03 juillet 2007

Méthode infaillible pour gâcher sa soirée, PART ONE




Faudrait que je me trouve un nouveau boulot. Mieux encore, que je mette fin à la série des petits emplois de merde et que je déniche enfin un job dans mon domaine. Mon domaine… Paraît-il que je suis spécialisée en communication. Mais c’est pas parce que j’ai un bacc là-dedans que je suis nécessairement bonne communicatrice et apte à occuper un poste quelconque lié à mes supposées compétences. La seule utilité que je trouve à mon diplôme pour l’instant, c’est celle de décorer le mur de ma chambre. Une petite touche de sérieux dans mon bordel endémique.

Si j’allais voir un employeur aujourd’hui et que je lui disais que je suis particulièrement douée pour les comm, non, très certainement, il ne me croirait pas. J’aurais beau traîner mes papiers officiels avec moi, mes relevés de notes plein de A+, mes certificats et le calcul de tout l’argent que je dois au gouvernement (le fait d’avoir bénéficié - terme un peu contradictoire - des prêts et bourses pendant quatre ans pourrait m’aider à prouver que j’ai bel et bien étudié, non?!), peu importe, jamais personne ne me croirait. Car ces temps-ci, j’ai l’air de tout, sauf d’une universitaire accomplie en quête d’avenir et désireuse de réussir sa vie. Tout tend à démontrer, bien au contraire, mon envie irrésistible de la gâcher, cette vie.

Ou ce serait plutôt que je ne fais rien pour l’améliorer. Chaque fois qu’un mini élan de motivation me prend et que je sens un léger courage m’envahir, que j’entame un geste de «maintenant-ça-y’est-c’est-fini-la-léthargie-je-vais-m’en-sortir-à-partir-de-tout-suite», trois secondes après, toute ma bonne volonté s’est déjà évanouie.

Ma soirée d’hier soir est assez représentative de cet état de nonchalance qu’est le mien.

À 17h08, je me suis dit : «Ce soir, même si j’ai pas d’argent, je me paye la traite, je me gâte, je me mets belle et je vais au resto. Un bon repas, ça va me remettre sur le piton.»

À 17h16, alors que j’étais en train de choisir ce que j’allais me mettre sur le dos pour mon tête-à-tête avec moi-même, soudainement, mon envie de sortir s’est «désenviée». Je me suis imaginée attablée seule, avec ma demi-bouteille de vin et mon air perdu, et on dirait que ça ne me tentait plus d’avoir l’air d’une vieille fille finie qui sort son célibat en ville une fois de temps en temps afin de le garder vivant. J’ai retiré la petite robe verte que j’avais réussi à choisir ma foi, assez rapidement pour une fois, et j’ai réenfilé mes jeans et mon t-shirt.

À 17h22, j’ai eu un mini regret, je me suis dit que j’étais un peu conne, que j’avais besoin de sortir, que je ne devais pas m’en empêcher sous prétexte que j’allais avoir l’air idiot, seule au milieu d’un restaurant bondé de petits couples heureux. J’ai donc déreenfilé les jeans et le t-shirt et déretirer la robe verte.

À 17h28, je me suis ramassée nue au milieu de ma chambre, complètement désorientée. En 6 minutes j’avais mis et enlevé et mis et enlevé et mis et enlevé la robe 9 fois. Une fois et demie par minute.

À 17h32, je m’étendais sur mon lit, toujours dans mon costume d’Eve. J’avais envie d’écouter un peu de musique.

À 17h34, je mettais le disque de Daniel Bélanger dans le lecteur.

À 17h36, celui de Xavier Caféine.

À 17h40, celui de Gary Jules.

À 17h41, celui d’Aqualung.

À 17h41 et 30 secondes, j’ai fait ce qu’on nous a toujours dit de ne pas faire et j’ai débranché le système de son en tirant sur le fil et non sur la fiche. J’ai pris un choc électrique. C’était donc vrai ce qu’on disait. Mais tant mieux, dans mon cas, je crois que c’est ce dont j’avais besoin.

Mon p’tit coup de 120 volt m’a fait du bien. J’ai alors senti que j’allais finir par faire quelque chose de constructif de ma soirée. Un petit tour de vélo, ça pourrait me redonner un peu de bonne énergie et me permettre d’éliminer la mauvaise.

À 17h53, j’étais sur ma monture, prête à tout. Rien, ni le ciel nuageux, ni la chaîne mal huilée, ni le casque qui me serrait la pomme d’Adam ne pouvait m’arrêter.

À 17h57, à peine le coin de la rue tourné, j’ai rebroussé chemin. Je n’avais plus envie d’aller où que ce soit.

À 18h02, de retour au bercail, le téléphone a sonné. Espoir : peut-être que quelqu’un avait senti que j’avais besoin d’aide. J’aurais accepté n’importe quelle offre. Même celle de ma mère d’aller lui faire sa teinture.

Mais non. Évidemment, c’était l’heure du souper, j’aurais dû m’en douter : c’était un maudit sondage. Cette fois, on voulait connaître l’importance que j’accordais aux célébrations de la Fête du Canada. Aucune importance Madame. Écoutez, je ne célèbre même pas mon propre anniversaire, alors celui de Stephen Harper et de sa bande de conservateurs, croyez-vous vraiment que j’en ai quelque chose à foutre?!

Raccroché au nez.

18h07, ça sonne de nouveau. Je réponds. Personne ne parle. Mais j’entends respirer. Je dis «Oui, allo?» cinq fois, mais je n’obtiens comme réponse que le râle essoufflé du maniaque sexuel qui a fort probablement décidé de venir me violer ce soir et qui voulait simplement vérifié si j’étais disponible.

Oui, pas de problème, je compte bien rester à la maison ce soir. Jusqu’à maintenant, toutes mes tentatives de sortie se sont avérées vaines.

18h15, ça sonne encore. «Sophie Beaudoin, folle et aliénée de profession, que puis-je pour vous?» «Euh, bonsoir m’dame, c’est Éric, le gars qu’y’est v’nu t’alleure pour arranger votre câble» «Oh.» «Ben c’est juste pour vous dire que je vais devoir repasser demain, parce qu’il me manquait une pièce-là. Ch’t’aller au poteau pour mettre une résistance su’ ‘a clotch, mais j’me suis rendu compte qu’y’allait aussi falloir mettre un spit où c’qu’y a l’ampli pis le PBC, ça fait que, j’aurai pas le choix, je vais devoir revenir. Allez-vous êtes-là vers 8h00 demain matin?» «À moins que l’ONU m’appelle d’urgence pour les aider à régler la crise au Proche-Orient, oui, je devrais être là.» «Euh… à d’main alors…»

«La résistance su’ ‘a clotch… pis le spit où c’qu’y a l’ampli pis le PBC.» J’le savais que mon bacc en communication ne m’avait servi à rien : j’suis même pas capable de comprendre ce que le gars du câble me dit.

18h22, et resonne le téléphone. Là, j’en ai ma claque. «Qu’est-ce qu’y’a encore?! Ta clotch, tu peux ben t’a fourrer où j’pense, là, je suis occupée à déprimer, ok?!»

18h22 et 14 secondes. «Euh…. Sophie? C’est Magalie. J’aurais aimé ça qu’on se parle. Es-tu libre pour un café ce soir?»

18h23 et 45 secondes. Faculté de communication officiellement nulle. Ça m’a pris une minute trente répondre «oui».

Des fois, tu te demandes ce que tu pourrais bien faire de ta vie, mais en bout de ligne, c’est la vie qui choisit ce qu’elle va faire de toi.

3 commentaires:

Le JP d'amérique a dit…

... Si tu étais allée au restaurant, tu aurais peut-être manquer l'appel de ton amie.

Le gars du câble, lui, ne doit pas avoir aucune certification en communication! Ni même en français.

Mélissa Verreault a dit…

Salut JP,

Ton commentaire est plein de sagesse. Tu as bien raison. Sur tous les points. Y compris le fait que le gars du câble n'a pas de diplôme universitaire! Mais bon, qu'importe ses études, reste que, moi, je me suis sentie inapte à la communication avec lui au bout du fil... Et en ce qui concerne Magalie, je vais vous laisser savoir bientôt comment ça s'est terminé tout ça... Dès que j'ai un moment, je vais vous livrer les détails...

Merci pour ton petit mot!

Anonyme a dit…

J'espère sincèrement que ça a bien été avec Magalie. J'espère surtout que tu te sens bien. C'est vrai que la vie décide pour nous bien souvent. Ne lâche pas, la vie décide parfois de mettre de bien belles choses sur notre route aussi!

Mel