30 juin 2007

Cœur au régime

Aujourd’hui, j’suis allée chez mes beaux-parents.

Quand je dis mes beaux-parents, je ne parle pas de mes ex-beaux-parents; le père et la mère de François n’ont rien à voir là-dedans. De toute façon, je n’ai jamais été très proche d’eux. Le père de François est un homme d’affaire en constant déplacement et sa mère, une accro du magasinage qui s’amuse à remplir les cartes de crédit de son riche - du moins en apparence - mari. L’Internet et ses eBay ont provoqué une révolution complète dans la vie de cette femme : pour elle, ça signifie que même quand les magasins sont fermés, elle peut continuer de dépenser sans compter. Enfin, tout ça pour dire que je ne les ai pas vus très souvent, ces ex-beaux-parents, et que je n’ai jamais compris comment un gars aussi sensible et profond que François - qualités que je lui attribuais avant qu’il ne me trompe avec ma meilleure amie, du moins - avait pu être élévé par des êtres aussi insipides.

Les beaux-parents chez qui je suis allée aujourd’hui sont beaucoup moins riches, mais ô combien plus sympathiques. Je crois que je les aime pour une raison toute simple : je ne suis pas obligée de les aimer. Notre mère, notre père, nos frères, nos sœurs, on est un peu forcé de les apprécier; la logique familiale impose cette règle implicite. Mais nos beaux-parents, rien ne nous y contraint. On a le choix de les détester ou de les adorer, ça reste à notre discrétion. Cette liberté des émotions me convient parfaitement. J’aime mes beaux-parents parce que je ne suis pas contrainte de le faire, voire que je ne serais pas censée le faire.

Mes beaux-parents, ce sont Carole et Gilles. La femme avec qui mon père s’est fiancé après avoir divorcé avec ma mère, et l’homme que ma mère a fréquenté pendant quelques temps après sa séparation. Carole et Gilles forment maintenant un couple. Je trouve ça hilarant comme situation. Ça va faire huit ans qu’ils sont ensemble, qu’ils filent le parfait bonheur; huit années au cours desquelles ni mon père ni ma mère n’a été capable de se retrouver un conjoint.

Carole et Gilles se sont rencontrés un peu à cause de moi. C’était à ma graduation du secondaire. La famille et les amis étaient invités à un coktail à la polyvalente. Ce fut une des rares occasions où mon père et ma mère ont eu à partager la même pièce à la suite de leur divorce houleux. Ç’avait beau être un gymnase de je ne sais trop combien mille pieds cube, ce n’était pas assez grand pour qu’ils ne se pilent pas sur les pieds. Ils ont passé la soirée à s’engeuler sur tous les sujets inimaginables. Y compris la couleur de ma robe de bal. Ma mère, qui l’avait magasinée avec moi, en magnifiait la beauté, tandis que mon père - qui est daltonien, soit dit en passant - prétendait que ma mère m’avait forcée à choisir cet affreux vert, que cela ne m’allait pas du tout, qu’elle me traitait encore comme une petite fille, qu’elle essayait de vivre ses rêves de jeunesse par procuration, etcetera, etcetera. Etceterament ridicule. Pendant ce temps, moi, je noyais ma honte dans le punch et Carole et Gilles faisaient plus ample connaissance… Le résultat est celui qu’on connaît.

Quand Carole était avec mon père, je la haïssais. Et le mot est faible. À mes yeux, ce n’était qu’une ignominieuse sorcière dont l’unique objectif était de ruiner ma vie de jeune adolescente. Elle se montrait pourtant adorable à mon égard; elle me gâtait beaucoup et faisait tout pour se rendre aimable. Mais cela ne me donnait que des arguments supplémentaires pour l’exécrer; chaque bon geste de sa part était, selon moi, une tactique pour acheter mon silence et ma fausse gratitude. La situation était à peu près la même avec Gilles. Quel conard. À l’époque, je le percevais comme un macho fini, un pauvre type plein de bedaine et de calvitie qui avait choisi ma mère par dépit, s’étant bien rendu compte que ce serait sûrement là la dernière occasion pour lui de se caser avec une femme pas trop mal.

À l’époque. Maintenant, tout est différent. Parce que Carole et Gilles sont toujours mes beaux-parents, mais qu’ils ne sont plus avec mes parents. Depuis ce temps, oui, je les adore. Et je leur rends visite au moins une fois par mois. À vrai dire, je fais davantage confiance à Carole qu’à ma propre mère. En matière de conseils amoureux, elle est de loin meilleure que ma pauvre, pauvre petite maman qui n’y comprend strictement rien.

Je suis donc aller chercher quelques trucs et astuces chez Carole et Gilles. Mais ils n’étaient pas là. Maudit mois de juin. Tout le monde part en vacances. Franchement. Ces foutus banlieusards… Ils passent l’année à essayer de rendre leur maison attrayante, chaleureuse, invitante, accueillante; ils investissent dans la peinture, les accessoires, les nouveaux meubles de jardin, le spa… et lorsqu’ils ont enfin le temps de profiter de toutes ces belles choses, ils s’en vont en camping dans une tente roulotte grosse comme ma main, dans l’espoir d’être dépaysés. Dépaysés de quoi? De leur confort? Je le répète : etceterament ridicule. J’aime cette expression.


C’est dommage que Carole et Gilles n’aient pas été aptes à me recevoir. Pour une fois, j’avais suivi le conseil qui dit qu’on ne doit jamais arriver les mains vides chez quelqu’un, et j’avais fait un immense gâteau au chocolat, la fameuse recette qui tombe directement dans les hanches des filles et qui fait engraisser simplement parce qu’on a osé regarder le crémage. Et du crémage, j’en avais mis épais. Étant donné les 32 degrés celcius, je ne pouvais pas me permettre de laisser mon chef d’œuvre culinaire en dehors du frigo trop longtemps. Je me suis donc confortablement assise sur les marches en béton du perron avant et j’ai dégusté mon gâteau, sans ustensiles ni essuie-tout.

Je l’ai mangé au complet. Je pense bien que j’avais une petite émotion à nourrir…

La prochaine fois que je déciderai d’être polie et de me pointer chez quelqu’un avec un petit quelque chose pour lui faire plaisir, je crois que je vais me contenter d’emballer mon désespoir, de mettre un beau ruban rouge dessus et de le présenter gaiement à mon hôte en lui disant : «Tiens. Je te l’offre. Vraiment. Ça vient du fond du cœur. Non, non, ne dis pas que c’est trop. Je t’en supplie, garde-le. Moi, j’en peux plus.»

25 juin 2007

Vente de garage




Aujourd’hui, j’ai décidé de faire du ménage. Paraît que c’est pas très feng shui de garder trop de souvenirs et de boîtes empilées; faut que je me débarasse de tout ça au plus sacrant si je veux rétablir l’équilibre dans ma vie. C’est soit ça, soit je prends des cours de funambulisme. Mais comme je suis maintenant sans emploi, je ne suis pas en moyen de me payer des cours privés de marchage-sur-une-corde-en-tenant-un-gros-poteau-qui-ressemble-à-ce-avec-quoi-on-nettoie-les-piscines. J’ai ainsi opté pour le débarassage-rapido-presto de ma merde affective.

Le problème quand on fait du ménage, c’est qu’on replonge dans nos souvenirs; on se met à lire toutes les lettres d’amour qu’on avait accumulées dans une vieille boîte à chaussures, on réessaie tout notre vieux linge, histoire de nous confirmer que nous avons bel et bien engraissé et que cela ne nous refera plus jamais; on regarde nos photos de bal des finissants et de quand-on-était-petit-et-donc-ben-cute-et-naïf. Un gros coup de nostalgie dans les couilles de celui qui fait le ménage pour justement arrêter d’être mélancolique.

Entre deux poupées Barbie flambant nues (j’ai eu un trip à onze ans, soit celui de découdre tous mes vêtements de Barbie afin de les rabouter les uns aux autres et de me faire une robe avec… Résultat : une épingle de rentrer dans le pouce droit, une punition, et pu de linge pour mes poupées), un ensemble de papier à lettre datant d’il y a au moins quinze ans, mais qui sentait encore l’essence artificielle de rose - et qui faisait encore éternuer -, j’ai retrouvé un toutou que Magalie m’avait offert pour mes vingt ans - ça peut paraître enfantin comme cadeau, mais c’est que la v’limeuse avait caché quelques substances illicites dans le derrière du pauvre ourson, pour compléter la surprise....

Magalie.

Je l’avais presque oubliée, elle. Trop concentrée à ruminer mes histoires d’amour, j’en ai omis de réfléchir à mes histoires d’amitié.

Plusieurs disent que l’amitié est plus forte que l’amour, qu’une véritable amitié résiste au temps et aux épreuves, que les vrais amis nous pardonnent toujours, parce qu’ils nous acceptent avec nos erreurs et nos travers. Pour ma part, je crois que les peines d’amitié sont pires que les peines amoureuses et que c’est pour ça que je n’ai pas encore osé penser à Magalie et à la saloperie qu’elle m’a faite. Parce que ça fait encore plus mal que toutes les niaiseries que François et moi on a pu se dire ou se faire.

Un futur père pour mes trois enfants, j’ai encore le temps d’en magasiner un. Mais une fille à qui je n’ai pas besoin de parler pour être comprise, parce que ça fait depuis la maternelle qu’on se connaît et que tout a déjà été dit entre nous, ça, j’pourrai certainement pas en trouver une nouvelle. Un amant endiablé capable de me faire jouir trois fois en ligne sans se fatiguer, j’imagine que je peux m’en dégoter un pas trop difficilement sur un site de rencontre Internet, en y mettant simplement un peu d’effort. Mais une fille avec qui j’ai fait le tour de l’Europe pendant six mois l’année de mes dix-huit ans, une fille avec qui j’ai pris ma première brosse, eu mon premier baiser homosexuel - on est de son temps ou on l’est pas!, mangé mes premiers calmars, regarder mon premier film d’horreur, fait du patin à roues alignées pour la première fois, ça, je risque pas d’en croiser dix au prochain coin de rue. Une fille que je peux appeler à quatre heures du matin si ça va pas, et vingt-trois fois de suite si nécessaire, une fille chez qui je peux aller sans même avertir, car chez elle c’est chez moi et vis-versa, une fille qui est un peu moi et moi un peu elle, etcetera, ça, vraiment, je pense que j’aurai beau faire tous les marchés au puce de la terre, je pourrai jamais m’en rachetée une.

Peut-être que je devrais l’appeler. Mais comment ça se fait qu’elle ne m’a pas déjà téléphonée elle? C’est elle après tout qui a commis la gaffe, ce serait à elle de s’excuser et de faire les premiers pas. Et si elle n’avait aucun remords, qu’elle vivait très bien avec son geste et qu’elle n’avait aucune envie que je revienne dans sa vie détruire son nouveau bonheur? Et si, et si, et si. Essuie, essuie, essuie. Je vais terminer de ramasser mon bordel, et je vais aller la voir. Lui dire quoi, je verrai ça en chemin. Pour l’instant, je dois penser à le frayer, ce chemin. Car y’a tellement de papiers et de vêtements partout que je sais même pas si je vais être capable de me rendre à la porte de ma chambre.

J’en ai marre de cette accumulation d’inutilité, de ce ramassi d’absolument pas nécessaire. Je voudrais être une de ces personnes qui se contentent du strict minimum. Mais on dirait que ma solitude est absorbée par les objets qui m’entourent et que grâce à eux, je me sens un peu moins démunie. Pas monétairement, mais à l’intérieur. Tous ces bibelots, ces babioles, ces tableaux, ces bestioles, elles m’étouffent de l’extérieur, mais me permettent de mieux respirer en dedans. Elles sont comme une extension de moi-même, un de mes appendices, une image de mon petit égo projettée partout sur les murs, les tablettes, le plafond et les planchers. J’envahis la pièce avec mes gogosses, mes cossins, mes patentes, mes choses-trucs, et ça me fait du bien. Ça me fait du bien de voir tous ces reflets de moi, mon passé, ma vie, mes beaux moments, mes malheurs, de nous voir en répétition infinie tout autour. Grâce à ces multiplications de corps, cette cacophonie de chair, de plastique et de tissus, je peux me rappeler qui j’étais, jadis. Et presque oublier que je n’ai aucune idée de qui je suis maintenant, et de ce que je veux devenir.

En tout cas, je sais que je ne voudrais pas être éboueuse et être prise pour ramasser les saletés de cochonneries des débiles comme moi qui, un jour, comme ça, décident de tout jeter et de mettre douze sacs de poubelle au chemin - par chance que je recycle. Et que je n’ai pas tout, tout mis sur le bord de la route.

J’ai pris soin de garder un des sacs pour aller le déposer devant chez Magalie. En espérant qu’elle va comprendre le message, bien que moi-même, je ne suis pas convaincue de ce que je tente d’insinuer avec ce symbole. Je l’invite à la réconciliation ou je l’envoie promener? Parfois, la frontière entre les deux est plutôt mince. Suffit d’un peu d’ironie pour tout brouiller.

19 juin 2007

Sainte-Sophie de Marie-Joseph



J’avais un professeur de musique au secondaire - j’ai jamais eu l’oreille musicale, faudrait pas penser que parce que j’avais un professeur de musique je jouais de la musique - qui disait qu’il n’y avait pas de mauvaise chanson, seulement de mauvais interprètes - étonnament, il ne m’a jamais dit que je faisais partie de cette catégorie. Ce qu’il entendait par cette affirmation, c’est que peu importe la pièce interprétée, qu’il s’agisse de la Neuvième symphonie de Beethoven ou de Take me out to the ball game, toutes les mélodies ont le potentiel de devenir grandiose et de donner des frissons à ceux qui l’écoutent; il n’en tient qu’à celui qui les joue de les rendre comme tel.

Je crois que cette remarque peut s’appliquer à la vie en général : il n’y a pas de mauvaise vie, il n’y a que de mauvais vivant.

À moi, on m’a donné une petite vie tranquille. J’ai grandi en banlieue dans un quartier paisible, entourée de petits amis avec qui jouer au ballon botté. Mes parents se chicanaient entre eux mais n’ont jamais été violents avec moi. Ils ne m’ont pas gâtée à l’extrême, mais j’ai toujours eu tout ce dont j’avais besoin. Bref, mon sort n’est pas à plaindre. Ce n’est pas un conte de fées, je ne finirai pas star d’Hollywood, je n’obtiendrai pas de Prix Nobel pour avoir rétabli la paix dans le monde, je ne trouverai pas de remède contre le sida, non. Mais j’ai toutes les chances de mon côté pour me permettre de faire une belle vie. Quelque chose de discret mais respectable. Quelque chose qui sonne bien.

Mais voilà, mon talent de fouteuse-de-tout-en-l’air rend tout cela beaucoup moins facile que prévu.

J’adore faire la fête, prendre un verre de vin en mangeant de la bonne chère, inviter des amis, les gâter, rire, danser. Mais je ne serai jamais qu’une mauvaise vivante. Trop compliquée pour seulement profiter de ce qui passe et ne pas m’en faire avec les détails insignifiants. J’accorde une importance démesurée aux évènements futiles de mon existence. Je fais de tous les Take me out to the ball game des Neuvième symphonie.

Ok. Une rupture n’est peut-être pas exactement l’équivalent d’un Take me out to the ball game, mais c’est tout de même pas la fin du monde. Et c’est encore moins une raison pour se faire mettre dehors.

Si je sacrais, c’est maintenant que je lâcherais le plus gros blasphème de toute l’histoire. Mais malheureusement, je ne suis pas croyante, alors ça ne me sert à rien de sacrer, étant donné que cela ne représente pas un gros défoulement pour moi de crier le nom du bout de pain qui aurait supposément été béni par le fils de Dieu. Mon cul.

Je ne sacre pas, alors j’ai le droit d’être vulgaire. Merde. Merde. Et triple merde.

Mon boss trouvait que je n’avais plus d’entrain depuis trois semaines, que je répondais souvent bête aux clients. Il a prétexté que j’avais fait plusieurs erreurs de commande dernièrement et qu’il avait même dû calmer une dame outrée qui refusait de payer son addition parce que supposément que je lui aurais répondu, alors qu’elle m’aurait simplement dit que ses calmars frits étaient fades, de se les mettre entre les fesses si elle désirait qu’ils aient un goût plus relevé. Bon. Peut-être que j’ai été un peu raide cette fois-là mais… je ne sacre pas, alors j’ai le droit d’être vulgaire! Fais chier la grosse avocate d’Outremont avec ses calmars. Elle aurait dû prendre une salade Atkins au lieu de commander de la friture; ça aurait été meilleur pour sa ligne et moi, je n’aurais pas perdu mon job.

«Si tu réussis à remonter la pente dans les prochaines semaines, repasse me voir Sophie, j’aurai peut-être encore de la place pour toi, mais pour l’instant, je ne peux pas me permettre de garder une serveuse dépressive. Faut que ça roule ici.»

Je suis pas dépressive, d’accord!?

«Si tu veux consulter un psychologue, j’en connais un bon. Il m’a beaucoup aidé quand j’ai fait mon burn out à la suite de ma faillite et du décès de ma mère.»

Hey, woh! Un psychologue?! Les nerfs! J’ai pas fait faillite moi et ma mère est pas près de mourir - bonne nouvelle ou non, ça reste à voir, mais bon. Pour qui il se prend celui-là?

Mon boss j’imagine. Mon boss de 46 ans qui a «donc ben du vécu et qui sait donc ben ce qui est bon pour moi.» Mon boss de Français-à-la-con qui m’a foutue à la porte aujourd’hui.

Le jour de ma fête. Bonne Saint-Romuald à tous.

J’aurais préféré naître le jour de la Saint-Antoine. Comme ça j’aurais pu l’invoquer et peut-être avoir espoir qu’il réponde à mes prières, car en ce moment, je suis vraiment, vraiment perdue. Encore plus perdue qu’une paire de bas dans le mystérieux trou de la sécheuse ou qu’un trousseau de clés qu’on vient pourtant tout juste de déposer sur le comptoir de la cuisine et qui oh! par hasard n’y est plus.

Perdue comme une Sophie qui n’a jamais cru en Dieu mais qui aimerait bien commencer à croire un peu, juste un tout petit peu. Au moins à Saint-Silvère, si possible.

17 juin 2007

Flashback




Magalie m’avait invitée à un party chez le voisin du coloc de sa cousine. «Ça va être la rumba du siècle Soph, t’as pas le choix de venir!» Me dire que je n’ai pas le choix n’est jamais une bonne façon de me convaincre de faire quelque chose; je déteste avoir l’impression que, soudainement, je n’ai plus le contrôle de ma vie, qu’une instance supérieure se l’est approprié et qu’elle se moque de ce dont je pourrais avoir envie ou non. Bref, je n’étais vraiment pas emballée par l’idée de me pointer là, parmi tous ces inconnus disjonctés - une bande d’artistes en arts visuels en plus, vraiment, j’avais peur que ça vire mal. Mais j’ai tout de même fini par me laisser convaincre. En fait, c’est davantage parce que je n’avais pas de bons arguments qui auraient pu me permettre de justifier mon refus que j’ai accepté d’y aller.

Dès notre arrivée sur les lieux de la déchéance, j’ai compris que j’avais pris la bonne décision en choisissant d’accompagner Magalie; je m’en serais voulu toute ma vie de l’avoir laissée aller seule à cette fête diabolique! Premièrement, elle se serait perdue dans toute cette foule... La maison avait quatre étages et chacun d’eux répondait à une thématique : y’avait l’étage du bar, celui de la piste de danse, celui des expérimentations artistiques et celui des expérimentations sexuelles - du moins, c’est ce que j’ai déduit, car tous ceux qui gravissaient les marches menant au quatrième étage étaient toujours regroupés deux à deux - voire trois à trois... - et avaient la figure barbouillée de rouge à lèvres.

Après avoir fait le tour du proprio, on est allées se chercher un verre au bar improvisé - en fait, il manquait de verre, alors on nous a servi notre sex on the beach dans ce qui restait de disponible comme contenants : un petit vase de chine made in Dollorama pour Magalie et un bol de café au lait avec un bonhomme sourire pour moi. L’alcool ne goûte définitivement pas la même chose selon qu’il est servi dans un bol de céramique cheap ou une coupe en verre fin... En fait, je crois qu’il saoule beaucoup plus rapidement lorsqu’il est servi dans un bol de café au lait avec un sourire, parce que je suis devenue complètement défoncée en moins d’une demi-heure!

J’ai perdu la trace de Magalie assez rapidement. Mais comme l’alcool m’avait redonné entièrement confiance en moi, je me suis mise à butiner d’un groupe de gens à l’autre, en me présentant fièrement et en avouant à qui voulait bien l’entendre que moi, je n’étais pas une artiste, mais que j’adorais vraiment l’art, que l’art, à mes yeux, était le seul échappatoire sensé qui subsistait dans notre société, et que sans lui l’amour ne serait plus possible, et que l’Art, blablablabla, oui, il faudrait toujours l’écrire avec une majuscule pour affirmer sa supériorité sur l’esprit humain, car c’est l’Art qui nous maîtrise, et non l’inverse et...

Mon discours sans queue ni tête a fini par plaire à quelqu’un. Il y avait ce jeune blond bien baraqué qui m’écoutait depuis le début de mon envolée lyrique et qui trouvait que mon propos résumait très bien celui du grand philosophe Heid..., Harou..., Hitchi..., anyway. Le blondinet admirait mon sens critique et mon ouverture esthétique et souhaitait absolument me faire découvrir sa définition de l’ART. Il m’a traînée jusqu’au troisième étage, là où tous les Pollock en devenir et les aspirant Warhol démontraient leur savoir-faire. Des cannes de peinture envahissaient le plancher, les murs étaient couverts d’éclaboussures et de traces de doigts - ça n’allait pas être trop difficile de retracer l’identité des coupables de ce gâchis le lendemain! Les artistes sont de piètres vandales. Mon nouvel ami - il avait des airs de DiCaprio, mélangé à Matt Damon. Du moins, selon mon regard de fille complètement ravagée par le sex on the... on the sand?! On the bitch? On the?! Merde, comment ça s’appelle ce que j’ai bu moi donc?! Bref, mon nouvel ami m’a pris par la main et m’a assise sur un tabouret de bois.

Il m’a demandé si je m’étais déjà fait «bodypainter». J’ai répondu non, en anglais. Quand je suis saoule, j’aime bien parler en anglais. Il me semble que je suis beaucoup plus «fluente». J’étais tellement fluente à ce moment que j’ai accepté de retirer mon t-shirt pour que Léo-Matt Damon-DiCaprio me fasse un bodypaint. Au début, je me sentais comme lorsque, toute petite, je me faisais maquiller par les clowns dans les centres d’achats. Les couleurs avaient de la difficulté à adhérer à ma petite peau toute humide, car chaque séance de maquillage était précédée d’une crise de larmes intense; chaque fois, je demandais à la maquilleuse de me dessiner une chèvre et chaque fois, elle refusait, prétextant qu’elle ne savait pas comment faire. Je finissais donc, à cours de sanglots, par accepter qu’elle me dessine un vulgaire et banal papillon.

Mon beau blond, lui, il savait comment dessiner une chèvre. Il a consenti à ma demande et moi à la sienne, lorsqu’il m’a demandé de retirer également mon pantalon, afin qu’il puisse dessiner l’herbe à brouter pour ma chèvre sur mes jambes. Quand j’ai senti ses lèvres entre mes jambes, là, oh, soudainement, je n’avais plus l’impression d’être au centre d’achats en train de me faire maquiller par une adolescente désabusée.

Léo-Matt et moi avons glissé vers le quatrième étage sans que je ne m’en rende vraiment compte. Les détails croustillants de cette fin de soirée d’art expérimental ne me sont pas restés en mémoire, mais ce dont je me rappelle, c’est que le lendemain, je me suis réveillée dans le lit des parents du voisin de la coloc de la cousine de Magalie, étendue à côté d’un gaillard de six pieds. Et y’avait une chèvre d’imprimée sur les draps.

Et y’avait un mal de tête d’imprimer dans mon cerveau. Je crois que j’ai pris des Tylenols pendant trois jours avant de réussir à enrayer ce mal de bloc. Après ces trois jours, j’ai dû passer par une mini désintox d’acétaminophène, et ce n’est qu’une fois que mon corps s’était complètement départi de toutes ces substances nocives qu’il s’est rappelé ce qui s’était passé le soir du party. Un flashback gros comme un boieng 747 m’est rentré dedans à ce moment-là.

J’ai revu la petite face angélique du blondinet, ses longs doigts effilés parcourant le bas de mon dos, sa langue dans mon cou, ses... Merde. Un blond! Je n’ai jamais aimé les blonds.

Et je ne voulais pas aller à ce party au départ. Je savais que ça finirait mal. Je le savais.
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Le soir où j’ai eu mon flashback, François avait un désir intense de faire l’amour. Je lui ai répondu que je n’avais pas trop envie de me faire broutter. Il m’a trouvé très vulgaire et n’a pas trop saisi la raison de mon refus.

Nous avons passé deux mois et demi sans faire l’amour.

Si le bodypainting de chèvre a été facile à effacer, simplement avec un peu d’eau et du savon, le tatoo de mon adultère, lui, n’est jamais complètement disparu de ma conscience.

14 juin 2007

Projection amoureuse




Les promesses qu’on fait à soi-même sont les plus difficiles à tenir.

Parce que la seule personne qui risque d’être déçue si on ne remplit pas nos engagements c’est nous-mêmes, on dirait que ça devient vraiment moins prioritaire. Étrange comme on est rarement notre priorité… En fait, du moment qu’on devient plus important à nos propres yeux, plus à l’écoute de nos besoins, on se fait traiter d’égoïste. Ou de New age. Mais j’aime encore mieux passer pour une égocentrique que pour une junkie réchappée qui écoute des concerto pour flûtes de pan en pratiquant ses mouvements de tai chi.

Égoïste. Accusation facile qui se lance plutôt bien au milieu de n’importe quelle conversation. Utilisable à maintes occasions. T’es égoïste quand tu fais quelque chose sans penser aux conséquences que cela aurait sur la vie des autres; t’es égoïste quand tu ne fais rien de peur de décevoir ou de blesser ces mêmes autres qui, finalement, auraient bien voulu que tu agisses. T’es égoïste quand tu chiales que tout le monde est égoïste. Aucune manière de s’en sortir. Ceux qui l’ont compris deviennent finalement ceux qu’on n’accuse plus de rien; on ne dit plus d’eux qu’ils ne pensent qu’à leur petit nombril, mais plutôt qu’ils sont indépendants et qu’ils savent ce qu’ils veulent dans la vie.

François était tout sauf un gars qui savait ce qu’il voulait dans la vie. Il l’est encore sûrement d’ailleurs, à moins qu’il ne soit mort depuis notre derrière rencontre. Étant donné la très légère tenue qu’il portait alors, il a peut-être pris un coup de froid et attrapé une incurable pneumonie. Ce serait dommage que sa vie se soit terminée ainsi. J’aurais préféré qu’il crève de remords; qu’il se soit mis à manger comme un goinfre à cause de toute la culpabilité qui l’habitait et qu’il ait explosé à force d’engouffrer des donuts. Mais puisqu’il n’a jamais été très porté sur les beignes, j’imagine qu’il est encore très vivant et très incertain de tout. Et puisqu’il n’a jamais été capable d’affirmer clairement ce qu’il souhaitait, il s’est souvent retrouvé dans des situations déplaisantes à devoir accomplir des choses dont il n’avait absolument pas envie, mais c’était trop tard, il n’avait pas réussi à dire non assez tôt.

Peut-être que c’est ce qui est arrivé avec Magalie. Peut-être qu’il s’est retrouvé dans cette position «controversée» – pléonasme de politesse – avec elle parce qu’il n’a pas été capable de dire non à temps! Une fois que ton engin reproducteur – pléonasme de pudeur – est introduit dans celui de la demoiselle, j’imagine que c’est dur de le retirer sans l’insulter, simplement en lui disant :«S’cuse moi ma belle, j’ai pas su comment te le dire avant, mais ça me tente vraiment pas de faire l’amour avec toi finalement.» Le pauvre, il n’a pas eu le choix de continuer.

Peut-être que c’est ainsi que ça s’est passé et que ça fait deux semaines que j’ai de la peine pour rien finalement, parce que toute cette histoire n’a été qu’un malentendu stupide. Peut-être pas. Peut-être que c’est moi qui suis stupide. Mais j’ai besoin de savoir ce qui s’est vraiment passé. C’est pourquoi cette fois, je tiendrai ma promesse, et j’irai. Faire mon égoïste braillarde chez François. Qu’il me voit dans tous mes états, qu’il ait pitié un peu, qu’il pleure un peu – beaucoup – lui aussi, qu’il m’explique ce qui nous est arrivé et que je m’en retourne chez nous, le cœur absolument pas plus léger, mais avec au moins le sentiment que je ne suis plus seule à partager ma mélancolie – partager toute seule, ça paraît pas très, très généreux, et comme j’ai une réputation d’égoïste à rattraper…

Maintenant que la sonnette est à cinq millimètres de mon doigt, on dirait que je ne suis plus vraiment certaine de vouloir appuyer dessus. C’est toujours lorsqu’on est presque rendu au but qu’on a le moins envie de l’atteindre. Et dire que juste avant, on avait si hâte. Hâte. Pas hâte. Ding. Pas dong. Je sonne.

J’ai dit : «Je sonne». Viens ouvrir merde.


- Sophie?!
- Tiens. Tu te rappelles de mon nom!?
- Ben là, franchement. T’es ma blonde depuis cinq ans, c’est sûr que j’m’en…
- Je SUIS ta blonde depuis cinq ans?
- Ben peut-être un peu plus, un peu moins, je sais pas?! Tu me connais, j’suis nul pour retenir les dates importantes pis les…
- Je SUIS. D’après toi je SUIS encore ta blonde, là, là, maintenant?!
- Ben… Peut-être?! Je… Ça fait deux semaines que tu donnes pas de nouvelles, j’comprends, t’as dû être un peu fâchée, mais là…
- Un peu fâchée?!
- Bon. Sûrement très fâchée, mais j’imagine que si t’es venue, c’est pour qu’on en parle et qu’on essaie d’oublier…
- Oublier?!
- S’expliquer, je sais pas, recommencer…
- Oublier quoi?! Recommencer quoi?! Y’A JAMAIS RIEN EU!
- Sophie! Calme-toi! T’exagères… Jamais rien eu… Cinq ans, c’est pas jamais ça…
- Justement! Cinq ans, c’est pas jamais comme tu dis; ET REGARDE COMMENT TU LES AS CONCLUS NOS CINQ ANS! En allant baiser avec ma meilleure amie! Merci! Bon anniversaire toi aussi mon amour!
- Sophie, tu ne m’as pas donné l’occasion de m’excuser encore…
- Parce que t’avais l’intention de t’excuser?
- Bien sûr! Qu’est-ce que tu crois?! C’est mal ce que j’ai fait, je le sais, j’suis pas con…
- T’as raison mon beau François. T’es pas con. T’ES VRAIMENT CON! Tu penses sincèrement qu’on peut simplement s’excuser d’un geste comme celui-là, effacer l’ardoise et hop! voilà que tout redevient comme avant?!
- C’est pas ce que j’ai dit, mais je croyais qu’on…
- Non, ON peut pas! Ça peut pas se passer comme ça. Parce que premièrement, c’est pas moi qui doit te pardonner, mais toi-même. Parce que tu t’en veux pour mourir d’avoir fait ça, j’en suis parfaitement consciente, et que tant que tu ne te seras pas pardonné ton propre geste, tu ne pourras pas me regarder dans les yeux.
- De quoi tu parles?! C’est pas ça, je peux te regarder, je…
- Non tu peux pas!
- Oui je peux!
- Non. Je le sais. Je le sais, parce que moi, quand je t’ai trompé, j’ai pas pu te regarder ni te toucher pendant deux mois et demi tellement j’avais honte.
- Quand tu m’as trompée?
- Oublie ça. Bonne fin de journée. Pis tiens, tes souliers.


Étonnement, il ne m’a pas remercié de lui avoir ramené ses godasses.

Merde. C’est pas du tout comme ça que je voulais que ça sorte.
Je vais devoir réviser mon plan de vengeance.

10 juin 2007

Waterproof




Quand j’étais petite, je rêvais d’être une sirène. Aujourd’hui, mon rêve s’est réalisé. J’ai été sirène échouée sur son rocher toute la journée. Et pas seulement au figuré. Je suis restée allongée sur le divan du salon jusqu’à 15h08, moment exact où mon apathie inconsistante a été forcée de cesser ses non-activités. C’est que de l’eau commençait à me dégoûter sur le front. J’ai émis toutes sortes d’hypothèses pouvant expliquer d’où le liquide provenait: peut-être que j’étais en train de devenir une véritable femme-poisson ou que toutes les larmes que j’avais versées dans les heures précédentes avaient condensé et formé un nuage au-dessus de ma tête et que c’est maintenant que l’orage éclatait. Aucune de mes théories ne s’est avérée juste.

C’était le petit voisin d’au-dessus qui avait décidé de donner un bain à son poisson rouge… Et, par conséquent, un bain à tous les résidants du bloc. Comme la plupart des enfants de quatre ans, ce p’tit v’limeux a la fâcheuse tendance à commencer une activité et de la laisser tomber trois minutes après, parce qu’il en a déjà trouvé une plus intéressante. Il a donc ouvert les robinets du lavabo et décidé qu’il n’avait plus envie de laver son poisson. Sans fermer les robinets, évidemment. Et sans remettre le poisson dans l’eau. Si moi j’ai failli mourir noyée, lui, il n’a pas survécu à son séjour en territoire non-humide. Poséidon ait son âme.

Les pompiers sont venus, les ambulanciers, les policiers, les assuranciers, Qualinet, tout le monde. La mère a un peu paniqué je crois. Et moi, c’est la venue de tout cette foule qui m’a rendue folle. J’ai conclu que c’était le moment idéal pour enfin honorer l’invitation que mon père m’avait lancée quelques jours auparavant et d’aller souper chez lui.




- La cocotte ! J’suis content de te voir!
- Qu’est-ce qu’on mange?
- Du saumon! Celui en croûte d’épices, ta recette préférée!
- Oh. Dommage.
- Pourquoi?
- J’suis rendue allergique au poisson.
- Ah oui?! Depuis quand?
- Cet après-midi.

Le repas fut interminable. Mon père est quelqu’un qui n’a rien à dire mais qui, au grand malheur de ceux qui partagent sa table, parle tout le temps. On a discuté de politique ministérielle, de système de santé à deux vitesses, du bras canadien, du nouveau show du Cirque du Soleil, du soccer de l’Impact, de golf, de Beethoven, d’allergies soudaines au poisson, de peine d’amour. On, excluant la personne qui parle. J’ai dû placer quatre mots dans la conversation. Mon père ne veut tellement pas que sa petite fille aille mal qu’à chaque fois qu’il me demandait si j’allais bien, il ne me laissait pas lui avouer que je ne m’étais jamais sentie aussi triste et désespérée et il répondait lui-même à sa question en sortant ses proverbes du dimanche selon lesquels «un de perdu dix de retrouvés, car tout vient à point à qui sait attendre, surtout que chaque torchon finit par trouver sa guenille.» Rien de plus encourageant.

- Papa, est-ce que ça se peut l’amour toute une vie?
- J’imagine que oui. Mais ça dépend combien de temps dure la vie.
- Sans doute!
- C’est comme pour tous ces objets qu’ils essaient de nous vendre en nous faisant croire qu’ils sont garantis à vie… T’sais comme le sac de voyage que je t’avais acheté il y a trois ans. Quand tu as voulu l’échanger parce qu’il était déjà tout troué…
- Et qu’ils m’ont répondu que la garantie était expirée! Mais c’était une garantie à vie!
- Voilà. C’était une garantie à vie, «à vie» étant en fait la vie du sac. Et l’espérance de vie moyen de leurs sacs était évaluée à deux ans.
- Ils vont être déclarés race en voie d’extinction par l’ONU bientôt ces sacs-là…
- Peut-être bien! Mais mon point avec tout ça, c’est que je crois que pour les relations de couple, c’est la même chose…
- Je saisis pas…
- L’amour, c’est garanti à vie, mais le «à vie» de chaque relation n’est pas le même que ton «à vie» à toi. Chaque relation a sa propre espérance bien à elle. Et malheureusement, elle risque de mourir bien avant toi.

Mon père qui fait de la psycho-poésie maintenant… Mais le pire dans tout ça, c’est que je pense qu’il n’a pas tort. Reste que c’est déprimant sans bon sens.


Sur le chemin du retour, de nouveau seule avec mon cafard et mes coquerelles, l’envie de brailler m’est revenue. Ce que je trouve complètement aberrant. Pourquoi avoir envie de pleurer quand je suis seule? Ça ne sert à rien, puisque personne n’est là pour constater ma douleur et me prendre en pitié. Ne pleurer que pour soi est complètement inutile; c’est de la fausse extériorisation de sentiments. J’ai besoin que quelqu’un me voit pleurer. Mais ces putains de larmes, elles sont transparentes. Et chaque fois que j’en verse, j’ai l’impression de me rendre moi-même invisible.

J’ai besoin que quelqu’un me voit pleurer. Demain matin, je vais aller rendre visite à François. Si y’a quelqu’un qui mérite d’endurer mes crises de détresse, c’est bien lui. Et je vais aller m’acheter un mascara qui n’est absolument pas waterproof et en appliquer une épaisse couche avant de me rendre chez lui. Il ne pourra pas faire semblant de ne pas voir mes larmes couler puisque mon visage va ressembler à la mer méditerranée à la suite d’un déversement de pétrole.

Lui et sa fibre écolo, ils ne pourront pas me résister.

06 juin 2007

La vengeance des aveugles




La nuit dernière, j’ai rêvé que j’entrais dans une librairie, armée d’un bidon d’essence et d’un carton d’allumettes. Le commis assis sur un tabouret à l’entrée du petit commerce ressemblait étrangement à François. En fait, c’était comme un mélange entre le visage de François et celui de mon père. Afin qu’il ne nuise pas à mes plans, je pris soin de le ligoter à sa caisse enregistreuse avec des réglisses noires – pas très solides comme attache, mais je n’y peux rien, c’est un rêve. Et parce que les rêves ont le pouvoir de révéler nos plus intimes secrets, voilà, je l’avoue, je suis accroc des réglisses noires, cette friandise que la majorité de la population exècre. J’en mange un sac par jour. Parfois deux. Dans les périodes de crise majeure. Parfois avant de me coucher, malgré tous les conseils prodigués par ma mère à cet égard. J’aurais peut-être dû l’écouter finalement…

Enfin. C’est l’estomac bien rempli que je me rendis dans la section théâtre grec et me mis à asperger tous les écrits de Sophocle et d’Euripyde. Je fis de même avec toute la section «psychanalyse» et lança une allumette sur la belle mare dorée que je venais de créer. Œdipe à colonne, Œdipe roi et toute la panoplie d’Œdipe-suivi-d’un-complément-du-nom ne résistèrent pas au carnage; tous flambaient glorieusement et moi, devant ce spectacle insolite, je riais à gorge déployée.

Pendant ce temps, le commis pleurait à s’en déchirer la rétine et me conjurait d’éteindre mon feu de joie. Plus il me suppliait, plus je riais. Ses larmes étaient entrecoupées d’excuses désespérées : «J’aurais pas dû toucher à ses seins, j’suis désolée! C’est toi la plus belle, t’es ben plus attirante que Freud! Mais c’est de sa faute, c’est lui qui m’a dit de le faire!» Exaspérée par son charabia, je sortis de la boutique en flammes.

À l’extérieur, tout le monde portait des lunettes fumées et se baladait avec une canne rouge et blanche. Je me mis à courir, me sentant suivie. Effectivement, une horde d’aveugles déchaînés tentait frénétiquement de me rejoindre. Essoufflée, je les laissai m’atteindre, sans plus avoir de force pour me défendre. Ces vils suppôts me traînèrent sans vergogne jusqu’à un précipice sans fond et m’y firent tomber à coups de canne pour non-voyants.

Je me suis réveillée en ayant l’impression que mon lit tournait à la vitesse de la lumière.

Il était 9h35, soit trente-cinq minutes plus tard que l’heure à laquelle j’étais censée rentrer travailler. J’ai appelé mon boss pour lui dire que je ne pouvais pas me présenter aujourd’hui, lui expliquant que j’avais passé la nuit à faire flamber les collections de théâtre grec de toutes les bouquineries de Montréal. Il n’était pas trop sûr de comprendre et a mis ça sur le dos du rhume que je devais avoir attrapé et qui me causait de fortes poussées de fièvre.

Confondre le rhume et les peines d’amour, faut le faire quand même. Quoi que les symptômes sont plutôt comparables : fatigue extrême, perte d’appétit, écoulement nasal, yeux qui brûlent, douleurs musculaires.

Le cœur est incontestablement un muscle indésirable. C’est pourquoi je m’entraînerai dorénavant pour devenir une sans-cœur. Ne me reste plus qu’à trouver un gym qui offre ce type de programme.

03 juin 2007

Oedipe le complexé



- Salut P’pa.
- Allo la cocotte, ça va?
- Pas vraiment.
- Qu’est-ce qui se passe? T’es malade?
- Non, mais j’sens que je vais le devenir.
- Tu couvres une grippe?
- Non. Une vengeance.
- Oh.
- J’peux te poser une question?
- Oui, vas-y.
- Personnelle.
- Ok…
- Pourquoi, quand t’étais avec maman, tu la trompais?
- …
- J’veux dire, est-ce que c’est parce que tu l’aimais pu? Parce que tu ne la trouvais plus attirante? Parce que c’était plus fort que toi, une genre de… question d’hormones?!
- Non.
- Pourquoi alors?
- Écoute, j’suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question.
- Tu veux dire que tu connais pas la réponse toi-même.
- Peut-être. Mais… c’est surtout que… tu y vas rough ce soir la cocotte avec ton interrogatoire… J’m’attendais pas à me faire poser ce genre de colle. D’autant plus que j’ignorais que tu savais tout ça. J’veux dire, moi et ta mère, la tromperie, et tout…
- Papa, on n’est pas con à onze ans; on est jeune, pas stupide.
- C’est ta mère qui t’as tout raconté?
- T’es-tu fou! Maman est ben trop orgueilleuse pour me raconter ces choses-là. Pour elle, ç’aurait été avouer sa faiblesse que de me dire que son mari l’avait déjà trompée. Non. J’l’ai su autrement.
- …
- La fois où tu pleurais dans ta chambre. J’crois que tu parlais à mon’oncle Gilles. T’étais complètement désespéré et tu t’accusais d’avoir bousillé ton mariage. Je passais dans le corridor, j’ai pas pu m’empêcher de tout écouter.
- Je m’excuse Sophie.
- Pour?
- Que tu aies appris ça. De cette manière. Et d’avoir fait ça. Je m’excuse.
- C’est pas dans le but de t’arracher des excuses que je te posais la question, mais… excuses acceptées.
- Pourquoi tu demandais alors?
- Parce que François m’a trompée avec Magalie et que je sais pas comment prendre la chose.

Mon père a été incapable de répondre quoi que ce soit de constructif à cette affirmation. Il s’est contenté de m’inviter à souper demain et de s’excuser à nouveau d’avoir été un mauvais mari pour ma mère.

Je ne lui en ai jamais vraiment voulu pourtant d’avoir agi de la sorte. Je ne comprenais tout simplement pas d’où lui venait ce besoin d’aller voir d’autres femmes que ma mère. Quoi qu’avec le caractère qu’elle a, je peux envisager que mon père ait pu avoir besoin d’aller se défouler ailleurs.

La seule raison liée à toutes ces histoires et pour laquelle je pourrais lui en vouloir, c’est de m’avoir condamnée, par son comportement, à sortir avec des gars qui allaient tous éventuellement me tromper. Pourquoi? À cause d’Œdipe le complexé, évidemment. Parce que le modèle d’amour homme-femme que j’ai eu en était un où la trahison était présente, je cherche à reproduire ce même schéma dans mes propres relations amoureuses. Et c’est pas pour accuser mes parents que je dis ça, ni pour me déresponsabiliser de mes choix personnels et de leur impact. C’est simplement pour pouvoir rendre concrète ma frustration actuelle et la diriger vers quelqu’un de tangible afin de ne pas devenir folle.

Et j’ai choisi Œdipe.

Non mais, quel con. Coucher avec sa mère sans même s’en rendre compte. Moi aussi j’aurais développé des complexes à sa place. J’me serais sentie plutôt niaiseuse et me serais certainement punie comme il l’a fait. Deux bons coups de couteau dans les yeux, ça te replace l’humilité.

Œdipe le salaud. Œdipe l’aveugle. Aveugle comme la vengeance. La vengeance des aveugles.

Elle aura lieu prochainement.