi de ce clavier que nous ne saurions voir!

Cathey kiss kiss

Anonyme a dit…

Je dois avouer que moi aussi j'attends de tes nouvelles avec impatience... Je me suis même surprise à m'inquiéter pour toi cette inconnue que je lis quotidiennement. Par contre, je comprends ce besoin de recul, de rumination, mais l'important c'est qu'il ne faut pas que cela persiste. Vivement le changement !
À bientôt !

Anonyme a dit…

Je me joint aux autres commentaires : Reviens!

Pour contrer ton absence, j'ai lu tous les textes à partir du début, chose que je n'avais pas encore pu faire.

Félicitations!!