24 septembre 2007
Avant l’automne, suite…
20 septembre 2007
Avant l’automne – première partie
à la réalité, mieux encore, c’est la mort de la réalité.
10 septembre 2007
L'hiver aux portes
Hier, dimanche 9 septembre, 13h00, environ. J’ai pris le métro. Sur les panneaux d’affichage lumineux, il y avait d’inscrit Mercredi 5 février, 16h46. Pendant une fraction de seconde, j’y ai cru. J’ai pensé qu’on était bel et bien en février, que la Saint-Valentin s’en venait, que le temps des Fêtes venait à peine de se terminer; j’y ai cru, à cette date improbable, à cette heure absurde. Je me suis dit que j’avais peut-être eu un moment d’égarement, ou que j’avais trop dormi, et que voilà, enfin, je me réveillais, de retour à la réalité après une longue pause. Station Sherbrooke, je sors. Dehors, il fait mi-soleil, mi-nuage. Mais aucune trace de neige. Je suis déçue. J’aurais aimé que tout cela soit vrai, qu’on soit en février, et hop! Cinq mois d’écoulés sans que je m’en rende compte, un saut dans le temps, une petite pirouette. Une petite fuite vers l’avant…
J’ai marché sur les trottoirs exempts de slush et de gadoue, m’abreuvant des quelques rayons qui consentaient à se rendre jusqu’à mon visage. Je suis arrêtée au café Cherrier prendre un expresso – Le plus fort possible s’il vous plaît. Je n’aime pas le café, mais j’avais envie de quelque chose de puissant. Et il était trop tôt pour commander un Martini. Pendant quelques secondes, je me suis sentie comme à Paris. Dépaysement nécessaire.
À ma gauche, un maghrébin enfilait les expresso comme on enfile les bas de laine les journées froides d’hiver – mais j’ai regardé par la fenêtre, et non, toujours pas de neige. À ma droite, un homme austère – la quarantaine semblait lui peser lourd sur les épaules – descendait tranquillement un Perrier. Tranquillement, et à intervalles réguliers. Chaque trente seconde, il prenait une gorgée et redéposait son verre sur le zinc d’un geste lent mais convaincu, produisant un son rond et triste qui me tirait de mes rêveries – toc. Le petit manège de mon voisin vraisemblablement obsessif-compulsif et déprimé m’aurait probablement, en d’autres circonstances, tombé royalement sur les nerfs, mais à ce moment précis, il s’avéra plutôt salvateur; c’était comme un électrochoc, une manœuvre tout à fait utile de réanimation - une bonne pression sur la poitrine, on fait la respiration artificielle, on compte, on compte, oui, oui, le patient vit encore. Tout n’est pas perdu.
Il était presque 14h30. Je ne pouvais plus prendre mon temps et repousser la suite. J’ai enfilé ma veste, remis le siège bien à sa place, attendu que le serveur vienne récupérer son pourboire en mains propres, posé la petite cuillère dans la soucoupe, sous l’anse de la tasse, à droite, comme supposé, regardé une dernière fois le liquide brun que je n’avais même pas touché; je me suis assurée trois fois que je n’avais rien oublié, rien laissé traîner sur le comptoir, rien, pour être sûre, rien. Et après cela, j’étais tout simplement à cours de façon d’étirer le temps sans en avoir l’air. Au moment où je franchis le seuil de la porte, Johnny Cash se mit à jouer - Lord, Help me walk / Another mile, just one more mile / I'm tired of walkin' all alone. J’ai fait semblant de parler au téléphone public pendant tout le temps de la chanson, pour pouvoir l’écouter sans qu’on me prenne pour une attardée qui aime passer ses dimanches après-midis dans le vestibule des restaurants à attendre la venue prochaine du messie et de ses disciples- I never thought I needed help before / I thought that I could get by - by myself. Je n’y ai jamais cru au messie, non, mais la voix brisée de Cash, sa voix comme une larme d’homme qui n’avait jamais pleuré avant, sa voix, elle me donnait envie de commencer à y croire. Juste pour essayer. Juste pour ne plus faire tout cela seule. Et si ce n’est pas à Dieu que je dois croire, que ce soit à autre chose, d’accord, je n’y vois pas d’inconvénient; je ne veux juste plus faire tout cela seule. Ne plus faire semblant de parler au téléphone. Appeler quelqu’un pour vrai. L’espace d’une fraction de millième de seconde, j’ai eu envie de téléphoner à Magalie. La fraction suivante, je me suis souvenue pourquoi on ne s’était pas parlé depuis plus de deux mois, et l’envie m’ait soudainement passé.
Je déteste les hôpitaux, leurs murs aqua-1991, les couvre-chaussures bleus tissés dans le même matériel que les jaquettes-fesses-à-l’air, le visage blanc-jaune des patients, celui vert des visiteurs qui ne se sentent pas bien dans cet endroit où tout respire le trop propre. Le mien, mon visage, rouge, rouge-mauve, parce que j’ai couru jusqu’à Notre-Dame, parce que j’avais besoin de sentir le sang circuler dans mes jambes, dans mes poumons, dans ma tête; le sang partout, partout, le sang des gens vivants, en moi, le sang qui prouve qu’on n’est pas malade, nous, qu’on va bien comme jamais on n’a bien été, le sang vif, le sang clair, le sang de ceux qui ne remettront pas les pieds aux soins palliatifs de si tôt. Parce qu’ils vont bien et que, même, aujourd’hui, ils sentent qu’ils pourront tout vaincre. Tout y compris cette mort que vous leur avez promise.
La chambre de ma mère était envahie de lys blanc, ses fleurs préférées. La carte les accompagnant disait simplement Charles. Je l’avais oublié lui. Si jeune et devoir venir visiter sa blonde comateuse à l’hôpital parce qu’elle s’est pété un ACV; il avait pas pensé à ça en acceptant de sortir avec ma mère. Tous ces bouquets éparpillés aux quatre coins de la pièce m’ont rappelé que moi, je n’avais rien amené pour ma mère. Je me suis trouvée indigne et j’ai couru au Renaud Bray sur St-Denis acheté le CD de Johnny Cash.
Quand je suis revenue, il y avait trois infirmières dans la chambre et un médecin. Son pouls est revenu, mais il est extrêmement faible. Je n’ai pas voulu en entendre plus. Ma mère venait de mourir. Et de ressusciter. Pendant que j’étais partie lui acheter un disque. Alors qu’il n’y a même pas de lecteur CD dans sa chambre.
J’ai attendu que le cortège de gens habillés en blanc quitte la chambre pour m’y réfugier. J’ai mis mes écouteurs de walkman sur les oreilles de ma mère et j’ai sélectionné On the Evening Train - As I turned to walk away from the depot / It seemed I heard her call my name / Take care of baby and tell him darling / That I'm going home on the evening train.
Si jamais elle décidait de remourir aujourd’hui, ma mère, je voulais qu’elle le fasse en écoutant cette chanson. Et moi qui la fredonne à côté, en lui tenant la main, et en pleurant, un peu. En pleurant comme un homme qui n’a jamais pleuré avant. Par la fenêtre, toujours pas de flocons. Dehors, ce n’était pas le mercredi 5 février, 16h46, mais en dedans, en dedans, il y a longtemps qu’il n’avait pas fait si froid.
05 septembre 2007
Troupeaux en cavale
Alors je le dirai, moi, comment ça s’est passé. Même si y’a pas pire personne que soi-même pour raconter sa propre histoire; recul aucun, objectivité douteuse. Juste des« j’aurais dû», des regrets au fond de la gorge, qu’on essaie d’expulser comme un chat tente difficilement de recracher son poil pris en boule dans la trachée, des «merde». Des «voilà ce dont je me souviens». Le reste est flou.
J’ai oublié. Pas tout. Les détails, je les ai frais en mémoire, comme si c’était hier, comme si c’était cet après-midi, il y a trente secondes, à peine, que cela s’était passé. Non. Ce que j’ai le plus de difficulté à me rappeler, c’est le plus important. L’essentiel. L’événement. Qu’est-il donc arrivé?
Probablement l’ai-je échappé sur la piste d’atterrissage de Charles-de-Gaule. Pardon Mademoiselle, je crois que vous avez laissé tomber ceci. Effectivement, je l’ai laissé tomber, le souvenir, sur l’asphalte mouillée. J’ai volontairement entrouvert mes doigts pour que, comme un foulard de soie violet, léger et volatile, le souvenir glisse et s’échappe. Moi, devant, faisant semblant de ne pas l’avoir vu s’envoler.
J’avais les yeux trop pleins de larmes, de toute manière, alors il était facile de faire croire que je ne voyais rien.
***
Louis avait décidé de m’amener au Mont St-Michel. Tu dois absolument voir ça, je te jure, c’est probablement le truc le plus bizarre que tu verras dans ta vie!
Effectivement, il y a quelque chose qui cloche avec ce village. On dirait un de ces rochers géants qui flottent dans les airs que peignaient Magritte. Le Mont, ce n’est pas tout à fait une montagne. C’est plutôt un immense morceau de pierre, pointu et biscornu, au flanc duquel se sont attaché des maisons et des petits commerces. Le chemin menant à l’entrée du village est fréquemment immergé par la marée montante. C’est alors que, plus que jamais, St-Michel semble éloigné du monde, en dehors de la réalité. Complètement à part. Qui aurait cru que les montagnes pouvaient se sentir seules.
Je ne crois pas que qui que ce soit habite réellement cet endroit. Il n’est que lieu d’exil pour des touristes en manque de stupéfaction. Refuge des pâtissiers, gourmands et avars, heureux de pouvoir vendre leurs crêpes et leurs croissants beaucoup trop chers. Siège de mille boutiques remplies de trucs inutiles que les visiteurs seront fiers de ramener chez eux en disant Je suis allé au Mont St-Michel, en voici la preuve – un aimant pour le frigo fabriqué en Chine. Et régnant au-dessus de ce domaine où l’escroquerie est non seulement acceptée mais désirée, trône l’abbaye, là où tous aiment se faire croire qu’ils sont encore capables de probité et de transparence. Quelques prières et puis les remords s’en vont. Mais moi, je n’ai pas prié. Je me suis contentée d’écouter les mouches voler et les flammes des cierges crépiter, doucement. Ce silence trop troublant, je n’ai pas pu le supporter très longtemps, c’était trop, trop pour le petit bout de femme que je suis, pour ma tête pleine et mes idées jamais claires.
Louis a trouvé une solution à mon malaise. Il m’a attirée jusqu’au cloître des moines, étonnamment vide de pèlerins et de photographes japonais.
-Déshabille-toi.
-Ici?
-Oui. Tout de suite.
J’ai retiré mon t-shirt. Il a fait de même. Il a baissé sa braguette, et contre le mur de pierre froid, il m’a prise. J’ignore depuis combien de temps il planifiait ce petit stratagème pervers, mais il était prêt, fin prêt oui, prêt à tout pour me faire jouir. Son va-et-vient était aussi rapide que les battements d’ailes d’un colibri; je croyais qu’on finirait par s’envoler à force de spasmes et de coups de bassin. Mais nous sommes restés bien au sol, les ongles enfoncés dans le granit des murs, comme si cela allait nous sauver des cris. Mais nous avons gémi quand même. Simultanément je crois, je ne sais plus. Cela s’est passé si vite. Trente secondes après avoir réenfilé mon t-shirt, une dame est rentrée dans la salle en s’exclamant Splendide! Je n’ai jamais rien vu de si inspirant. Inspirant, certes. Nos inspirations ne nous mènent pas tous au même endroit j’imagine.
Nous avons rapidement terminé notre visite de ce lieu saint – que nous avons béni à notre manière… - pour ensuite aller nous asseoir dans un de ces nombreux escaliers moyenâgeux qui permettent de gravir le mont. Nous y sommes restés une bonne heure, à contempler les vagues qui venaient se fracasser sur les parois rocheuses. On aurait dit des moutons qui tentaient vainement d’escalader un mur – personne ne leur avait appris que les moutons ne peuvent pas grimper si haut. Je les comprends. À moi non plus, on ne m’a jamais expliqué, que je ne pouvais pas aller plus haut qu’une certaine limite. Que tout n’était pas atteignable.
-T’as le goût d’un sandwich ?
-À vrai dire, non. J’ai plutôt le goût de rentrer. On y va?
-D’accord. On dîne avec mes parents ou tu préfères qu’on aille au resto?
-Je n’ai plus une cenne, vaudrait peut-être mieux pour moi d’abuser de l’hospitalité de tes parents et de me contenter de ce que ta mère aura cuisiné!
-T’en contenter?! Insinuerais-tu que ma mère cuisine mal!
-Non! Non… mais je dois avouer que… que je ne suis pas habituée de manger autant de viande en sauce! C’est à peine s’il n’y a pas du rosbeef et du gravy sur la table pour déjeuner!
-Tu t’habitueras à nos manies culinaires!
-M’habituer?! Pourquoi?
Il n’a pas répondu. J’imagine que cela voulait dire qu’il envisageait un certain avenir avec moi, un petit bout de futur dans lequel lui et moi, à un certain moment, partagerions à nouveau une table et un repas. Personnellement, je suis myope. Et donc incapable de voir aussi loin.
Sur le chemin du retour, nous avons croisé un troupeau de moutons. Leur propriétaire essayait difficilement de les faire passer d’un champ à l’autre. Trois bêtes, obstinées, avaient décidé de prendre une pause, en plein milieu du chemin. Ces moutons-là, eux, on leur avait appris, que parfois, il fallait apprendre à s’arrêter! Au lieu de pestiférer contre le paresseux bétail, Louis a choisi d’éteindre le moteur de la voiture et d’attendre. Sa main dans mes culottes. Le cochon. Pour moi, il sentait la fin approcher. Il voulait profiter de chaque moment, même ceux où les frivolités n’étaient pas permises. Pour fermer le clapet à ceux qui émettent les interdictions.
De retour chez Deniel et Irène, une odeur de catastrophe flottait dans l’air. Mais ce n’était pas celle qu’on aurait pu prévoir. Les désastres ne sont jamais ceux qu’on aurait cru pouvoir arriver, non? Autrement, ils ne seraient pas si désastreux.
-Sophie! Tu as reçu un appel cet après-midi! Cela semblait plutôt important.
-Un appel?! De qui?
-Gilles. Il a laissé son numéro de portable. Ne te gêne pas pour utiliser le téléphone du salon et faire un interurbain.
Gilles ne m’appelait certainement pas pour m’annoncer une bonne nouvelle. Ça, c’était évident. L’autre évidence, c’était que je n’avais pas envie d’entendre ce qu’il avait à me dire. Pas envie d’avoir une autre raison d’être malheureuse.
-Gilles, dis donc, t’es débrouillard, où as-tu trouvé le numéro de téléphone des parents de Louis?!
-J’ai appelé chez huit Husson vivant en Bretagne avant de tomber sur les bons. Écoute Sophie, crois-tu être capable de devancer ton retour à Montréal?
-Euh… Ça presse tant que ça? Je prends l’avion après demain!
-Je sais, mais il y a urgence ici. Ta mère est dans le coma. Elle a fait un ACV.
-Merde.
On me répondra que c’est le propre des accidents cérébraux vasculaires, mais celle-là, je ne l’avais pas vu venir. Venir et partir, voilà à quoi ressemble la vie.