Après mûre réflexion, j'en suis venue à la conclusion que cet endroit ne me convenait plus, que je devais renaître ailleurs, autrement.
Je vous ai donc concocté un tout nouveau blogue, que vous viendrez visiter en grand nombre, je l'espère.
Comme j'ai pas mal de suite dans les idées, après Les mains vides, eh bien, je vous offre mon nouveau cru: La bouche pleine!
http://labouchepleine.blogspot.com
Au plaisir,
Sophie B. la ressuscitée
18 avril 2010
01 décembre 2009
ADIEUX
F. revient demain. J'en suis presque à compter les secondes me séparant de lui tellement j'ai hâte. En attendant son retour, j'essaie de me concentrer sur mon travail, lequel consiste à apporter les dernières retouches à mon roman. J'ai décidé d'en partager un nouvel extrait avec vous, que je considérais de circonstance.
En passant, un extrait de ce fameux roman sera publié dans la prochaine édition de la revue ZINC, qui devrait sortir au courant des prochains jours. (Ne cherchez pas Sophie Beaudoin dans la liste des auteurs cependant, car vous risquez de chercher longtemps. Les plus perspicaces d'entre vous sauront découvrir quel est mon vrai nom en achetant la revue...) J'espère que vous serez nombreux à aller vous en procurer une copie. Je n'en retirerai pas plus de bénéfices, mais la revue oui, et il faut encourager les revues littéraires, surtout celles qui donnent la chance à de jeunes auteurs de se faire connaître.
_______________________________________________
ADIEUX
Ce voyage tire à sa fin. Je n’ai pas prévu de date de retour, mais je sens qu’elle approche. Ce matin, à la librairie, c’est cette phrase que j’ai inscrite dans l’agenda : Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs, puisque, à défaut d’être partout, exister sera toujours n’être que là, puis un peu plus loin, et enfin d’être nulle part ? Je pense que ce sont là des mots adéquats pour ce qui se termine. David a dû percevoir que certaines choses allaient changer dorénavant, que nous ne nous reverrions pas aussi souvent et peut-être même plus jamais – il avait une mine plutôt triste. Il m’a dit c’est beau ce que vous portez aujourd’hui, ça vous va bien. J’ai répondu merci en souriant. J’avais ces vêtements sur le dos presque tout le temps. Mais aujourd’hui ils me vont bien.
J’ai fait une dernière promenade dans les environs de l’hôtel. Cet endroit ne va pas me manquer, parce que je continuerai de le porter en moi encore longtemps. Je ne compte pas y revenir. Cette partie de la ville appartient réellement à un autre pays et il me coûterait trop cher d’y remettre les pieds. Il faut apprendre de ses erreurs, mais également de ses bons coups – éviter de reproduire les bonheurs anciens. La joie n’a de sens que maintenant.
Sylvie m’a servi un dernier repas tout à l’heure. J’en ai savouré chaque bouchée, en prenant bien soin d’en laisser une au fond de l’assiette, comme pour m’assurer qu’encore plusieurs bonnes choses m’attendraient, même après avoir conclu ce périple. Sylvie ne m’a rien chargé pour mon dîner – c’est la maison qui invite. La maison : un autre indice qui me forçait à croire qu’il était temps pour moi de rentrer.
J’ai regagné la chambre pour aller faire mes bagages. Il ne me reste plus grand-chose de la vie précédente. Tant qu’à trimbaler une valise à moitié pleine, j’ai décidé de la vider complètement. J’ai laissé les quelques vêtements achetés à la friperie, le guide de la motocyclette et deux ou trois autres babioles dans la commode à côté du lit, n’ai conservé que les cartes postales et l’appareil photo. J’y ai fait tellement d’espace que la valise est maintenant ronde comme le ventre d’une femme enceinte et quand je colle l’oreille dessus, je peux entendre l’espoir qui grouille. Cette nuit sera ma dernière dans cette chambre. Cette nuit sera ma dernière tout court. Demain le jour commence.
- Papa, c’est moi. Je voulais te dire, je reviens de voyage demain. J’aimerais bien pouvoir aller passer quelque temps chez toi.
- Bien sûr, tu sais que tu es toujours la bienvenue. Tu veux que j’aille te chercher à l’aéroport ? Je peux me libérer sans problème, t’as qu’à me dire à quelle heure.
- Merci papa, mais ça ne sera pas nécessaire. Je me suis déjà arrangée autrement.
Maintenant que les détails de mon retour sont réglés, ne me reste plus qu’à attendre que demain vienne. Pour la première fois depuis que je suis ici, j’aurais bien aimé regarder la télévision, pour graduellement revenir au monde, reprendre contact avec lui, sauf que la télécommande est toujours portée disparue. Mais parfois, c’est étrange, il suffit de penser à une chose ou à une personne pour qu’elle apparaisse. Je me lève pour aller déposer la valise près de la porte, qu’elle soit prête à partir, et j’entends un objet percuter le sol. Je regarde sous le lit et vois la télécommande faire comme si elle avait toujours été là. Moi qui ai fouillé partout à sa recherche, ouvert tous les tiroirs, toutes les portes d’armoire, vérifié dans la garde-robe, sous le lit au moins cinq fois, sans résultat. Elle devait être prise entre les draps et le matelas et c’est maintenant qu’elle décide de se libérer.
Je n’en retiens qu’une chose : regarder sans chercher reste la seule manière de trouver.
En passant, un extrait de ce fameux roman sera publié dans la prochaine édition de la revue ZINC, qui devrait sortir au courant des prochains jours. (Ne cherchez pas Sophie Beaudoin dans la liste des auteurs cependant, car vous risquez de chercher longtemps. Les plus perspicaces d'entre vous sauront découvrir quel est mon vrai nom en achetant la revue...) J'espère que vous serez nombreux à aller vous en procurer une copie. Je n'en retirerai pas plus de bénéfices, mais la revue oui, et il faut encourager les revues littéraires, surtout celles qui donnent la chance à de jeunes auteurs de se faire connaître.
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ADIEUX
Ce voyage tire à sa fin. Je n’ai pas prévu de date de retour, mais je sens qu’elle approche. Ce matin, à la librairie, c’est cette phrase que j’ai inscrite dans l’agenda : Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs, puisque, à défaut d’être partout, exister sera toujours n’être que là, puis un peu plus loin, et enfin d’être nulle part ? Je pense que ce sont là des mots adéquats pour ce qui se termine. David a dû percevoir que certaines choses allaient changer dorénavant, que nous ne nous reverrions pas aussi souvent et peut-être même plus jamais – il avait une mine plutôt triste. Il m’a dit c’est beau ce que vous portez aujourd’hui, ça vous va bien. J’ai répondu merci en souriant. J’avais ces vêtements sur le dos presque tout le temps. Mais aujourd’hui ils me vont bien.
J’ai fait une dernière promenade dans les environs de l’hôtel. Cet endroit ne va pas me manquer, parce que je continuerai de le porter en moi encore longtemps. Je ne compte pas y revenir. Cette partie de la ville appartient réellement à un autre pays et il me coûterait trop cher d’y remettre les pieds. Il faut apprendre de ses erreurs, mais également de ses bons coups – éviter de reproduire les bonheurs anciens. La joie n’a de sens que maintenant.
Sylvie m’a servi un dernier repas tout à l’heure. J’en ai savouré chaque bouchée, en prenant bien soin d’en laisser une au fond de l’assiette, comme pour m’assurer qu’encore plusieurs bonnes choses m’attendraient, même après avoir conclu ce périple. Sylvie ne m’a rien chargé pour mon dîner – c’est la maison qui invite. La maison : un autre indice qui me forçait à croire qu’il était temps pour moi de rentrer.
J’ai regagné la chambre pour aller faire mes bagages. Il ne me reste plus grand-chose de la vie précédente. Tant qu’à trimbaler une valise à moitié pleine, j’ai décidé de la vider complètement. J’ai laissé les quelques vêtements achetés à la friperie, le guide de la motocyclette et deux ou trois autres babioles dans la commode à côté du lit, n’ai conservé que les cartes postales et l’appareil photo. J’y ai fait tellement d’espace que la valise est maintenant ronde comme le ventre d’une femme enceinte et quand je colle l’oreille dessus, je peux entendre l’espoir qui grouille. Cette nuit sera ma dernière dans cette chambre. Cette nuit sera ma dernière tout court. Demain le jour commence.
- Papa, c’est moi. Je voulais te dire, je reviens de voyage demain. J’aimerais bien pouvoir aller passer quelque temps chez toi.
- Bien sûr, tu sais que tu es toujours la bienvenue. Tu veux que j’aille te chercher à l’aéroport ? Je peux me libérer sans problème, t’as qu’à me dire à quelle heure.
- Merci papa, mais ça ne sera pas nécessaire. Je me suis déjà arrangée autrement.
Maintenant que les détails de mon retour sont réglés, ne me reste plus qu’à attendre que demain vienne. Pour la première fois depuis que je suis ici, j’aurais bien aimé regarder la télévision, pour graduellement revenir au monde, reprendre contact avec lui, sauf que la télécommande est toujours portée disparue. Mais parfois, c’est étrange, il suffit de penser à une chose ou à une personne pour qu’elle apparaisse. Je me lève pour aller déposer la valise près de la porte, qu’elle soit prête à partir, et j’entends un objet percuter le sol. Je regarde sous le lit et vois la télécommande faire comme si elle avait toujours été là. Moi qui ai fouillé partout à sa recherche, ouvert tous les tiroirs, toutes les portes d’armoire, vérifié dans la garde-robe, sous le lit au moins cinq fois, sans résultat. Elle devait être prise entre les draps et le matelas et c’est maintenant qu’elle décide de se libérer.
Je n’en retiens qu’une chose : regarder sans chercher reste la seule manière de trouver.
23 novembre 2009
La première neige
F. est parti.
***
F. est le premier homme qui m'ait jamais donné envie de me marier. Je me suis toujours un peu foutue de la question matrimoniale, mais avec lui, je vois le fait d'officialiser notre union comme une possibilité envisageable. Comme quelque chose de beau, de grand, qui pourrait vraiment avoir un sens - que nous formons ensemble un tout dont la force va bien au-delà de nos énergies individuelles mises en commun. F. me donne envie d'être sa femme, de lui appartenir, juste un peu, mais d'être quand même à lui, dans mes défauts et mes extravagances.
Ce serait en Bretagne, sur une plage de Saint-Malo, durant la saison des hautes marées. Je porterais une robe très longue et très légère, mes cheveux bouclés flotteraient dans les airs, les bourrasques seraient violentes, aussi féroces que notre envie de nous embrasser, mais nous nous retiendrions, nous attendrions que le célébrant nous donne sa bénédiction avant de faire fondre nos lèvres ensemble. Le bas de ma robe serait tout mouillé, taché par le sel et les algues, mais peu m'importerait car F. déchirerait ma tenue une fois passé la porte de notre chambre d'hôtel, de toute façon.
Nous ferions l'amour, ça sentirait le varech, la mousse, le large, le vent, le poisson et la terre humide, et nous jouirions en même temps, tandis qu'une vague immense viendrait se fracasser contre la fenêtre. Elle nous engloutirait et nous emporterait jusqu'à une île secrète, lieu de notre lune de miel. Luna di miele, qu'on dit dans sa langue. Nous ne parlerions plus aucune langue. Nous n'en aurions plus besoin, nous serions mari et femme et les mots n'arriveraient plus jamais à exprimer à quel point nous nous aimons, de toute façon.
F. stimule en moi le désir irrépressible de foutre en l'air mes certitudes, de me jeter dans le vide, de m'abandonner à l'inconnu. Je veux lui faire confiance, le suivre partout où il ira, le croire lorsqu'il me dit que l'avenir est radieux et que la fin du monde n'est qu'une farce. Qu'il ne peut y avoir de fin du monde, parce que le monde c'est nous, et que nous sommes infinis. Avec F., je n'ai pas peur de mourir parce que je sais que dans la terre, je ne pourrai qu'être encore plus proche de lui: mon corps se décomposera dans le sien, nous réchaufferons la planète de nos cendres.
Quand F. dort avec moi, je ferme tous les calorifères, je me glisse nue sous les couvertures et jamais je n'ai froid. F. est la vie au creux de mes reins et mes rêves sont tranquilles. Mais F. est parti.
***
F. est retourné chez lui, dans son pays blanc, rouge et vert comme Noël qui s'en vient. Lui aussi va s'en venir - s'en revenir: ce n'est qu'un petit voyage de quinze jours. Le temps d'embrasser la famiglia, de faire le plein de bouillon et de pasatelli, de sentir que ses pieds ont encore des racines, de se reposer, se retrouver: après, c'est sûr, il va me revenir.
Je compte les jours en chocolat. Je me suis fabriqué un calendrier de l'avant-Avant, comme je l'appelle. Chaque jour, je mange un chocolat d'une saveur différente et je fais le voeu que F. rentre à la maison sur le champ. Mon souhait ne se réalise jamais, mais le goût sucré sur ma langue me réconforte quand même: chaque bouchée me rapproche de lui. Il ne reste plus que neuf friandises dans la boîte. J'ignore ce que celle de demain goûtera. Aujourd'hui, l'absence de F. avait une saveur légèrement caramélisée - truffe chocolat et caramel, oui, c'est ça. Quand j'aurai mangé tous les chocolats, mes joues seront un peu plus dodues, mais c'est tant mieux: elles sauront ainsi mieux supporter le sourire qui s'étampera sur mon visage parce que le retour de F. sera imminent. J'irai peut-être à l'aéroport le chercher. Ou peut-être que j'attendrai simplement qu'il se présente chez moi. Je l'accueillerai dans ma maison en faisant comme s'il n'était jamais allé nulle part. Je porterai une robe très longue et très légère et peut-être qu'il comprendra ce que cela veut dire.
Il m'embrassera sur l'épaule, mordillera la bretelle de mon soutien-gorge et dehors il neigera. La première neige de l'année, comme des confettis qui crient tu nous as manqué. Et la neige n'arrêtera pas. Elle tombera tout décembre, et tout l'hiver, jusqu'au printemps, peut-être même juin. C'est que F. et moi n'aurons jamais cessé de nous embrasser.
***
F. est le premier homme qui m'ait jamais donné envie de me marier. Je me suis toujours un peu foutue de la question matrimoniale, mais avec lui, je vois le fait d'officialiser notre union comme une possibilité envisageable. Comme quelque chose de beau, de grand, qui pourrait vraiment avoir un sens - que nous formons ensemble un tout dont la force va bien au-delà de nos énergies individuelles mises en commun. F. me donne envie d'être sa femme, de lui appartenir, juste un peu, mais d'être quand même à lui, dans mes défauts et mes extravagances.
Ce serait en Bretagne, sur une plage de Saint-Malo, durant la saison des hautes marées. Je porterais une robe très longue et très légère, mes cheveux bouclés flotteraient dans les airs, les bourrasques seraient violentes, aussi féroces que notre envie de nous embrasser, mais nous nous retiendrions, nous attendrions que le célébrant nous donne sa bénédiction avant de faire fondre nos lèvres ensemble. Le bas de ma robe serait tout mouillé, taché par le sel et les algues, mais peu m'importerait car F. déchirerait ma tenue une fois passé la porte de notre chambre d'hôtel, de toute façon.
Nous ferions l'amour, ça sentirait le varech, la mousse, le large, le vent, le poisson et la terre humide, et nous jouirions en même temps, tandis qu'une vague immense viendrait se fracasser contre la fenêtre. Elle nous engloutirait et nous emporterait jusqu'à une île secrète, lieu de notre lune de miel. Luna di miele, qu'on dit dans sa langue. Nous ne parlerions plus aucune langue. Nous n'en aurions plus besoin, nous serions mari et femme et les mots n'arriveraient plus jamais à exprimer à quel point nous nous aimons, de toute façon.
F. stimule en moi le désir irrépressible de foutre en l'air mes certitudes, de me jeter dans le vide, de m'abandonner à l'inconnu. Je veux lui faire confiance, le suivre partout où il ira, le croire lorsqu'il me dit que l'avenir est radieux et que la fin du monde n'est qu'une farce. Qu'il ne peut y avoir de fin du monde, parce que le monde c'est nous, et que nous sommes infinis. Avec F., je n'ai pas peur de mourir parce que je sais que dans la terre, je ne pourrai qu'être encore plus proche de lui: mon corps se décomposera dans le sien, nous réchaufferons la planète de nos cendres.
Quand F. dort avec moi, je ferme tous les calorifères, je me glisse nue sous les couvertures et jamais je n'ai froid. F. est la vie au creux de mes reins et mes rêves sont tranquilles. Mais F. est parti.
***
F. est retourné chez lui, dans son pays blanc, rouge et vert comme Noël qui s'en vient. Lui aussi va s'en venir - s'en revenir: ce n'est qu'un petit voyage de quinze jours. Le temps d'embrasser la famiglia, de faire le plein de bouillon et de pasatelli, de sentir que ses pieds ont encore des racines, de se reposer, se retrouver: après, c'est sûr, il va me revenir.
Je compte les jours en chocolat. Je me suis fabriqué un calendrier de l'avant-Avant, comme je l'appelle. Chaque jour, je mange un chocolat d'une saveur différente et je fais le voeu que F. rentre à la maison sur le champ. Mon souhait ne se réalise jamais, mais le goût sucré sur ma langue me réconforte quand même: chaque bouchée me rapproche de lui. Il ne reste plus que neuf friandises dans la boîte. J'ignore ce que celle de demain goûtera. Aujourd'hui, l'absence de F. avait une saveur légèrement caramélisée - truffe chocolat et caramel, oui, c'est ça. Quand j'aurai mangé tous les chocolats, mes joues seront un peu plus dodues, mais c'est tant mieux: elles sauront ainsi mieux supporter le sourire qui s'étampera sur mon visage parce que le retour de F. sera imminent. J'irai peut-être à l'aéroport le chercher. Ou peut-être que j'attendrai simplement qu'il se présente chez moi. Je l'accueillerai dans ma maison en faisant comme s'il n'était jamais allé nulle part. Je porterai une robe très longue et très légère et peut-être qu'il comprendra ce que cela veut dire.
Il m'embrassera sur l'épaule, mordillera la bretelle de mon soutien-gorge et dehors il neigera. La première neige de l'année, comme des confettis qui crient tu nous as manqué. Et la neige n'arrêtera pas. Elle tombera tout décembre, et tout l'hiver, jusqu'au printemps, peut-être même juin. C'est que F. et moi n'aurons jamais cessé de nous embrasser.
20 novembre 2009
Être né pour un petit-pain-blanc-pas-d'croûte
Tout à l'heure, j'étais à la pharmacie. Les bras chargés, je me suis placée dans la file pour payer. Devant moi, il y avait une dame d'une cinquantaine d'années, mais qui agissait comme une petite fille de huit ans. Elle souffrait visiblement d'un retard mental. Je dis souffrir, mais le mot est plus ou moins adéquat; cette femme ne souffrait pas, elle avait plutôt l'air de s'en foutre: elle était vivante et c'est tout ce qui comptait pour elle. Elle chantonnait en se dandinant sur ses pieds chaussés de bottes mauves. En bougeant ainsi, elle déplaçait l'air et ce dernier se chargeait de son parfum: un mélange de boule à mites, de gras de cheveux et d'humidité. Elle puait, mais elle s'en foutait. Elle ne le savait pas. Tout ce qu'elle savait c'est qu'aujourd'hui, c'était vendredi et que vendredi, c'est le plus beau moment de la semaine: c'est la journée où elle va au Jean Coutu pour s'acheter un deux litres de Pepsi et des gratteux. Céline. Elle avait l'air de s'appeler Céline.
Céline était accompagnée d'une femme plus âgée, qui devait être sa mère. Celle-ci avait l'air seulement une coche plus brillante que sa fille. Juste pour dire qu'elle pouvait s'occuper d'elle (à lire: lui acheter des plats congelés pour souper, les faire cuire dans le micro-ondes et lui mettre son film préféré dans le lecteur VHS). Jocelyne pourrait lui convenir comme nom. Jocelyne, elle, elle aime le vendredi parce qu'elle va faire valider ses billets de loto à la pharmacie - moment d'excitation intense qui lui donne même du mal à s'endormir le jeudi soir.
Une fois ses billets validés et déclarés non gagnants, Jocelyne s'en est évidemment procuré d'autres. Elle a dit:
- J'vas vous en prendre trois autres ma belle p'tite madame.
La caissière lui a répondu:
- Il ne m'en reste plus de ceux-là... Ah! non, c'est vrai, vous, vous prenez ceux à 2$, pas à 5$. J'vous sors ça alors.
Pendant que la caissière sortait les billets de la pochette de plastique, Jocelyne s'est mise à rigoler et s'est lancée dans une tirade décousue:
- Ben sûr que j'prends les billets à 2$, t'sais! J'suis pas pour prendre ceux à 5$, tu peux gagner des trop gros montants avec ceux-là, pis moi faut pas que j'gagne trop d'argent parce que si j'gagne trop d'argent, y vont me couper le B.S. (Rire aussi gras que les cheveux de Céline). J'te dis qu'y checkent pas mal ça au B.S., y te watchent, ça fait que j'suis mieux de pas prendre de chance pis de prendre juste des billets à 2$. Avec les billets à 2$, j'peux pas gagner beaucoup d'argent, ça fait que c'est correct, y me couperont pas mon B.S. (Rire encore, mais dans sa barbe cette fois. Parce que oui, Jocelyne a de la barbe et elle la rase.)
Cette femme achète des billets de loterie dans l'espoir de ne pas gagner. Parce que si elle gagne, ils vont lui couper son bien-être social. Elle aurait le choix entre 1 million de dollars, là, maintenant, tout de suite, et 400$ par mois, elle prendrait les 400$ par mois. Parce que c'est rassurant de savoir qu'un montant fixe rentre dans son compte en banque à une fréquence régulière, parce que c'est plus facile de gérer un compte dans lequel il y a moins de zéro ou parce que si elle devenait millionnaire, elle n'aurait plus le droit d'habiter dans son HLM et que ça ne lui tente pas trop de déménager.
Parce qu'elle aime bien le pain-blanc-enrichi-pas-d'croûte et que si elle était riche, elle serait obligée d'acheter du pain baguette, pour faire comme les vrais riches, mais elle n'aime pas ça le pain baguette, Jocelyne.
Jocelyne a quitté la caisse en continuant de rigoler et de se parler à elle-même. Céline a déposé son chargement de liqueur brune sur le comptoir et elle a demandé «Un Bingo s'il vous plaît» à la caissière, avec un enthousiasme débordant et un cheveu sur le bout de la langue.
J'espère que Céline ne grattera pas cinq cases en ligne et qu'elle ne criera pas «Bingo!», la bouche pleine de Pepsi. Ça décevrait beaucoup trop sa mère.
Céline était accompagnée d'une femme plus âgée, qui devait être sa mère. Celle-ci avait l'air seulement une coche plus brillante que sa fille. Juste pour dire qu'elle pouvait s'occuper d'elle (à lire: lui acheter des plats congelés pour souper, les faire cuire dans le micro-ondes et lui mettre son film préféré dans le lecteur VHS). Jocelyne pourrait lui convenir comme nom. Jocelyne, elle, elle aime le vendredi parce qu'elle va faire valider ses billets de loto à la pharmacie - moment d'excitation intense qui lui donne même du mal à s'endormir le jeudi soir.
Une fois ses billets validés et déclarés non gagnants, Jocelyne s'en est évidemment procuré d'autres. Elle a dit:
- J'vas vous en prendre trois autres ma belle p'tite madame.
La caissière lui a répondu:
- Il ne m'en reste plus de ceux-là... Ah! non, c'est vrai, vous, vous prenez ceux à 2$, pas à 5$. J'vous sors ça alors.
Pendant que la caissière sortait les billets de la pochette de plastique, Jocelyne s'est mise à rigoler et s'est lancée dans une tirade décousue:
- Ben sûr que j'prends les billets à 2$, t'sais! J'suis pas pour prendre ceux à 5$, tu peux gagner des trop gros montants avec ceux-là, pis moi faut pas que j'gagne trop d'argent parce que si j'gagne trop d'argent, y vont me couper le B.S. (Rire aussi gras que les cheveux de Céline). J'te dis qu'y checkent pas mal ça au B.S., y te watchent, ça fait que j'suis mieux de pas prendre de chance pis de prendre juste des billets à 2$. Avec les billets à 2$, j'peux pas gagner beaucoup d'argent, ça fait que c'est correct, y me couperont pas mon B.S. (Rire encore, mais dans sa barbe cette fois. Parce que oui, Jocelyne a de la barbe et elle la rase.)
Cette femme achète des billets de loterie dans l'espoir de ne pas gagner. Parce que si elle gagne, ils vont lui couper son bien-être social. Elle aurait le choix entre 1 million de dollars, là, maintenant, tout de suite, et 400$ par mois, elle prendrait les 400$ par mois. Parce que c'est rassurant de savoir qu'un montant fixe rentre dans son compte en banque à une fréquence régulière, parce que c'est plus facile de gérer un compte dans lequel il y a moins de zéro ou parce que si elle devenait millionnaire, elle n'aurait plus le droit d'habiter dans son HLM et que ça ne lui tente pas trop de déménager.
Parce qu'elle aime bien le pain-blanc-enrichi-pas-d'croûte et que si elle était riche, elle serait obligée d'acheter du pain baguette, pour faire comme les vrais riches, mais elle n'aime pas ça le pain baguette, Jocelyne.
Jocelyne a quitté la caisse en continuant de rigoler et de se parler à elle-même. Céline a déposé son chargement de liqueur brune sur le comptoir et elle a demandé «Un Bingo s'il vous plaît» à la caissière, avec un enthousiasme débordant et un cheveu sur le bout de la langue.
J'espère que Céline ne grattera pas cinq cases en ligne et qu'elle ne criera pas «Bingo!», la bouche pleine de Pepsi. Ça décevrait beaucoup trop sa mère.
06 novembre 2009
Les noces de vent
F. et moi avons célébré notre premier mois officiel de couplage il y a quelques jours. Un grand événement. On a souligné la chose sobrement, avec beaucoup d'amour et une bonne bouteille de vin, tout simplement. Un mois, y'a pas de quoi en faire tout un plat, mais reste, en ce qui me concerne, ça tient presque du miracle et je peux déjà affirmer que c'est une de mes relations les plus longues.
Pendant un moment de pur romantisme, coupe à la main et regard mielleux dans les yeux, j'ai lancé à F. une assertion pas si eau-de-rose que ça:
- J'ai pensé à ça aujourd'hui et après un mois passé ensemble, à se voir pratiquement tous les jours, je ne t'ai toujours pas entendu péter.
F. a souri. C'est pour ça que je l'aime: parce qu'il m'embrasse quand je dis des choses intelligentes et qu'il sourit quand j'en sors des stupides.
- Non mais c'est vrai! C'est quand même étonnant! Je suis presque en train de me demander si tu as un intestin ou si tu ne serais pas plutôt un robot dépourvu de système digestif qui synthétise les aliments selon un procédé très complexe d'auto-combustion...
Là, F. m'a embrassée. Pourtant, ce n'était pas particulièrement intelligent ce que je venais d'énoncer, mais bon, peut-être qu'il faisait juste m'aimer et qu'il avait envie de me le démontrer physiquement.
La fin de la bouteille de vin est arrivée, ainsi que la fin de la soirée; on est allé se coucher en forme de cuillère en porcelaine et on s'est endormi, main dans la main, trop fatigué et trop saoul pour faire l'amour.
Au milieu de la nuit, je me suis réveillée, j'avais chaud; je me suis retirée de notre étreinte symbiotique, suis allée boire un verre d'eau et ai regagné le lit. F. avait profité de mon absence pour se retourner et se coucher sur le côté gauche, signe que c'était à mon tour de le spooner (je déteste ce mot mais je l'emploie tout de même, faute de mieux). J'ai entouré F. de mes bras et l'ai serré très, très fort, mais jamais autant que je l'aurais voulu, parce que mon amour est trop grand pour que je puisse le résumer dans une accolade.
Soudainement, j'ai entendu un petit bruit sec et senti un vent chaud et humide sur ma cuisse. F. venait de me péter dessus - ou peut-être qu'il faisait juste m'aimer et qu'il avait envie de me le démontrer physiquement.
F. a lâcher une flatulence sur ma jambe, tandis qu'il dormait d'un sommeil béat.
La remarque que je lui avais faite plus tôt dans la soirée n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd - ni dans les intestins d'un robot qui ne pète pas. C'est comme si le fait d'avoir abordé ce sujet avait désamorcé un tabou dans l'inconscient de F. et qu'à partir de ce moment, son ça, son moi et son surmoi s'étaient dit: ça va les gars, dorénavant, on peut ouvrir les valves et les sphincters.
J'ai ri. Dans la nuit humide et odorante, j'ai ri toute seule et je me suis rendormie, à bout de rires.
Après un an, on dit qu'un couple célèbre ses noces de coton; après deux, ce sont les noces de cuir; cinq ans, celles de bois et à vingt-cinq, on souligne les noces d'argent.
Je déclare officiellement qu'après un mois, un couple fête ses noces de pet.
Pendant un moment de pur romantisme, coupe à la main et regard mielleux dans les yeux, j'ai lancé à F. une assertion pas si eau-de-rose que ça:
- J'ai pensé à ça aujourd'hui et après un mois passé ensemble, à se voir pratiquement tous les jours, je ne t'ai toujours pas entendu péter.
F. a souri. C'est pour ça que je l'aime: parce qu'il m'embrasse quand je dis des choses intelligentes et qu'il sourit quand j'en sors des stupides.
- Non mais c'est vrai! C'est quand même étonnant! Je suis presque en train de me demander si tu as un intestin ou si tu ne serais pas plutôt un robot dépourvu de système digestif qui synthétise les aliments selon un procédé très complexe d'auto-combustion...
Là, F. m'a embrassée. Pourtant, ce n'était pas particulièrement intelligent ce que je venais d'énoncer, mais bon, peut-être qu'il faisait juste m'aimer et qu'il avait envie de me le démontrer physiquement.
La fin de la bouteille de vin est arrivée, ainsi que la fin de la soirée; on est allé se coucher en forme de cuillère en porcelaine et on s'est endormi, main dans la main, trop fatigué et trop saoul pour faire l'amour.
Au milieu de la nuit, je me suis réveillée, j'avais chaud; je me suis retirée de notre étreinte symbiotique, suis allée boire un verre d'eau et ai regagné le lit. F. avait profité de mon absence pour se retourner et se coucher sur le côté gauche, signe que c'était à mon tour de le spooner (je déteste ce mot mais je l'emploie tout de même, faute de mieux). J'ai entouré F. de mes bras et l'ai serré très, très fort, mais jamais autant que je l'aurais voulu, parce que mon amour est trop grand pour que je puisse le résumer dans une accolade.
Soudainement, j'ai entendu un petit bruit sec et senti un vent chaud et humide sur ma cuisse. F. venait de me péter dessus - ou peut-être qu'il faisait juste m'aimer et qu'il avait envie de me le démontrer physiquement.
F. a lâcher une flatulence sur ma jambe, tandis qu'il dormait d'un sommeil béat.
La remarque que je lui avais faite plus tôt dans la soirée n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd - ni dans les intestins d'un robot qui ne pète pas. C'est comme si le fait d'avoir abordé ce sujet avait désamorcé un tabou dans l'inconscient de F. et qu'à partir de ce moment, son ça, son moi et son surmoi s'étaient dit: ça va les gars, dorénavant, on peut ouvrir les valves et les sphincters.
J'ai ri. Dans la nuit humide et odorante, j'ai ri toute seule et je me suis rendormie, à bout de rires.
Après un an, on dit qu'un couple célèbre ses noces de coton; après deux, ce sont les noces de cuir; cinq ans, celles de bois et à vingt-cinq, on souligne les noces d'argent.
Je déclare officiellement qu'après un mois, un couple fête ses noces de pet.
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